A priori, entre un site d’infos et le nouveau site du président de la République, rien à voir. Mais à y regarder de plus près, les outils et les formats utilisés, spécifiques au Web, sont les mêmes – le traitement de l’information, c’est une autre histoire. Ainsi, sur la nouvelle «home page» d’Elysee.fr, que j’ai pu voir en avant-première et qui doit être lancée après les élections régionales (UPDATE: le nouveau site a été mis en ligne dans la nuit du 29 mars 2010), des photos grand format, en pleine colonne — mais sans pub — pointent sur les sujets du jour. Plus bas, une partie «dossiers» et une colonne d’«actualités». Certes, l’url ne trompe pas sur la marchandise: il s’agit bien du site d’information du chef de l’Etat. Certes, le code couleur graphique (bleu, blanc, rouge) rappelle où l’on est, ainsi que la devise «liberté, égalité, fraternité». Certes, Elysee.fr, piloté par le conseiller présidentiel Nicolas Princen au sein de la cellule de communication dirigée par Franck Louvrier, est un site institutionnel, qui porte la parole du président. Mais en coulisses, la production d’Elysee.fr s’organise parfois comme celle d’un site Web d’infos: l’un et l’autre numérisent des contenus, organisent leur diffusion et créent le débat, en ligne, dans une sphère publique donc. Sans compter que certaines innovations technologiques d’Elysee.fr vont faire des envieux dans les salles de rédaction. Pour vous le montrer, je me suis livrée au jeu des sept points de convergence / divergence.
1. La ligne éditoriale
Quand nombre de sites d’infos dégainent des articles au rythme de l’agenda de l’AFP, sur Elysee.fr, c’est l’agenda du «PR» (président de la République) qui détermine le menu du jour. En clair, si Nicolas Sarkozy fait un discours, ou un déplacement, comme mercredi 24 février au Gabon, cela détermine le contenu de la page d’accueil d’Elysee.fr du jour. En revanche, s’il ne fait pas d’allocution publique sur la grève dans les raffineries, alors niet, Elysee.fr n’en parle pas. Et ce, même si le sujet faisait par ailleurs la «une» de tous les sites d’infos au mois de février. La ligne éditoriale, c’est donc de coller à l’action du président.
2. L’iconographie
Quelle image mettre sur la page d’accueil? Quelle photo donne envie aux lecteurs de cliquer? Comment illustrer ce dossier? Ces questions, ce sont celles que se pose une rédaction des dizaines de fois par jour. Or ce n’est pas parce que l’on s’appelle Elysee.fr que l’on déroge à la règle. L’équipe du site présidentiel se triture aussi les méninges sur l’iconographie, avec les mêmes contraintes que les sites d’infos pour les photos de Nicolas Sarkozy: que celles-ci soient d’actu (c’est-à-dire du jour, pas du mois dernier) et qu’elles soient de très grande qualité pour convenir au format.
La grande majorité des photos proviennent des photographes de l’Elysée qui, depuis 1958, mitraillent les scènes diplomatiques pour la postérité, à des fins d’archives. Cette fois, leurs clichés sont mis en ligne, façon pour l’équipe d’Elysee.fr de valoriser des contenus qui existaient déjà mais n’étaient jusqu’alors pas montrés si vite. La difficulté du service photo? Saisir le président quand il n’est pas caché par la dizaine de personnes qui assure sa sécurité et l’entoure en permanence. Ce qui rend rares les photos où Nicolas Sarkozy est seul, comme ce cliché où on le voit visiter le carré musulman du cimetière militaire de Notre-Dame de Lorette, le 26 janvier 2010, à Ablain-Saint-Nazaire.
3. Le temps réel
Le rush des lefigaro.fr, 20minutes.fr, lemonde.fr, qui publient des «urgents» et des «dernières minutes» en espérant être les premiers à sortir l’info, Elysee.fr ne connaîtra pas. La présidence ne court pas après l’actu car c’est elle qui la créée. La preuve, il n’y a qu’à compter, sur les sites d’infos français, le nombre d’articles rebondissant sur les annonces de l’hyper-président.
Reste que pour mettre en ligne les vidéos des discours de Nicolas Sarkozy, cela va être la course. La séquence sera récupérée au pool TV, qui filme les interventions du président, sitôt l’allocution terminée pour que celle-ci soit disponible en ligne entre 15 et 30 minutes «après le prononcé». Bref, des quasi «directs». Et de la diffusion sans coupure ni montage, a contrario des sujets des télévisions – qui puisent aussi dans les images du pool TV.
4. Le circuit de la copie
Sur Elysee.fr, aucun contenu n’est publié sans validation. Idem pour les sites d’infos, où la plupart des articles des rédacteurs sont relus par des rédacteurs en chef et /ou des éditeurs. Dans ces conditions, le temps réel stricto sensu n’est pas possible, mais les «actualités» sur les déplacements du chef de l’Etat peuvent être préparées à J-48, avec la publication d’éléments de «contexte» des dits déplacements.
Or publier autre chose que des communiqués de presse, à propos du Président, c’est périlleux. Une simple faute d’orthographe peut faire l’objet de la risée des internautes. La polémique autour de la date exacte de la photo de Nicolas Sarkozy prise à Berlin en 1989 et publiée… sur sa page Facebook montre que le président est guetté en ligne.
5. L’audience
Sur Elysee.fr, les internautes s’appellent «les Français». Il n’est pas prévu qu’ils commentent directement sous les contenus publiés. Mais des boutons Facebook et Twitter sont visibles pour que «les Français» réagissent… sur les réseaux sociaux. Un choix qui coïncide avec les problématiques actuelles des sites d’infos, dont la communauté s’est exportée sur les réseaux. Pour l’équipe d’Elysee.fr, c’est aussi un souci: comment traiter / faire remonter les réactions des internautes? Alors que certains sites font des synthèses de réactions, ou des témoignages d’internautes, Nicolas Sarkozy consulte une sélection des commentaires laissés sur sa page Facebook. Façon baromètre de l’opinion publique numérique.
Sur Twitter, tout reste encore à faire et, comme dans les rédactions, l’équipe d’Elysee.fr s’interroge sur le potentiel de ce réseau encore réservé aux «happy few» (0,98% de la communauté de Twitter est française).
6. La technologie
C’est l’un des points de convergence le plus fort entre Elysee.fr et un site d’info: la nécessaire agrégation de nouvelles technologies. Mais sur Elysee.fr, il s’agit de mettre en valeur l’innovation technologique… française. Plutôt qu’une Google Maps sur les allers et retours de Nicolas Sarkozy, la carte des voyages présidentiels est donc signée IGN (Institut géographique national). Car IGN, c’est français! De même, point de YouTube (américain), place à l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) et à Dailymotion, les plates-formes frenchy de vidéos.
Cependant, la vraie innovation du site réside dans la technologie de reconnaissance vocale des vidéos, conçue par deux sociétés – françaises! – Exalead et Vecsys. Un outil qui permet de chercher un mot dans les discours filmés de Nicolas Sarkozy, et rend traçable la parole politique dans le temps. De fait, le dispositif va sans doute plaire à Yann Barthès, dont Le Petit Journal de Canal+ excelle à traquer les répétitions et les bafouilles des hommes politiques. Et je prends le pari que les rédactions Web vont se bousculer pour l’acquérir.
7. La politique
J’entends par là la politique au sens figuré. Car le lancement du nouveau site de l’Elysée pourrait bien faire évoluer le fonctionnement du Palais. En effet, la mise en ligne de données sur l’action de Nicolas Sarkozy qui, jusqu’à présent, étaient réservées à un usage interne, poussent à plus de transparence, l’une des valeurs clés du Web. Avec le risque, quand les données se multiplient dans le temps, de voir pointer d’éventuelles contradictions.
C’est peu ou prou ce qu’ont vécu – et vivent encore – les sites Web des journaux imprimés. D’abord ils ont retraité et numérisé des contenus existants (ceux du papier) pour les rendre accessibles en ligne – ce que fait Elysee.fr, au service du palais présidentiel; ensuite ils se sont constitués en rédaction spécifique, distincte du journal, et ont créé des contenus propres au Web.
Qui sait? L’Elysée pourrait aussi vivre sa révolution numérique…
Alice Antheaume
lire le billet«Dans une rédaction, le problème le plus fréquent n’est pas de vérifier des faits, mais d’avoir les faits. Et… le plus vite possible.» Sarah J. Hinman est directrice du pôle «recherche d’infos» à Times Union, un quotidien crée en 1837 et édité à plus de 90.000 exemplaires, qui couvre l’actualité de la ville d’Albany et sa périphérie, au Nord de l’Etat de New York.
Le métier de Sarah J. Hinman? «News researcher». Chercheuse d’infos, donc. Spécificité: elle n’écrit pas d’articles, elle prend des notes qu’elle donne aux journalistes. «Je n’effectue qu’une partie de l’enquête», confie-t-elle lors d’un cours donné à l’école de journalisme de la Columbia. Son job consiste à travailler en amont, c’est-à-dire avant l’enquête ou le reportage des journalistes sur le terrain. Quelque soit l’histoire qui sera publiée (fait divers, politique, société, etc.), elle fournit aux reporters toutes les infos dont ils ont besoin. Les numéros de téléphone des personnes concernées, leurs adresses postales, la liste des gens dont ces personnes sont proches, ainsi que leurs coordonnées.
Bases de données à volonté
Comment savoir où se trouve en ce moment un SDF que la rédaction veut interviewer? Comment trouver le numéro de téléphone portable de cette femme accusée de meurtre? Comment savoir ce que cette ONG gagne grâce à ses soirées caritatives? Pour Sarah J. Hinman, pas de problème, elle connaît le Net – et les bases de données – comme sa poche. A la voir chercher en un temps record les réponses aux questions précédentes, je me dis que, pas possible, je suis tombée sur la Lisbeth Salander américaine – l’héroïne de Millénium, geekette ébouriffante, qui farfouille sur le réseau en quête d’infos pour une enquête du journaliste Michael Blomkvist.
Aucune question n’est insoluble
«J’adore qu’on me pose des questions», reprend Sarah J. Hinman, qui scrute frénétiquement son écran. «En fait, j’adore trouver les réponses… Et j’adore les chiffres aussi. Plus que les lettres, ils veulent toujours dire quelque chose. Il suffit de les faire parler». Et la voici qui trouve l’équivalent du numéro de sécurité sociale d’un célèbre homme politique américain… «Les femmes sont plus difficiles à traquer», tempère Sarah J. Hinman, «car, mariées, elles changent de noms.»
Ancienne documentaliste, elle a à son disposition des bases de données payantes, dont Nexis, qui répertorie notamment des détails très précis sur les entreprises et leurs salariés (environ 10.000 dollars l’abonnement à l’année pour une rédaction américaine), mais aussi les réseaux sociaux, et des bases de données gratuites, accessibles en ligne, dont l’une liste tous les professeurs américains, et une autre les magistrats du pays. «Un jour, on cherchait des informations sur une avocate endettée jusqu’au cou, qui avait disparu de la circulation, se souvient Sarah J. Hinman. En faisant une requête sur son nom dans l’annuaire des magistrats, j’ai vu qu’elle avait été radiée de l’ordre des avocats. C’était peut-être insignifiant, mais j’ai donné l’élément au journaliste. Or il se trouve que la date de sa radiation correspondait peu ou prou à la date à laquelle elle avait commencé à ne plus payer ses emprunts bancaires.»
Coup gagnant
Times Union, le Times, et d’autres rédactions américaines, y compris des télévisions, ont recours aux services des «news researchers». Une tactique payante, me raconte un professeur de la Columbia. «Un “news researcher” représente une double économie pour une rédaction. 1. Il coûte moins cher en salaire qu’un journaliste 2. Il permet aux journalistes de faire deux fois plus de terrain», et produire de la valeur ajoutée «visible» grâce à des reportages, au lieu de passer du temps, moins «visible» pour le lecteur, coincés derrière un écran à chercher les infos du «news researcher». «C’est un économiseur de temps», plaidait déjà il y a quelques années Theresa Collington Moore, qui faisait ce métier dans une chaîne de télé en Floride. Pour celle-ci, «ne pas avoir cette fonction dans une rédaction, c’est comme jouer au foot sans gardien de but».
Qu’en pensez-vous? Faut-il que la fonction de «news researcher» s’implante dans les rédactions françaises?
Alice Antheaume
lire le billetImpossible de gagner de l’argent en produisant de l’information? (Gawker)
.com, trois lettres et un signe de ponctuation qui ont changé le monde (blog Reuters)
Twitter commence à vendre ses services aux médias (AFP Mediawatch)
lire le billetLe Washington Post lance le Story Lab. Pour que journalistes et internautes construisent ensemble des articles en s’échangeant sources et idées.
Le Zeitgeist, connu comme le classement des mots-clés les plus recherchés sur Google, désigne aussi une nouvelle façon pour le Guardian de hiérarchiser l’info. Cela se passe sur une grille de couleurs, en fonction des mots-clés cherchés par les internautes sur le site www.guardian.co.uk
La publicité sur mobile prête à exploser en France? (Lexpansion.com)
lire le billetEt si l’iPad sauvait les fabriquants d”information? (OJR, The online journalism review)
Reste que les actuels lecteurs d’e-readers n’aident pas franchement les éditeurs (SFN blog)
“En France, on déteste les journalistes”, peste Arlette Chabot, directrice de l’information à France Télévisions (Lefigaro.fr)
lire le billetLe Net est-il devenu une source d’information comme une autre pour les journalistes?
Selon ce sondage américain orchestré par l’entreprise de conseil Cision et Don Bates, directeur et fondateur du Master en relations publiques et stratégiques de l’Université George Washington, «la majorité des journalistes dépendent maintenant des médias sociaux» pour trouver un sujet sur lequel écrire.
Parmi les 9.100 journalistes interrogés à l’automne 2009, 89% disent se tourner vers les blogs pour chercher des idées d’articles, 65% regardent sur des réseaux comme Facebook ou Linkedin, 52% sur Twitter, et 61% sur Wikipédia.
Autre élément relevé par ce sondage: bien que les journalistes se servent des réseaux pour trouver des informations, ils sont convaincus de la nécessité de vérifier les informations qu’ils obtiennent par ce biais. 84% des sondés disent que les réseaux sociaux sont «légèrement moins» ou «beaucoup moins» dignes de confiance que les médias traditionnels. Et 49% vont même jusqu’à dire que les réseaux sociaux souffrent d’un «manque de vérification des faits rapportés».
AA
lire le billet– Et si un robot était capable de produire des infos comme un journaliste? La machine s’appelle Nozzl (Read Write Web)
– Super Nanny, star, bien que franco-française, d’une heure sur Twitter (20minutes.fr)
– Sur le Kindle, les auteurs publient leurs ouvrages sans DRM (Digital Right Management, les verrous numériques), et Amazon ne dit rien (Nieman Journalism Lab)
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