Cahier de vacances 2013 pour étudiants en journalisme

Crédit: Flickr/CC/quinn.anya

Les étudiants de la promotion 2013 de l’Ecole de journalisme de Sciences Po sont désormais diplômés – et ils l’ont bien mérité. Ceux de la prochaine promotion viennent d’être recrutés. Que faire de l’été en attendant la rentrée? Voici, pour ceux qui s’impatientent, sept exercices en guise de cahier de vacances. Il y a aussi, pour ceux qui souhaitent, le cahier de vacances de l’été dernier, toujours d’actualité.

1. Diversifier ses sources d’informations

Connaître l’actualité et avoir plaisir à consommer des informations chaque jour, c’est bien, mais cela ne suffit pas. Il faut en plus diversifier ses sources d’informations pour ne pas se contenter du traditionnel triptyque des apprentis journalistes, à savoir France Inter/Rue89/France 2.

Exercice

Plutôt que d’écouter la même radio tous les matins sous la douche, changez de station chaque jour de l’été, et profitez-en pour tester des radios thématiques méconnues – mais offrant des bulletins d’informations. Idem en ligne: allez voir chaque jour en ligne un média (site d’informations, application, newsletter) que vous ne connaissez pas.

Résultat attendu

Elargir son spectre, aborder l’actualité sous des angles différents, mieux connaître le paysage médiatique, être ainsi en mesure de dire quelles sont les lignes éditoriales de chacun de ces médias.

2. Apprendre à lire comme des professionnels de l’info

Rien ne vaut la lecture des productions journalistiques des autres pour commencer son apprentissage, l’idée étant de décortiquer la structure d’un article comme s’il s’agissait de faire le commentaire composé d’un texte littéraire.

Exercice

Lisez un article dans un journal ou un site d’infos et essayez de répondre aux questions suivantes: quelle est l’information principale de l’article? L’avez-vous lue ailleurs? Combien de sources sont citées? Certaines d’entre elles sont-elles anonymes? Pourquoi? Y a-t-il des éléments d’ambiance? Comment le journaliste s’y prend-t-il pour donner l’impression au lecteur d’être sur les lieux – ce reportage sur le déraillement du train à Brétigny-sur-Orge commence par “il y a d’abord l’odeur entêtante…”? Quels mots reviennent souvent?

Résultat attendu

Etre capable de repérer les “tics” d’écriture de ses journalistes préférés, s’en inspirer, et savoir résumer, en une seule phrase, l’information contenue dans un article.

3. Eduquer son oeil

Qu’est-ce qu’une photo d’actualité ratée? Et une illustration réussie? Savoir les détecter évitera les faux pas lorsque viendra le moment de choisir la meilleure photo/illustration possible pour accompagner l’information que l’on s’apprête à publier.

Exercice

Regardez chaque image postée sur le délicieux Tumblr intitulé “Malaise en iconographie” et demandez-vous pourquoi elle pose problème. Exemple avec la photo de l’accordéoniste André Verchuren, mal cadrée, ou avec cette photo d’éléphanteau douché par la trompe de sa mère, servant à illustrer un article sur la fréquence des douches prises par les Français.

Résultat attendu

Comprendre que l’iconographie nécessite autant d’attention que la rédaction d’une phrase, et éviter de retrouver l’une de ses futures productions épinglée sur ce Tumblr.

4. Faire connaissance avec l’audience

Avant même de penser à produire des contenus, il faut s’attacher à comprendre à qui l’on s’adresse. C’est devenu un préalable nécessaire pour faire du bon journalisme, disait déjà Emily Bell, de l’Ecole de journalisme de Columbia, en décembre 2011. Qui sont les Français qui s’informent? Comment utilisent-ils les médias? A quel moment de la journée sont-ils sur leur téléphone ou sur leur ordinateur? Que cherchent-ils, en ligne, comme type d’informations?

Exercice

Regardez en détails ce portrait des Français consommateurs d’informations, réalisé par le Reuters Institute for the Study of Journalism en 2013, comparez les usages décrits avec les vôtres pour déterminer s’il y a des différences et, si oui, lesquelles.

Résultat attendu

Pouvoir proposer des sujets journalistiques susceptibles d’intéresser le plus grand nombre.

5. S’initier au code

Le futur du journalisme passe par la compréhension du code, on l’a déjà dit ici. Non contents de produire des contenus, les journalistes de demain devront savoir imaginer des formats éditoriaux innovants, et pour cela, parler à des développeurs, donc comprendre leur langage. Or la plupart des étudiants en journalisme ayant souvent fait des études littéraires, ils ont rarement eu l’occasion de toucher à la programmation informatique. Heureusement, rien n’est irréversible. Il existe en effet en ligne des dizaines de tutoriaux pour s’initier aux différents langages informatiques.

Exercice

Sur Code Academy, la Star Academy du code, choisissez l’onglet “Web fundamentals”, et tentez de passer, une à une, les étapes pour apprendre les rudiments de l’HTML et du CSS, jusqu’à construire votre propre site Web.

Résultat attendu

Y prendre goût et se lancer dans l’apprentissage d’autres langages (PHP ou Javascript) et pouvoir afficher, sur son CV, son niveau à Code Academy.

6. Apprendre le vocabulaire journalistique

Chaque métier a son jargon, et le journalisme, notamment en ligne, n’y échappe pas. Les journalistes parlent une novlangue faite d’un mélange de néologismes, de franglais, de termes issus des logiciels, et d’expressions potaches.

Exercice

Parcourez ce lexique et tentez de trouver, grâce à vos stages et expériences professionnelles estivales, les mots – et leurs définitions – qui y manquent et gagneraient à compléter le tout.

Résultat attendu

Comprendre que, derrière chacun de ces néologismes, figure une tâche journalistique.

7. Faire un reportage vidéo sur son mobile

Nul besoin d’attendre d’avoir une caméra sophistiquée en mains pour commencer à filmer. Un smartphone est un outil de choix pour enregistrer des séquences en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Autant s’échauffer dès maintenant…

Exercice

Bardez votre smartphone d’applications pour capturer des séquences et procéder à un montage rapide (Vine, Vizibee, Tout.com, Capture, GIF Boom), observez ce qu’il se passe autour de vous, et tentez de saisir un extrait signifiant (avec un début qui ne soit pas semblable à la fin, et le plus d’informations possible dans la séquence). L’idée est de tout réaliser avec un smartphone, du tournage jusqu’à la mise en ligne en passant par l’insertion de titres, de sous-titres, de transitions, sans passer par la case ordinateur.

Résultat attendu

Commencer sans attendre à expérimenter des outils, des formats, des petits sujets sans prétention, le tout en situation de mobilité et en vidéo. Attention néanmoins à ne pas publier en ligne n’importe quoi. Si la séquence est ratée, si elle risque de diffamer quelqu’un, si elle est à charge, mieux vaut passer son tour.

Si cet article vous a plu, merci de le partager sur les réseaux sociaux. Enfin, n’oubliez pas de vous reposer et de profiter de l’été !

Alice Antheaume

lire le billet

Le “type du web” répond au grand reporter

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Julien Pain, responsable du site et de l’émission Les Observateurs, à France 24.

Je me souviendrai longtemps de ma première rencontre avec un grand reporter de France 24. C’était en septembre 2007, juste après mon premier jour au sein de cette chaîne. J’étais parvenu à convaincre les patrons de l’époque que les contenus récupérés sur Internet et les réseaux sociaux pouvaient compléter leur couverture de l’actualité internationale. Pas seulement le site Web de France 24 mais également son antenne. L’image amateure, j’en étais persuadé, allait faire une entrée fracassante dans l’univers télévisuel. Et une chaîne d’infos comme France 24 se devait d’anticiper la mutation si elle ne voulait pas la subir.


Me voilà donc devant un grand reporter, l’une des stars de la chaîne, celui qui a tout vu et tout vécu, qui a bravé la mort autant de fois que j’ai d’années de journalisme. “Est-ce que ça a vraiment un intérêt, tes trucs amateurs?”, me demande-t-il. “Moi je n’ai jamais fait confiance qu’à moi et aux images que j’ai tournées moi-même”. Par politesse, il avait tourné son propos sous forme de question, mais le message était clair: “Tu n’as rien à faire ici”.

Les images amateures sont désormais dans un JT sur deux de France 24

Quatre ans plus tard, la question de ce grand reporter revient à peu près à se demander si, vu qu’on a déjà le fax, le Minitel et les pigeons voyageurs, on ne pourrait pas se passer d’Internet. Les images amateures sont désormais dans un JT sur deux de France 24. Personne n’oserait évoquer le mouvement de contestation en Syrie sans recourir aux vidéos diffusées sur YouTube ou Facebook.

Parce qu’il n’y a pas, ou quasiment pas, d’images tournées par des journalistes dans ce pays. Là où les médias sont bâillonnés, où les journalistes ne peuvent pas accéder, il faut bien se servir du seul matériau disponible, même si la qualité de l’image laisse à désirer et si les vidéos sont tournées par des hommes et des femmes qui n’ont pas de carte de presse.

Après la révolution verte en Iran et les printemps arabes, la bonne question n’est plus “doit-on se servir des images amateures?” mais “comment intégrer ce nouveau type de contenus sans pour autant sacrifier nos standards journalistiques?”. En d’autres termes, comment vérifier la véracité des informations et des images circulant sur le Net?

Nous, les journalistes, avons perdu le monopole de la captation

Même si les reporters traditionnels de France 24 sont allergiques aux images tremblantes et brouillonnes – c’est écrit dans leur l’ADN et c’est normal –, ils savent qu’ils ne peuvent pas être partout tout le temps. Ils savent que désormais d’autres peuvent parfois filmer à leur place.

Nous, les journalistes, avons perdu le monopole de la captation. Le moindre smartphone dispose aujourd’hui d’une caméra. Et, dans cinq ans, les Maliens auront des téléphones portables qui feront passer l’iPhone 4 pour l’Amstrad 464 de mon enfance. Andy Warhol affirmait en 1979 que tout le monde aurait au cours de sa vie ses quinze minutes de célébrité ; j’ajouterais qu’en 2011, tout le monde filmera dans sa vie quelque chose susceptible de passer dans un journal télévisé (une révolution peut-être, plus probablement un accident de voiture).

L’assassinat de l’ancien premier ministre pakistanais, Benazir Bhutto, a été filmé avec un téléphone portable par un amateur en décembre 2007. De même que la mort de Mouammar Kadhafi, en octobre 2011. J’imagine mal un rédacteur en chef se demander si ces images méritaient d’être diffusées (je ne parle pas ici du caractère choquant de ces scènes, ce qui n’est pas le sujet).

J’aimerais pouvoir dire que même le premier grand reporter que j’ai croisé à France 24 est aujourd’hui convaincu de l’utilité de mon travail. Malheureusement, il a sans doute quitté la chaîne en se demandant toujours pourquoi un “type du web” était resté assis à côté de lui aussi longtemps…

Mais j’ai peut-être une dernière chance de le convaincre, car, qui sait?, peut-être lira-t-il ces lignes: je vais donc tenter une dernière fois de lui expliquer ce que je fais à France 24.

Une information ne peut qu’être vérifiée

Je conçois ma pratique journalistique comme une façon de faire émerger une information et des images inédites. J’utilise des outils d’aujourd’hui, le Net et les réseaux sociaux, pour faire le plus vieux métier du journalisme: enquêter.

Et au risque de décevoir notre grand reporter, mon credo n’est pas de «boutiquer» des informations non vérifiées à grand renfort de conditionnel. Je n’aime pas plus que lui l’usage du conditionnel qui se répand dans les médias, et en particulier sur les chaînes d’information. Il n’y a d’information que vérifiée. Appelons le reste conjecture ou rumeur.

>> Information venue du Web, check!, à lire sur WIP >>

Ce qui ne veut pas dire que l’on ne peut diffuser que des images sur lesquelles nous disposons de toutes les informations. Ce serait illusoire dans mon domaine. Il se peut par exemple que, dans le cas d’une image amateure, on ait des certitudes (par exemple le lieu et le contexte), mais que l’on ait des doutes sur un élément (disons, la date exacte). Il arrive que l’on décide tout de même de passer cette image à l’antenne, mais à deux conditions.

Il faut d’une part avertir le téléspectateur sur les données manquantes – et pas uniquement par un vague conditionnel – et d’autre part que ces données manquantes ne soient pas de nature à modifier l’interprétation que l’on fait des images. Une vidéo de Syrie peut avoir la même signification qu’elle date d’avril ou de mai. Mais s’il est impossible de dire si cette vidéo est de 2010 ou de 2011, le risque est grand qu’on se trompe dans son analyse.

“De toute façon, les images amateures sont par essence invérifiables”, me dirait mon grand reporter. Faux. Vérifier une information est l’une des fonctions essentielles du journaliste. Que cette information vienne d’Internet ou qu’elle atterrisse dans votre boîte aux lettres change assez peu la donne. Lorsqu’un pli anonyme trouve son chemin jusqu’au Canard Enchaîné, les journalistes “à l’ancienne” font leur travail: ils enquêtent pour confirmer, ou infirmer, ce qui leur est en général présenté comme parole d’évangile.

Pourquoi ce travail de vérification serait-il impossible sur les réseaux sociaux? Et pourquoi le “type du web” en serait-il incapable?

Le “croisé de la source” ne peut être la seule technique du journaliste, de même que le “planté du bâton” n’évite pas les chutes à ski

On peut vérifier une information venue des réseaux sociaux. A condition bien sûr de savoir utiliser les ressources qu’offrent ces nouveaux outils. Un autre grand journaliste m’a dit que “de son temps on attendait d’avoir trois sources concordantes pour publier une info”.

Fort bien jusque-là, mais lorsque que je lui ai demandé de me donner un exemple de ces fameuses “trois sources concordantes”, il m’a répondu “et bien par exemple tu attends d’avoir l’info de Reuters, AP et AFP”. Quelle leçon de journalisme j’ai prise ce jour-là! Moi qui passe mes journées à essayer de déterrer des tréfonds du web des affaires de corruption en Chine et des vidéos d’exactions en Syrie, je ne savais pas qu’il fallait attendre “les trois agences” pour pouvoir affirmer que j’avais vérifié. J’imagine comment mon glorieux aîné aurait apostrophé Bob Woodward et Carl Bernstein, les journalistes qui ont révélé le scandale du Watergate, s’il en avait eu l’occasion: “mais l’AFP et Reuters ont-ils confirmé l’info?”

Internet, qu’on dit malade de ses fausses informations, porte souvent en lui-même son antidote

A l’évidence, le croisé de la source ne peut être la seule technique du journaliste, ancien ou moderne, de même que le planté du bâton n’évite pas les chutes à ski. Je n’ai pas de recette miracle en matière de vérification des contenus amateurs. C’est  du cas par cas, comme toute enquête.

Internet, que l’on dit malade de ses fausses informations, porte souvent en lui-même son antidote. Par exemple, l’analyse des données cachées  dans le fichier d’une photo récupérée sur le net donnera, à qui sait les interpréter, bien plus d’éléments de vérification que la même image développée sur papier.

De même, les réseaux propagent certes les rumeurs et les contrefaçons, mais ils donnent également accès aux journalistes à une multitude “d’experts”, ou de petites mains, capables de déceler les faux qui circulent effectivement sur le web. Pour savoir que la prétendue photo du cadavre de Ben Laden était bidon, nul besoin de passer des heures à la scruter au microscope, il suffisait de lire ce qu’en disaient les internautes sur Twitter.

Loin de vouloir remplacer le travail des reporters, je n’ai d’autre ambition que de le compléter

Dans cet article, je semble m’acharner sur un grand reporter. Mais c’est parce que j’ai voulu personnifier l’incompréhension, et les sarcasmes que j’entends parfois. Les reporters, grands ou petits, ont tous la même ambition: aller à la rencontre de gens et d’histoires qu’ils seront les seuls à raconter.

Moi-même j’espère faire cela. Je creuse, je fouille et tamise les réseaux comme les reporters traditionnels arpentent, eux, le terrain. On m’accuse  d’œuvrer à la disparition du journalisme de terrain. Pourtant, loin de vouloir remplacer le travail des reporters, je n’ai d’autre ambition que de le compléter. Le journalisme tel que je le conçois ne peut survivre sans reportage, alors qu’il a très bien vécu sans images amateures. Les nouveaux réseaux de l’info nous offrent de fabuleux outils pour raconter le monde, ne nous en privons pas.

Julien Pain

lire le billet

Les critères d’un contenu facebookable

Crédit: Flickr/CC/dkalo

Il y a les titres «Google friendly». Maintenant, il y a les contenus «facebookables». Encore un mot anglais que j’aurais pu ajouter au jargon des journalistes en ligne. Selon le dictionnaire urbain, cet adjectif signifie que le contenu vaut la peine d’être publié sur Facebook et peut générer de l’intérêt auprès des 500 millions de membres et quelques du réseau social.

Alors que le réseau social de Mark Zuckerberg vient de lancer une page intitulée Journalists on Facebook, de la même façon que Twitter répertorie les meilleures pratiques journalistiques, il faut croire qu’il y a une audience, sur Facebook, intéressée par la consommation d’informations. «Depuis début 2010, les médias ont vu, en moyenne, une hausse de plus de 300% de leur trafic en provenance de Facebook», assure l’entreprise de Palo Alto.

«Qui vous dit d’aller voir cet article?», feint d’interroger Christian Hernandez, directeur du développement international de Facebook, lors d’une conférence organisée par The Guardian, à Londres. Réponse: «Ce n’est ni un éditeur ni un algorithme (pique à Google au passage, ndlr), c’est votre ami. Facebook engendre du trafic.»

Sauf que, d’après les expériences menées ici et là, les contenus d’informations ne vont pas tous de pair avec Facebook. Lesquels «trouvent leur public»? Lesquels échouent? Quels sont les critères d’un contenu «facebookable»?

  • Critère numéro 1 : Le contenu doit être visible dans le newsfeed de Facebook

Le newsfeed, c’est le fil d’actualités de Facebook, présent dans la colonne centrale de la page d’accueil, là où sont visibles les liens qu’aiment vos amis, les photos sur lesquelles ils figurent, les commentaires qu’ils ont posté, etc. Or tous les contenus ne remontent pas de la même façon dans le newsfeed. Leur visibilité – et la durée de leur visibilité – dépend de leur popularité, déterminée par l’algorithme de Facebook.

Comme Google a son algorithme (le page rank) pour indexer les pages Web, Facebook a le sien (le edge rank) pour indexer les contenus dans le fil d’actualités. «Contrairement au super secret Google, Facebook a partagé le fonctionnement de son algorithme pour classer et filtrer ce qui apparaît dans le newsfeed», indique la société de marketing Hubspot sur son blog.

Le edge rank repose sur trois éléments: 1. L’affinité de la personne/l’organisation qui partage le contenu avec l’utilisateur (plus ces deux-là ont déjà interagi ensemble, via des commentaires, des likes, des partages de liens, plus le contenu produit par l’un remontera dans le newsfeed de l’autre) 2. La popularité (le nombre de commentaires et de likes recueilli par le contenu) 3. La fraîcheur (la date du contenu, sachant qu’un contenu partagé il y a plus de 24 heures n’apparaîtra probablement plus dans le fil).

«L’interaction fait remonter le contenu dans le ranking», me confirme Matthieu Stefani, co-fondateur de Citizenside, et consultant sur les réseaux sociaux. Dans mon newsfeed, je ne vois pas forcément les articles produits par les pages que j’ai likées. Pourtant, ces pages ont bien produit des contenus. Cela veut dire qu’elles ne sont pas en affinité avec moi, mes goûts, mes commentaires, mes likes. Donc Facebook considère que c’est du spam, et ne l’affiche pas – ou très peu – dans mon newsfeed.»

Dans ce cas, difficile de renverser la vapeur. «Si le contenu partagé par une personne ou une organisation fait 0 like et 0 commentaire, cela fait baisser la visibilité» de cette personne ou cette organisation dans le newsfeed, y compris pour les prochains contenus qu’elle aura à partager. Problème, soulève Matthieu Stefani, «comment faire pour remonter dans le newsfeed quand vos contenus ne s’affichent plus dans le fil d’actualités?»

  • Critère numéro 2 : L’éditing du contenu doit interpeller

«Nous avons remarqué que lorsque nous mettons des points d’interrogation et/ou des points d’exclamation en nombre sur Facebook, notre communauté réagit davantage, décrit Sarah Herz, directrice des activités digitales de Condénast, qui détient notamment Vogue et Glamour. Nous n’hésitons pas à nous servir du registre de l’émotion».

Du côté de L’Express, Thomas Bronnec, rédacteur en chef adjoint, précise que si les titres sont les mêmes sur lexpress.fr et sur Facebook, le «lancement» (les quelques lignes qui accompagnent le contenu) est travaillé sur Facebook de façon à «interpeller la communauté et l’inciter à débattre». Ainsi, pour aller avec l’article intitulé Rama Yade doit “se taire ou quitter son poste”, les quelques lignes qui vont avec, ce dimanche, s’adressent à la communauté sur le mode interrogatif: «Rama Yade devrait-elle être condamnée à ne pas parler politique, parce qu’elle est ambassadrice à l’Unesco? Etes-vous d’accord avec Gérard Larcher, le président du Sénat, qui lui demande d’observer un devoir de réserve?»

  • Critère numéro 3 : Le contenu doit encourager l’action

Plus vous employez des verbes d’action, plus vos fans y répondront, promet le site Mashable, pour qui la conduite à tenir est simple. «Vous voulez que vos fans expriment leur opinion sur un sujet? Demandez leur. Vous voulez qu’ils partagent leurs contenus favoris avec vous? Demandez leur. Vous voulez qu’ils partagent vos contenus? Demandez leur. Maintenant, vous avez compris.»

C’est ce que l’on appelle le «call to action», reprend Matthieu Stefani. «Ecrire “Et vous?”, “Qu’en pensez-vous?”, “Donnez une légende à cette photo”, bref demandez aux gens de faire quelque chose, cela marche, ils le font. Avec cette incitation, ils seront deux fois plus nombreux à interagir avec le contenu», ce qui favorise la visibilité de celui-ci (cf critère numéro 1). Parfois même, note Fabrice Pelosi, éditeur de Yahoo! Finance en France, les membres de Facebook «ne cliquent pas sur le contenu, mais le commentent quand même».

  • Critère numéro 4 : Le contenu doit éviter les pensées négatives

Les contenus les plus partagés? Ceux qui sont «positifs», rigolos et pédagogiques. Comme ailleurs, les contenus parlant de sexualité bénéficient du plus fort taux de partage, selon l’enquête de l’expert américain des médias Dan Zarella. Les contenus les moins partagés? Ceux qui provoquent la colère, l’anxiété ou la tristesse, selon une autre étude sur la viralité, produite à l’Université de Pennsylvanie par Jonah Berger and Katherine L. Milkman à propos des articles les plus envoyés du New York Times.

L’insolite et le LOL sont ainsi très prisés sur Facebook, comprend Fabrice Pelosi. Ce qu’il faut, ce sont des contenus qui racontent des «histoires extraordinaires qui ne nécessitent pas de prendre position, ni de défendre une opinion, mais dont le récit se suffit à lui-même». L’équation quasi parfaite pour un contenu viral sur Facebook, c’est, selon cet éditeur, l’alliance entre LOL et politique. L’un des articles de Yahoo! Finance les plus partagés sur Facebook est celui-ci, qui raconte comment Nicolas Sarkozy n’a pas su répondre à une question d’un journaliste italien sur… la tentative d’OPA de Lactalis sur Parmalat. «Cet article a été partagé plus de 3.000 fois, une réussite».

A l’inverse, l’information parue ce week-end sur la découverte du tronc de Laëtitia Perrais est peu «facebookable», estime Matthieu Stefani, «parce que ce contenu est difficile à liker». Un cas de conscience déjà relevé par les éditeurs au moment de l’apparition du bouton «like» en 2010. Comme le soulignait Jennifer Martin, directrice des relations publiques pour CNN Worldwide, il est très compliqué de voir des utilisateurs dire qu’ils «aiment» un article relatant un fait tragique.

Pour Christian Hernandez, de Facebook, les utilisateurs «likent» surtout ce qui les passionnent. «Les utilisateurs viennent sur Facebook, gratuitement, parlent de leurs passions, et veulent voir leurs passions en photos, qu’il s’agisse de leur anniversaire, leur bébé ou leur joueur de foot préféré».

  • Critère numéro 5 : Le contenu doit être indiqué par une adresse URL compréhensible

Les raccourcisseurs d’URL, c’est pratique mais cela ne permet pas de savoir sur quel site vous allez atterrir si vous cliquez dessus. Voilà pourquoi, selon la recherche Buddy Media publiée en avril sur les stratégies de publication efficaces, le taux de clic est trois fois plus fort sur Facebook si vous utilisez une URL compréhensible, avec des mots clés repérables par les utilisateurs.

De même, et toujours selon l’étude Buddy Media, les statuts de moins de 80 caractères sur Facebook ont plus de chances de récolter l’interaction des utilisateurs que les longs calibres. Du court, donc, mais moins court que les 140 signes de Twitter.

  • Critère numéro 6 : Le contenu doit avoir une photo percutante

Sans surprise, les contenus comportant une photo ou une vidéo ont plus de succès sur Facebook qu’un simple texte. «Pourquoi? Parce qu’on repère mieux dans le newsfeed les contenus dotés d’une image impactante», m’explique Matthieu Stefani, en citant l’exemple de l’AFP qui, sur sa page Facebook et grâce à son réseau de photographes, met en avant des contenus avec des photos étonnantes, colorées, qui attirent l’oeil. «Un outil marketing», donc.

  • Critère numéro 7 : Le contenu doit être publié au bon timing, plutôt les week-end et tôt le matin 

Source: The Science of timing

Selon la récente étude The Science of timing publiée par Hubspot, les week-ends sont le meilleur moment pour poster des contenus. «J’ai observé comment faisaient les rédactions américaines comme CNN, New York Times et le Washington Post, Mashable, sur leurs pages Facebook, analyse Dan Zarella, qui a mené l’étude The Science of timing. Le volume de contenus postés sur Facebook est plus important en semaine que le week-end, or sur le réseau social, les utilisateurs partagent le plus de contenus les samedi et dimanche».

Et pour Dan Zarella, cela s’explique. «51% des sociétés américaines bloquent l’accès à Facebook pour leurs salariés», donc ceux-ci se rattrapent le week-end, lorsque leur accès au Web n’est plus limité. En outre, «il y a moins de bruit» les samedi et dimanche, ce qui permet aux utilisateurs de porter davantage d’attention aux plus rares contenus visibles à ce moment-là.

Autre donnée issue de l’étude The Science of timing: sur Facebook, les articles partagés très tôt le matin, vers 8 heures, voire la nuit, sont plus partagés que ceux publiés l’après-midi. Un phénomène également noté par Fabrice Pelosi, qui ajouterait au spectre le moment de l’après déjeuner, également propice au partage d’informations sur Facebook. Au final, l’étude The Science of timing porte davantage sur «quand ne pas» plutôt que sur «quand», écrit le Nieman Lab, le laboratoire d’Harvard, qui le martèle: mieux vaut s’adresser au public quand il est mesure d’écouter.

Source: The Science of timing

 

«Au 21e siècle, la clé pour un média est sans doute de détenir toutes les connaissances possibles sur le comportement de l’audience, et non de produire le plus de contenus populaires, écrit Tom Rosenstiel, le directeur du centre du Pew Research Center’s Project for Excellence in Journalism, en démontant cinq mythes à propos du futur du journalisme. Savoir quels sites les gens visitent, quels sont les contenus qu’ils regardent, les produits qu’ils achètent, et leur localisation géographique permet aux annonceurs de mieux cibler des particuliers. Et ces connaissances, ce sont les entreprises de nouvelles technologies qui les ont, pas les producteurs de contenus.»

Entre les lignes, ce média qui détiendrait «toutes les connaissances possibles sur le comportement de l’audience», c’est bien sûr Facebook. Le réseau social connaît mieux les «lecteurs» que les éditeurs – de presse et de contenus – eux-mêmes. Bien mieux, en effet, car Facebook sait quels sont leurs goûts, leur réseau d’amis, leur comportement, leur consommation de liens et de contenus.

A mon tour de faire un appel à votre action. Partagez cet article sur Facebook!

Alice Antheaume

lire le billet

3D à la télé, ce que ça change à la façon de regarder le foot

Reuters/Jas Lehal

Crédit: Reuters/Jas Lehal

La 3D est-elle l’avenir du football à la télé? A en voir le programme de la Coupe du monde, qui vient de débuter, nombreux sont ceux qui veulent le croire: pas moins de 25 matchs seront tournés en 3D par des caméras de Sony, TF1 en diffusera 5, CanalSat, propriété de Canal+, 10, sans oublier les quelques cinémas qui, en France, vont organiser des projections ad hoc. Qui peut regarder des matchs en 3D? A quel prix? Qu’est-ce que cette technologie change à la façon de suivre un match de foot? Débuts de réponses.

  • C’est quoi, une image en 3D?

Une image en 3D est une image en relief. Laquelle est constituée de deux images légèrement décalées l’une par rapport à l’autre. Lorsqu’un spectateur regarde une image 3D, son oeil droit perçoit l’une des deux images, son oeil gauche l’autre image, de façon simultanée et très rapide. Les lunettes permettent alors de «synchroniser» ces deux images pour que naisse l’image en relief sur la rétine.

  • Comment les cameramen captent-ils ces images sur le terrain?

Ils travaillent avec des caméras spéciales pour filmer les deux images détaillées plus haut, des caméras avec deux yeux, deux objectifs donc. Gilles Maugard, directeur général adjoint des technologies et systèmes d’information de TF1, m’explique le dispositif: «d’ordinaire, pour les matchs en HD (haute définition, ndlr), on tourne avec 15 caméras. Là, pour la 3D, on est encore en phase de test, on tourne avec 6 ou 7 caméras.» Quant aux spécificités de tournage, elles ne sont pas encore tout à fait définies. Si ce n’est qu’a priori, les plans sont pris de plus près et les zooms moins utilisés, pour éviter l’effet mal de mer. «Après l’expérience du Mondial, on aura beaucoup plus de retours de la part de ceux qui filment et qui réalisent», reprend Gilles Maugard.

  • Qui peut regarder les matchs en 3D?

Tous ceux qui ont acheté une télévision 3D, plus des lunettes pour chacun des spectateurs. Le prix de ce téléviseur? 1.300 euros pour le premier modèle, et une centaine d’euros pour chaque paire de lunettes. Tandis que Médiamétrie réfléchit à créer un panel spécial pour les spectateurs de télé 3D, il reste une option moins onéreuse: se rendre dans l’un des 39 cinémas qui projette les matchs de la Coupe du monde en 3D, à 15 euros le billet d’entrée, lunettes comprises.

  • La 3D à la télé va-t-elle susciter l’engouement des téléspectateurs?

Personne ne le sait. «On espère qu’au moins 10.000 téléspectateurs vont regarder les matchs en 3D pendant la Coupe du monde», précise Gilles Maugard. D’après le cabinet GfK, entre 150.000 et 200.000 téléviseurs 3D pourraient être vendus en France d’ici à la fin de l’année 2010. Est-ce que tout le monde aura vraiment besoin de regarder des matchs de foot en 3D? Pas sûr. Cependant, il faut noter la règle suivante: les innovations précédentes, à la télé, n’ont jamais éloigné les fans de leur sport. Ceux-ci montrent souvent une capacité d’absorption très rapide de nouvelles images, l’oeil étant capable de s’habituer.

«Regarder un match en noir et blanc, beaucoup de jeunes trouvent cela à la limite du supportable aujourd’hui», rappelle Pascal Griset, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne. C’est dire si la couleur, arrivée sur les écrans en 1967, a été vite adoptée. Quant au ralenti, il est crucial à la télévision. Un match diffusé sans ralenti, ce n’est plus un vrai match. «Même lorsque les spectateurs sont sur place, dans les stades de foot, ils regardent l’action en direct sur le terrain, puis se tournent immédiatement vers les écrans disposés ici et là dans les tribunes pour revoir une action de plus près, un but ou une faute. Enfin, les journalistes qui commentent les matchs, également sur place, font toujours des commentaires sur les ralentis diffusés sur les écrans. C’est devenu structurel.»

  • Cela va-t-il changer la façon qu’ont les spectateurs de regarder des matchs?

Oui. Car la 3D sur le petit écran n’offre pas le même confort que la 3D au cinéma. «Il faut de très bons téléviseurs, et rester bien en face de l’écran, sinon, on ne profite pas de l’image. Cela nécessite donc de rester concentré devant sa télé, ce qui n’est plus vraiment l’usage des gens aujourd’hui.» C’est donc moins immersif que le cinéma et moins intuitif que la télévision que l’on connaît. Autre problème, qui pourrait déstabiliser les spectateurs: les chaînes n’ont pour l’instant pas pu fabriquer des publicités qui, à la mi-temps, seraient également en 3D. Ce qui va obliger le téléspectateur à retirer puis remettre ses lunettes, le temps de la pause pub. «On est un peu gênés par rapport à ça», concède Gilles Maugard. «Disons que pour le moment, la 3D est un bonus plutôt qu’autre chose. A terme, la pub sera aussi en 3D, comme celle du cinéma, avant Avatar ou Alice au pays des merveilles

  • A terme, les matchs de foot seront-ils tous diffusés en 3D?

Difficile à dire. Pour Gilles Maugard, la 3D pourrait être plutôt réservée à quelques événements d’exception, comme… le Mondial. Ou alors, la 3D pourrait n’être utilisée que pour certaines séquences des matchs de foot, par exemple pour voir ou revoir certaines actions en 3D, mais pas sur l’intégralité de la rencontre. L’avenir, estime ce dirigeant de la première chaîne, c’est plutôt la HD, diffusée pour la première fois via Ushuaïa, en février 2006. Puis utilisée pour la Coupe du monde de foot 2006 sur TPS, avant de servir la Coupe du monde de rugby de 2008, sur TF1.

L’avenir du foot télévisuel pourrait aussi résider dans l’utilisation de la «Newsight GmbH», une technologie en 3D relief créée les entreprises Grundig et 3D Image Processing (3D-IP) et visible… sans lunettes. Pour les footovores, c’est le comble de l’interactivité: voir entrer dans son salon le ballon que vient de shooter un joueur mondialement connu, et ce, en temps réel. En revanche, faire la passe, toujours depuis son salon, pour remettre ce même ballon sur le terrain officiel, n’est pas encore possible. En attendant, une innovation fait sensation sur le site du Guardian, l’option «replay» des matchs de la Coupe du monde à partir des messages postés sur Twitter.

  • Le sport est-il un moteur d’innovation pour la technologie télévisuelle?

Oui. Pour Pascal Griset, le sport a toujours été «un produit d’appel». «Si les nouvelles technologies télévisuelles ne sont pas toujours créées pour le sport, elles se développent souvent avec lui», dit-il, en citant l’exemple du Tour de France, qui a grandi en même temps que les moyens de diffusion de l’image se sont perfectionnés. «Au début du Tour de France, il n’y avait aucune transmission d’image, mise à part à l’arrivée. Puis, les images ont pu être diffusées en direct. Mais il y avait toujours des difficultés à filmer les cyclistes en plein effort, sauf sur quelques points de passage.» Quand la technique a permis aux spectateurs de suivre, depuis le petit écran, la course au moment-même où les cyclistes pédalaient, cela a été la révolution. Un exploit sportif, en quelque sorte.

«Il est plus facile d’innover avec le sport, car ce sont des émissions de flux, qui offrent une grande souplesse sur les moyens de production, alors qu’une fiction, tournée 18 mois avant sa diffusion, ne permet pas du tout la même réactivité», ajoute Gilles Maugard.  Un bémol, cependant: les chaînes ont beau assurer qu’elles «créent l’événement» et que «c’est une première», en réalité, les premières images 3D, appelées à l’époque «stéréoscopiques», ont été projetées pour la première fois avant la seconde guerre mondiale, se souvient Pascal Griset. «Je ne veux pas jouer le rôle de l’historien qui dit toujours qu’il n’y a jamais rien de neuf, mais disons que cela ne sera une vraie révolution que si la technologie se répand vraiment.»

Et vous, de quelle façon aimeriez-vous regarder les matchs de foot à l’avenir?

Alice Antheaume

lire le billet

Zahia D., 18 ans, prostituée, sacrifiée?

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Christophe Carron, responsable éditorial de Voici.fr.

Une leçon de droit de la presse faite par un journaliste issu d’un canard qui s’en affranchit, en l’occurrence Voici, cela peut faire sourire. Pourtant, c’est assez logique: pour jouer avec la loi, mieux vaut la connaître. Or la plupart des rédactions ont fait preuve d’une hardiesse inadéquate au sujet de la jeune femme de 18 ans «entendue» dans l’«affaire Ribéry», montrant au mieux leur méconnaissance des règles de la diffamation et du droit à lʼimage et à la vie privée, au pire leur hypocrisie en la matière.

Le détonateur? Un article du Monde publié le 21 avril à 10h22, intitulé «Affaire Ribéry: ce qu’a dit Zahia D. à la police». Cet article rapporte les grandes lignes de lʼaudition dʼune certaine Zahia, identifiée comme la jeune femme ayant eu des relations sexuelles tarifées avec Franck Ribéry, Sidney Govou, et Karim Benzema, tous trois joueurs de l’équipe de France de foot.

Rapidement, des internautes identifient le profil Facebook supposé de la Zahia en question. Comment lʼont-il reconnue? Facile, elle est la seule Zahia D. à être amie avec le dénommé Abou, soupçonné dʼêtre le souteneur de la dame. Pas besoin d’enquêter davantage, estiment les internautes, qui sʼempressent de diffuser les photos que la demoiselle avait laissées en accès public sur son profil. L’accès aux albums photos du profil de la dite Zahia D. sur Facebook est alors verrouillé, mais c’est déjà trop tard.

Photos en cascade

A la mi-journée, un paquet d’internautes connaît désormais la Zahia de Facebook – appelons-là Zahia F. (comme Facebook) – et considère comme acquis quʼelle EST la demoiselle interrogée, citée par Le Monde, Zahia D. Pourtant, rien ne permet de faire le lien de manière solide entre les deux, sinon des on-dit et une rumeur qui se propage au fil des messages postés sur les réseaux sociaux. Aucun de ceux qui diffusent images n’est en mesure de produire un PV dʼaudition, un témoignage, une enquête journalistique permettant dʼétayer lʼimplication de Zahia F. dans lʼaffaire qui secoue le Bleus.

Dans le même temps, des petits rigolos créent, le mercredi 21 avril vers 14h30, des faux profils Facebook de la dénommée Zahia D., ainsi que des blogs à son nom. En quelques heures, les profils usurpés récoltent entre 6.000 et 9.000 fans qui disent «aimer» les pages en question.

Jusqu’aux rédactions

Le dérapage continue et, pire, il va maintenant toucher les professionnels de l’information. C’est alors que le sujet prend une tournure inquiétante: lorsque des rédactions sʼemparent du ramdam et reprennent à leur compte le lien Zahia D. / Zahia F. Le premier site à s’engouffrer dans la brèche, cʼest lefigaro.fr, où le papier sur Zahia D. est illustré par une photo issue du Facebook de Zahia F. A l’intérieur de l’article, publié le 21 avril vers 15h, aucun élément ne paraît montrer qu’une enquête journalistique a été faite, ou l’interview d’un proche du dossier, ou la consultation du compte-rendu de l’audition. Toutes les infos visibles sont en fait reprises de lʼarticle du Monde qui, lui, ne fait pas le lien entre les deux Zahia et montre une photo du café Zaman, à Paris, où se seraient rencontrés la femme et les joueurs de foot.

Quasi simultanément, de nombreux sites d’informations marchent dans les pas du Figaro.fr: reprise du Monde et illustration avec des photos pêchées sur Facebook. Au delà du délit de diffamation, constitué par le fait dʼassocier Zahia D. et Zahia F. sans pouvoir le prouver, les articles publiés sur ces sites ne respectent pas le droit à lʼimage et à la vie privée, régis par lʼarticle 9 du code civil («chacun a droit au respect de sa vie privée»).

Droit de l’image et à l’information

Quand bien même le lien entre Zahia D. et Zahia F. serait établi, aucun site Web d’info ni journal nʼa le droit de se servir des photos Facebook pour illustrer des articles sur lʼaffaire. Sous son article, Le Monde fait d’ailleurs une précision: «Les photographies publiées par la jeune fille sur sa page Facebook sont sa propriété: sans l’autorisation de cette personne, il est interdit de les publier. La publication de ces images pourrait également porter atteinte à l’image de la jeune femme, et indirectement causer préjudice à ses proches ou à sa famille.» En France, avant dʼutiliser du matériel représentant des personnalités, il faut en demander lʼautorisation expresse. Aux personnalités concernées ou à leur agent/attaché de presse. Sauf dans un cas: quand ce matériel est directement lié à des personnes qui participent d’un événement d’actualité, pour illustrer un article sur cet événement d’actualité. Ainsi, nul besoin de demander à Catherine Deneuve son accord pour publier une photo dʼelle à lʼavant-première dʼun film pour un article sur lʼavant-première de ce film. Du coup, pour pouvoir illustrer les articles sur lʼaudition de Zahia, il aurait fallu choisir des photos la montrant en train dʼêtre entendue par la police. Ou, si ces photos n’existent pas, ne mettre aucune image.

Le sens de l’iconographie

Mais cette légèreté dans les choix iconographiques pose une vraie question: et si les journalistes prenaient moins de pincettes avec Zahia qu’avec une star installée? Que la presse sérieuse agisse ainsi traduit un possible mépris des petites gens qui font lʼactualité. Qu’est-ce que cela veut dire? Que les journalistes ignorent la loi en matière de droit à l’image et à la vie privée? Ou que Zahia F. et Zahia D. seraient, dans leur esprit, des jeunes femmes qui méritent bien ce qui leur arrive?

Toujours est-il que le traitement de Zahia dans les médias tranche terriblement avec un autre traitement… Celui réservé aux Bleus mis en cause le week-end dernier. Il aura fallu plus dʼune journée pour que RMC et Lepoint.fr dégainent les noms de Franck Ribéry et de Sidney Govou, alors que tout bon journaliste spécialisé les a découvert en quelques minutes après la révélation de lʼaffaire par M6 dans son JT de 19h45, diffusé samedi 17 avril. La vie de Zahia F., elle, a été jetée en pâture à la France entière en quelques heures….

Christophe Carron

lire le billet

Le pouvoir de (re)connexion des images numériques

1 milliard de photos mises en ligne chaque année sur Flickr. 2,5 milliards téléchargées chaque mois sur Facebook, dont 130 millions en France. Les images numériques sont des nouveaux liens sociaux. Telle est la conclusion d’une étude menée pour le compte de Kodak par l’agence The Future Laboratory et publiée fin janvier 2010.

«Les images sont puissantes: elles nous permettent de nous connecter, de nous reconnecter, de communiquer, de nous émouvoir», décrit la vice-présidente de la division Worldwide Brand Marketing & Communications de Kodak, Leslie Dance, citée sur le blog de sa société.

Parmi les sondés de l’étude (des Français, des Américains, des Anglais, des Allemands et des Italiens),  53 % utilisent leurs appareils photos pour mieux communiquer avec leurs familles, et 51 % déclarent que les nouvelles technologies pourraient les aider à maintenir des liens (familiaux, amicaux) quand ils travaillent loin de leur foyer.

>> A lire: le rapport complet intitulé “The future of reconnectivity” en PDF

lire le billet