«Télévision», «deuxième écran» et «utilisateurs» ont été parmi les mots les plus prononcés au Monaco Media Forum, cette conférence annuelle sur l’économie des médias, dont l’édition 2011 s’est tenue les 9, 10 et 11 novembre. Citations à retenir.
Prédiction
Michael Wolff, Wired
«Twitter a changé le monde et va jouer sur la façon dont on pense et reçoit les informations à l’occasion des prochaines élections présidentielles américaines. Twitter va élire le prochain président des Etats-Unis.»
Nikesh Arora, Google
«Vous pouvez parler A votre téléphone plutôt que de parler DANS votre téléphone. On l’avait prédit il y a quelques temps, c’est désormais devenu une réalité.»
Le partage
Dick Costolo, Twitter
«Nous voulons que Twitter soit le monde dans votre poche. C’est-à-dire que Twitter permette, en instantané, de savoir ce qu’il se passe dans LE monde et dans VOTRE monde. Twitter réduit la distance entre les gens. Je ne parle pas de distance géographique, je veux dire que cela réduit les barrières artificielles entre les gens, les barrières liées au statut entre citoyens et politiques, people et anonymes. Cela aplanit le paysage, et met tout le monde au même niveau. Les gens peuvent “se voir” avec Twitter, cela a des implications sociales importantes.»
«Alors que le flux d’informations circule en continu chaque jour, chaque personne peut faire entendre sa voix. Une simple photo est une contribution à ce qui se passe dans l’actualité du jour, à l’histoire plus globale. Chacun participe à l’histoire du jour.»
Nikesh Arora, Google
«Nous vivons tous dans le “cloud”. Si vous proposez à vos enfants un ordinateur non relié à Internet, ils n’en voudront pas. A quoi ça sert, pour eux, un ordinateur sans connexion? Ils ne peuvent pas partager.»
Christian Hernandez, Facebook
«Si on partage des contenus sur Facebook, c’est qu’il y a une raison. C’est pour avoir une réponse…»
Deuxième écran
Rich Riley, Yahoo!
«Lorsque nous regardons un écran de télévision, nous faisons souvent autre chose en même temps, en utilisant parfois sur un autre support. C’est une seconde expérience sur écran. Certaines expériences sur ordinateur seront intéressantes à vivre sur l’écran télévisuel. Nous avons 700 millions d’utilisateurs de Yahoo! par mois, et notre objectif, c’est d’offrir à nos utilisateurs une expérience entièrement personnalisée.»
Gilles Wilson, Ericsson TV
«L’interactivité peut avoir lieu en dehors de l’écran de télévision, sur un téléphone ou une tablette. Un mobile vous identifie de façon très personnelle, c’est vraiment l’outil parfait pour dire ce que vous pensez de ce que vous voyez.»
David Rowan, Wired
«On suppose qu’il y aura un deuxième écran. Est-ce que la conversation en temps réel sera sur ce deuxième écran?»
Le contrôle
Nikesh Arora, Google
«Que cherchent les utilisateurs? C’est simple: ils veulent du contrôle. C’est le sens de la première télécommande: pouvoir décider des programmes tout en restant assis. Netflix, YouTube, Apple… On décide de ce que l’on veut voir, quand et où. Ceci va continuer à transformer l’industrie.»
Vidéos
Lucas Waston, Google
«La vidéo, c’est le moyen le plus facile pour émouvoir les gens et les toucher. Chaque mois, 800 millions de personnes viennent sur YouTube. Sur cette plate-forme, 3,5 millions de vidéos sont vues chaque jour, et 4 ans de vidéos sont uploadées chaque minute.»
Jim Louderback, Revision3
«Dans une vidéo, l’audio est plus important que la qualité visuelle de l’image. Si le son est mauvais, les gens vont zapper tout de suite. Donc on peut faire du “low cost”, mais pas sur le son. Pour que les gens cliquent, et restent sur une vidéo, c’est comme lorsque vous voulez séduire, vous mettez du maquillage. Après, une fois que vous êtes aimé, plus besoin de maquillage, vous êtes aimé de toutes façons, pour ce que vous êtes.»
Télévision
Maurice Lévy, Publicis
«Les journaux auront disparu avant que l’on voit la télévision s’éroder. La révolution n’est pas qu’une question de technologie, cela touche aussi à l’humain. Le plus important, ce sont les gens. Les téléspectateurs continuent à regarder les mêmes programmes de façon passive, leurs habitudes sont incrustées et perdurent. Ils n’ont pas tous envie d’interagir avec le programme, sur un autre support ou pas. On ne peut pas les “rebrancher”, on peut juste les aider à changer.»
Emma Barnett, The Telegraph
«La télévision va changer, dans les cinq années à venir, la production locale: à mesure que le marché augmente, il y a plus d’argent pour financer des productions locales professionnelles. Les Libyens ont vu la photo de Kadhafi mourant sur la télé satellite, pas sur Twitter ni sur Facebook. La télé est accessible, elle ne vaut pas cher, alors que les réseaux sociaux et l’Internet, je ne suis pas sûre que tout le monde, au Moyen Orient, y est accès.»
AA
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Peut-on faire payer les contenus des sites d’informations? Vrai serpent de mer, cette question a été posée des milliards des fois. Et pour cause: elle n’a pas reçu de réponse claire. Ou alors une réponse – oui, tout doit être gratuit en ligne, sauf les informations très spécialisées à destination de professionnels – qui ne satisfait pas les éditeurs. Résultat, aucune conférence sur les médias ne se tient sans échapper à cette discussion. Et le Changing Media Summit, le colloque organisé par le Guardian, les 23 et 24 mars à Londres, ne déroge pas à la règle. Plusieurs interventions et tables rondes y étaient consacrées.
>> Lire aussi: Pourquoi le journalisme continue à muter en 2011? >>
Alors que le New York Times vient de lancer un mur payant «incroyablement complexe», selon les mots d’un journaliste de la BBC, que le rapport annuel du Pew Research annonce qu’aux Etats Unis, seul 1% des utilisateurs paient pour accéder des informations en ligne, et qu’Associated Press serait en train de regarder de près le système de paiement «One Pass» de Google, qu’en pensent les intervenants de la conférence londonienne? Eléments de réflexion.
Rob Grimshaw, Financial Times
«Avoir un mur payant ou pas, ce n’est plus un débat pour le Financial Times. Car la discussion a été tranchée: notre paywall marche. Il marche même très bien. Nous avons 210.000 inscrits payants en ligne, ce qui représente la moitié de notre circulation payante. De plus, près de 15% de nos utilisateurs souscrivent leur abonnement au FT.com via leur mobile. Alors pourquoi aurions-nous encore un débat sur les paywalls? Non, en revanche, ce qui nous occupe au Financial Times, c’est le mobile. Comment faire grandir notre audience sur ce support? D’après les chiffres dont nous disposons, 90% des internautes britanniques accèdent déjà au Web par le mobile et 45% de nos lecteurs accèdent à des contenus du FT via leur téléphone.»
Alan Rusbridger, The Guardian
«Le modèle du Financial Times ne peut pas marcher pour le Telegraph ou le Guardian. Quel type de journalisme peut susciter l’achat? Je ne sais pas. Pour l’instant, je ne suis pas sûr d’avoir vu des preuves que l’on peut faire payer pour des informations généralistes. Si le New York Times réussit son expérience de mur payant, je regarderais de plus près. Mais encore faudrait-il que les médias soient transparents sur leurs chiffres, afin que l’on puisse tirer les leçons de leurs expériences. Actuellement, sur le site du Guardian, 4 millions de personnes viennent chaque jour cliquer sur des contenus… gratuits.»
Arianna Huffington, Huffington Post
«Y aura-t-il un jour un mur payant sur le Huffington Post? A priori non, même si nous sommes tous dans une phase d’expérimentation. Je vois que le New York Times a finalement lancé son mur payant avec une très grande hésitation, en le testant d’abord au… Canada, c’est dire. Au fond, ils ne misent pas vraiment sur ce mur payant, ce que je comprends, car il paraît très difficile de le faire sur les informations générales et les opinions.»
Christian Hernandez, Facebook
«Pour les contenus, il faut distinguer les denrées de base, les informations généralistes, et celles qui ont de la valeur, le journalisme. Les murs payants n’ont de sens que pour les contenus qui ont du sens. De la valeur, si vous préférez.»
Paul Bascobert, Bloomberg Business Week
«Il n’y a pas de modèle valable à part celui qui permet de découvrir ce qui a de la valeur pour l’éditeur et le client. Oui, nous ferons un jour payer nos contenus en ligne. Quand? Dans le futur…»
Stevie Spring, Future
«Je déplore la naïveté des éditeurs qui assènent que ce contenu coûte tant, donc maintenant, chers lecteurs, il faut payer. Entre la “capacité” à payer, et l’acte de payer, il y a une grosse différence. La plupart du temps, les gens estiment qu’une fois qu’ils ont payé leur fournisseur d’accès à Internet, c’est bon, ils peuvent naviguer tranquillement sur leur navigateur et sur leur mobile, et consommer ce qui leur plaît.»
Paul Hayes, News International
«Le plus intéressant, en ce moment, c’est de voir comment les éditeurs évaluent la valeur de leur contenu. Par exemple, sur l’application iPhone du Guardian, on peut estimer qu’un contenu vaut un penny (10 centimes d’euros, ndlr). En réalité, cela coûte beaucoup plus cher que cela à produire. Les éditeurs ont passé trop de temps à se plaindre. Ils ont d’abord dit que Google leur volait leurs contenus, et maintenant, ils regrettent qu’Apple leur pique leurs revenus. Pendant ce temps, Facebook, Google, et Apple construisent la suite.»
Au final, lors de ces deux jours au Changing Media Summit, le mot «valeur» était sur toutes les lèvres. Mais de quelle valeur parle-t-on? La prix que coûte la production d’un article? Sa valeur journalistique aux yeux d’un directeur de la rédaction? La valeur que lui donne les internautes? Nul ne le sait tout à fait. Une chose est sûre, et c’est ce qu’annonçait l’état des lieux annuel sur les médias américains, Apple, Google et Facebook se sont assis autour de la table, et ont d’ores et déjà installé leurs péages. En un clic.
Alice Antheaume
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«Il y a 20 ans, il n’y avait pas de Web. Il y a 15 ans, Google n’existait pas. Il y a 10 ans, nous n’avions pas de compte Facebook. Et il y a 5 ans, pas de Twitter», énumère Adam Croizer, le président de la société britannique de télévision ITV, lors du Changing Media Summit, la conférence organisée par le Guardian à Londres, ces 23 et 24 mars. La révolution numérique du journalisme est maintenant derrière nous. Cependant, certains éditeurs n’en reviennent toujours pas, mi-fascinés mi-effrayés, d’apprendre à vivre avec ce tsunami digital.
Depuis le début de l’année 2011, se multiplient les signes de cette nouvelle ère. Autant de preuves que le monde, privé et professionnel, journalistique et technologique, continue à changer. En guise d’introduction à la conférence, Rory Cellan Jones, journaliste spécialisé en nouvelles technologies pour la BBC, égrène la liste des événements qui poussent les journalistes à reconsidérer leur rôle et… leur influence.
Les révoltes en Tunisie, puis en Egypte, sacrent la chaîne Al Jazeera english, très active pour couvrir ces événements. Les journalistes de la chaîne, dotés d’un réseau efficace, et apprenant en marchant, honorent avec succès la demande d’un public avide d’un flot ininterrompu d’informations, y compris d’infos pouvant sembler insignifiantes. C’est à ce moment-là que s’installent, sur nombre de sites d’informations généralistes dans le monde, des «lives» longue durée, composés de texte, de photos, de vidéos, de commentaires, de messages issus des réseaux sociaux, d’informations brutes et d’analyse journalistique. Des lives qui racontent, minute par minute, sept jours sur sept, les dernières avancées des soulèvements.
Créé par Rupert Murdoch, qui détient également The Sun et The Wall Street Journal, ce magazine payant n’est disponible que sur iPad. Son prix: 99 cents la semaine, 39.99 dollars l’année. The Daily «n’est pas qu’une application, c’est une nouvelle voix», peut-on lire sur leur présentation.
L’éditeur d’Angry Birds, ce jeu sur mobile qui consiste à lancer des oiseaux, considéré comme le Super Mario des années 2010, lève 42 millions de dollars. Et continue à se développer, revendiquant 40 millions de «joueurs» actifs mensuels. Une mine qui donne des idées au journalisme. En effet, les mécaniques de jeu, qui jouent «sur nos motivations personnelles», poussent les utilisateurs «à agir», rappelle Marie-Catherine Beuth sur son blog Etreintes digitales. Et donc à consommer des contenus.
Et c’est peu de le dire. En effet, le système mis en place regorge d’exceptions: si vous consommez moins de 20 contenus par mois, c’est gratuit. Sinon, il faut payer 15 dollars par mois pour lire les informations sur ordinateur et téléphone mobile, mais 20 dollars mensuels pour les lire sur l’ordinateur et une tablette et… 35 dollars pour disposer de ces contenus sur tous les supports. Logique ou pas, les contenus restent gratuits si vous y accédez depuis les réseaux sociaux.
Le réseau social de San Francisco franchit les étapes d’une start-up qui réussit, et compte désormais 200 millions d’inscrits dans le monde, dont 2,4 millions en France. A côté des 500 millions d’utilisateurs de Facebook, dont 20 millions de Français, le chiffre semble dérisoire. Et pourtant, Twitter constitue un outil de compétition pour les journalistes. La photo de l’avion qui a amerri en catastrophe sur l’Hudson, à New York, c’est sur Twitter qu’elle est apparue en premier, créant un «breaking news» historique. Et ce n’est pas la seule photo publiée sur Twitter à avoir compté en tant qu’information, comme en témoigne ce diaporama des neufs photos qui ont fait entrer le réseau dans l’univers des médias.
Une interview «exclusive» d’une durée d’1h11 avec public, applaudissements, et questions des internautes, dans laquelle la chanteuse se dit «très honorée» d’être chez Google, se souvenant qu’au lycée, ses amies rêvaient de travailler pour le moteur de recherche américain, et qu’elle rêvait, elle, d’être le mot «que celles-ci cherchaient». Cela va sans dire, la vidéo de la rencontre entre Lady Gaga et Marissa Meyer, vice présidente de Google, a été publiée sur YouTube, la plate-forme du géant américain.
A cette liste, il faudrait ajouter le rachat du site Huffington Post par AOL pour 315 millions de dollars, et le lancement par Google d’un magazine en Angleterre, intitulé Think Quaterly…
Alice Antheaume
lire le billetDeux semaines en «mission» aux Etats-Unis, une quinzaine de visites dans des rédactions dont le Washington Post, NPR, Fox News, CNN, Politico, Bay Citizen, et des rendez-vous auprès des entreprises de nouvelles technologies, dont Google et Twitter. Quel bilan? Quelles tendances relever? Quels sujets préoccupent les journalistes américains? Quels sont les nouveaux usages qui émergent? Résumé.
En décembre dernier, le New York Times a supprimé ce poste créé un an et demi plus tôt, occupé par Jennifer Preston, qui est désormais retournée au pôle reportages. Pour Preston, interrogée par le site Poynter, la création d’un poste de «social media editor» est une étape dans la vie d’une rédaction, mais une étape temporaire. «Les réseaux sociaux ne peuvent pas appartenir à une seule personne. Cela doit faire partie du travail de tous les journalistes et faire partie du processus éditorial et de la production existante.»
Cindy Boren, social media editor dédiée aux sports pour le Washington Post, sait bien que cette phase n’est pas éternelle. «La suppression du poste de social media editor au New York Times signifie qu’il faut que tous les journalistes se mettent aux réseaux sociaux, pas seulement les “social media editors”. Car les réseaux sociaux, c’est de l’actu pour tous les reporters.» Et elle le prouve: «L’histoire des 400 spectateurs du Super Bowl qui n’ont pas eu de places assises a commencé sur Twitter. Et c’est devenu une polémique énorme, que l’on a racontée et qui a fait partie de nos “top stories”».
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Il y a un an, les rédactions anglo-saxonnes complétaient voire rééditaient leur charte déontologique pour statuer sur la posture journalistique à tenir sur les réseaux sociaux. Le New York Times interdit alors aux rédacteurs du pôle «news» d’écrire des messages trop «éditorialisants» sur les réseaux sociaux, afin de ne pas empiéter sur le territoire du pôle «opinions». Reuters préconise que ses journalistes se créent deux comptes distincts sur Twitter. L’un à usage professionnel, «pour agréger de l’information et construire un réseau», l’autre à usage personnel, où les journalistes doivent indiquer qu’ils travaillent à Reuters, mais que leurs messages ne reflètent pas l’avis de leur employeur et où ils n’écrivent rien qui puisse être dommageable à leur employeur.
Désormais, l’unanimité est de mise dans toutes les rédactions américaines, qui appellent leurs journalistes au bon sens. Et répètent cette maxime: «Ne dites par sur les réseaux sociaux ce que vous ne diriez pas à l’antenne/à l’écrit.» Même chez Twitter, qui ne fait pourtant pas partie des éditeurs, on réfléchit avant de tweeter. En témoigne un tableau, accroché dans le hall du réseau social, situé à San Francisco, qui martèle «google before you tweet, think before you speak» (faites une recherche sur Google avant de tweeter, réfléchissez avant de parler).
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Dites Twitter et tous les journalistes s’enthousiasment. Dites Facebook et les mêmes regardent leurs chaussures. Pourquoi? Parce qu’ils négligent le second au profit du premier. «Il faut que je m’y remette», confient-ils le plus souvent. D’autant qu’ils voient bien qu’il y a beaucoup plus d’interactions possibles avec le grand public sur Facebook que sur Twitter. En effet, selon une récente étude d’eMarketer, un internaute américain sur deux est sur Facebook, soit 132,5 millions de personnes (42% de la population américaine), contre 20 millions d’Américains sur Twitter (7% de la population des Etats-Unis).
Andy Carvin, responsable des réseaux sociaux pour NPR, remarqué pour sa couverture des révolutions arabes sur Twitter, a cette formule: «Nous, journalistes, ne sommes nous-mêmes que des visiteurs sur Facebook. Nous n’avons pas de règles très précises, les commentaires affluent, nous ne les modérons pas.»
Le Nieman Lab, le laboratoire d’Harvard qui décrypte l’impact de la révolution numérique sur le journalisme, l’écrit: et si les réseaux sociaux devenaient le nouveau SEO (search engine optimization, en VF)? Comprendre: après que les moteurs de recherche comme Google ont été les plus gros fournisseurs de trafic des sites d’informations, les réseaux sociaux se font leur place en tant que pourvoyeurs d’audience. Sur Politico, les réseaux sociaux apportent entre 10 et 15% du trafic général du site chaque jour. Sur NPR.org, le site de la plus grosse radio des Etats-Unis, 7% de l’audience est fournie par Facebook. Des chiffres qui devraient croître encore – d’ici 2013, il pourrait y avoir 62% de la population américaine sur le réseau fondé par Mark Zuckerberg.
«Je pense que nous serons bientôt arrivés au point où les réseaux sociaux fourniront plus de trafic aux médias que le “search”», écrit Joshua Benton, le directeur du Nieman Lab. Et cela pourrait modifier la façon de produire des informations. «Les journalistes vont changer, de façon subtile, le type de contenus qu’ils réalisent afin d’encourager le partage de ceux-ci». Comment? En s’appuyant sans doute sur des éléments qui poussent les internautes à recommander sur Facebook des articles, ou à les poster sur Twitter. D’après les premières observations, les informations provocantes, émouvantes, et «positives» ont plus de chance de circuler sur les réseaux sociaux que des contenus jugés neutres.
Si la consultation des statistiques en temps réel est souvent considérée comme une pratique taboue dans les rédactions américaines, en revanche, savoir quelles sont les heures pendant lesquelles les sites d’infos génèrent le plus de trafic s’avère très répandu. Et est considéré comme fondamental.
Aux Etats-Unis comme en France, le trafic d’un site d’infos est calqué sur une journée de travail. Enorme audience en début de matinée et lente érosion jusqu’à la chute de 18h, heure à laquelle nombreux sont ceux qui quittent leur travail. «Sur le site du Washington Post, notre “prime time”, c’est 7h-17h, reprend Cindy Boren. Sauf pour le sport, qui marche bien les soirs, le dimanche et le vendredi, pile quand l’audience du reste du site plonge.»
Ainsi, «le temps de travail devient aussi le temps de s’informer», explique Pablo Bockowski (1), chercheur à l’Université de Northwestern et auteur de News at Work, cité par le blog AFP Médiawatch. Pour lui, il y a un lien entre la consommation d’informations en ligne et utilisation des ordinateurs de bureau. Quant aux infos consultées via mobiles, elles seraient surtout consultées avant et après les journées de travail, c’est-à-dire plus tôt le matin et plus tard le soir.
Puisque la consommation d’infos en ligne culmine le matin, l’obsession des rédacteurs en chef, c’est de ne surtout pas prendre de retard pour couvrir l’actualité, car un démarrage en retard ne se rattrape pas, et «plombe» la journée entière. Bill Nichols, le directeur de la rédaction de Politico, le sait: «Si nous avons la main sur une information dès le matin, nous la garderons toute la journée», avec les développements successifs publiés à l’heure (et l’audience qui va avec).
Faire payer des contenus produits par des journalistes, pourquoi pas? Dans les rédactions américaines, les journalistes n’y semblent a priori pas opposés. Sauf dans un cas: lorsque les contenus en question ont d’abord été en accès libre, avant de, «pour une raison ou une autre», devenir payants. «C’est ridicule de changer de stratégie en cours de route. Une fois que tu as relâché le génie de sa bouteille, tu ne peux plus l’enfermer à nouveau», résume l’éditeur Martin G. Reynolds, du groupe Bay Area News.
Sur le site de NPR, ses applications iPhone, iPad et Android, toute la production est en open source, outils, systèmes et contenus. «Tout le monde peut se servir de ce que l’on produit», insiste Andy Carvin, de NPR. La rédaction dit être fière de faire «l’exact opposé» de ce que font Rupert Murdoch et le New York Times, lesquels installent des murs payants.
D’ordinaire, dans les rédactions traditionnelles, les équipes techniques et éditoriales vivent dans des mondes opposés, ne parlent pas le même langage, et ne sont parfois même pas dans les mêmes locaux. Ce qui ne facilite pas la communication et l’avancement des projets. Désormais, les nouvelles organisations ont compris qu’en ligne, il ne pouvait plus y avoir de barrière. Développeurs et journalistes doivent avancer de concert sur les projets, pour une alchimie innovante entre technologie et contenus.
Une formule que l’équipe de Bay Citizen, un site lancé l’année dernière, a fait sienne. Autour de la table, dans leurs bureaux de San Francisco, des éditeurs d’infos et de vidéo, des responsables de communauté, un rédacteur en chef et des développeurs. «Tout le monde ici est journaliste, lance l’un des membres de l’équipe. Les développeurs ne font pas que taper du code, ils jouent un rôle crucial dans l’éditorial. Il est capital pour nous que les liens soient très forts entre l’équipe technique et l’équipe éditoriale. Hors de question d’avoir un prestataire de services extérieur (à la rédaction, ndlr) qui ne comprendrait pas les contenus sur lesquels nous travaillons.»
Pour suivre l’actualité dans les pays arabes, les sites d’infos généralistes, en Europe et aux Etats-Unis, ont mis en place une couverture médiatique inédite, réactualisée en permanence via une nouvelle narration. Une narration qui agrège du texte, des photos, des vidéos, des messages sur les réseaux sociaux. Une narration interactive. Une narration qui évolue en temps réel. Les professionnels du numérique appellent cela des «lives», ces formats éditoriaux qui permettent de suivre, minute par minute, les derniers développements sur les soulèvements ou toute autre actualité à l’instant T.
C’est un changement de paradigme, pour les éditeurs et aussi pour les réseaux sociaux. Othman Laraki, le directeur de la géolocalisation et de la recherche sur Twitter, le constate aussi: «partout où notre croissance a pu débuter, c’est parce qu’il s’est passé, dans l’actualité, de l’instantané» qui se raconte en… «live».
Une nouvelle narration qui semble dicter la (nouvelle) donne au géant Google. Le modèle «un lien = une histoire est vieux voire dépassé. Maintenant, il faut comprendre qu’un lien = plusieurs histoires», décrit un responsable de Google News. Rude tâche pour le robot de Google, appelé «Crawler», chargé de scanner les pages Web pour savoir de quoi elles parlent et ensuite pouvoir les référencer. Le problème du Crawler, c’est de pouvoir photographier un format «live» alors que celui-ci, par définition, n’est pas statique, et évolue d’une minute à l’autre. «Nous essayons d’accélérer la vitesse du Crawler», assure-t-on chez Google, qui rappelle qu’à ses débuts, en 2006, l’algorithme de Google News n’était «rafraîchi que toutes les heures, quand maintenant, il l’est toutes les minutes, et qui sait? Demain, il le sera peut-être toutes les secondes.»
Alice Antheaume
(1) Pablo Bockowski donnera une master class ouverte au public à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, jeudi 17 mars.
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Lancé en 2006, Twitter a atteint 200 millions d’inscrits. En coulisses, ça turbine: le réseau social aux 140 caractères est passé, en un an, de 90 à 400 employés, installés dans des bureaux situés en plein centre de San Francisco. «A chaque multiple, il nous faut changer de façon de travailler», m’explique Ohtman Laraki, le directeur de la géolocalisation et de la recherche sur Twitter.
Dans les locaux de la société à l’oiseau, la déco est étudiée, mais sans prétention: entre un coussin «howe tweet home», une affichette hornée du slogan «google before you tweet» (fais une recherche avant de tweeter) en guise de «think before you speak» (réfléchis avant de parler), un frigo rempli de sodas vitaminés, un piano et une biche grandeur nature, peinte en verte dans le hall, les salariés passent d’une pièce à l’autre, avec leur ordinateur portable sous le bras.
Othman Laraki est, lui, passé par Google, en tant qu’ingénieur, et a quitté le moteur de recherche américain pour monter sa start-up, geoAPI.com, rachetée ensuite… par Twitter. Le monde des start-up, il connaît. Et les différentes phases de ces sociétés qui grandissent à la vitesse de la lumière, aussi. La vie d’une start-up en 5 étapes? En voici le résumé.
Etape 1: «Tu as une idée, tu es seul, mais tu es entrepreneur. Tu cherches tes futurs collègues, il te faut les convaincre de travailler avec toi, sur un nouveau projet.»
Etape 2: «Tu as réussi à convaincre tes collègues, le projet est monté, le produit est créé. Mais tout le monde s’en fiche, personne ne sait que cela existe.»
Etape 3: «Ton projet intéresse les gens, ils viennent se connecter en masse. Mais tu dois faire face: comment les serveurs vont-ils survivre au volume?»
Etape 4: «Les serveurs tiennent. Tu peux te consacrer à d’autres fonctionnalités. Alors tu lances une nouvelle amélioration de ton produit chaque mois», comme l’a fait Facebook en 2010, avec de nouvelles pages profils pour les utilisateurs, l’apparition du bouton «like», des modifications dans le flux d’actualités, un système de visionnage de photos différent, et bientôt, un téléphone?
Etape 5: «Tu passes à 5.000 employés et là, il te faut lutter contre la bureaucratie, qui paralyse la capacité à décider, et t’empêche de faire évoluer ton produit aussi vite qu’à ses débuts.»
Pour Othman Laraki, aucun doute, Twitter en est à la phase numéro 3. Facebook à la fin de l’étape 4. Et Google à la fin de l’étape 5. «Google a créé des équipes à part pour Google Chrome, YouTube, et Android, pour les maintenir en mode start up.»
>> Lire aussi : Twitter, Google, Facebook, Yahoo!… Leçons d’innovation aux médias >>
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Ils bâtissent la Google TV, l’Apple TV, l’algorithme de Google News, le tri intelligent des courriers sur Gmail, le newsfeed et les pages profil de Facebook. Au royaume de la Silicon Valley, là où siègent les mastodontes du Web, les rois sont les… développeurs, ces experts en langage informatique qui «mangent du code» et sont au cœur des Google, Yahoo!, Twitter et Facebook.
Leur rêve: travailler pour l’entreprise la plus innovante au monde. D’après un classement mené en 2010 par l’institut Universum auprès de 130.000 étudiants, Google et Apple figurent toutes deux en bonne place parmi les entreprises considérées comme les plus attractives de la planète.
Du point de vue des développeurs, le critère d’attractivité d’une entreprise se résume à un qualificatif: celle-ci doit être «hot». Un terme qui désigne une technologie récente ET susceptible de révolutionner la vie (pas qu’en ligne) des utilisateurs. Fascinant, surtout pour les journalistes qui travaillent eux-mêmes sur des supports numériques, produisant des informations, et dont on attend de plus en plus qu’ils imaginent de nouveaux formats. Donc qu’ils soient capables d’inventer, façon ingénieur. Encore faut-il en avoir la tournure d’esprit. Un état d’esprit qui, en réalité, est «organisée» par… l’employeur.
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En effet, entre start-up et développeurs, il ne s’agit pas seulement d’une relation employeur/employé. Il s’agit d’un engagement total — presque frénétique — entre les deux parties. Avec des rêves d’absolu et de grandeur partagés, et un esprit commando savamment entretenu. Et ces compagnies ne s’en cachent pas: «Google attire les talents parce que, entre autres, nous donnons la possibilité à nos employés de changer le monde». «Entre autres», oui.
Pour s’arracher les meilleurs, très demandés, les sociétés de la «Valley» alignent les arguments et ont placé la culture geek — celle des développeurs donc — au cœur de leur organisation.
L’autre partie du succès tient à la méthode de travail: le cerveau des développeurs est sollicité en permanence, aux toilettes, pendant les repas ou les matchs de foot, dans un exercice permanent de cogitation. L’inverse des entreprises de presse qui convoquent de temps à autre une réunion spéciale nouvelle formule/ nouveau format/graphisme.
Or l’innovation ne se décrète pas pendant une réunion, elle se construit comme dans un laboratoire, chaque jour de l’année – coïncidence ou pas, l’un des bâtiments de Facebook est d’ailleurs un ancien labo de chimie dans lequel ils se sont installés quasiment sans rien y changer. «Les décisions se prennent dans les couloirs, dans les toilettes, raconte dans son livre «Inside Facebook» Karel M. Baloun, ingénieur du réseau social en 2005 et 2006. Pas besoin d’attendre que soit programmée une réunion pour que les choses se fassent».
Et si les médias s’en inspiraient? Pour comprendre comment s’entretient l’innovation permanente, voici quelques éléments de l’organisation des Facebook, Google, Twitter et Yahoo!, observés lors de mon voyage dans la Silicon Valley.
NB: L’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille, collabore avec Google.
1. Sans bureau fixe
Sur le «Googleplex», rares sont les quelques 8.000 «Googleurs» qui bénéficient d’un bureau individuel. Comme il y a du Wifi partout, les salariés travaillent sous les parasols, dans des canapés ou encore près du terrain de volley. «Nous avons pour priorité de leur fournir un environnement où ils sont récompensés pour leur contribution à la croissance de Google et à la création d’un monde meilleur», détaille la firme. Une liberté de mouvement, mais reliée à tout moment au réseau. Car les développeurs doivent produire, non des contenus comme des journalistes, mais du code. Et du code innovant, s’il vous plaît, pas un copié-collé de ce qui existe déjà. «Think outside the box», demande Google à ses développeurs. Une phrase qui n’est pas sans rappeler le slogan publicitaire d’Apple, en 1997, «Think different».
2. Le goût du challenge
«Ici, à Palo Alto, Moutain View et les environs, tous les hommes que tu vois prendre un café connectés à un ordinateur ont la même interrogation en tête, m’explique Adriano Farano, journaliste professionnel sélectionné pour effectuer une année de recherche à l’Université de Stanford. Quelle sera la prochaine start-up qui décollera?» Et donc, quel est «the place to be» pour ces ingénieurs, habitués à traquer les technologies révolutionnaires, sans quitter leur écran des yeux. Même s’ils ont déjà un boulot, «beaucoup ne cessent de collaborer, souvent bénévolement, avec des petites start-up en gestation, justement avec l’idée d’investir dans le(ur) futur», reprend Adriano Farano.
Les ingénieurs aiment ce qui donne leur fil à retordre, «ils veulent des gros problèmes à résoudre», ajoute Burt Herman, co-fondateur de Storify, après avoir été reporter pendant douze ans à Associated Press. En cela, la culture ingénieure est très différente de celle des journalistes, qui «aiment rendre les choses simples, alors que les développeurs préfèrent qu’on leur dise à quel point le sujet est complexe».
Résoudre un problème, c’est, chez Facebook, «finalement secondaire par rapport à l’idée que le processus de création ait été marrant et stimulant», détaille Karel M. Baloun. Il va même plus loin dans son livre et décrit, non sans humour, en cinq points le processus de création de gros projets comme Facebook photos:
1. Trouvez un ingénieur de génie qui renoncera à manger et dormir pendant deux mois
2. Donnez-lui une vision
3. Donnez-lui un graphiste pour que a/ il n’ait pas besoin de se demander quelle tête auront les pages et rester ainsi concentré sur leur fonction et b/ il sache immédiatement comment vont marcher ses pages
4. Déguerpissez. S’il vous parle, il pourrait commencer à avoir faim ou sommeil
5. Lorsqu’il a terminé, bénissez-le et dites lui que c’est exactement ce que vous vouliez.
3. L’expérience de l’échec
«Pourquoi l’innovation technologique a lieu dans la Sillicon Valley? Quel est le secret des ingénieurs qui travaillent dans la baie de San Francisco? J’ai passé un an, quand j’étudiais en tant que journaliste professionnel à l’Université de Stanford, à me poser ces questions», reprend Burt Herman. «Le vrai secret est de ne pas avoir peur de rater. Il faut se planter plein de fois avant de créer quelque chose de formidable, il faut avoir la liberté de réaliser des expériences avant de trouver une innovation qui puisse cartonner».
«En France, on est paralysé par la peur de l’échec, décrypte Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, responsable de la communication de Google France. A Moutain View, le mot d’ordre est allez-y, prenez des risques et plantez-vous». Résultat: les loupés ne sont pas un drame. «Si on n’a pas de temps en temps un gros plantage, c’est qu’on ne prend pas assez de risques», argue Larry Page, le co-fondateur du moteur de recherche, cité ici. Google Wave? Oui, cela n’a pas marché. «On a arrêté, on ne s’interdit jamais d’abandonner certains produits», reprend Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. En attendant, «plus de 200 projets sont élaborés en même temps dans le pôle recherche de Google», mais combien resteront?
4. Des salaires en béton armé
Les développeurs qui travaillent dans la Silicon Valley gagnent plus qu’ailleurs, à poste équivalent. Ils sont payés en moyenne environ 90.000 dollars par an, soit plus de 63.000 euros (93.250 dollars annuels à San Diego, 86.000 dollars à Sacramento), selon les chiffres de la fondation TechAmerica. D’autant que c’est moins l’expérience que la compétence qui est recherchée. Nous sommes aux Etats-Unis, la jeunesse constitue un atout plus qu’un handicap. C’est aussi tout un management, m’explique Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. «Lorsque l’on est innovant dans le management, on est innovant dans le produit».
5. Du temps de cerveau disponible
Les développeurs de la Silicon Valley qui n’ont pas l’habitude de compter leurs heures travaillent dans l’urgence et la rapidité pour faire fonctionner les interfaces. Dans le film The Social Network, le premier développeur de Facebook est d’ailleurs recruté sur un test de vitesse. Vous parlez de pression? C’est ce qui galvanise les geeks, et par extension, les développeurs. Les ingénieurs de Google peuvent consacrer 1 jour sur 5 à des activités personnelles – c’est comme cela qu’est né Google News, car, même pour leur jour dévolu au «privé», les ingénieurs conçoivent des algorithmes.
Pour libérer la tête des salariés des contraintes logistiques du quotidien (manger, se laver, se déplacer), ces entreprises ont mis en place toute une panoplie de services. Chez Google, les salariés peuvent donc emmener leurs chiens (– mais pas leur chat!), déposer leur linge sale. En outre, des transports, réservés aux salariés de Yahoo!, ou Google, font la navette entre Palo Alto, Moutain View, Sunnyvale, San Francisco, Santa Cruz, Berkeley, pour aller chercher les employés de leur domicile au bureau, et vice versa. Lesquels n’ont, du coup, pas besoin de voiture. A bord de ces «shuttles» (navettes, en VF), des sièges confortables et du Wifi bien sûr, toujours dans l’optique d’être connecté en permanence (voir point 1).
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La culture geek consiste aussi à manger devant son écran, pas à aller déjeuner pendant deux heures attablé dans un restaurant. Sur le campus Google, à Mountain View, la règle est simple: un salarié ne doit jamais avoir plus de 50 mètres à parcourir pour trouver de la nourriture… gratuite. Anthony Moor, éditeur des informations locales pour Yahoo!, basé à Sunnyvale, en Californie, n’en revient toujours pas. Longtemps journaliste dans des entreprises de presse, il ne travaille chez Yahoo! que depuis un an. «Tout ce que vous voyez là, la cafétéria (baptisée «Eat at URL’s», ndlr), les baby-foot, les jeux, les chewing-gums à volonté, les repas préparés, tout cela est conçu pour les développeurs, pas pour les rédacteurs de Yahoo! Actualités».
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6. Des techniciens à votre service
Chez Google, dans les «tech stop», des informaticiens réparent les disques durs et autres fonctionnalités défectueuses des ordinateurs des salariés. Jusque-là, rien de très différent d’un help desk traditionnel. Sauf que ces «tech stop» sont ouverts 24h/24. Chez Facebook, à Palo Alto, où travaillent environ 2.000 personnes, deux espaces servent aussi de «tech stop», l’un pour le personnel administratif, et l’autre pour les développeurs. Avec la cafétéria, c’est là le vrai rendez-vous de socialisation. Les salariés se rendent eux-mêmes au «tech stop» et sont pris en charge en quelques minutes. Efficacité redoutable et productivité maximum. Un vrai service VIP, et encore une façon, pour les entreprises, de montrer à leurs développeurs qu’on les soigne, eux et leur outil de «travail».
7. Le culte de la marque
L’idée, c’est de personnaliser tout ce qui peut l’être à la gloire du vaisseau amiral. Les développeurs «mangent», au propre comme au figuré, du Yahoo!, du Facebook, du Google, toute la journée. Et cela passe par un environnement de travail identitaire.
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Chez Yahoo!, tout est violet. Au Googleplex, la salle de gym s’appelle G-fit. Le vigile à l’entrée porte un bonnet de laine aux couleurs de Google, les vélos le sont aussi. Chez Facebook, même les Kit Kat sont estampés «Facebook». Les salles de réunion y portent des noms comme «Star Wars Kids», ou «lol cats», références à la culture geek. Une idée de Mark Zuckerberg, le fondateur, qui, pour être lui-même un tapeur de code n’omet aucun détail pour rappeler à ses ingénieurs qu’ils sont ici chez eux, dans leur monde.
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Chez Twitter, chaque salle de réunion et projet est baptisé d’un nom d’oiseau (au sens propre) afin de rester dans l’ambiance de la société – «twitter» désigne un gazouillis, et un oiseau bleu sert de logo. Le projet s’appelle «pigeon»? Pas grave, cela fait rire les développeurs.
8. Le vendredi pour parler
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Pour Google, Facebook et Yahoo!, le vendredi n’est pas le jour du «friday wear» (tenue plus décontractée que les autres jours) mais du discours du patron. Un moment fort. Et qui émule les troupes. En effet, toutes les semaines, «Zuck», comme ses employés appellent Mark Zuckerberg, se livre à un question/réponse dans la cafétéria face à ses employés. Une recette sans doute inspirée de Google, qui, chaque vendredi, voit l’un de ses dirigeants faire une intervention devant les salariés de Mountain View. Nom de l’événement: «TGIF», l’acronyme de «Thanks Google it’s friday» pour «célébrer l’arrivée du week-end». De quoi alimenter l’ambiance commando.
Cette organisation, c’est la clé de la réussite pour innover. Et cela ne concerne pas que les entreprises de nouvelles technologies. Dans les médias aussi, seules les rédactions qui ont pu réunir les ingrédients de cette recette (vie en réseau, rupture technologique, dépendance à son entreprise, rêve commun d’influence) ont pu imaginer de nouveaux formats et/ou de nouveaux usages. A elles de se réinventer sur ces modèles.
Alice Antheaume
lire le billetQue retenir de la journée spéciale dédiée aux nouvelles pratiques du journalisme, organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po et la Graduate school of Journalism de Columbia, le 10 décembre?
Voici les points clés de chaque intervention, d’Ariane Bernard, du nytimes.com, à Antoine Nazaret, de Dailymotion, en passant par Masha Rigin, du Dailybeast.com, Sarah Hinman Ryan, de Times Union, Nicolas Enault, du Monde.fr, Nicolas Kayser-Brill, d’Owni.fr, Michael Shapiro et David Klatell, de la Columbia, et Jean-François Fogel et Bruno Patino, de l’Ecole de journalisme de Sciences Po…
Cliquez ici pour la lire synthèse de la journée en français
Cliquez ici pour lire la synthèse de la journée en anglais
[Merci à tous les éditeurs de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes, live stream et tweets pendant cette journée marathon. Cet article a été rédigé d’après leurs notes et le “live”]
Ariane Bernard, home page producer, nytimes.com
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
Masha Rigin, spécialiste du référencement (SEO), thedailybeast.com
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
Nicolas Enault, coordinateur de l’audience, lemonde.fr
Michael Shapiro, professeur de journalisme, cours de «city newsroom», Graduate School of journalism, Columbia
Crédit vidéo: Daphnée Denis
David Klatell, professeur de journalisme, responsable de l’international, Graduate School of journalism, Columbia
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
Sarah J. Hinman Ryan, directrice du pôle investigations et recherche d’informations, Times Union
Madhav Chinnappa, directeur stratégique des partenariats, Google News, ex BBC News
Nicolas Kayser Brill, journaliste de données, statisticien, Owni.fr
Crédit photo: DR/Hannah Olivennes
Crédit vidéo: Diane Jeantet
Antoine Nazaret, éditeur des contenus vidéos «news», Dailymotion
Jean-François Fogel, professeur associé à l’Ecole de journalisme de Sciences Po
Bruno Patino, directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po
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lire le billetEntendu dans une rédaction Web:
«Ton titre sur les retraites, il n’est pas très Google friendly»
«Tu n’as qu’à y ajouter “Sarkozy”, “Domenech”, “météo” et “Facebook” et tu l’auras, ton titre Google friendly!»
Ce dialogue n’est pas fictif. Il désigne l’impact de la titraille, comme on dit dans le jargon, sur le référencement d’un contenu journalistique dans Google – et l’agacement que, parfois, le phénomène suscite chez certains rédacteurs pour qui l’art de trouver un bon titre se situait plus du côté du jeu de mot intellectuel que de l’indexation robotique de contenus via mots-clés. Ce phénomène, en bon anglais, s’appelle le SEO, «search engine optimization». Lequel ne concerne pas que les titres, mais aussi le contenu des articles, la façon dont ils sont écrits, et comment ils sont édités.
Crédit: Flickr/CC/BrunoDelzant
Si les mots «Sarkozy», «Facebook», «Domenech» et «météo» sont cités comme des appâts, c’est parce que ces termes font partie des recherches les plus fréquentes en France, sur Google, depuis le début de 2010. Et que, donc, les articles qui mentionnent ces mots ont plus de chances d’être remontés lorsqu’un internaute les cherche sur un moteur de recherche.
Comprendre, d’abord, et s’adapter, ensuite
Dans certaines rédactions est apparu petit à petit un nouveau métier: le spécialiste du référencement. Il n’est pas journaliste mais «sait parler aux moteurs» et peut faire en sorte que le site pour lequel il travaille soit bien – ou mieux – repéré par les Google, Yahoo! et Bing. Comprendre: que les articles «remontent» plus haut parmi les milliards de pages Web scannées chaque jour. Et si possible dans les premiers résultats de recherche.
«Je sais peut-être parler aux moteurs, mais je ne les commande pas», reprend Olivier Lecompte, responsable de l’architecture et du référencement d’un groupe de presse. Car la façon dont Google indexe les pages, c’est le secret le mieux gardé au monde. Même si Google a documenté dans un guide pour débutants les «meilleures pratiques» en la matière. «Si quelqu’un vous dit qu’il connaît le fonctionnement des algorithmes de Google, cette personne vous ment, annonce à ses étudiants Sandeep Junnarkar, professeur de journalisme interactif à l’Ecole de journalisme de CUNY, à New York. D’autant que ceux-ci changent sans cesse».
Reste à expérimenter, à comprendre, et à savoir s’adapter. Exemple avec un article dans lequel le titre fait mention de «l’Hexagone». «Cela ne va pas, car Google ne peut pas savoir si “l’Hexagone” désigne la France ou bien une forme géométrique», commente Olivier Lecompte, qui parle de Google comme d’une personne. «Google part du principe que chaque titre détermine ce qu’il y aura dans la page. Donc il faut que celui-ci soit signifiant sinon les rédacteurs se tirent une balle dans le pied.» Ce qui est le cas avec ce titre, «Scandale à l’école», mal pensé pour le SEO. «Quel scandale?, demande Olivier Lecompte. De quelle école? D’où? De quoi? Google ne sait pas, donc il ne saura pas quel article il y aura derrière.»
En avant les contenus!
Alors oui, le SEO change la façon d’écrire en ligne, mais sur certains champs seulement: le titre d’un contenu s’avère primordial pour le référencement et le thème de l’article doit être répété plusieurs fois dans la page. Par exemple, si l’article porte comme ici sur le SEO, ce terme doit figurer à plusieurs endroits du texte, tout comme le champ lexical qui y est associé – à moi, donc, de saupoudrer les mots référencement, indexation, mots-clés, contenu au fil du texte (et hop, c’est fait). En revanche, la chute de l’article, qui donne souvent du fil à retordre aux journalistes, n’importe guère.
Les photos ont intérêt à être bien taguées, avec des mots-clés adéquats, car «la recherche de photos sur les moteurs de recherche est au moins aussi importante que celle de textes», insiste Masha Rigin, du Daily Beast.
Quant aux liens hypertextes disposés dans l’article, ils doivent, en plus d’apporter une plus-value journalistique, être placés au bon endroit. «Mettre un lien sur “dit-elle” ou “lire la suite” ou “plus d’infos à venir” ne sert à rien, reprend la SEO du Daily Beast. Il faut que l’internaute comprenne, rien qu’en lisant la portion de mots sur laquelle porte le lien, sur quelle page il va aboutir s’il clique». Et Olivier Lecompte confirme: «si un rédacteur évoque un rapport sur la discrimination au travail, et qu’il met un lien sur le mot “rapport” sans englober les termes “sur la discrimination au travail”, c’est inefficace, car il y a des milliers de rapports sur la toile.»
Enfin, sans entrer trop dans les détails, les adresses URL doivent également être travaillées. Et pas que par les développeurs et les spécialistes du SEO. Dans certains outils de publication, les rédacteurs peuvent éditer, en plus du titre, des url. Au même titre que des légendes de photos ou des chapeaux. «Vos visiteurs peuvent être intimidés par une longue adresse URL dont le sens est crypté (par exemple une url contenant «content/view/959/130/», ndlr)», détaille Google dans son guide SEO. On préfèrera donc des URL avec des mots compréhensibles par tous, comme celle qui contient «societe/article/2010/10/16/liliane-bettencourt-va-porter-plainte-contre-sa-fille».
Prendre des gants
D’aucuns s’émeuvent de ce que l’écriture puisse avoir de l’impact sur le référencement. Pourtant, pour la plupart des sites d’information, le trafic se fait entre 50 à 70% en provenance des moteurs. «Par réflexe corporatiste, on a du mal à voir débouler (les référenceurs, ndlr) avec leur volonté de nous expliquer comment il faut écrire et de chambouler nos priorités éditoriales, ce qui est le cœur de notre métier, explique Christophe Carron, de Prisma, interviewé par le site Café Référencement. A l’expression «content is king, SEO is emperor», qui «sonne un peu comme une provocation, une déclaration de guerre», le journaliste préfère ajouter «content is king, SEO is emperor, reader is God».
«Ce sont aux journalistes de choisir, tranche Michael Shapiro, professeur de journalisme à l’école de la Columbia. Veulent-ils être lus par 10 personnes? Ou 5.000 personnes? Il ne suffit pas de mettre les papiers sur Facebook et sur Twitter. Pour mieux comprendre l’audience qui les lit, d’où elle vient, ce sur quoi elle clique, combien de temps elle reste sur une page, il existe des outils comme Google Analytics. Ils doivent s’en servir.»
Répondre aux questions des internautes
«Avant d’écrire, tous les journalistes devraient se demander ce que cherchent les internautes sur le Net, arguent nombre de rédacteurs en chef. Cela les aiderait à produire des sujets qui répondent aux questions de leurs lecteurs.» Ceci explique en partie le succès des titres commençant par «comment», «pourquoi»… Dans un précédent W.I.P., j’avais déjà tenté de répondre à cette question: et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent?
Jeremy Peters, du New York Times, ne veut pas que l’audience lui impose ses choix éditoriaux. Sur le site de France 24, du Washington Post, sur 20minutes.fr, sur Gawker, les données sur les visites et les clics des internautes sont affichées aux yeux de toute la rédaction. Pas au New York Times. «On ne laisse pas les chiffres nous dicter notre mission journalistique, répond Bill Keller, le rédacteur en chef. Nos lecteurs viennent pour lire nos points de vue, pas ceux de la foule. Nous ne sommes pas American Idol.»
Une position obsolète? Sans doute, car le SEO n’est pas contraire aux valeurs du journalisme. La meilleure enquête du monde ne sert à rien si personne ne la trouve. Et ne peut la lire. Inversement, peu importe que le SEO soit bon si le contenu ne l’est pas, dit en substance le Nieman Lab. Il est insupportable de faire une requête sur Google et de trouver, parmi les résultats, des pages qui ne répondent pas à la recherche.
Un scoop? Comment Google peut-il le savoir?
Dans la cohabitation entre contenus et SEO, il y a un point qui risque d’énerver encore longtemps les journalistes: publier une information exclusive et que celle-ci ne remonte pas dans Google News en premier. A priori, aucune raison que cela change. «Le journaliste est dégouté, mais Google ne réfléchit pas comme cela, dit encore Olivier Lecompte. Comment peut-il savoir qui a sorti l’information en premier? Il voit une suite de mots, il ne lit pas entre les lignes.»
La seule solution, c’est que les sites qui reprennent cette info citent correctement la source originelle, en faisant un lien vers elle. «Google va analyser la source des infos, et s’il voit que beaucoup de monde, à l’extérieur de ton site, parle de toi, il va considérer que tu es important et te faire remonter, reprend Olivier Lecompte. Mais Google ne va pas taper sur les doigts de ceux qui ont oublié de te citer comme source». Faire valoir ses infos, y compris face à la concurrence, cela reste à la charge des journalistes.
Prenez-vous en compte les techniques SEO pour écrire des contenus en ligne? Qu’avez-vous expérimenté? Partagez vos trouvailles dans les commentaires ci-dessous…
Alice Antheaume
Gardiens à l’entrée du parking, double barrière, panneaux indiquant “accès réservé”. Pour entrer dans le laboratoire d’Orange, situé au milieu de la zone industrielle de Lannion, en Bretagne, il faut montrer patte blanche.
Sur place, on dirait une petite Silicon Valley sur… 33 hectares. Bâtiments à la devanture bleu vif, enfilade de couloirs transparents, jardin et terrasse attenants… Il n’y pas de piscine comme au siège de Google, en Californie, mais c’est (presque) tout comme. A l’Orange Labs de Lannion, l’un des centres de recherche et développement de l’opérateur, travaillent plus de 1.050 personnes, dont 900 ingénieurs. Ils cherchent, cogitent, trouvent, conçoivent dans tous les sens et à toute vitesse. «Lannion, c’est l’histoire et surtout l’avenir», a dit leur patron, Stéphane Richard, au début de l’été. De fait, c’est ici que la fibre optique a fait ses débuts, en 1971, et qu’a été imaginé le mur de téléprésence, en 2002.
Discussions au débotté
A la cantine ou par messagerie instantanée, les salariés lannionais parlent de «métadonnées», de «clustering», d’«espace vectoriel», et de «divergence humain/machine». Des termes un peu abstraits qui donnent cependant lieu à des outils très concrets. Ici, un résumeur de texte, capable en un clic de faire la synthèse d’un projet de loi de 120 pages comme d’un article de 3 pages, sans faute d’orthographe ni de syntaxe; là, une télé connectée au Net avec un flux de vidéos d’actu près de la machine à café; plus loin, un outil – issu des travaux menés par des collègues de Rennes- qui permet de séquencer des vidéos ou des sons en plusieurs parties.
«La vidéo est très difficile à analyser, raconte Laurent Frisch, directeur des contenus médias et entertainment chez Orange. Au début, dans les JT, on ne parvenait qu’à différencier les génériques de début et de fin du corps de la vidéo. Maintenant, on sait reconnaître – et chapitrer en conséquence – les changements de décors, de présentateurs, les reportages à l’extérieur, les interviews en plateau.» Plus fort encore, dans une émission de radio, les technologies développées à Lannion permettent de repérer quand cela change de voix, quand il s’agit d’une question, ou bien d’une réponse, et de visualiser toutes les occurrences d’un mot dans le fichier son.
Séquencer, découper, recouper
Cela n’a l’air de rien, mais pour les journalistes qui passent beaucoup de temps à traquer les petites phrases de personnalités, politiques ou autres, dans des vidéos ou des sons, c’est potentiellement beaucoup. Si de tels outils se démocratisaient dans les rédactions, ce serait 40% de temps gagné dans la journée d’un journaliste de desk. «La question revient sans cesse entre nous: doit-on ouvrir nos applications à nos partenaires, et plus loin, aux utilisateurs? La réponse n’est pas tranchée», sourit l’équipe.
Lannion, c’est aussi le seul endroit où, à ma connaissance, on peut croiser des spécialistes de la sémantique qui ne sont pas professeurs en faculté de Lettres, ou des psychologues ergonomes (cela ne s’invente pas). Certains ont fait Polytechnique, certains des écoles d’ingénieurs des télécoms, d’autres les deux. Tous cherchent à «découper automatiquement» l’actu, qu’elle soit sous la forme de texte, de vidéo, ou de son. Objectif affiché: «fluidifier la propagation des contenus pour les journalistes, blogueurs, et tous ceux qui diffusent l’info», reprend Laurent Eskenazi, responsable marketing pour le pôle médias/entertainment. Et créer des technologies qui fassent le travail.
Au fond, ils se posent la même question que les journalistes: «Comment repérer un sujet d’actu cohérent?», résume Tanguy Urvoy, ingénieur. S’il veut répondre à cette question, ce n’est pas pour produire de l’info. Mais pour en tirer le meilleur algorithme possible afin d’indexer en «sujets d’actu cohérents» une grande quantité d’infos, issues de plusieurs médias. C’est le principe de fonctionnement de l’agrégateur d’Orange, 2424actu.fr, comme celui de Google News.
Algorithme mon ami
En coulisses, ce serait presque simple, à écouter les explications. «Cet algorithme, c’est juste une grosse calculette», renseigne Tanguy Urvoy. En gros, il passe à la moulinette des articles, retire de ceux-ci la ponctuation, les pluriels des noms, les majuscules. Ce qui donne un «sac de mots». Puis «pondère» le résultat pour savoir quels mots sont importants dans ce «sac», eu égard à la place de ce mot à la fois dans l’article analysé (le mot est-il répété? Est-il présent dans le titre?) et dans le corpus créé par toutes les infos scannées à un instant T. «Plus un mot est rare, plus il remonte, reprend Tanguy Urvoy. Cela explique que l’algorithme soit très bon (comprendre: ne fait pas d’erreur, ndlr) sur les faits divers (dans lesquels vont apparaître un nom de ville ou de victime inédit, ndlr) et moins sur les débats, les rebondissements ou les événements plus diffus.»
Exemple pour mieux comprendre: le contenu intitulé au départ «Le père Arthur invite Sarkozy à Lille pour voir les roms» va créer un sac de mots dans lequel on trouvera les termes «arthur», «president», «republique», «commande», «roms», etc. Après pondération et projection de l’article dans un espace vectoriel, l’algorithme détermine qu’il va aller dans l’ensemble «roms». Et hop, le voici indexé dans un «sujet d’actualité».
«L’algorithme ne peut être parfait, veulent rassurer les ingénieurs, s’adressant à des journalistes, il y a encore quelques imperfections. Dans l’idéal, on voudrait tout automatiser à 80% et on garderait une main humaine pour effectuer les choix réellement importants et corriger les erreurs.»
A venir: un W.I.P. sur les algorithmes, nos confrères journalistes…
La collaboration avec les algorithmes vous fait-elle peur? Si oui, si non, dites moi pourquoi dans les commentaires ci-dessous…
Alice Antheaume
lire le billet«Plus de 90% de notre trafic provient de Google, seuls 3% de nos visiteurs passent par notre page d’accueil». Suite101.fr, qui se présente comme «un magazine en ligne», est un site «Google-dépendant». C’est-à-dire un site qui a bâti son modèle sur les publicités contextuelles de Google, les Google Adsenses, et dont l’édition est pensée pour assurer le référencement dans Google.
Lancé en septembre 2009, Suite101.fr est une déclinaison d’un concept né au Canada, sur un site «grand frère» en .com (30 millions de visiteurs uniques mensuels). L’idée est d’encourager un très grand nombre d’internautes à produire des contenus en ligne. Actuellement, 1.400 auteurs francophones ont franchi les étapes de sélection (orthographe, qualités d’écriture, légitimité, et régularité de leur production), et 500 d’entre eux sont actifs – c’est-à-dire qu’ils ont publié un article dans les 90 derniers jours.
Crédit: DR
Bureaux à domicile
Dans les bureaux français de ce site, situés à quelques centaines de mètres de la gare du Nord, à Paris, nulle trace de cette pléthore d’auteurs. «Freelance, ils travaillent chez eux et sont relus par des éditeurs (10 au total, ndlr), également à demeure», m’explique Jérémy Reboul, le rédacteur en chef. Sur place, les locaux sont ceux d’un bureau «vitrine»: un très grand studio, doté de trois bureaux, et de deux canapés autour d’une table basse.
A raison de 50 articles mis en ligne chaque jour, l’effervescence de la rédaction n’est pourtant pas tangible. «Nous essayons de reconstituer l’ambiance et la salle de rédaction en ligne, via des forums internes et des échanges de mails», répond Reboul. Avec son adjoint, il dit passer la majorité de son temps à «donner des idées aux contributeurs, répondre à leurs questions, à créer un lien». Un lien qui a cependant des limites. «Vu l’ampleur de la communauté, nous évitons de donner nos numéros de téléphone, ajoute le rédacteur en chef. Si un auteur produit vraiment beaucoup d’articles, nous lui passons un coup de fil pour le féliciter.»
Rémunération au bout du clic
Ces «auteurs» ne sont pas payés à la pige, ils sont rémunérés en fonction du nombre de clics effectués sur les publicités contextuelles de leurs articles. Ce qui ne fait pour l’instant pas lourd sur leur compte en banque: en moyenne 0,5 euro par article. Le record sur le site français étant 211 euros au mois de juin pour la même rédactrice, qui a produit 350 articles.
Comment ça marche? C’est assez simple: un auteur publie un article, par exemple sur le gagnant de la finale du jeu de télé-réalité Dilemme. Près de l’article viennent s’afficher automatiquement des publicités contextuelles qui ont été vendues par Google, en l’occurrence un lien pour «découvrir en live sur le Web plus de 50 chaînes de CanalSat». A chaque fois qu’un lecteur clique sur ce lien, Google touche de l’argent, et reverse 68% de ce montant à l’éditeur de contenus, lequel attribue le pourcentage qu’il veut de ces 68% à son auteur en lui versant sa part chaque mois via Paypall. Les comptes sont tenus par Google Adsense qui envoie tous les jours à Suite101.fr «un rapport par email listant chaque clic généré sur une publicité contextuelle», détaille Jérémy Reboul, le rédacteur en chef. Ce qui suscite une petite polémique sur le site Categorynet, où échangent des journalistes professionnels, sur le thème «faut-il se brader?».
Certains sujets sont plus rémunérateurs que d’autres. En tête de gondole, la mode, l’automobile, les nouvelles technologies, les voyages, la beauté, le bien être et l’économie – du moins celle du quotidien, reprend le rédacteur en chef, citant des articles expliquant la composition d’une facture EDF, ou le fonctionnement de la déclaration d’impôts en ligne, des tickets restaurants, etc. Bref, tous les sujets sur lesquels il est facile de mettre des pubs ciblées. Sans surprise, à l’inverse, les sujets sur la poésie ou la philosophie ne font pas le plein de pubs contextuelles.
Les dirigeants de Suite101 le martèlent: dans cette optique, un article d’actualité, même très lu, n’est pas rentable. En ligne, les 670.000 visiteurs uniques au mois de juin (chiffres fournis par le site) trouveront certes une rubrique «politique», mêlée à des médias et de la société, dans laquelle on trouve un article sur «le copinage, sport national en France» et sur les «origines des jours fériés français». Nicolas Sarkozy? Il n’existe quasiment pas ici. Son gouvernement et ses réformes non plus.
«Nos auteurs écrivent sur ce qu’ils veulent». Pour Jéméry Reboul, il ne faut surtout pas confondre Suite101 avec une ferme de contenus, telle qu’Associated Content. «Là-bas, les rédacteurs n’ont pas le choix: ils n’écrivent que sur les sujets repérés par les algorithmes des moteurs de recherche. Quant aux contenus ne rapportant pas d’argent, ils sont éliminés. Pas chez nous».
Le nombre de lecteurs n’est pas égal au nombre d’euros sur le compte de l’auteur
Sur Suite101.fr, qui vise 1,5 million de VU d’ici décembre et l’équilibre financier d’ici deux ans, cet article annonçant le programme du défilé du 14 juillet, publié la veille et référencé sur Google News, a fait 20.000 visites en deux jours, «ce qui est énorme pour nous», précise Jérémy Reboul. «Sur ce genre de sujet, périssable très vite, il y a peu de publicités contextuelles disponibles, exceptées pour l’Armée de terre ou les feux d’artifice.» En clair, les articles les plus lus ne sont pas forcément les plus «payants» pour leurs auteurs. Contrairement aux sites Web d’informations, qui fournissent des articles d’actu à longueur de journée, Suite101.fr prône l’article non daté. «L’actualité n’offre une viabilité que de 24 heures, alors qu’un sujet intemporel, ou saisonnier, comme les prénoms originaux des bébés, va certes attirer un nombre relatif de lecteurs tous les jours, mais au bout de trois ans à ce rythme, cela finit par faire beaucoup, dit encore Jérémy Reboul. Nous surfons sur le phénomène de longue traîne.»
En ligne, est-ce vraiment de l’information? Pas vraiment, du moins pas de l’information telle qu’on l’entend dans une rédaction Web composée de journalistes professionnels. C’est plutôt des articles pratiques. «Où devons-nous mettre la barre de qualité? C’est une question que nous nous posons tous les jours, argumente Jérémy Reboul. Devons-nous être plus sévère sur l’orthographe? Sur la vérification des informations? Sur la construction des phrases?». Parmi la communauté, certains auteurs ont constitué une quasi «police interne qui s’émeut parfois que nous publions des articles sur la télé-réalité, des sujets qu’ils ne jugent pas assez nobles», s’amuse Reboul.
Actuellement, la relecture des articles est assurée par des éditeurs, payés 200 euros mensuels la gestion d’une rubrique + 1,5 euro par article corrigé. Ceux-ci doivent veiller à ce que les papiers fassent entre 400 et 1.000 mots chacun, aient des paragraphes courts entrecoupés d’intertitres, détiennent des informations «sourcées», possèdent des liens internes et externes, soient promus sur les réseaux sociaux et soit doté d’un chapeau et d’un titre avec des mots-clés facilement repérables par… Google. Toujours Google.
Que pensez-vous de la rémunération au clic sur la publicité contextuelle? Cela vous paraît-il viable pour l’information? Donnez votre avis dans les commentaires ci-dessous…
Alice Antheaume