5 tendances numériques à South by Southwest 2014

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Des participants venus de 74 pays (contre 55 l’année dernière), un pavillon dédié à la «French tech», un autre à l’Allemagne, des discussions sur la surveillance, la vie privée, les adolescents et les algorithmes qui préoccupent la planète entière… L’édition 2014 de South by Southwest, qui s’est tenue du 7 au 11 mars à Austin, au Texas, était plus internationale que celle de 2013, avec ce «petit goût d’étranger» que n’a pas manqué de souligner CNN. Que retenir des quelque 800 conférences qui se sont enchaînées en quelques jours à un rythme effréné?

1. Les dissidents de la surveillance

Invité star de South by Southwest 2014, Edward Snowden, l’homme le plus traqué au monde pour avoir révélé les méthodes de surveillance de la NSA, l’agence de sécurité américaine, s’est exprimé depuis la Russie via une liaison vidéo aussi sécurisée qu’instable.

Dans le hall de l’Austin Convention Center, où ont été diffusées les images de son intervention, près de 4.000 personnes l’ont écouté dans un silence quasi religieux. Snowden, sachant qu’il s’adressait à un parterre de geeks, a comparé la NSA aux forces du mal d’Harry Potter et leur a demandé de développer des outils de chiffrement faciles à utiliser sans dextérité ni bagage technique particulier.

«La communauté d’Austin, présente à South by Southwest, peut apporter des réponses. Il y a une réponse politique qui doit être apportée, mais il y aussi une réponse technique qui doit être trouvée», insiste l’homme aux lunettes fines et au sourire discret.

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Célébré comme un héros par USA Today, Edward Snowden n’a pas convaincu ce journaliste de Gawker, qui estime que l’ex-consultant de la NSA a perdu son temps. Tenir un discours pro-vie privée à South by Southwest, un lieu où l’on va «pour voir et se faire voir», «antinomique avec l’idée que la vie privée est un bien qui doit être protégé», serait vain. Rien n’est moins sûr vu le retentissement qu’a eu son intervention, à laquelle Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, a ajouté sa pierre cette semaine, fustigeant le gouvernement américain, qui «devrait être le champion d’Internet, pas une menace» sur le réseau.

2. L’économie de la vie privée

La NSA en sait beaucoup. Elle en sait encore plus que ce qu’elle veut bien reconnaître, renseigne cette étude de Stanford, pour qui l’agence de sécurité américaine, espionnant les métadonnées de nos téléphones, accède aussi à nos problèmes de santé, nos affinités sexuelles, l’état de nos comptes bancaires et autres détails.

De ce constat naît «l’économie de la vie privée», laquelle surfe sur l’idée que nous serions prêts à payer un prix minime pour accéder à des services en ligne garantissant le contrôle de nos données.

Pile poil dans la tendance, les deux applications qui ont fait le plus de bruit à South by Southwest s’appellent Omlet et Secret. La première, Omlet, lancée par un laboratoire de l’université de Stanford, est un réseau social qui promet de ne pas vendre les données de ses utilisateurs ni de les stocker sur des serveurs.

La seconde application dont il a été beaucoup question à South by Southwest, Secret, n’a pas deux mois et vient de lever 8,6 millions de dollars. Elle propose de partager avec vos amis «ce qui vous passe par la tête sans craindre d’être jugé». Et pour cause, l’anonymat de ses utilisateurs est garanti… jusqu’à ce que leur secret obtienne 6 coeurs, et passe en mode public, mais sans être relié à leur profil. Ce qui compte, pour les créateurs de Secret (des anciens de Google et Square), ce n’est pas qui dit quoi, mais le principe même de partager des contenus.

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3. Les ados, ce mystère

Quels sont les usages des adolescents en ligne? Contre toute attente, ils sont obsédés par leur vie privée, révèle danah boyd, chercheuse chez Microsoft, qui tient à écrire ses nom et prénom sans majuscule, lors d’une conférence à South by Southwest. Son livre «It’s complicated – the social lives of networked teens» est le fruit de huit années de recherche et de 166 interviews conduites auprès de cette population adolescente.

Il en ressort que leur façon de gérer leur vie privée sur les réseaux sociaux ne répond pas à la même logique que celle des adultes. Ils ne cherchent pas forcément à verrouiller tous les paramètres de confidentialité de leurs profils, mais à échapper aux figures d’autorité (parents, enseignants). Pour ce faire, soit ils testent d’autres réseaux sociaux, surtout si ceux-ci n’ont pas encore été investis par des adultes, soit ils développent des pratiques de contournement. Comme cette ado qui, chaque jour, lorsque les adultes se connectent, supprime son compte Facebook, avant de, chaque nuit, quand les adultes dorment, le réactiver, pour le supprimer à nouveau le lendemain, et ainsi de suite.

Autre technique utilisée par les ados: échanger, au vu de tous, des messages codés que seuls leurs amis peuvent comprendre.

Si vous êtes parent, ne vous avisez de commenter l’un de ces messages chiffrés car cela prouverait:
1. que vous n’avez pas saisi le message codé de votre enfant
2. que vous commentez ce qui ne vous est pas adressé
et 3. que vous vous fichez de coller la honte à votre progéniture sur son réseau.

4. Le futur du journalisme? Les algorithmes

Je l’avais déjà écrit dans la boule de cristal du journalisme en 2014, il faudra cohabiter avec des algorithmes. A South by Southwest 2014, il y a eu plusieurs tables rondes sur ce sujet. Lors d’une discussion hilarante avec David Carr, le journaliste médias du New York Times, Eli Pariser, le président d’Upworthy, a ainsi précisé le fonctionnement de l’algorithme qui régit la plate-forme qu’il a lancée en mars 2012: «c’est une ligne éditoriale, intégrée à une équation mathématique. Un algorithme est un bout de code qui nous dit ce que l’audience veut voir, et tente de trouver les éléments qui vont maintenir les lecteurs sur un site, les encourager à cliquer sur des contenus et des publicités». Pour lui, aucun doute, «ces petits bouts de code sont bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions».

«Nous avons désormais l’habitude que les informations nous trouvent, en ligne, mais c’est toujours grâce à un algorithme», reprend Kelly McBride, de Poynter, lors d’une autre discussion sur les algorithmes, le journalisme et la démocratie. Tapez «journalism is…» dans le moteur de recherche Google et celui-ci indiquera la suite de la phrase la plus souvent cherchée, «journalisme is dead», relève-t-elle au passage.

Or les algorithmes ne sont pas neutres. «Il faut en finir avec le mythe de leur neutralité», continue Gilad Lotan, expert des données. «Lorsque les ingénieurs construisent des algorithmes, ils font des choix, basés sur leurs intuitions.» Et d’évoquer l’algorithme qui régit les trending topics de Twitter qui, selon lui, aurait été modifié afin que Justin Bieber ne remonte pas toujours en tête de ce classement. De même, reprend Kelly McBride, les vidéos proposées par Facebook pour compiler son année 2013 mettraient surtout en majesté les bébés, les annonces de type mariage, les visages souriants, et les photos en général.

Les algorithmes ont de plus en plus de pouvoir sur la distribution et la consommation d’informations, dit-elle encore. Ils «contrôlent qui voit quoi sur les plates-formes comme Facebook ou YouTube, ou même sur le New York Times avec ses listes des contenus les plus partagés ou les plus commentés, de même que sur Yahoo! News».

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5. Des métiers inédits

65% des écoliers d’aujourd’hui pratiqueront, une fois diplômés, des métiers qui n’ont même pas encore été inventés, anticipe le ministère du Travail américain. A South by Southwest, il y avait peut-être un aperçu de ces professions du futur.

Dans la même semaine, j’ai croisé Ben Lashes, l’agent de Grumpy Cat, le chat estimé à 1 million de dollars, qui se définit comme «managers de memes» – il s’était autrefois occupé de Keyboard Cat -, et Will Braden, créateur de vidéos de chats sur Internet, lors d’une table ronde sur l’économie des vidéos de chats en ligne. Il y avait aussi Gilad Lotan, «data scientist», ainsi que des chefs cuisiniers qui réalisent des recettes à partir d’ingrédients suggérés par une application de cuisine cognitive conçue par IBM…

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Alice Antheaume

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Google, Facebook, Twitter, Yahoo!… Leçons d’innovation aux médias

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Ils bâtissent la Google TV, l’Apple TV, l’algorithme de Google News, le tri intelligent des courriers sur Gmail, le newsfeed et les pages profil de Facebook. Au royaume de la Silicon Valley, là où siègent les mastodontes du Web, les rois sont les… développeurs, ces experts en langage informatique qui «mangent du code» et sont au cœur des Google, Yahoo!, Twitter et Facebook.

Leur rêve: travailler pour l’entreprise la plus innovante au monde. D’après un classement mené en 2010 par l’institut Universum auprès de 130.000 étudiants, Google et Apple figurent toutes deux en bonne place parmi les entreprises considérées comme les plus attractives de la planète.

Du point de vue des développeurs, le critère d’attractivité d’une entreprise se résume à un qualificatif: celle-ci doit être «hot». Un terme qui désigne une technologie récente ET susceptible de révolutionner la vie (pas qu’en ligne) des utilisateurs. Fascinant, surtout pour les journalistes qui travaillent eux-mêmes sur des supports numériques, produisant des informations, et dont on attend de plus en plus qu’ils imaginent de nouveaux formats. Donc qu’ils soient capables d’inventer, façon ingénieur. Encore faut-il en avoir la tournure d’esprit. Un état d’esprit qui, en réalité, est «organisée» par… l’employeur.

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En effet, entre start-up et développeurs, il ne s’agit pas seulement d’une relation employeur/employé. Il s’agit d’un engagement total — presque frénétique — entre les deux parties. Avec des rêves d’absolu et de grandeur partagés, et un esprit commando savamment entretenu. Et ces compagnies ne s’en cachent pas: «Google attire les talents parce que, entre autres, nous donnons la possibilité à nos employés de changer le monde». «Entre autres», oui.

Pour s’arracher les meilleurs, très demandés, les sociétés de la «Valley» alignent les arguments et ont placé la culture geek — celle des développeurs donc — au cœur de leur organisation.

L’autre partie du succès tient à la méthode de travail: le cerveau des développeurs est sollicité en permanence, aux toilettes, pendant les repas ou les matchs de foot, dans un exercice permanent de cogitation. L’inverse des entreprises de presse qui convoquent de temps à autre une réunion spéciale nouvelle formule/ nouveau format/graphisme.

Or l’innovation ne se décrète pas pendant une réunion, elle se construit comme dans un laboratoire, chaque jour de l’année – coïncidence ou pas, l’un des bâtiments de Facebook est d’ailleurs un ancien labo de chimie dans lequel ils se sont installés quasiment sans rien y changer. «Les décisions se prennent dans les couloirs, dans les toilettes, raconte dans son livre «Inside Facebook» Karel M. Baloun, ingénieur du réseau social en 2005 et 2006. Pas besoin d’attendre que soit programmée une réunion pour que les choses se fassent».

Et si les médias s’en inspiraient? Pour comprendre comment s’entretient l’innovation permanente, voici quelques éléments de l’organisation des Facebook, Google, Twitter et Yahoo!, observés lors de mon voyage dans la Silicon Valley.

NB: L’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille, collabore avec Google.

1. Sans bureau fixe

Sur le «Googleplex», rares sont les quelques 8.000 «Googleurs» qui bénéficient d’un bureau individuel. Comme il y a du Wifi partout, les salariés travaillent sous les parasols, dans des canapés ou encore près du terrain de volley. «Nous avons pour priorité de leur fournir un environnement où ils sont récompensés pour leur contribution à la croissance de Google et à la création d’un monde meilleur», détaille la firme. Une liberté de mouvement, mais reliée à tout moment au réseau. Car les développeurs doivent produire, non des contenus comme des journalistes, mais du code. Et du code innovant, s’il vous plaît, pas un copié-collé de ce qui existe déjà. «Think outside the box», demande Google à ses développeurs. Une phrase qui n’est pas sans rappeler le slogan publicitaire d’Apple, en 1997, «Think different».

2. Le goût du challenge

«Ici, à Palo Alto, Moutain View et les environs, tous les hommes que tu vois prendre un café connectés à un ordinateur ont la même interrogation en tête, m’explique Adriano Farano, journaliste professionnel sélectionné pour effectuer une année de recherche à l’Université de Stanford. Quelle sera la prochaine start-up qui décollera?» Et donc, quel est «the place to be» pour ces ingénieurs, habitués à traquer les technologies révolutionnaires, sans quitter leur écran des yeux. Même s’ils ont déjà un boulot, «beaucoup ne cessent de collaborer, souvent bénévolement, avec des petites start-up en gestation, justement avec l’idée d’investir dans le(ur) futur», reprend Adriano Farano.

Les ingénieurs aiment ce qui donne leur fil à retordre, «ils veulent des gros problèmes à résoudre», ajoute Burt Herman, co-fondateur de Storify, après avoir été reporter pendant douze ans à Associated Press. En cela, la culture ingénieure est très différente de celle des journalistes, qui «aiment rendre les choses simples, alors que les développeurs préfèrent qu’on leur dise à quel point le sujet est complexe».

Résoudre un problème, c’est, chez Facebook, «finalement secondaire par rapport à l’idée que le processus de création ait été marrant et stimulant», détaille Karel M. Baloun. Il va même plus loin dans son livre et décrit, non sans humour, en cinq points le processus de création de gros projets comme Facebook photos:

1. Trouvez un ingénieur de génie qui renoncera à manger et dormir pendant deux mois
2. Donnez-lui une vision
3. Donnez-lui un graphiste pour que a/ il n’ait pas besoin de se demander quelle tête auront les pages et rester ainsi concentré sur leur fonction et b/ il sache immédiatement comment vont marcher ses pages
4. Déguerpissez. S’il vous parle, il pourrait commencer à avoir faim ou sommeil
5. Lorsqu’il a terminé, bénissez-le et dites lui que c’est exactement ce que vous vouliez.

3. L’expérience de l’échec

«Pourquoi l’innovation technologique a lieu dans la Sillicon Valley? Quel est le secret des ingénieurs qui travaillent dans la baie de San Francisco? J’ai passé un an, quand j’étudiais en tant que journaliste professionnel à l’Université de Stanford, à me poser ces questions», reprend Burt Herman. «Le vrai secret est de ne pas avoir peur de rater. Il faut se planter plein de fois avant de créer quelque chose de formidable, il faut avoir la liberté de réaliser des expériences avant de trouver une innovation qui puisse cartonner».

«En France, on est paralysé par la peur de l’échec, décrypte Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, responsable de la communication de Google France. A Moutain View, le mot d’ordre est allez-y, prenez des risques et plantez-vous». Résultat: les loupés ne sont pas un drame. «Si on n’a pas de temps en temps un gros plantage, c’est qu’on ne prend pas assez de risques», argue Larry Page, le co-fondateur du moteur de recherche, cité ici. Google Wave? Oui, cela n’a pas marché. «On a arrêté, on ne s’interdit jamais d’abandonner certains produits», reprend Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. En attendant, «plus de 200 projets sont élaborés en même temps dans le pôle recherche de Google», mais combien resteront?

4. Des salaires en béton armé

Les développeurs qui travaillent dans la Silicon Valley gagnent plus qu’ailleurs, à poste équivalent. Ils sont payés en moyenne environ 90.000 dollars par an, soit plus de 63.000 euros (93.250 dollars annuels à San Diego, 86.000 dollars à Sacramento), selon les chiffres de la fondation TechAmerica. D’autant que c’est moins l’expérience que la compétence qui est recherchée. Nous sommes aux Etats-Unis, la jeunesse constitue un atout plus qu’un handicap. C’est aussi tout un management, m’explique Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. «Lorsque l’on est innovant dans le management, on est innovant dans le produit».

5. Du temps de cerveau disponible

Les développeurs de la Silicon Valley qui n’ont pas l’habitude de compter leurs heures travaillent dans l’urgence et la rapidité pour faire fonctionner les interfaces. Dans le film The Social Network, le premier développeur de Facebook est d’ailleurs recruté sur un test de vitesse. Vous parlez de pression? C’est ce qui galvanise les geeks, et par extension, les développeurs. Les ingénieurs de Google peuvent consacrer 1 jour sur 5 à des activités personnelles – c’est comme cela qu’est né Google News, car, même pour leur jour dévolu au «privé», les ingénieurs conçoivent des algorithmes.

Pour libérer la tête des salariés des contraintes logistiques du quotidien (manger, se laver, se déplacer), ces entreprises ont mis en place toute une panoplie de services. Chez Google, les salariés peuvent donc emmener leurs chiens (– mais pas leur chat!), déposer leur linge sale. En outre, des transports, réservés aux salariés de Yahoo!, ou Google, font la navette entre Palo Alto, Moutain View, Sunnyvale, San Francisco, Santa Cruz, Berkeley, pour aller chercher les employés de leur domicile au bureau, et vice versa. Lesquels n’ont, du coup, pas besoin de voiture. A bord de ces «shuttles» (navettes, en VF), des sièges confortables et du Wifi bien sûr, toujours dans l’optique d’être connecté en permanence (voir point 1).

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La culture geek consiste aussi à manger devant son écran, pas à aller déjeuner pendant deux heures attablé dans un restaurant. Sur le campus Google, à Mountain View, la règle est simple: un salarié ne doit jamais avoir plus de 50 mètres à parcourir pour trouver de la nourriture… gratuite. Anthony Moor, éditeur des informations locales pour Yahoo!, basé à Sunnyvale, en Californie, n’en revient toujours pas. Longtemps journaliste dans des entreprises de presse, il ne travaille chez Yahoo! que depuis un an. «Tout ce que vous voyez là, la cafétéria (baptisée «Eat at URL’s», ndlr), les baby-foot, les jeux, les chewing-gums à volonté, les repas préparés, tout cela est conçu pour les développeurs, pas pour les rédacteurs de Yahoo! Actualités».

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6. Des techniciens à votre service

Chez Google, dans les «tech stop», des informaticiens réparent les disques durs et autres fonctionnalités défectueuses des ordinateurs des salariés. Jusque-là, rien de très différent d’un help desk traditionnel. Sauf que ces «tech stop» sont ouverts 24h/24. Chez Facebook, à Palo Alto, où travaillent environ 2.000 personnes, deux espaces servent aussi de «tech stop», l’un pour le personnel administratif, et l’autre pour les développeurs. Avec la cafétéria, c’est là le vrai rendez-vous de socialisation. Les salariés se rendent eux-mêmes au «tech stop» et sont pris en charge en quelques minutes. Efficacité redoutable et productivité maximum. Un vrai service VIP, et encore une façon, pour les entreprises, de montrer à leurs développeurs qu’on les soigne, eux et leur outil de «travail».

7. Le culte de la marque

L’idée, c’est de personnaliser tout ce qui peut l’être à la gloire du vaisseau amiral. Les développeurs «mangent», au propre comme au figuré, du Yahoo!, du Facebook, du Google, toute la journée. Et cela passe par un environnement de travail identitaire.

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Chez Yahoo!, tout est violet. Au Googleplex, la salle de gym s’appelle G-fit. Le vigile à l’entrée porte un bonnet de laine aux couleurs de Google, les vélos le sont aussi. Chez Facebook, même les Kit Kat sont estampés «Facebook». Les salles de réunion y portent des noms comme «Star Wars Kids», ou «lol cats», références à la culture geek. Une idée de Mark Zuckerberg, le fondateur, qui, pour être lui-même un tapeur de code n’omet aucun détail pour rappeler à ses ingénieurs qu’ils sont ici chez eux, dans leur monde.

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Chez Twitter, chaque salle de réunion et projet est baptisé d’un nom d’oiseau (au sens propre) afin de rester dans l’ambiance de la société – «twitter» désigne un gazouillis, et un oiseau bleu sert de logo. Le projet s’appelle «pigeon»? Pas grave, cela fait rire les développeurs.

8. Le vendredi pour parler

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Pour Google, Facebook et Yahoo!, le vendredi n’est pas le jour du «friday wear» (tenue plus décontractée que les autres jours) mais du discours du patron. Un moment fort. Et qui émule les troupes. En effet, toutes les semaines, «Zuck», comme ses employés appellent Mark Zuckerberg, se livre à un question/réponse dans la cafétéria face à ses employés. Une recette sans doute inspirée de Google, qui, chaque vendredi, voit l’un de ses dirigeants faire une intervention devant les salariés de Mountain View. Nom de l’événement: «TGIF», l’acronyme de «Thanks Google it’s friday» pour «célébrer l’arrivée du week-end». De quoi alimenter l’ambiance commando.

Cette organisation, c’est la clé de la réussite pour innover. Et cela ne concerne pas que les entreprises de nouvelles technologies. Dans les médias aussi, seules les rédactions qui ont pu réunir les ingrédients de cette recette (vie en réseau, rupture technologique, dépendance à son entreprise, rêve commun d’influence) ont pu imaginer de nouveaux formats et/ou de nouveaux usages. A elles de se réinventer sur ces modèles.

Alice Antheaume

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Des forçats? Où cela?

«Les jeunes journalistes qui rêvaient de parcourir le globe à la recherche d’un sujet de reportage sont maintenant scotchés à leur ordinateurs. Ils s’efforcent d’être les premiers à publier jusqu’à la plus marginale des informations, histoire d’impressionner les algorithmes de Google et d’attirer le clic des internautes». C’est contre cette vision des journalistes Web, décrite cet été dans le New York Times, que s’est érigé Henry Blodget, le patron de Business Insider: «Nous en avons assez de ce portrait. Non seulement nous aimons ce que l’on fait, mais nous pensons aussi que nous avons créé un état d’esprit et des lieux de travail excitants et dynamiques – des espaces dans lesquels les gens talentueux, motivés, bosseurs, solidaires de leur équipe et créatifs sont récompensés.»

Crédit: Flickr/CC/Robert Couse-Baker

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En France, il y a eu le même «traumatisme» avec l’article «Les forçats de l’info» publié dans Le Monde en mai 2009. Depuis, ce mot, «forçat», fait hurler. Plus d’un an après, j’ai voulu savoir ce qu’étaient devenus ces soi-disant OS de l’Internet, ceux qui travaillent sur des sites de presse, des pure-players, mais aussi sur des plates-formes de contenus, comme Orange, Yahoo!News ou Dailymotion, ou pour des agences. Pour ce faire, j’ai mis en ligne, sur W.I.P., un questionnaire auquel 240 travailleurs du Net français ont répondu en juillet et en août 2010. Précisons que ce questionnaire, anonyme, fait maison, a été élaboré sans comité scientifique. Forcément imparfait, il vise à récolter des données sur les conditions de labeur de ceux qui travaillent en ligne, et à mieux cerner leurs usages numériques.

Portrait robot

Hommes et femmes, 25-30 ans, en CDI, dotés d’un smartphone et plutôt satisfaits de leur condition professionnelle. Tel serait le portrait robot du «forçat» saison 2010-2011, dressé après dépouillement des résultats du questionnaire. Bilan: le forçat n’est pas si forçat que cela. Voire pas forçat du tout. Tant par ses usages, qui ne sont pas ceux d’un connecté forcené au réseau dont la vie privée n’existerait plus, que par son statut social, moins précaire que ce que l’on croit.

Du point de vue socio-économique, la majorité des sondés (60%) est en CDI (contrat à durée indéterminée) – 14% en CDD, 11% en stage, 6% en piges, et déclare travailler une somme horaire raisonnable chaque jour. Entre 8h et 10h quotidiennes pour 59% des interrogés – plus de 10h pour 19%, entre 6 et 8h pour 19% et moins de 6 heures par jour pour les 4% restants. Le travail les week-ends? Pas pour tout le monde. 53% des interrogés ne font pas de garde, quand 47% bossent les samedi et/ou dimanche. On n’est donc pas (ou plus?) du tout dans la description qu’en faisait Le Monde, l’année dernière, évoquant des «journées de douze heures, les permanences le week-end ou la nuit.»

Célia Meriguet, rédactrice en chef du Monde.fr, le confirme: «Peu de journalistes travaillent le week-end, et ceux qui le font sont volontaires et bien payés. Ils travaillent sur des horaires de desk. Il y a dépassement d’horaire quand ils sont en reportage, c’est tout». Quant à Eric Mettout, rédacteur en chef de lexpress.fr, il n’en peut plus d’entendre le mot «forçat»: «Ici, les journalistes sont aux 35 heures, avec des astreintes un peu spécifiques le matin et/ou le soir, un jour de week-end toutes les cinq semaines récupérable, et, évidemment, les aléas horaires et rush de n’importe quel journaliste.»

>> Alexandre Sulzer, journaliste à 20 Minutes papier passé autrefois par 20minutes.fr, a comparé ses conditions de travail entre ce qu’il a vécu en ligne et ce qu’il vit sur l’imprimé. Lire sa tribune ici >>

CDI, et moins de 2.500 euros bruts mensuels

Concernant les revenus, leur niveau salarial est davantage semblable à celui d’un professeur de l’Education nationale que d’un avocat ayant fini son droit. 64% des travailleurs du Web sondés gagnent en effet moins de 2.500 euros bruts mensuels – 23% entre 1.000 et 2.000 euros, 25% entre 2.000 et 2.500 euros, et 16% moins de 1.000 euros bruts mensuels, ce qui s’explique par la forte participation des stagiaires à ce sondage (11% des répondants).

Cependant, 37% gagnent plus voire beaucoup plus de 2.500 euros bruts mensuels, notamment les chefs de service, responsables de rubriques et rédacteurs en chef, qui représentent 23% des sondés: parmi ces 37% plus favorisés pécuniairement parlant, 18% gagnent entre 2.500 et 3.000, 9% entre 3.000 et 3.500 et 10% déclarent avoir un salaire de plus de 3.500 euros bruts par mois.

La plupart de ceux qui ont témoigné dans ce questionnaire sont salariés d’un site de presse nationale (29%), comme lemonde.fr, lefigaro.fr, libe.fr. Les autres participants travaillent pour une agence de contenus Web (18%). Ou pour un pure-player (16% ) comme Slate.fr, Médiapart ou Rue89. Ou pour un site spécialisé (12%) tels qu’Allociné, PCinpact.com, Readwriteweb. Ou pour un site local ou de presse quotidienne régionale (6%). Ou, enfin, pour une plate-forme communautaire (3%) dont Dailymotion, Yahoo! News, Orange. A noter: ils sont pour la plupart en CDI, on l’a dit plus haut, mais à un poste qu’ils occupent le plus souvent depuis moins de 6 mois.

Sans carte de presse fixe

A la question «avez-vous une carte de presse?», 61% des sondés ont répondu «non». «Non», pas encore? Ou «non» tout court? Sans doute «non» tout court, puisque, dans ce questionnaire, seulement 34% des participants se désignent comme «journalistes Web». C’est que, dans le domaine de la production de contenus en ligne, il n’y a pas que des rédacteurs qui officient. Sous l’appellation «travailleur du Web», il y a, outre les journalistes, des développeurs, graphistes, iconographes, éditeurs vidéo, community managers, etc. Certains sont journalistes. Tous travaillent de concert. Et sont dépendants les uns des autres. Car pour faire un bon site d’infos, les contenus ne suffisent pas, il faut que les serveurs tiennent, que la navigation soit fluide, et le référencement efficace. Des tâches qui incombent à l’équipe technique, laquelle est ainsi, de façon indirecte, mise à contribution pour la mise en scène de l’information.

Selon l’article du Monde de l’année dernière, «le Web a sécrété une forme de conscience de classe chez les jeunes journalistes qui ont grandi avec lui». Un constat qui reste valable aujourd’hui (lire à ce propos l’article sur la rédaction secrète du Web français). Au-delà des sites pour lesquels ils produisent des contenus, les travailleurs du Net emploient les mêmes mots pour décrire leur ambiance de travail. Les termes «stressant», «fatiguant», «pression», «effervescence » et «émulation» sont parmi les plus cités. Pour parler de leurs collègues, ce sont les adjectifs «convivial», «jeune» et «cool» qui emportent la mise.

Et le moral des troupes? A part «le manque de terrain», point d’offense. «J’y étais, j’y suis et j’y serai. Internet for life!», s’exclame l’un des interrogés. «Ambiance de travail géniale et épanouissante, mais dur de garder la santé au vu du rythme, et de la fréquence des apéros…», sourit un autre. «La tension est dans le rythme imposé par l’actu en ligne, la réactivité, la productivité, les nouveaux formats», reprend Eric Mettout.

Outils du quotidien

Passons aux usages numériques des interrogés. «Internet a accouché d’une nouvelle race de journalistes, pouvait-on lire dans Le Monde. Le teint blafard des geeks, ces passionnés d’ordinateur qui passent leur temps devant l’écran.» D’après les données récoltées avec le questionnaire, le travailleur du Web n’est pas accro au réseau. Même si 76% des dits «forçats» possèdent un téléphone connecté au Net, 45% assurent ne pas souffrir s’ils n’ont pas accès à leurs emails pendant plusieurs heures. Au moment de la pause au travail, ils sont plus nombreux à faire une activité hors ligne (fumer une cigarette pour 34%, boire un café pour 30% d’entre eux) qu’en ligne (25% regardent les dernières mises à jour sur les réseaux sociaux, 3% visionnent une vidéo en ligne, et 8% consultent leurs emails personnels).

Drogués à l’actu alors? Oui. Mais pas obnubilés par les breaking news, alertes et autres urgents. 52% sont abonnés à des dernières minutes envoyés par des sites d’infos. La moitié des sondés n’est abonnée à aucune alerte Google. Ceux qui s’y abonnent le font pour suivre un sujet d’actualité (35%), plus rarement sur leur nom de famille (8%) ou celui du site pour lequel ils travaillent (8%).

Sans surprise, ils sont ultra connectés aux réseaux sociaux. Twitter? Seulement 8% de ceux qui ont répondu déclarent ne pas posséder de compte Twitter. Les autres (70%) y publient beaucoup de liens. Facebook? 5% disent ne pas avoir de compte sur ce réseau social. Et, c’est sans doute ce qui m’a le plus étonnée, la majorité (57%) des interrogés utilisent Facebook de «façon privée (pour leur famille et amis)», quand 23% s’en servent de «façon professionnelle (carnet d’adresses, recherche de témoignages, etc.)». Une quantité non négligeable (15%) a décidé de cloisonner «le pro et le perso» en se créant deux comptes Facebook différents, l’un pour le travail, l’autre pour la vie privée.

Plus tard, je veux être…

Et dans cinq ans? La plupart envisage de rester dans le numérique: 48% des votants «espèrent faire toujours la même chose qu’aujourd’hui», 20% «espèrent apprendre à travailler sur le mobile», notamment concevoir des applications, et 7% se verraient bien «devenir social media editor pour une marque commerciale». Un petit groupe aspire à exercer d’autres activités que le numérique pur: 20% «espèrent travailler pour un support tel que la télé, la radio, ou la presse écrite» et 5% espèrent tout bonnement «avoir quitté le Web». «Dans cinq ans, je ne sais sur quels nouveaux supports je travaillerai, mentionne l’un des témoins. Et mon poste ressemblera probablement à un mix de rédacteur en chef, de brand manager et de développeur de projet. Où la Toile sera probablement tellement éclatée et démultipliée entre les centaines de réseaux dans lesquels nous serons immergés que le mot web pourrait bien y être associé à une époque révolue, celle où l’ordinateur portable ou de bureau était l’accès principal aux réseaux.»

Autre mot qui revient sans cesse dans les réponses: le mot «participatif». Et cela s’est même traduit par le biais de ce questionnaire. Car les participants n’ont pas manqué de faire part de leurs remarques, par email, par message sur Twitter, ou directement dans les cases de réponses. Principale revendication: l’impossibilité de cocher plusieurs cases en même temps. Surtout pour répondre à la question «quelle fonction occupez-vous?». Nombreux sont ceux qui assurent avoir plusieurs casquettes, parfois autant que de réponses proposées. «Je suis SR et éditeur web en premier lieu, mais aussi community manager, et dans une certaine mesure chef de projet web (interface entre le développeur, des personnes ressources extérieures ponctuelles) et journaliste web (rédacteur)», résume un mécontent.

Forçat, le terme est bel et bien inconvenant.

Est-ce que vous vous reconnaissez dans ce portrait? Livrez votre impressions et commentaires ci-dessous…

Alice Antheaume

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