Comment diriger une rédaction en 2013? Qui peut être chef de service, rédacteur en chef, directeur de publication, directeur de rédaction à l’ère numérique? Jim Brady, le rédacteur en chef de Digital Media First, et Callie Schweitzer, directrice de l’innovation à Time Magazine depuis septembre, ont débattu des compétences requises pour savoir «manager» des médias en ligne, à la conférence organisée par l’ONA (Online News Association) le 19 octobre 2013 à Atlanta. Le premier a commencé à travailler en 1990 comme journaliste sportif, la seconde a terminé ses études en 2011. Les deux ont une approche des ressources humaines adaptée à la culture américaine, mais certaines de leurs recommandations peuvent aussi intéresser le marché français. Voici une retranscription, partielle, de leur discussion.
Jim Brady
Avant, dans les rédactions, tous les journalistes attendaient que le chef parle avant d’agir. Maintenant, le chef en sait cent fois moins que sa rédaction en tant que collectivité. L’étendue des compétences des journalistes n’a jamais été grande. Si vous avez besoin de rappeler que vous êtes le boss, vous avez perdu. Vos journalistes doivent savoir que vous l’êtes, point.
Callie Schweitzer
L’âge n’est pas un critère pour devenir chef. Ce qui compte, c’est la capacité d’adaptation. Pouvoir tester des nouvelles technologies et comprendre leur impact sur le métier que l’on exerce, à tout âge, est la compétence clé.
Jim Brady
Nous vivons dans un monde de «gamification», où nous sommes habitués à gagner des points, à obtenir des badges et à passer des niveaux, comme dans un jeu vidéo. Or il est dangereux de penser que ce système puisse correspondre à la hiérarchie rédactionnelle. Ne vous mettez pas d’objectif du style «à 30 ans, j’aurai tel poste et je gagnerai tel salaire», cela ne fonctionne pas ainsi.
Callie Schweitzer
La génération Y passe souvent pour une génération égocentrique et arriviste. Mais, dans les rédactions, il est rare d’avoir des gens qui proposent leurs services pour mettre en place des changements et prendre de nouvelles responsabilités. Pour ma part, j’ai toujours proposé mon aide, même si je n’étais pas toujours parfaitement qualifiée pour la tâche, car je savais que j’apprendrai en route.
Jim Brady
La meilleure décision à prendre est parfois de refuser un poste en expliquant à votre supérieur que vous n’êtes pas encore prêt. Contrairement à ce que vous croyez, vous gagnerez en crédibilité à ses yeux. C’est très précieux de connaître ses forces et ses faiblesses.
Callie Schweitzer
Certaines rédactions veillent à ne pas laisser leurs managers superviser plus de dix personnes. Car la difficulté, c’est de pouvoir suivre ce que fait chaque personne dans son équipe. Si vous ne le savez pas ce que fait un tel ou un tel, il y a un problème. Il faut prendre le temps de récupérer des remarques provenant de la base, pour comprendre ce qu’il se passe chaque jour, savoir ce qui marche ou non. Ne pas avoir de retour quotidien des membres de votre équipe, c’est l’échec assuré.
Jim Brady
Nous avons trop souvent tendance, dans les rédactions, à recruter des journalistes en fonction d’une fiche de poste à pourvoir. Si le poste concerne le pôle vidéo, nous regardons si le candidat est compétent pour réaliser des vidéos. Si le poste concerne le desk, nous veillons à ce qu’il soit capable de produire vite. Mais nous ne pensons pas assez à regarder s’il pourra, un jour, devenir chef. Or les bons journalistes ne sont pas forcément des bons managers. Un bon manager doit savoir parler plusieurs langages, le langage du développement, le langage éditorial, et le langage du marketing.
Callie Schweitzer
Il ne devrait y avoir aucun secret entre les équipes. La rédaction, la publicité, le marketing et le développement ont le même objectif – que tout marche au mieux -, donc il faut pratiquer la transparence absolue entre les services et tout partager.
Jim Brady
Si votre média se dit «digital first», cela sous-entend que vous avez pris trois décisions:
1. la direction de votre média est assurée uniquement par ceux qui croient au numérique, et sont eux-mêmes des profils très «numérisés»;
2. les commerciaux sont payés pour vendre du numérique (abonnements, publicités, etc.);
3. les revenus obtenus sont réinjectés dans la technologie.
Si l’un de ces trois points n’est pas respecté, votre média ne peut se prétendre «digital first».
Callie Schweitzer
Nous pouvons passer notre vie en réunion et, un an plus tard, rien n’aura avancé. J’aime beaucoup cette idée qu’en réunion, les minutes restent, les heures filent. Pourtant, nous savons tous ce que c’est que de produire des contenus sous la contrainte d’une heure de bouclage. Nous devrions appliquer les principes du bouclage aux réunions, et plus généralement, à ce que nous accomplissons dans une rédaction. Lorsque vous quittez un poste, vous devez être capable de résumer ce que vous y avez fait via un titre et deux lignes de chapeau.
Jim Brady
Il y a beaucoup de plus de «turn over» qu’avant dans les médias. Les journalistes ne restent plus au même poste pendant des années. Si l’un d’entre eux part, parce qu’il a été recruté par une autre rédaction, ne le prenez pas mal, maintenez le contact avec lui, vous le recruterez à nouveau plus tard. Il faut accepter qu’il y ait du passage.
Callie Schweitzer
Recruter des journalistes ne suffit pas, il faut aussi savoir les retenir. Pour cela, pas de secret, il faut les valoriser et leur faire sentir qu’ils ont le pouvoir de tout changer en faisant des suggestions. Il faut aussi les aider à grandir à l’intérieur de l’organisation.
Jim Brady
En tant que chef, vous devez apprendre à tourner votre langue sept fois dans votre bouche avant de parler. Ne soyez jamais négatif. Cela se répandrait à toute vitesse et empoisonnerait toute l’organisation.
Callie Schweitzer
Outre la «réunionite» aïgue, l’autre problème des chefs consiste à gérer leurs messageries surchargées. Qui arrive à lire et répondre à tous ses emails? Personne. L’idée d’avoir zéro email en attente dans sa boîte est un mensonge. C’est impossible. Vous mettez une étoile à un email pour y répondre plus tard? Sachez que vous ne reviendrez jamais sur cet email. J’aimerais beaucoup pouvoir ajouter à nos emails l’acronyme NRN (no response necessary – réponse non demandée) pour éviter cette succession de réponses inutiles disant «OK» ou «merci».
Quelles compétences vous semblent indispensables pour diriger une rédaction à l’ère numérique? Merci de vos suggestions sur Twitter, Facebook, et dans les commentaires.
Alice Antheaume
lire le billetSi, cet été, vous avez préféré déconnecter plutôt que de faire les exercices préconisés dans ce cahier de vacances, voici, en guise de rattrapage, une sélection des informations que vous auriez pu rater en août et qui concernent l’information et l’Internet.
3 août 2013 : Newsweek, le magazine américain, est racheté par le groupe de médias en ligne IBT Media, qui édite aussi les sites Latin Times ou encore Medical Daily, et est présidé par un entrepreneur français installé à New York, Etienne Uzac. Le montant de l’opération n’a pas été révélé.
Pourquoi c’est important? Parce que ce titre historique n’en finit plus de passer de mains en mains jusqu’à n’être plus “qu’une marque à la dérive, désincarnée, perdue quelque part dans le cyberespace”, regrette un ancien journaliste, qui raconte la gloriole passée de l’hebdomadaire créé en 1933, à une époque où le temps réel, réseaux sociaux et smartphones n’existaient pas. De fait, ces dernières années ont été chaotiques. En 2010, Newsweek, propriété à l’époque du groupe Washington Post, est mis en vente. Sidney Harman, ingénieur et homme d’affaires, le rachète pour 1 dollar symbolique à l’été 2010. A partir de novembre de la même année, Newsweek fusionne avec le pure-player The Daily Beast, né en 2008, et appartenant, lui, au groupe IAC. Sidney Harman meurt en 2011. Newsweek, sous le contrôle d’IAC, sort son dernier numéro imprimé en décembre 2012 et ne conserve qu’une activité numérique, à peine visible sur le site de The Daily Beast. Au final, Tina Brown, la rédactrice en chef de The Daily Beast et de Newsweek, n’a pas réussi à sauver ce dernier.
5 août 2013 : le groupe du Washington Post, qui détient le quotidien américain homonyme, annonce qu’il est racheté par Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon. C’est bien Jeff Bezos à titre personnel, dont la fortune est de 25,2 milliards de dollars selon Forbes, et non la société Amazon dont il s’agit là. Montant de la transaction: 250 millions de dollars, un prix jugé exagéré. Objectif affiché: “faire mieux que simplement survivre”, a expliqué Donald Graham, le président du Washington Post, dont la famille possédait le titre depuis 1933, soit 80 ans.
Pourquoi c’est important? Si Jeff Bezos ne connaît guère le marché de l’information, comme il le confie lui-même dans la lettre qu’il a adressée aux employés, il s’y connaît en stratégie éditoriale et souhaite développer de nouveaux formats. Changements en vue, donc. “Ils seront essentiels”, insiste Jeff Bezos, alors qu’”Internet transforme presque tous les aspects du marché de l’information, en réduisant les cycles de l’information, en érodant les sources de revenus à long terme et en introduisant de nouvelles formes de concurrence.” Une situation que le Washington Post connaît bien, voyant son nombre d’abonnés décliner de 832.332 abonnés en 1993 à 474.767 en 2013, et faisant face à la montée en puissance de Politico, un média né en janvier 2007, et axé sur la politique sous toutes ses formes (congrès, pouvoir exécutif, lobbying), sans parler d’autres façons de s’informer… En quoi vont consister ces changements? C’est toute la question. Un homme de la trempe de Jeff Bezos, dont on connaît le pedigree technologique et le sens des affaires, qui martèle qu’il faut trouver une nouvelle voie pour l’information et “expérimenter” ne peut que susciter l’intérêt des rédactions du monde entier.
19 août 2013 : Alan Rusbridger, le rédacteur en chef de The Guardian, signe un éditorial au vitriol dans lequel il dénonce les pressions exercées par le gouvernement britannique après que son journal a publié des documents secrets fournis par Edward Snowden, consultant du renseignement américain devenu fugitif. “Vous vous êtes bien amusés. Maintenant, nous voulons que vous nous rendiez le matériel”, aurait sommé un fonctionnaire de l’exécutif anglais. Une injonction qui s’ajoute à l’interpellation, le 18 août, de David Miranda, compagnon de Glenn Greenwald, le premier journaliste à avoir travaillé sur les données de Snowden pour le Guardian. Résultat, Alan Rusbridger indique avoir détruit les disques durs contenant ces informations, sous le regard de deux agents de sécurité de l’Etat.
Pourquoi c’est important? L’éditorial d’Alan Rusbridger est un détonateur à commande multiple. D’abord, on comprend que le journalisme d’investigation est menacé, y compris dans un pays où la presse est libre, par “le formidable appareil de surveillance mis en place par l’État”. Ensuite, le Guardian joue gros. Le titre (site, quotidien et supplément) a perdu 30,9 millions de livres (36 millions d’euros) lors de l’exercice annuel se terminant le 31 mars 2013, selon Le Monde. Or la publication des révélations sur le programme de surveillance PRISM, un scoop mondial, a certes suscité un trafic considérable sur le Web et le mobile, mais n’a pas eu d’impact sur les ventes du quotidien. “Pas de revenu direct, donc”, s’est désolé en juillet dernier Alan Rusbridger, ajoutant que, pourtant, “nous devons gagner de l’argent”.
Le Guardian cherche en fait à retaper sa façade pour séduire des actionnaires potentiels et éviter de couper dans sa rédaction, composée de 600 journalistes. Le message est clair: la rédaction sait produire des coups éditoriaux or “du bon journalisme = un bon business”, sourit Alan Rusbridger.
Vous auriez pu rater aussi:
Bonne rentrée à tous! Si vous avez aimé ce “rattrapage”, merci de le partager sur les réseaux sociaux.
Alice Antheaume
lire le billet
Après le plantage de quelques médias américains, New York Times compris, au moment de donner le nom de l’auteur de la tuerie de Newtown – le nom de Ryan Lanza est d’abord apparu avant que la correction soit faite pour attribuer le meurtre à son frère Adam Lanza, les techniques de fact-checking ont été très débattues à South by South West 2013, le festival des nouvelles technologies qui se tient chaque année à Austin, aux Etats-Unis. Journalisme de niche, le fact-checking politique est devenu une vraie spécialité, estime Bill Adair, le fondateur de Politifact, un projet lancé en 2007, récompensé par un prix Pulitzer, qui veut disséquer les propos des responsables politiques du pays afin d’en distinguer le vrai du faux.
>> Lire aussi: à SXSW2013, leçon pour informer sur une tablette >>
Comment ça marche dans les cuisines de Politifact? Comme dans un fast-food, détaille Bill Adair lors d’une table ronde intitulée “Fast food and fact checking”, avec des procédures éditoriales pour garantir la “fraîcheur” du produit, des “mesures de sécurité”, et une “recette secrète” pour composer les contenus.
1. Le sujet de la déclaration qu’on s’apprête à vérifier peut-il intéresser quelqu’un?
Il faut une audience pour tout contenu.
2. La déclaration de tel ou tel homme politique est-elle vérifiable et mérite-t-elle de l’être?
Selon Bill Adair, “si on est sûr que c’est vrai, et que cela n’apporte rien que de procéder à un fact-checking, on laisse tomber”.
3. Est-elle vérifiable dans un temps “raisonnable”?
“On ne passe pas plusieurs semaines sur une phrase”, tranche Bill Adair.
4. La déclaration est-elle un jugement de valeur?
Si oui, passez votre chemin, car “les opinions ne se vérifient pas”, reprend le patron de Politifact.
Chaque contenu sur Politifact est composé de plusieurs ingrédients, comme les couches qui forment un hamburger.
* Le pain –> le titre.
* La moutarde –> le descriptif de la situation au cours de laquelle le responsable politique a prétendu telle ou telle chose.
* La salade –> la déclaration qui va être passée au crible.
Celle-ci est citée in extenso et est complétée par le “plus de contexte possible”, souligne Bill Adair.
* La tranche de tomate –> la transition.
Elle permet de passer de la déclaration aux paragraphes suivants, qui concernent les faits.
* Le steack –> l’exposé des faits et l’analyse qu’en tire le journaliste.
* Les grains de sésame sur le pain –> la conclusion.
Elle tient en deux lignes et indique au lecteur si la déclaration politique examinée est vraie ou fausse.
Pour Bill Adair, il importe aussi que chaque contenu soit correctement tagué: “il faut assigner à chaque fact-checking le nom d’un homme politique (celui qui a fait la déclaration), d’une campagne électorale (le contexte), d’un sujet (ce sur quoi porte la déclaration), d’un reporter (l’auteur du fact-checking) et un vote (son nombre de likes et de retweets)”, développe-t-il, pas peu fier d’avoir pensé à cette structure, car au moment de lancer l’application mobile de Politifact, le “rangement” était d’autant plus simple à mettre en place avec des catégories déjà installées.
Alice Antheaume
lire le billetA l’occasion du World Mobile Congress 2013, le grand raout mondial sur le mobile qui se tient chaque année à Barcelone, les instituts multiplient les états des lieux sur le mobile, ses usages, et ses utilisateurs. On a épluché deux rapports, celui de Comscore intitulé “Mobile Future in Focus 2013“, et celui de Nielsen, “The Mobile Consumer, a global snapshot”. Que faut-il en retenir?
>> A lire aussi: Petit mobile deviendra grand >>
125 millions d’Américains (sur 310 millions) et les deux tiers de la population chinoise sont maintenant équipés de smartphones, c’est-à-dire de téléphones reliés à Internet. En France, le smartphone atteint 55% de pénétration en France. A noter, plus de la moitié des Russes (51%) possèdent deux mobiles ou plus, remarque Nielsen. A ce stade, six ans après le lancement du premier iPhone en 2007, le marché du smartphone a connu une courbe de progression extraordinaire. Reste en dehors de ce marché un groupe que ComScore nomme “la majorité tardive”, encore non convertie au smartphone, généralement peu portée sur les nouvelles technologies et plus soucieuse des tarifs que la moyenne.
Alors que les téléphones d’aujourd’hui ont des écrans de plus en plus grands (32 cm en diagonale comme le Galaxie Note 8.0), les tablettes, comme l’iPad mini, rapetissent. Un néologisme anglo-saxon a même vu le jour: “phablet”, contraction entre phone (téléphone) et tablet (tablette), le “joujou des indécis”, titre Libération. “Les définitions de ce qui constitue un smartphone, une tablette ou d’autres outils mobiles vont continuer à s’effacer”, analyse le rapport de Comscore, “chaque nouvel appareil aura ses propres spécifications techniques et des dimensions qui lui sont propres”.
1/3 du temps passé en ligne ne se fait plus depuis l’ordinateur, autant dire que la connexion depuis les supports mobiles n’est plus un “accident de parcours”. Les médias, eux aussi, se préparent à voir leurs lecteurs se connecter davantage depuis un mobile que de leur ordinateur. Le téléphone s’utilise surtout dans deux configurations: en mouvement, entre deux rendez-vous, dans les transports, et aussi dans des moments plus calmes, de repos ou de détente. La tablette, elle, est privilégiée le soir, dans le canapé familial, et au moment du coucher.
Nouvelle tendance 2013, le “showrooming”. Ce mot désigne l’action de se rendre dans un magasin repérer un produit, voire l’essayer quand il s’agit par exemple d’un habit, avant de procéder à son achat via son smartphone, en ligne donc, à un tarif plus avantageux que celui observé dans le magasin. A noter, les Sud Coréens, habitants de la patrie de la marque Samsung, sont les plus actifs pour faire du shopping en ligne et utiliser des services bancaires depuis leur téléphone, détaille Nielsen.
Au travail, pour tenir ces appareils mobiles, le corps humain se plie dans tous les sens. Et au final, il y a neuf nouvelles positions au travail, listées dans une étude commandée par l’entreprise de mobilier de bureau Steelcase.
L’échange de SMS reste l’activité préférée des utilisateurs de smartphones, et ce, quelque soit le pays observé. Selon Nielsen, aux Etats-Unis, chaque mois, les utilisateurs envoient et reçoivent 764.2 SMS, passent et reçoivent en moyenne 164,5 appels et parlent dans le combiné pendant 644.1 minutes (plus de 10 heures). Après les SMS, la prise de photos est la deuxième activité la plus répandue, suivie de la consultation de ses emails et de la météo. Voilà pour les smartphones. Côté tablettes, c’est la recherche d’informations sur le Web qui constitue le premier réflexe, avant la consultation des emails, des réseaux sociaux et la pratique de jeux.
Au royaume des applications mobiles, l’application Facebook est reine avec, sur 1 milliard d’inscrits, 600 millions qui s’y connectent depuis mobile. Elle est présente sur 3 smartphones sur 4, rappelle l’étude de Comscore. En général, les utilisateurs préfèrent utiliser les applications, optimisées pour petit écran, sur lesquelles ils passent les 4/5 de leur temps de connexion, plutôt que de surfer directement sur l’Internet depuis un navigateur avec leur téléphone. Sur mobile, les applications de jeux et de réseaux sociaux sont parmi les plus populaires dans la moitié des pays du monde observés par Nielsen.
Regarder des vidéos depuis un mobile pourrait avoir de l’influence sur le temps passé devant la télévision, analyse Nielsen, du moins en Chine. Les Chinois sont les plus friands de consommation de vidéos depuis mobile puisque 17% d’entre eux en regardent au moins trois par jour par ce biais. Conséquence inédite ou simple coïncidence, les propriétaires de smartphones chinois déclarent regarder davantage la télévision traditionnelle grâce à leur mobile. Un effet de la “Social TV”?
Alice Antheaume
A cinq semaines de l’élection présidentielle américaine, c’était l’heure du premier des trois débats télévisés entre Mitt Romney, candidat républicain, et Barack Obama, candidat démocrate. Comment couvrir l’événement? Comment le raconter autrement que ses concurrents? Comment faire participer l’audience alors que la moitié des Américains utilisent désormais les réseaux sociaux? Panorama des innovations éditoriales mises en place à cette occasion.
Le live, c’est bien. Le «live-GIF», c’est mieux. Le Guardian et Tumblr ont ainsi décidé de s’associer pour produire, minute par minute, des GIFS animés tout au long des 90 minutes de débat. Gaffes, silences gênés, regards en coin, sourires email diamant… Chaque instant est ainsi mis en GIF et publié en temps réel sur GifWich et intégré au live du Guardian, qui maîtrise ce format à la perfection.
Aux platines, rien de moins que quatre créateurs de GIFS déjà zélés sur Tumblr, et un journaliste du Guardian, Adam Gabbat, pour contextualiser ces GIFS avec les informations de la soirée.
«Nous prenons très au sérieux le potentiel journalistique du GIF», résume Chris Mohney, le directeur éditorial de Tumblr, interrogé par le site journalism.co.uk. Il considère le «live-GIF» comme un nouveau moyen de décomposer l’action et le discours des politiques, et ce, en temps réel.
Autre nouveauté repérée dans le live du Guardian: la possibilité de créer des phrases chocs à partir des mots utilisés par les deux hommes politiques – rien que leurs mots.
Cela s’appelle Spin it! et se présente sous la forme suivante: en bas, une citation-clé de Barack Obama ou de Mitt Romney qui sert de «réserve» de mots et, au dessus, un espace vide dans lequel on peut juxtaposer des termes comme si on alignait des aimants sur un frigo virtuel.
«Pendant que vous regardez les débats entre Mitt Romney et Barack Obama, utilisez leurs propres termes pour construire quelque chose de complètement nouveau – ou juste une phrase plus succincte», peut-on lire dans les consignes de jeu.
Comme le GIF animé, la vidéo bénéficie d’un très fort taux de partage sur les réseaux sociaux. Ce que CNN a bien compris. Non content d’avoir lancé iReport en 2006 pour que les internautes alertent sur ce qu’il se passe près de chez eux, la chaîne américaine souhaite maintenant que ses spectateurs deviennent des «éditeurs de CNN» et «créent leurs propres vidéos virales» sur le débat.
«Bienvenue dans la télévision du futur », annonce la présentatrice, Brianna Keilar, qui renvoie sur le direct du débat, diffusé sur leur site, et le nouvel outil qui l’accompagne, une technologie appelée «clip and share». Objectif: que les spectateurs sélectionnent leur moment préféré, le coupent dans un logiciel de montage ultra simplifié et mettent ensuite en ligne leur vidéo ainsi découpée sur les réseaux sociaux.
Regarder la télévision, faire pause, retourner en arrière ou avancer, voir en même temps le flux de tweets, les photos sur Instagram, lire les articles des autres sites d’informations… Comment tout faire à la fois au moment des débats présidentiels? Le Washington Post a installé, depuis les conventions démocrates et républicaines, un format intitulé “The Grid”, qui permet de voir, sur une grille donc, sur toutes les plates-formes et «dans tous les temps» du débat, de l’instantané à l’analyse. Et, lors du débat qui s’est tenu à Denver, dans le Colorado, le résultat était plutôt bluffant, d’autant qu’on peut choisir si l’on souhaite ne voir que les vidéos, que les photos, que les articles, ou que les tweets, etc.
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Alice Antheaume
lire le billetComment, en 2012, s’informe-t-on? C’est sur cette question que s’est penché le Reuters Institute Study of Journalism, en analysant la façon dont les Américains, les Anglais, les Allemands, les Danois et les Français sont en contact avec l’actualité.
Cette étude (en PDF), publiée le 9 juillet 2012, montre que Facebook joue désormais un rôle clé dans le partage d’informations, supplantant les emails et Twitter, que les plus jeunes (16-24 ans) s’informent sur les réseaux sociaux plutôt qu’en cherchant dans des moteurs de recherche et que les smartphones sont de plus en plus utilisés pour accéder à l’actualité – 28% des Anglais et des Américains et 32% des Danois disent utiliser leur mobile chaque semaine pour ce faire. La France s’y révèle très active: elle est en effet prolixe en matière de participation aux sondages en ligne et de production de commentaires, pas tant dans l’impasse que cela.
En reprenant les questions posées par cette enquête, voici le portrait, en creux, des consommateurs d’informations français.
Les Français répondent en majorité la télévision et le Web, comme les Danois, quand les Allemands restent attachés aux journaux imprimés – qu’ils regardent à 68% au moins une fois par semaine, et les Américains et les Anglais privilégient le Web.
Et si l’on regarde de plus près les sources d’informations uniquement en ligne, les Français se connectent avant tout sur les sites des journaux, les Anglais sur les sites des chaînes de télévision, et les Américains sur d’autres sources d’informations en ligne, comme les pure-players et les portails d’informations tels Yahoo! et Google News, ainsi que sur les blogs et les réseaux sociaux.
Les Français préfèrent les sujets de politique intérieure, juste devant la politique tout court ; la politique intérieure remporte aussi les suffrages aux Etats-Unis, suivie des informations locales ; quant aux Allemands, ils sont davantage portés vers les informations internationales régionales.
La catégorie d’informations qui marche le moins bien, à contrario? Les informations économiques et financières pour la France, tandis qu’en Angleterre et aux Etats-Unis, ce sont les arts et la culture qui font chou blanc – alors que ce type d’actualités est prisé en France.
En France, et dans tous les autres pays analysés dans cette étude, c’est l’ordinateur qui domine, et de très loin, suivi du mobile et de la tablette, dans de plus faibles proportions. Le Danemark est le pays où le mobile fait la percée la plus forte, derrière l’ordinateur néanmoins.
Là encore, le Danemark a une longueur d’avance, ses habitants étant les plus nombreux à être passés à l’acte de paiement en ligne pour de l’info. De l’autre côté de l’échelle, les Anglais sont les plus réticents à cette idée – seuls 4% d’entre eux disent l’avoir déjà fait, quand les Français et les Américains le font un peu, mais dans de faibles proportions.
Discussion par messagerie instantanée sur l’actualité, partage d’informations sur les réseaux sociaux, publications de commentaires sous un article, etc.: les Américains sont une majorité à participer à la production et au partage d’informations en ligne. Et, surprise, la France est le “pays européen le plus engagé” sur ce créneau, devant l’Allemagne, l’Angleterre et le Danemark.
40% des Français sondés déclarent participer à un sondage en ligne chaque semaine et 21% commentent des informations sur les réseaux sociaux. “L’élection présidentielle française était en cours lorsque notre étude a été menée”, précise le Reuters Institute, “ce qui peut expliquer ces chiffres légèrement plus élevés” en France.
Conclusion? La rapide mutation du papier vers le numérique telle que l’ont connue les Etats-Unis ne trouve pas vraiment “sa réplique dans les pays européens”, constate l’étude du Reuters Institute, qui veut pour preuve l’exemple de l’Allemagne, très attachée au papier et dont “les habitudes de lecture montrent une faible utilisation d’Internet”.
Alice Antheaume
lire le billetLe futur du journalisme passera par les mastodontes de la technologie. C’est l’une des conclusions que tire le rapport annuel du Pew Project for Excellence in Journalism, The State of the News Media 2012.
Session de rattrapage pour ceux qui n’auraient pas encore eu le temps de parcourir cet état des lieux sur les médias aux Etats-Unis.
1. Relations unilatérales entre éditeurs et entreprises de nouvelles technologies
Ceux qui mènent la danse s’appellent Amazon, Apple, Facebook et Google. Les rédactions, elles, cavalent derrière pour suivre le rythme.
Pour attirer de l’audience et pour diffuser des contenus, les médias (se) sont soumis aux règles des géants de la technologie. Une dépendance déjà annoncée dans le rapport de l’année dernière.
En 2012, la tendance se confirme. Certes, le Financial Times et le Boston Globe ont créé des applications en HTML 5 pour pouvoir les changer à leur guise sans devoir soumettre les mises à jour à la validation d’Apple. Mais ce type d’émancipation reste limité, estiment les auteurs du rapport, Amy Mitchell et Tom Rosenstiel.
Alors que Apple, Google, Amazon et Facebook tentent d’accompagner chaque seconde de nos vies numériques (terminaux, moteurs de recherche, navigateurs, réseaux sociaux, messageries, plates-formes de jeu et de commerce en ligne), vont-ils finir par s’offrir des médias? Possible, mais à condition qu’ils y “trouvent un intérêt”, reprennent les auteurs. Et qu’ils considèrent que ces médias puissent constituer l’un des ingrédients du “tout numérique” qu’ils entendent proposer aux utilisateurs…
2. La montée du mobile et une lecture plus “immersive”
“Plus de 4 adultes américains sur 10 possèdent aujourd’hui un smartphone, et 1 sur 5 une tablette. Les nouvelles voitures que l’on fabrique intègrent de l’Internet à bord.” En tout, plus d’un quart de la population américaine, soit 27%, s’informe maintenant via mobile.
Et c’est une bonne nouvelle pour les médias. Car la consommation d’informations en mobilité s’ajoute à celle via des supports plus “traditionnels”. “8 Américains sur 10 consomment des informations depuis leur mobile et s’informent aussi sur leurs ordinateurs”, en se tournant davantage vers des marques de presse historiques et en témoignant d’une immersion plus intense, précise le rapport.
Conséquence: l’émergence de nouveaux usages avec une lecture de l’information qui permet de faire une pause, de lire en différé, de surligner des idées importantes sur l’actualité. D’où la demande pour de longs formats journalistiques, ce que les intervenants du festival South by South West, à Austin, avaient aussi martelé.
Enfin – et c’est un phénomène nouveau – la montée du mobile a fait venir au numérique – et au journalisme numérique – une catégorie de la population américaine, plutôt rurale, qui avait raté l’étape de l’ordinateur.
3. L’impact relatif des réseaux sociaux sur la consommation d’infos
La population américaine, de plus en plus présente sur les réseaux sociaux (133 millions d’Américains sont inscrits sur Facebook, 25 millions sur Twitter), y passe en moyenne 7 heures par mois. Pourtant, cela n’a pas (“encore”, tempère le rapport) l’effet escompté sur l’apport d’audience pour les médias.
En effet, moins de 10% de internautes lisent “très souvent” des informations repérées grâce à la recommandation sociale de leur communauté sur Facebook ou Twitter, quand 36% vont “très souvent” consulter les actualités directement sur une application ou un site Web, 32% passent par une recherche avant de tomber sur une information et 29% se tournent vers des agrégateurs de contenus.
Pour Amy Mitchell et Tom Rosenstiel, ce n’est qu’une question de temps, les réseaux sociaux étant appelés à générer de plus en plus de trafic sur les éditeurs de contenus.
4. Le “modèle” de l’abonnement en ligne
Et si, d’ici 5 ans, les journaux n’imprimaient plus qu’un ou deux exemplaires par semaine, l’un porté à domicile le dimanche, et le deuxième un autre jour de la semaine, plutôt propice aux revenus publicitaires sur l’imprimé? Ce scénario n’est pas si fictif, écrit ce rapport, au vu de la crise continuelle subie par les journaux imprimés.
Engluées dans la crise de la presse imprimée, un très grand nombre de publications pourraient ainsi se tourner vers le modèle par abonnement en ligne, sans doute influencées par le système payant du New York Times qui a récolté quelques 390.000 abonnés.
“Les journaux ont perdu tellement de leurs revenus publicitaires – plus de la moitié de leurs revenus depuis 2006, que, sans perfusion de revenus par abonnement en ligne, certains ne pourront pas survivre.”
5. Le retour de la télévision?
Même si la plus forte croissance se fait avant tout sur les sites d’informations, l’audience sur les chaînes de télévision qui font de l’information aurait augmenté de 4.5% en un an. Une “première depuis 10 ans” aux Etats-Unis, salue le rapport. Inattendue, cette percée profite à CNN, MSNBC, au détriment de Fox News, qui décline.
Difficile de savoir à quoi cette croissance est vraiment due. Est-ce la résultante de la Social TV, qui peut pousser à regarder des programmes télévisuels très commentés sur les réseaux sociaux? Ou le fait d’une riche actualité, faite des révolutions arabes notamment? Selon le rapport, “cette croissance peut être de courte durée et fonction d’actualités très visuelles plutôt qu’à un vrai changement d’habitudes”.
AA
lire le billetSi les articles des journalistes se sont ouverts aux commentaires, il y a des années, c’était pour que des réactions pertinentes de l’audience nourrissent la matière journalistique. Pure rhétorique, dénonce Nick Denton, le directeur de publication de Gawker, invité à tenir à tenir une conférence, «l’échec des commentaires», au festival South by South West (SXSW), à Austin.
«Les trolls et les spammeurs ne sont pas le problème, on peut les gérer avec force brutalité», annonce l’introduction. «La vraie tragédie, c’est le triomphe de la médiocrité».
Capter l’intelligence des foules? Raté!
«A la fin des années 90, on pensait que l’on pourrait capturer l’intelligence de l’audience. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé», commence Nick Denton. Quant au ratio commentaires utile/inutile, il s’avère désolant. «Si deux commentaires pertinents émergent, c’est qu’il y en a huit hors sujets ou toxiques», comptabilise le patron de Gawker.
Mary O’Hara, journaliste au Guardian, se dit elle aussi déçue par le niveau des commentaires. Lors d’une autre conférence de South by South West, elle a fustigé les préjugés qu’ont ceux qui commentent ses articles. «Mon nom de famille rappelle celui de vieilles familles catholiques irlandaises. Sans même avoir lu mes papiers, des lecteurs prétendent que mon travail est biaisé, juste parce qu’ils ont des croyances sur mon patronyme.»
Et cela n’arrive pas que dans la partie dédiée aux commentaires des sites de contenus. Sur Facebook aussi, et Twitter également.
>> Lire aussi ce WIP, écrit en 2010, sur les communautés des sites d’infos qui ont migré sur les réseaux sociaux >>
Inhibition face à l’innovation
L’heure serait donc grave. Pour Nick Denton, les journalistes, anticipant les railleries qu’ils pourraient provoquer, en viendraient à «avoir peur d’écrire certains articles». Bref, la crainte de recueillir des commentaires négatifs provoquerait même, dans les rédactions, de «l’inhibition», les journalistes se censurant pour éviter les tacles. Telle serait la véritable tragédie des commentaires.
Impossible, pour autant, de laisser en rade ceux qui ont pris l’habitude de commenter, souvent plus dans l’optique de passer le temps que pour vraiment débattre.
Surtout qu’ils sont nombreux. Entre 1.100 et 1.300 commentaires quotidiens sont écrits en moyenne sur lemonde.fr; 15.000 pour Le Figaro, sans compter les réactions sur les réseaux sociaux. 250 millions de messages sont désormais postés chaque jour sur Twitter.
Parmi ces millions de messages, une partie (non quantifiée) réagit à des contenus produits par des journalistes, et une partie (plus rare) peut même servir d’alerte sur l’actualité, comme l’a prouvé Sohaib Atha, également présent à South by South West, ce Pakistanais qui a, le premier, entendu un hélicoptère tourner, lors du raid ayant provoqué la mort de Ben Laden, il y a un an, et l’a tweeté.
Explosion de commentaires
«Un commentaire est posté toutes les 6 secondes sur notre site», m’explique Thomas Doduik, directeur des opérations au Figaro. «Bien entendu avec de tels volumes, tout n’est pas du même niveau. Mais je n’imagine pas un site d’infos qui ne donnerait pas la parole à son audience. Cela fait partie intégrante de l’expérience de consommation de l’information, qui depuis plusieurs années, n’est plus du haut vers le bas mais se construit avec cette audience».
Le problème, c’est que, plus l’audience des sites augmente, plus il devient difficile d’organiser les discussions autour des contenus, de façon à ce que le «meilleur» arrive en haut du panier, sans que cela ne prenne un temps démesuré.
Le nouveau système de Gawker
Gawker, après avoir tenté de taguer ses commentaires (cf ce précédent WIP), va donc lancer un nouveau système de gestion de commentaires dans six semaines.
Comment cela va-t-il fonctionner? Le premier lecteur qui commente un contenu détiendra la responsabilité du fil de discussion qui s’en suivra. Et aura le droit de modérer les autres, d’inviter des experts à participer, et de maintenir la discussion autour d’une seule idée – ce que Denton appelle le «commentaire fractionné». De quoi augmenter le nombre de pages vues. Car cela veut dire plusieurs fils de discussions sous un même article, donc plusieurs modérateurs, et des URL dédiées.
«L’idée principale de ce nouveau système, c’est de sentir propriétaire de la discussion», car, résume Denton, «sans la contrainte de la responsabilité», cela part dans tous les sens.
Le rêve de Denton derrière cette refonte? Que des personnalités citées dans les articles de Gawker, comme Dov Charney, le fondateur d’American Apparel, viennent eux-mêmes se défendre dans les commentaires. Il réfléchirait également à la possibilité d’avoir des «commentateurs invités», comme il y a des blogueurs invités ailleurs.
Leçons du passé
Au final, Nick Denton semble tirer deux leçons des systèmes de commentaires existants:
La médiocrité des commentaires, juste retour de bâton?
Et si la médiocrité des commentaires était le fruit du ton quelque peu cavalier employé par Gawker?, demande l’un des participants. Réponse de l’intéressé: «C’est vrai que de gentils sites tenus par de gentilles personnes encouragent un bon comportement. Mais ce n’est pas comme si l’auteur d’un article donnait le ton à tous les commentaires. Parfois, ce sont les commentaires qui donnent le ton à l’auteur.»
Trop facile? Evidemment que «les lecteurs ne rédigent pas de dissertations bien argumentées dans la section commentaires», écrit Dave Thier, qui collabore à Forbes. Pour ce dernier, gérer les commentaires sur des sites populaires est une tâche «difficile, mais pas impossible».
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Alice Antheaume
lire le billetAvant l’arrivée du nouveau Facebook, la question était déjà sur toutes les lèvres des éditeurs: quels sont les critères d’un contenu facebookable?
A voir la liste des 40 articles les plus partagés au cours de l’année 2011 aux Etats-Unis, liste publiée sur le compte Facebook and Media, Yahoo! est le mieux placé en termes de taux de partage de ses contenus sur le réseau social, avec 11 articles parmi les 40 les plus partagés sur l’ensemble de l’année, suivi de CNN (10 articles sur 40) puis, ex-aequo, le New York Times et le Huffington Post avec 7 articles.
“La gamme des histoires va du mignon au cérébral et représente le type d’informations que les gens ont partagé et découvert entre amis en 2011”, écrivent les équipes de Facebook.
Voici le podium:
1. Photos par satellite du Japon, avant et après le passage du tremblement de terre et le tsunami (New York Times)
2. Ce que les profs voudraient vraiment dire aux parents d’élèves (CNN)
3. Non, votre signe astrologique n’a pas changé (CNN)
AA
lire le billetLe coût pour la France du sauvetage de la Grèce? 40 milliards d’euros, avance Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste, lors du débat avec ses camarades. Au même moment, sur le «direct» de la soirée opéré par lemonde.fr, on peut lire que «c’est faux, cela sera 15 milliards en fait», avec, en guise de preuve, un lien vers un article qui indique le prix à payer, selon François Fillon, par la France pour la Grèce, jusqu’en 2014.
A l’orée de la campagne présidentielle 2012, les rédactions françaises se mettent en ordre de bataille pour faire du «fact checking» en quasi temps réel, cette technique journalistique anglo-saxonne qui permet de jauger la crédibilité de la parole politique. L’un des modèles du genre, c’est le site américain Politifact.com, qui a mis en place un outil appelé «truth-o-meter» (le véritomètre), et qui a été récompensé dès 2009 par le prix Pulitzer, le graal journalistique.
Il s’agit donc de peser et soupeser le vrai du faux émanant de promesses et de chiffres énoncés par les politiques, lorsqu’ils sont interviewés sur un plateau télé, à la radio, ou lorsqu’ils détaillent leur programme pendant des meetings. A ce titre, le débat de jeudi dernier, avec les six candidats en lice pour la primaire socialiste, a servi de galop d’essai pour faire de la «vérification» de parole politique en direct, avant une utilisation journalistique sans doute plus étendue lors de la campagne présidentielle 2012.
Vérifier… tout de suite
La difficulté, c’est le temps réel. «Il ne faut pas se leurrer», me confie Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, où le blog Les Décodeurs fait office de pionnier. «Un fact checking réalisé en 24h sera toujours plus approfondi que celui que l’on peut faire ne serait-ce qu’en 2 heures». Bastien Hugues, journaliste Web, est du même avis. «Une bonne vérification peut prendre du temps, c’est une autre temporalité» que le moment du «live», qui se déroule dans l’instantanéité.
L’enjeu, c’est donc, à terme, de pouvoir superposer le temps du «live» avec celui du «fact checking». C’est parfois possible, comme la semaine dernière, alors que Valérie Pécresse, ministre du Budget, assène, au Grand Journal de Canal+, que les Français semblent fumer de moins en moins. La réponse tombe aussitôt: «Les ventes (de tabac, ndlr) ont augmenté de 2,6% en 2009 et sont restées stables en 2010», écrit Bastien Hugues sur Twitter. Conclusion: d’après ces chiffres, difficile de présumer que les Français fument de moins en moins.
Si cette vérification n’a demandé à Bastien Hugues que «5 minutes et une bonne recherche sur Google» afin de trouver les chiffres de la consommation de tabac en France, «ce n’est pas toujours possible d’aller si vite, il y a des secteurs plus durs à vérifier que d’autres», reprend le journaliste. Par exemple les chiffres concernant des collectivités territoriales, comme le versement du RSA dans une commune, ou le nombre d’élèves véhiculés par le transport scolaire dans un département. «Si l’un des candidats à la primaire socialiste lance un tel sujet vers 22h, nous aurions du mal à vérifier dans l’immédiat, car à cette heure tardive, inutile d’appeler dans les bureaux de l’administration, c’est fermé, personne ne répond pour nous dire d’où sort telle ou telle donnée.»
Et pourtant, les journalistes le savent: réussir à vérifier en quasi temps réel les arguments des politiques, c’est un vrai plus. Et cela le sera encore plus avec la télé connectée – imaginez, vous regardez l’interview de Dominique Strauss-Kahn, sur TF1, dimanche soir, et en même temps, sur le coin de votre écran, vous lisez un flux d’infos postées par des journalistes permettant de savoir si les propos que vous venez d’entendre sont loufoques ou fiables. Ou si l’absence d’alliance à l’annulaire de l’ex-patron du FMI est récente – quelques heures plus tard, Fabrice Pelosi, de Yahoo!, a exhumé une photo d’archive, montrant DSK sans alliance, alors qu’il travaillait encore au FMI.
Pour l’instant, peu de rédactions françaises se sont vraiment lancées dans l’exercice de la vérification en temps réel. Libération a bien une rubrique «Désintox» dans son quotidien papier, récemment mise en ligne via un blog qui se veut un «observatoire des mensonges et des mots du politique», mais le décryptage n’est pas effectué en temps réel.
Organisation ad hoc
C’est vrai que cela demande des ressources humaines conséquentes. «Au moins 4 ou 5 personnes», estime Bastien Hugues. Car, dans le détail, il faut plusieurs postes: celui qui gère le format du «live», celui qui regarde les tendances sur Twitter et les questions des internautes, celui qui s’occupe de «fact checker» les promesses politiques, et enfin, celui qui, à l’issue du «live», fera un papier de synthèse pour récapituler l’essentiel du débat. Sans compter, ajoute Bastien Hugues, deux autres journalistes qui, sur un site d’infos généralistes, doivent s’occuper du reste de l’actualité.
Le dispositif en vaut-il la chandelle? De l’autre côté de l’Atlantique, la question ne se pose plus, surtout en période électorale, où la désinformation augmente, note Fabrice Florin, le directeur d’un nouveau site américain appelé Newstrust, qui veut distinguer «les faits de la fiction, sur le Net». Pour ce faire, Newstrust fait appel aux internautes pour qu’ils proposent des citations à passer au crible.
Et, en théorie, la participation de l’audience n’est pas anecdotique dans l’exercice du «fact checking». Sur Les Décodeurs, du Monde.fr, il est demandé aux internautes d’envoyer leurs «interrogations sur les propos tenus dans les médias» et de collaborer à l’exercice. Efficace? Pour poser les bonnes questions, oui. Pour apporter des réponses, moins, mis à part quelques spécialistes qui, dans les commentaires, par email ou sur les réseaux sociaux, peuvent indiquer des liens vers des éléments pertinents (lire ou relire à ce propos ce WIP consacré à la vérification d’infos venues du Web).
Selon Thomas Legrand, éditorialiste à France Inter, cela participe d’un nouvel ordre politique: «Internet et le numérique obligent les hommes et les femmes politiques à davantage de constance en imposant une impitoyable “tyrannie de la cohérence”». Même impression de la part de Samuel Laurent: «Depuis deux ans, on trouve moins de déclarations comprenant des chiffres complètement fantaisistes ou inexistants dans le discours des politiques. Je pense qu’à force de se faire prendre, ils se sont dits qu’ils allaient arrêter ce type de communication». Un optimisme que ne partage pas Bastien Hugues: «Non, aujourd’hui, rien n’a changé», l’utilisation du «fact checking» étant encore trop marginale dans les rédactions françaises.
Utilisation politique
C’est une autre histoire aux Etats-Unis, où non seulement la vérification de la parole politique fait partie de la culture journalistique, mais elle devient une arme politique. En effet, l’équipe de campagne de Barack Obama vient de lancer Attackwatch.com qui répertorie les attaques contre le président des Etats Unis, candidat à sa succession, et les démonte une par une en y apportant sa propre expertise – avec un biais politique évident.
En France, le PS et l’UMP s’y mettent aussi, en contrecarrant chaque argument donné par le camp opposé avec une nouvelle donnée, dont la source se doit d’être «indépendante» et expertisée. Résultat, pour les journalistes, cela complique la donne. Car il leur faut se préparer, en vue des campagnes présidentielles américaine et française, à la fois à vérifier les arguments des politiques au moment où ils les prononcent, mais aussi à vérifier la… vérification qu’en fera, de son côté, le camp politique adverse.
Alice Antheaume
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