Journalisme et réseaux sociaux: 8 tendances venues des Etats-Unis

Deux semaines en «mission» aux Etats-Unis, une quinzaine de visites dans des rédactions dont le Washington Post, NPR, Fox News, CNN, Politico, Bay Citizen, et des rendez-vous auprès des entreprises de nouvelles technologies, dont Google et Twitter. Quel bilan? Quelles tendances relever? Quels sujets préoccupent les journalistes américains? Quels sont les nouveaux usages qui émergent? Résumé.

  • Le rôle de «social media editor», c’est fini?

En décembre dernier, le New York Times a supprimé ce poste créé un an et demi plus tôt, occupé par Jennifer Preston, qui est désormais retournée au pôle reportages. Pour Preston, interrogée par le site Poynter, la création d’un poste de «social media editor» est une étape dans la vie d’une rédaction, mais une étape temporaire. «Les réseaux sociaux ne peuvent pas appartenir à une seule personne. Cela doit faire partie du travail de tous les journalistes et faire partie du processus éditorial et de la production existante.»

Cindy Boren, social media editor dédiée aux sports pour le Washington Post, sait bien que cette phase n’est pas éternelle. «La suppression du poste de social media editor au New York Times signifie qu’il faut que tous les journalistes se mettent aux réseaux sociaux, pas seulement les “social media editors”. Car les réseaux sociaux, c’est de l’actu pour tous les reporters.» Et elle le prouve: «L’histoire des 400 spectateurs du Super Bowl qui n’ont pas eu de places assises a commencé sur Twitter. Et c’est devenu une polémique énorme, que l’on a racontée et qui a fait partie de nos “top stories”».

Crédit: AA

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  • N’écris pas sur Twitter ce que tu ne dirais pas à l’antenne

Il y a un an, les rédactions anglo-saxonnes complétaient voire rééditaient leur charte déontologique pour statuer sur la posture journalistique à tenir sur les réseaux sociaux. Le New York Times interdit alors aux rédacteurs du pôle «news» d’écrire des messages trop «éditorialisants» sur les réseaux sociaux, afin de ne pas empiéter sur le territoire du pôle «opinions». Reuters préconise que ses journalistes se créent deux comptes distincts sur Twitter. L’un à usage professionnel, «pour agréger de l’information et construire un réseau», l’autre à usage personnel, où les journalistes doivent indiquer qu’ils travaillent à Reuters, mais que leurs messages ne reflètent pas l’avis de leur employeur et où ils n’écrivent rien qui puisse être dommageable à leur employeur.

Désormais, l’unanimité est de mise dans toutes les rédactions américaines, qui appellent leurs journalistes au bon sens. Et répètent cette maxime: «Ne dites par sur les réseaux sociaux ce que vous ne diriez pas à l’antenne/à l’écrit.» Même chez Twitter, qui ne fait pourtant pas partie des éditeurs, on réfléchit avant de tweeter. En témoigne un tableau, accroché dans le hall du réseau social, situé à San Francisco, qui martèle «google before you tweet, think before you speak» (faites une recherche sur Google avant de tweeter, réfléchissez avant de parler).

Crédit: DR

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  • Facebook le mal aimé des journalistes

Dites Twitter et tous les journalistes s’enthousiasment. Dites Facebook et les mêmes regardent leurs chaussures. Pourquoi? Parce qu’ils négligent le second au profit du premier. «Il faut que je m’y remette», confient-ils le plus souvent. D’autant qu’ils voient bien qu’il y a beaucoup plus d’interactions possibles avec le grand public sur Facebook que sur Twitter. En effet, selon une récente étude d’eMarketer, un internaute américain sur deux est sur Facebook, soit 132,5 millions de personnes (42% de la population américaine), contre 20 millions d’Américains sur Twitter (7% de la population des Etats-Unis).

Andy Carvin, responsable des réseaux sociaux pour NPR, remarqué pour sa couverture des révolutions arabes sur Twitter, a cette formule: «Nous, journalistes, ne sommes nous-mêmes que des visiteurs sur Facebook. Nous n’avons pas de règles très précises, les commentaires affluent, nous ne les modérons pas.»

  • Les réseaux sociaux, les nouveaux référenceurs d’audience

Le Nieman Lab, le laboratoire d’Harvard qui décrypte l’impact de la révolution numérique sur le journalisme, l’écrit: et si les réseaux sociaux devenaient le nouveau SEO (search engine optimization, en VF)? Comprendre: après que les moteurs de recherche comme Google ont été les plus gros fournisseurs de trafic des sites d’informations, les réseaux sociaux se font leur place en tant que pourvoyeurs d’audience. Sur Politico, les réseaux sociaux apportent entre 10 et 15% du trafic général du site chaque jour. Sur NPR.org, le site de la plus grosse radio des Etats-Unis, 7% de l’audience est fournie par Facebook. Des chiffres qui devraient croître encore – d’ici 2013, il pourrait y avoir 62% de la population américaine sur le réseau fondé par Mark Zuckerberg.

«Je pense que nous serons bientôt arrivés au point où les réseaux sociaux fourniront plus de trafic aux médias que le “search”», écrit Joshua Benton, le directeur du Nieman Lab. Et cela pourrait modifier la façon de produire des informations. «Les journalistes vont changer, de façon subtile, le type de contenus qu’ils réalisent afin d’encourager le partage de ceux-ci». Comment? En s’appuyant sans doute sur des éléments qui poussent les internautes à recommander sur Facebook des articles, ou à les poster sur Twitter. D’après les premières observations, les informations provocantes, émouvantes, et «positives» ont plus de chance de circuler sur les réseaux sociaux que des contenus jugés neutres.

  • Infos en ligne = infos au bureau

Si la consultation des statistiques en temps réel est souvent considérée comme une pratique taboue dans les rédactions américaines, en revanche, savoir quelles sont les heures pendant lesquelles les sites d’infos génèrent le plus de trafic s’avère très répandu. Et est considéré comme fondamental.

Aux Etats-Unis comme en France, le trafic d’un site d’infos est calqué sur une journée de travail. Enorme audience en début de matinée et lente érosion jusqu’à la chute de 18h, heure à laquelle nombreux sont ceux qui quittent leur travail. «Sur le site du Washington Post, notre “prime time”, c’est 7h-17h, reprend Cindy Boren. Sauf pour le sport, qui marche bien les soirs, le dimanche et le vendredi, pile quand l’audience du reste du site plonge.»

Ainsi, «le temps de travail devient aussi le temps de s’informer», explique Pablo Bockowski (1), chercheur à l’Université de Northwestern et auteur de News at Work, cité par le blog AFP Médiawatch. Pour lui, il y a un lien entre la consommation d’informations en ligne et utilisation des ordinateurs de bureau. Quant aux infos consultées via mobiles, elles seraient surtout consultées avant et après les journées de travail, c’est-à-dire plus tôt le matin et plus tard le soir.

Puisque la consommation d’infos en ligne culmine le matin, l’obsession des rédacteurs en chef, c’est de ne surtout pas prendre de retard pour couvrir l’actualité, car un démarrage en retard ne se rattrape pas, et «plombe» la journée entière. Bill Nichols, le directeur de la rédaction de Politico, le sait: «Si nous avons la main sur une information dès le matin, nous la garderons toute la journée», avec les développements successifs publiés à l’heure (et l’audience qui va avec).

  • Non aux contenus gratuits devenus payants

Faire payer des contenus produits par des journalistes, pourquoi pas? Dans les rédactions américaines, les journalistes n’y semblent a priori pas opposés. Sauf dans un cas: lorsque les contenus en question ont d’abord été en accès libre, avant de, «pour une raison ou une autre», devenir payants. «C’est ridicule de changer de stratégie en cours de route. Une fois que tu as relâché le génie de sa bouteille, tu ne peux plus l’enfermer à nouveau», résume l’éditeur Martin G. Reynolds, du groupe Bay Area News.

Sur le site de NPR, ses applications iPhone, iPad et Android, toute la production est en open source, outils, systèmes et contenus. «Tout le monde peut se servir de ce que l’on produit», insiste Andy Carvin, de NPR. La rédaction dit être fière de faire «l’exact opposé» de ce que font Rupert Murdoch et le New York Times, lesquels installent des murs payants.

  • L’alliance développeurs/journalistes

D’ordinaire, dans les rédactions traditionnelles, les équipes techniques et éditoriales vivent dans des mondes opposés, ne parlent pas le même langage, et ne sont parfois même pas dans les mêmes locaux. Ce qui ne facilite pas la communication et l’avancement des projets. Désormais, les nouvelles organisations ont compris qu’en ligne, il ne pouvait plus y avoir de barrière. Développeurs et journalistes doivent avancer de concert sur les projets, pour une alchimie innovante entre technologie et contenus.

Une formule que l’équipe de Bay Citizen, un site lancé l’année dernière, a fait sienne. Autour de la table, dans leurs bureaux de San Francisco, des éditeurs d’infos et de vidéo, des responsables de communauté, un rédacteur en chef et des développeurs. «Tout le monde ici est journaliste, lance l’un des membres de l’équipe. Les développeurs ne font pas que taper du code, ils jouent un rôle crucial dans l’éditorial. Il est capital pour nous que les liens soient très forts entre l’équipe technique et l’équipe éditoriale. Hors de question d’avoir un prestataire de services extérieur (à la rédaction, ndlr) qui ne comprendrait pas les contenus sur lesquels nous travaillons.»

  • Le «live», le roi du Web

Pour suivre l’actualité dans les pays arabes, les sites d’infos généralistes, en Europe et aux Etats-Unis, ont mis en place une couverture médiatique inédite, réactualisée en permanence via une nouvelle narration. Une narration qui agrège du texte, des photos, des vidéos, des messages sur les réseaux sociaux. Une narration interactive. Une narration qui évolue en temps réel. Les professionnels du numérique appellent cela des «lives», ces formats éditoriaux qui permettent de suivre, minute par minute, les derniers développements sur les soulèvements ou toute autre actualité à l’instant T.

C’est un changement de paradigme, pour les éditeurs et aussi pour les réseaux sociaux. Othman Laraki, le directeur de la géolocalisation et de la recherche sur Twitter, le constate aussi: «partout où notre croissance a pu débuter, c’est parce qu’il s’est passé, dans l’actualité, de l’instantané» qui se raconte en… «live».

Une nouvelle narration qui semble dicter la (nouvelle) donne au géant Google. Le modèle «un lien = une histoire est vieux voire dépassé. Maintenant, il faut comprendre qu’un lien = plusieurs histoires», décrit un responsable de Google News. Rude tâche pour le robot de Google, appelé «Crawler», chargé de scanner les pages Web pour savoir de quoi elles parlent et ensuite pouvoir les référencer. Le problème du Crawler, c’est de pouvoir photographier un format «live» alors que celui-ci, par définition, n’est pas statique, et évolue d’une minute à l’autre. «Nous essayons d’accélérer la vitesse du Crawler», assure-t-on chez Google, qui rappelle qu’à ses débuts, en 2006, l’algorithme de Google News n’était «rafraîchi que toutes les heures, quand maintenant, il l’est toutes les minutes, et qui sait? Demain, il le sera peut-être toutes les secondes.»

Alice Antheaume

(1) Pablo Bockowski donnera une master class ouverte au public à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, jeudi 17 mars.

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Le pouvoir de recommander des infos sur les réseaux sociaux (étude Pownar)

POWNAR. Ce n’est pas le nom d’un nouveau jeu pour enfants, mais l’acronyme de The Power of News And Recommandation, une étude sur les informations diffusées sur les réseaux sociaux réalisée par CNN sur 2.300 sondés habitants dans 11 pays différents. Voici les chiffres clés de cette étude.

– Seuls 27% des utilisateurs (du panel?) partagent des informations. Sont comptés dans ces 27% ceux qui partagent plus de 6 contenus par semaine. Mais à eux seuls, ils diffusent 87% des informations partagées sur les réseaux sociaux. Là encore s’applique la loi de Pareto, autrement dit la loi du 80/20, selon laquelle environ 20 % des moyens permettent d’atteindre 80% des objectifs.

– 43% des informations partagées le sont par le biais des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, MySpace), 30% des infos le sont par email, 15% par SMS, et 12% par messagerie instantanée.

– En moyenne, un utilisateur partage 13 liens par semaine, et en reçoit 26, par recommandation sur les réseaux sociaux ou par email.

– Les contenus issus des rubriques «business», «international» et «technologie» sont ceux qui sont les plus partagés sur les réseaux sociaux.

Discover Simple, Private Sharing at Drop.io

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Facebook, votre site d’informations

Et si Facebook devenait un gigantesque site d’informations? A la vue de la courbe de progression du réseau social sur les catégories «news» dans le monde — une source de trafic trois fois plus importante que Google News pour les sites de médias — l’hypothèse est plausible. Même si aujourd’hui 40% — en moyenne — du trafic des 12 principaux sites d’infos français provient de Google, et seulement 1,3% de Facebook, selon l’étude réalisée par AT Internet en septembre 2010.

Crédit: Flickr/CC/escapedtowisconsin

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«Tout ce que vous faites sur un site Web, vous pouvez le faire sur Facebook», assure Michael Lazerow qui a fait la démonstration, sur la scène du Monaco Media Forum, de Buddy Media, une société qui construit des pages Facebook pour d’autres. «Le Web est une plate-forme, Facebook est une autre plate-forme. Donc c’est une plate-forme dans une autre plate-forme», décrit à son tour, également sur la scène du Monaco Media Forum, Yuri Milner, l’homme d’affaires russe qui détient environ 10% de parts de Facebook. «Tous les 12 ou 18 mois, la quantité d’informations partagées par les utilisateurs double. Cela veut dire que vous avez une croissance sans précédent de l’information accumulée» sur le réseau social, qui compte plus de 500 millions de membres.

Transfert

Imaginons que les pages d’accueil des sites d’informations telles qu’on les connaît aujourd’hui disparaissent. Que les contenus du monde.fr, liberation.fr, lefigaro.fr et des autres soient alors diffusés dans le newsfeed (le flux d’infos, en VF) de Facebook, et que les commentaires se fassent directement sur le réseau construit par Mark Zuckerberg. Quant aux développeurs des sites d’infos, ils travailleraient à déployer la page Facebook de leur média, plutôt qu’un site Web à part.

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Objection? Si Facebook voulait vraiment devenir un géant de l’info, ses équipes auraient davantage optimisé les options offertes par les «pages» et par la création d’«articles» directement sur le réseau social, pourrions-nous rétorquer. En effet, Facebook travaille surtout sur les outils de sociabilité, les boutons de partage, les «like» et les messages. Mais guère sur l’éditeur de texte, présent depuis les débuts du site, qui ne permet pas d’intégrer au texte des vidéos, par exemple, ou d’autres objets embedables (seuls existent un champ titre, un champ texte, un champ photo, un champ d’identification des autres membres, et des paramètres de confidentialité pour définir qui peut voir cet article).

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Un «réseau» d’actualités

En réalité, il est d’ores et déjà possible de se servir du réseau social comme un «réseau» d’actu. Et certains outils ont été pensés pour faciliter cette tâche, en permettant notamment de classer ses amis dans une catégorie «infos» (1). Et le newsfeed du réseau social ne cesse d’être remanié. Pour ressembler de plus en plus à un «fil» d’actu personnalisé. Ou, disons, un «navigateur» dans l’actu.

Même chez Yahoo!, on reconnaît que la roue a tourné. «Cela veut dire quoi, être un portail d’infos?», s’interroge Dev Patel, lors d’une table ronde du Monaco Media Forum intitulée «où est l’argent?». Pour lui, aucun doute: les portails – si tant est que le mot «portail» soit encore valable – changent et se conforment à la nouvelle façon qu’a l’audience de «consommer des informations et de l’actualité, via Twitter et le newsfeed de Facebook».

Nos amis les filtres

«L’information est plus que jamais omniprésente et le taux de consommation et de partage des infos n’a jamais été aussi rapide, analyse Malorie Lucich, qui travaille pour Facebook. Vos amis sur Facebook vous aident à faire le tri dans le flux afin que vous puissiez lire ce qui est le plus pertinent pour vous, découvrir de nouveaux sujets, et participer à des conversations approfondies.» Les contenus remontent ainsi en fonction des pages médias que l’on suit, comme CNN, Le Monde, The Guardian, Slate.fr, des comptes des journalistes, mais encore en fonction des recommandations de sa communauté d’amis, sachant que chaque inscrit possède en moyenne 130 amis.

«Il devient de plus en plus nécessaire, pour la nouvelle génération, de choisir les filtres qui vont réguler ses expérience en ligne, dit cette vidéo produite par Box 1821, une agence brésilienne qui travaille sur les nouvelles tendances. Ils développent ainsi une façon non linéaire de penser, qui reflète le langage du Web, où une infinité de sujets peuvent être suivis en même temps».

Temps de cerveau disponible

Textes, vidéos, photos, liens, tous les contenus ou presque sont publiables sur Facebook via des liens. D’après les statistiques de Facebook, plus de 30 milliards d’objets, dont des articles, des liens, des vidéos, des billets de blogs, sont partagés chaque mois par les membres du réseau social. Lesquels y passent bien plus de temps que sur n’importe quel site d’information. En moyenne, 23 heures par mois. Voire plus. A titre de comparaison, au mois d’octobre, la durée moyenne d’une visite sur le site de L’Equipe est de 24… minutes (chiffre Médiamétrie). Sur Google News, l’équivalent chiffré n’est pas disponible.

Au regard de la durée astronomique passée sur le réseau social, les éditeurs auraient tout intérêt à s’exporter sur Facebook. Et ce, pour deux raisons: pour la valorisation financière des espaces auprès des annonceurs (plus les internautes restent longtemps sur un site, plus les pages de pub se vendent chères), mais aussi pour l’attention que portent les internautes à un contenu, intégré dans un site où ils ont l’habitude de naviguer, des heures durant.

Alors oui, Facebook pourrait devenir un nouveau Google News. Avec la recommandation sociale en plus. Sur Facebook, «les informations viennent à toi, c’est quelqu’un qui te connaît, qui partage les mêmes centres d’intérêt que toi, qui te les recommande», note un professeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po. A l’inverse, c’est l’internaute qui se rend de son propre chef sur Google News, pour y chercher des contenus d’actualité, non personnalisés, sélectionnés via un algorithme complexe, dont j’ai déjà parlé dans un article sur le référencement. Les deux géants américains ont néanmoins en commun l’organisation, selon des systèmes différents, des informations en temps réel. Deux systèmes qui exacerbent une tendance déjà amorcée: l’inutilité grandissante des pages d’accueil des sites d’infos au profil d’entrées directement via des pages de contenus, comme déjà décrit dans ce W.I.P.

Interactions multipliées

En termes de relations avec l’audience, la plupart des médias sont dithyrambiques sur la facilité d’interaction que permet leur présence sur Facebook. Même si, au vu des expériences réalisées, plus de 99% des commentaires des membres de Facebook sont postés depuis le newsfeed et non depuis les murs des pages concernées. Comprendre, par extension, que les inscrits se rendent rarement sur les pages Facebook de leurs médias, mais réagissent aux contenus de ceux-ci quand ils apparaissent dans le newsfeed du réseau social.

A l’idée de perdre leur territoire initial (leur page d’accueil, leur mainmise sur la hiérarchisation de l’info), pour se fondre dans un réseau/navigateur dont la valeur est estimée à plus de 41 milliards de dollars d’après Bloomberg, le vertige se fait sentir chez les éditeurs.

Et, avec, une foule d’interrogations: A qui appartiendraient les contenus? Comment les médias pourraient-ils les monétiser avec Facebook? Pourraient-ils partager avec Facebook les revenus générés par la publicité, sachant que, selon cette étude de Comscore, Facebook est la poule aux œufs d’or en France sur le marché de la publicité en ligne, en arrivant en tête du classement des sites supports de publicité en septembre avec 10,3% de part de marché, 6,4 milliards de publicités display diffusées et 18,2 millions d’internautes exposés. Et enfin, quelle dépendance technologique cela engendrerait entre le réseau social et les fournisseurs de contenus d’actu?

Vertige des éditeurs

«Je ne vois pas pourquoi on dirait aux internautes “ça fait trois ans que vous commentez nos sites, et maintenant, on transfère tout sur Facebook”, s’exclame Yann Guégan, community manager sur Rue89. Je ne crois pas que cela soit un bon message à leur envoyer, et je ne pense pas davantage que tout puisse se jouer sur Facebook». Selon lui, le système de commentaires de Facebook est moins rodé que la plupart des systèmes de commentaires internes aux sites d’information. «Sur Facebook, on est encore “à l’ancienne” sur les pages, on ne peut que répondre sous le statut mais on ne peut répondre à un commentaire, pris individuellement dans la discussion, alors que, dans le système de modération des commentaires de Rue89, c’est possible».

Avantage sur Facebook: la nécessité de réguler les commentaires est moindre que sur un site d’infos généraliste puisque, a priori, chaque membre a choisi, avec plus ou moins de rigueur, sa communauté d’amis, sacrés «tiers de confiance» pour trier le flot d’informations disponibles.

Alice Antheaume

(1) Pour ce faire, une fois connecté à Facebook, allez dans «compte» (en haut à droite de votre page), cliquez sur «gérer la liste d’amis», puis sur «créer une liste». Appelez la «infos» et glissez-y vos «amis» (médias, journalistes, particuliers) fournisseurs d’informations. Ensuite, revenez sur la page d’accueil, et dans la colonne de droite, vous pouvez désormais, sous «amis», accéder à la catégorie «infos» que vous venez de créer, et voir défiler vos flux d’information personnalisé – et personnalisable à tout moment.

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Liens du jour #39 spécial The Social Network

Crédit: Sony Pictures Releasing France

Crédit: Sony Pictures Releasing France

A regarder The Social Network, qui sort en salles mercredi 13 octobre, le rêve est là, à portée de clic. Il se résume ainsi: “Depuis un simple ordinateur, la technologie te permet de créer quelque chose qui peut changer la société. Tu n’as pas besoin de secrétaire, ni d’immeuble remplis de bureaux, ni d’employés”, comme le résume cet article du New York Times, intitulé “La version filmique de Zuckerberg divise les générations“. C’est là le “génie” du fondateur de Facebook, s’enthousiasme la génération digitale, quand les plus âgés ne peuvent s’empêcher de le trouver “vraiment trop méchant”. Un film clivant, donc?

Entre ambition et honneur

Au-delà du débat sur la personnalité du plus jeune milliardaire de la planète, le film illustre une quasi guerre des religions, comme le note The New York Observer: celle qui voit s’affronter Zuckerberg, “juif à l’ambition impitoyable”, contre les jumeaux Winklevoss, purs WASP de l’Université d’Harvard, se décrivant eux-mêmes comme des “gentlemen” et prêts à tout pour faire respecter, disent-ils, la noblesse du “code de l’honneur”. Dans la vraie vie, comme dans le film, Tyler et Cameron Winklevoss ont porté plainte contre le fondateur de Facebook, qu’ils accusent d’avoir volé leur idée de réseau social, et d’avoir fait croire qu’il travaillait pour eux alors qu’il construisait à son propre site. En 2008, ils ont déjà obtenu en justice 20 millions de dollars de réparation et 45 millions de dollars en actions. Ils ont fait appel.

Et les femmes dans tout cela?

Dans le film, elles sont reléguées au rang des groupies, ou, pire, d’objets: on les voit via des photos mises en ligne sur Facebook, sur lesquelles leurs congénères masculins cliquent pour évaluer leur sex-appeal. Slate.com s’interroge: The Social Network est-il sexiste? La seule fille qui ait un rôle, c’est l’ex-chérie de Mark Zuckerberg, Erica Albright (incarnée dans le film par Rooney Mara), qui, sans le vouloir, est à l’origine de Facebook, projet monté par Zuckerberg par désespoir amoureux, si on lit le scénario entre les lignes. A ce titre, la scène d’ouverture s’avère édifiante: c’est une scène de rupture amoureuse articulée comme si le dialogue se faisait par chat sur Facebook.

Outre Mark Zuckerberg (joué par Jesse Eisenberg) et son acolyte Eduardo Saverin (Andrew Garfield), le héros du film, c’est Facebook (trombinoscope en français). Un réseau créé en 2004 qui a su développer “une addiction chronophage, décrypte Le Monde Magazine. En moyenne 23 heures par mois sont passées sur Facebook. Mais des temps d’utilisation de 40 à 60 heures mensuels n’ont rien d’inhabituel”. Pour parfaire le tableau, rappelons que Facebook détient plus de 500 millions de membres d’inscrits, et sa valeur est aujourd’hui estimée à 33 milliards de dollars (23,6 milliards d’euros). Reste que, même si l’on voit beaucoup de personnages du film “manger du code (html, ndlr)” pour construire les coulisses de Facebook, The Social Network n’est pas un documentaire sur le plus gros réseau social du monde qui décrirait par le menu l’histoire du poke ou les enjeux de la vie privée.

L’ode aux entrepreneurs

Oui, le vrai Zuckerberg a emmené sa vraie équipe voir une projection du film avec le fictif Zuckerberg. C’était “fun”, apparemment, rapporte Reuters. De fait, selon Pete Cashmore, le patron de Mashable qui en fait sa chronique sur CNN, le créateur de Facebook ne peut pas ne pas aimer ce film. Toute l’histoire sonne vraie pour les entrepreneurs des nouvelles technos: “les bonnes idées ne donnent rien sans un indéfectible investissement et des innovations permanentes”.

AA

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Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent?

«La rencontre entre offre (choix éditoriaux) et demande (préférences des lecteurs) ne se fait plus», assure Pablo Boczkowski, chercheur américain de l’Université de Northwestern, auteur de Digitizing the News. Innovation in Online Newspaper et de News at Work. Imitation at a Age of Information Abundance. Pour accréditer sa thèse, il a comparé les articles mis en ligne sur le premier écran des pages d’accueil de plusieurs sites d’information généralistes et les articles les plus lus/cliqués par les internautes.

Fossé

Résultat, un décalage conséquent et, finalement, une superposition minime entre les sujets choisis par les journalistes et ceux plébiscités par l’audience. Que l’on soit sur un site généraliste argentin (Clarin), britannique (The Guardian), américain (CNN), espagnol (El Pais), allemand (Die Welt), ou brésilien (Folha de Sao Paulo), le constat est le même: «Dans tous les cas, les journalistes ont tendance à faire davantage de sujets sur la politique, l’international, et l’économie, quand leurs lecteurs s’intéressent plutôt au sport, à la météo, à l’entertainment et aux meurtres», détaille Pablo Boczkowski.

Un constat qui ne diffère ni selon les pays ni selon les régions d’un même pays: c’est un phénomène que l’on retrouve partout, plaide le chercheur. Seule variable – logique au demeurant: le décalage entre offre et demande est d’autant plus grand que le site d’informations est élitiste.

Crédit: Flickr/CC/Zarko Drincic

Crédit: Flickr/CC/Zarko Drincic

Au comptoir de l’information

«Imaginons un boulanger qui propose à la vente 60% de pains complets et 40% de pains blancs. Seuls 4 de ses clients sur 10 veulent du pain complet, quand 6 de ses clients sur 10 veulent du pain blanc, reprend Pablo Boczkowski. A la fin de la journée, certains pains demeurent invendus, et des clients repartent insatisfaits.»

Cette métaphore n’est pas si loufoque: comme le boulanger se doit de satisfaire sa clientèle, un site Web d’infos doit fournir l’actualité du jour à son audience, laquelle doit sortir «repue» de clics et d’infos. La métaphore est même plus subtile que cela: le boulanger peut penser qu’il est meilleur pour la santé de ses clients de manger du pain complet plutôt que du pain blanc, de même que le journaliste peut estimer qu’il va élever le niveau de ses lecteurs s’il leur donne des sujets «nobles», de politique internationale par exemple, plutôt que trois brèves sur des célébrités.

Est-ce à dire que la majorité des journalistes ont une — trop — haute opinion de leur «mission», quand bien même celle-ci ne correspondrait à aucune réalité visible selon les outils qui analysent ce sur quoi cliquent les lecteurs? Certainement. Et cela se comprend. Car les journalistes, d’où qu’ils viennent, grandissent dans le culte des vertus démocratiques de la presse. Des vertus réelles. Sauf que, là encore, le Web a tout changé. Lorsque les journalistes du print écrivent un article qui n’intéresse peut-être qu’eux, ils apprennent au pire le lendemain que les ventes de leur journal sont mauvaises, mais sans savoir précisément si la désaffection du lectorat s’est faite à cause de leur article, ou si cela tient à la photo de la une, ou à la couverture, ou aux titres mis en exergue. Les journalistes Web, eux, voient en temps réel les clics — ou l’absence de clics — suscités par le sujet qu’ils viennent de publier. En clair, ils font face à la réception immédiate et permanente de ce qu’ils produisent.

Et croyez-moi, cette réception est le plus souvent indépendante de la qualité journalistique du contenu produit. Il n’est en effet pas rare qu’un article d’économie écrit dans les grandes largeurs, composé de cinq interviews différentes et ayant nécessité des heures voire des jours de réalisation, récolte à peine 5% du trafic du site, quand, dans le même temps, une brève sur Britney Spears qui a pris moins d’une demi-heure à écrire atteint les 70% de trafic.

Pour Maureen (alias Mo) Tkacick, jeune éditrice du site Jezebel, qui repose sur trois thèmes, le people, le sexe et la mode, il ne faut pas se mentir: «80% du trafic est généré par 20% des informations publiées», assure-t-elle. Une règle qui ressemble à la loi de Pareto, selon laquelle 20 % des moyens permettent d’atteindre 80 % des objectifs.

Dilemme

Alors il faut ruser. En mai 2008, quand un cyclone terrasse la Birmanie, le sujet n’intéresse pas les internautes. A 20minutes.fr, la rédaction décide de les interpeler et publie un article intitulé «pourquoi vous vous fichez de la Birmanie?». Cette fois, c’est un carton. «Plus de 15.000 morts, une catastrophe humanitaire de grande ampleur, un régime dictatorial accusé de ne pas l’avoir prévue, et pourtant vous êtes très peu à lire les articles sur la Birmanie, lit-on dans l’article. C’est un des sujets d’actu qui vous a le moins intéressés selon nos statistiques. Nous vous avons demandé pourquoi et, là, vous avez répondu en masse.» De fait, après modération, on trouve 270 commentaires qui tentent de répondre à l’interrogation.

Pour le reste, nombreux sont les éditeurs qui espèrent pouvoir attirer le public via un article people, sport, ou fait-divers, pour ensuite l’orienter par un lien sur un sujet moins facile d’accès et ayant nécessité davantage de ressources rédactionnelles.

Quel service le journaliste rend-t-il au lecteur?

Lors d’une semaine de cours intensifs à l’école de journalisme de Sciences Po, en février dernier, j’ai demandé aux étudiants de réaliser des articles trouvés parmi les sujets les plus vus de Yahoo! actualités, les plus envoyés de lemonde.fr, les mots-clés les plus recherchés du moment sur Google, via l’outil Google Trends, et les vidéos les plus vues du jour sur Dailymotion. But du jeu: apprendre aux étudiants à repérer ce qui intéressent les internautes et calquer la sélection éditoriale sur ces baromètres. Après trois jours à ce régime, les étudiants ont soupiré: «On ne va quand même pas faire des sujets sur la neige tous les jours parce que les internautes ne cliquent que sur ça cette semaine?». Soit dit en passant, selon une récente étude du Pew Internet Project, consulter la météo est en effet la première motivation des Américains pour se connecter à Internet depuis leur téléphone portable.

Posture

Que faire alors? Les rédactions qui refusent de s’adapter à que veulent les lecteurs risquent gros. Les autres doivent trouver où placer le curseur entre qualité journalistique et sujets populaires. Difficile car entre ce que les journalistes croient savoir des goûts de leurs lecteurs, et les vrais goûts de ces lecteurs, le fossé est parfois grand, rappelle Hugh Muir, journaliste au Guardian.

«Si je suis ce que je mange, je suis aussi les informations que je consomme, conclut Pablo Boczkowski. De même que le corps pourrait se satisfaire de pain blanc, l’appétit du public pour les informations pourrait en majorité se contenter de sport, entertainment, et fait-divers. Mais la société et les enjeux politiques vont en souffrir.» Question de santé.

Alice Antheaume

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Quand j’ai compris… comment CNN fait des “lives” télévisuels

«C’est un jour historique», «nous allons entrer dans l’histoire», «la date sera inscrite pour la postérité». A la chambre des représentants des Etats-Unis, les envolées lyriques étaient légion, dans la nuit du 21 au 22 mars. Et le vote final leur a donné raison: par 219 voix contre 212, le texte de la réforme de la couverture de santé américaine a été adopté.

Moi qui ne connais que peu la télévision américaine, je suis restée scotchée devant le live fait par CNN. Pas en ligne, sur le petit écran. Vu le sujet, dont les arguments ont été rabâchés depuis des mois, c’était une gageure de garder en haleine les téléspectateurs. Une gageure que connaissent bien les chaînes françaises Public Sénat et La Chaîne parlementaire (les chaînes d’information en continu ont-elles un jour essayé?). Alors, comment procède CNN pour éviter le zapping sur un sujet «parlementaire»?

  • Le «cut»

La règlementation américaine favorise la télégénie du débat: les discours des représentants sont limités à 1 minute, ou 2 minutes maximum, tandis qu’au Sénat ou à l’Assemblée française, sénateurs et députés ont le plus souvent 4 ou 5 minutes devant eux. Voire plus. Et quand le président de la chambre des représentants sonne la fin de l’intervention, il n’y a pas de «ouh» possible, contrairement aux débats parlementaires français. C’est cut, et donc télévisuel.

  • Le suspense sur l’heure du vote

Au début, le vote devait avoir lieu à 19h, heure locale. Ensuite, «après 22h». Finalement, cela aura été juste avant minuit, après dix heures de débat entre démocrates et républicains. Pourtant, le «live» de CNN tient, qu’importe si la programmation initiale prévoyait tel ou telle émission ou série à la place. Les journalistes, en plateau, tiennent aussi, évidemment.

  • Le duplex

Plutôt que de filmer en longueur les débats de la chambre, avec des représentants des Etats américains qui répètent les mêmes arguments depuis un an («c’est le moment de montrer que la couverture médicale est un droit et non un privilège»), l’aller-retour est incessant entre d’un côté la chambre, et de l’autre, le plateau de CNN, avec cinq interlocuteurs serrés comme des sardines, les yeux rivés sur leur écran d’ordinateur.

  • Le côté «perso»

A la chambre des représentants comme sur le plateau de CNN, l’ambiance était aux confidences familiales. «Ma mère est morte à 52 ans parce qu’elle ne pouvait pas se payer d’assurance santé», raconte cette journaliste sur le plateau de la chaîne américaine. De la même façon, Obama avait lu un peu plus tôt des lettres d’Américains endettés jusqu’au cou par leurs factures médicales. En clair, on est passé du débat d’idées à l’alignement d’expériences personnelles. Quite à verser dans la démagogie, pour «personnifier» le débat, on n’a pas trouvé mieux.

  • Twitter à la télé

D’habitude, les tweets issus du réseau social aux 50 millions de messages postés par jour sont l’apanage des rédactions Web. Sauf que là, sur le plateau de CNN, l’un des invités était chargé de faire des points réguliers sur les réactions des internautes sur Twitter à propos de la réforme du système de santé. Les réactions les plus pertinentes, s’entend.

  • Les coupures pubs

Quand La Chaîne parlementaire française montre des plans sur les «suspensions de séance» de l’Assemblée, CNN multiplie des publicités. Ici, une pub pour une boutique de baseball, là, pour un appareil qui fait les dents blanches, ou encore, pour le supplément week-end du New York Times, qui offre une remise de – 50% et vous «permet d’entrer dans le débat». Ou surprise, une pub anti-assurance santé. Une pause fraîcheur, pour ainsi dire.

AA

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