Que change le nouveau Facebook au journalisme?

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Révolutionnaire pour les uns, inutile pour les autres, la mue opérée par Facebook, que l’on voit arriver cette semaine en France, a et aura de l’impact sur la vie des rédactions. Après l’apparition du bouton «like», voici venu le temps du réseau dans le réseau, d’un Facebook qui veut devenir l’Internet. Un lieu de vie, donc, où l’on partagerait tout, on discuterait avec ses amis, posterait des photos, écouterait de la musique, lirait des informations, commenterait les publications des autres, etc. Revue des nouveaux éléments de Facebook qui pourraient (encore) changer la donne pour les éditeurs et les journalistes.

  • Journalistes RSS

«Sur Facebook, nous sommes tous des objets», avaient prévenu Justin Osofsky, directeur de la division média de Facebook, et Julien Codorniou, directeur des partenariats pour la France, lors de la première formation donnée en France par Facebook aux journalistes, en juin, à Sciences Po. Par «objets», ils entendaient des éléments avec lesquels les inscrits de Facebook peuvent interagir (en cliquant dessus, en commentant dessous, en likant l’objet, en le partageant, etc.).

Désormais, n’importe quel profil peut devenir un flux RSS auquel les membres peut s’abonner. Ainsi, «vous pouvez suivre directement des personnes – comme des journalistes, des artistes ou des personnalités politiques – qui vous intéressent mais que vous ne connaissez pas personnellement (et avec qui vous n’êtes pas amis, ndlr)», explique Zach Rait, ingénieur de Facebook. A la condition, bien sûr, que le journaliste, l’artiste, le politique (ou n’importe qui d’autre) ait accepté de transformer son profil en flux RSS en donnant son accord ici (cliquer sur «allow subscribers»). Une fois cela fait, le propriétaire du flux RSS n’aura plus la main sur qui s’abonne à lui – mais il pourra toujours déterminer ce qu’il rend public (donc envoyé, via le flux RSS, à ses abonnés) ou non. Une nouvelle fonctionnalité très proche du système d’abonnements de Twitter et qui permet aux profils Facebook, jusque là limités à 5.000 amis, d’avoir un nombre infini d’abonnés.

Le tout devrait se faire au détriment des «pages» (qui ne sont pas des profils, si vous avez bien suivi), dont celles des médias. Lexpress.fr a pris les devants, en publiant jeudi matin sur Facebook le message suivant:

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De quoi tenter de mieux cibler la demande des lecteurs qui, selon un chiffre rendu public début septembre, n’étaient que 7.5% à voir chaque jour un post publié par la page dont ils étaient fans. Est-ce que le nouveau Facebook fera mieux? C’est encore à voir.

  • De la visibilité dans le flux d’actualités

Le newsfeed – ou fil d’actualités –, l’entrée numéro 1 pour accéder aux contenus, est désormais composé de deux parties. Dans la partie inférieure, on a accès aux informations les plus récentes (recent stories). Dans la partie supérieure, on observe un tri des informations et éléments qui devraient être les «plus importants» pour l’utilisateur (top stories), un choix opéré par l’algorithme de Facebook, le edge rank, dont j’ai déjà parlé ici. En clair, plus un élément (statut, photo, lien, etc.) est commenté et «liké», plus il a de chances d’apparaître dans le fil d’actualités. De même, s’il provient d’un utilisateur avec qui on est souvent en contact, il peut figurer en tête de file.

Pour un journaliste, cela va être la lutte pour être visible dans le newsfeed. Deux options s’offrent à lui 1. comme avant, poster des contenus qui puissent être appréciés (selon des critères sur lesquels le journaliste n’a pas la main) par l’algorithme du réseau social, afin qu’ils remontent dans la partie haute (top stories). Vous l’aurez compris, mieux vaut le faire avec son profil personnel plutôt qu’avec la page de son média. 2. publier des infos de dernière minute, pour apparaître dans le newsfeed, rayon «recent stories», mais pas que (voir point suivant)…

  • Une boîte à temps réel

Là aussi, les équipes de Facebook avaient annoncé la couleur depuis des mois: ils souhaitaient que les journalistes publient davantage de «breaking news», d’informations de dernière minute, sur le réseau social. Jusque là, il n’était pas sûr que cela soit très visible, et donc payant. Faille comblée? Non seulement un «urgent» peut être vu dans la partie inférieure du newsfeed, mais surtout dans une nouvelle boîte appelée «ticker», en colonne de droite, à côté du newsfeed. Cette nouvelle fonctionnalité montre les dernières informations publiées, et, en passant le pointeur dessus, cela ouvre une pop-up à gauche pour découvrir l’histoire en plus grand, et pouvoir la commenter et la partager. «Parce que le ticker est en temps réel, les rédactions devraient sans doute reconsidérer la fréquence de leur publication» sur Facebook, veut rassurer Vadim Lavrusik.

Pour l’instant, l’impact du ticker sur le trafic des contenus n’a pas encore été mesuré, et selon les premières impressions, il est surtout perçu comme quelque chose de distrayant, dont on ne peut se débarrasser. En outre, cela pose des questions éditoriales. «Qu’est-ce qui fait qu’une info est nouvelle?, s’interroge Emily Bell, de l’école de journalisme de la Columbia. Le fait qu’elle soit dans une boîte tout en haut à droite? Ou autre chose?».

A terme, Facebook a d’autre tours dans son chapeau pour l’exploitation de ce ticker, notamment y glisser des «histoires sponsorisées». Dont les revenus reviendraient à Facebook, pas aux médias.

  • Plus de temps sur Facebook

Sur les 800 millions d’inscrits à Facebook, 1 sur 2 s’y connecte tous les jours, selon les statistiques fournies par le réseau social. Aux Etats-Unis, le réseau de Mark Zuckerberg aspire même 16% du temps passé en ligne. Autant dire que l’activité facebookienne est intense. La question, pour un média, c’est: que faire pour attirer les lecteurs alors qu’ils passent de plus en plus de temps sur Facebook? A priori, le temps n’étant pas incompressible, rien ne permet de penser qu’un utilisateur sacrifiera ses minutes de Facebook pour aller sur un site d’informations généralistes à la place.

Pour le Wall Street Journal, la solution est «simple»: «il faut rendre nos contenus disponibles là où les gens se trouvent», estime Alisa Bowen, du WSJ Digital Network. Sur Facebook, donc. Dans cette optique, ils ont lancé une application spéciale pour Facebook, qui permet aux utilisateurs, en restant sur le réseau de Zuckerberg, de consommer des informations du Wall Street Journal, recommandées par leurs amis, et… de voir des publicités dont les revenus reviennent au Wall Street Journal – et non pas à Facebook.

Du gagnant-gagnant? C’est ce que veut croire Jeff Bercovici, de Forbes: d’un côté, les utilisateurs consomment des informations à l’intérieur de Facebook, et de l’autre, Facebook permet au Wall Street Journal de vendre ses propres pubs à l’intérieur de l’application. Malgré tout, ce sont et cela restera les règles de Facebook, quand bien même l’éditeur y développera sa propre application.

  • Des applications pour remplacer les sites Web d’infos?

Mark Zuckerberg l’a dit lors de la dernière conférence F8: l’avenir est aux applications. Et si les médias devenaient uniquement des applications sur Facebook, sans site Web associé? Pour Jeff Sonderman, du Poynter Institute, ce n’est pas de la science fiction, c’est juste «une question de temps». Son argument tient à l’évolution de Facebook: «Si le médium est le message, que se passe-t-il lorsque Facebook devient le médium? Le message (le contenu) va commencer à devenir un peu différent.»

Le Wall Street Journal, le Guardian et le Washington Post ont tous développé des applications qui permettent aux inscrits de Facebook de consommer des informations de ces médias sans quitter Facebook, et d’y voir l’activité (ce qu’ils lisent, ce qu’ils recommandent, ce qu’ils commentent) de leurs amis. A terme, cela sera-t-il la routine? L’avantage des applications, c’est qu’elles peuvent être sponsorisées par des marques, rappelle Emily Bell, qui cite l’exemple de l’application sur iPad du Guardian, EyesWitness, une sélection quotidienne de photos légendées, montée en quelques jours, grâce au soutien financier de Canon.

  • Timeline, l’identité numérique dévoilée

Avec la refonte du réseau social, les profils Facebook se présentent maintenant sous la forme d’une frise chronologique plongeant dans le passé. Pour Vadim Lavrusik, qui travaille pour le réseau social, c’est un outil de «contextualisation» pour les journalistes. La chronologie permet, écrit-il, de voir comment l’empreinte numérique d’un utilisateur a été «moulée dans le temps, grâce à des expériences de vie, des intérêts personnels, des gens avec qui nous partageons notre vie, et avec lesquels nous n’avons pas peur de révéler notre vraie identité».

Sauf que, à y regarder de plus près, l’utilisateur peut éditer chaque élément présent sur sa timeline: soit en le «featurant» (en le mettant en valeur), soit en supprimant, soit… en modifiant sa date – cette dernière option n’est plus visible au moment où j’écris cet article. Cela rend l’exercice journalistique particulier: certes la timeline d’un homme politique est intéressante, elle peut dévoiler des particularités d’un parcours que l’on n’aurait pas repérées sans cela, mais ces éléments sont à prendre avec des pincettes, dans la mesure où l’élément peut être «manipulé». Du fact checking d’empreinte numérique en perspective…

Au final, s’il est encore difficile d’apprécier l’impact du nouveau Facebook sur l’activité des éditeurs d’infos, il y a au moins trois questions auxquelles les rédactions peuvent d’ores et déjà réfléchir:

1. Quelles sont les informations ayant vocation à être partagées sur Facebook et qui auraient de la visibilité dans le newsfeed?

2. Les journalistes professionnels doivent-ils faire vivre les productions de leur média sur leur profil Facebook, éventuellement transformé en flux RSS?

3. Cela vaut-il vraiment la peine de développer des applications dédiées, sur le modèle du Wall Street Journal, pour trouver un public déjà présent sur Facebook et monétiser les contenus par ce biais?

N’hésitez pas à partager cet article sur Facebook et/ou à le poster sur Twitter. Merci!

Alice Antheaume

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Google, Facebook, Twitter, Yahoo!… Leçons d’innovation aux médias

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Ils bâtissent la Google TV, l’Apple TV, l’algorithme de Google News, le tri intelligent des courriers sur Gmail, le newsfeed et les pages profil de Facebook. Au royaume de la Silicon Valley, là où siègent les mastodontes du Web, les rois sont les… développeurs, ces experts en langage informatique qui «mangent du code» et sont au cœur des Google, Yahoo!, Twitter et Facebook.

Leur rêve: travailler pour l’entreprise la plus innovante au monde. D’après un classement mené en 2010 par l’institut Universum auprès de 130.000 étudiants, Google et Apple figurent toutes deux en bonne place parmi les entreprises considérées comme les plus attractives de la planète.

Du point de vue des développeurs, le critère d’attractivité d’une entreprise se résume à un qualificatif: celle-ci doit être «hot». Un terme qui désigne une technologie récente ET susceptible de révolutionner la vie (pas qu’en ligne) des utilisateurs. Fascinant, surtout pour les journalistes qui travaillent eux-mêmes sur des supports numériques, produisant des informations, et dont on attend de plus en plus qu’ils imaginent de nouveaux formats. Donc qu’ils soient capables d’inventer, façon ingénieur. Encore faut-il en avoir la tournure d’esprit. Un état d’esprit qui, en réalité, est «organisée» par… l’employeur.

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En effet, entre start-up et développeurs, il ne s’agit pas seulement d’une relation employeur/employé. Il s’agit d’un engagement total — presque frénétique — entre les deux parties. Avec des rêves d’absolu et de grandeur partagés, et un esprit commando savamment entretenu. Et ces compagnies ne s’en cachent pas: «Google attire les talents parce que, entre autres, nous donnons la possibilité à nos employés de changer le monde». «Entre autres», oui.

Pour s’arracher les meilleurs, très demandés, les sociétés de la «Valley» alignent les arguments et ont placé la culture geek — celle des développeurs donc — au cœur de leur organisation.

L’autre partie du succès tient à la méthode de travail: le cerveau des développeurs est sollicité en permanence, aux toilettes, pendant les repas ou les matchs de foot, dans un exercice permanent de cogitation. L’inverse des entreprises de presse qui convoquent de temps à autre une réunion spéciale nouvelle formule/ nouveau format/graphisme.

Or l’innovation ne se décrète pas pendant une réunion, elle se construit comme dans un laboratoire, chaque jour de l’année – coïncidence ou pas, l’un des bâtiments de Facebook est d’ailleurs un ancien labo de chimie dans lequel ils se sont installés quasiment sans rien y changer. «Les décisions se prennent dans les couloirs, dans les toilettes, raconte dans son livre «Inside Facebook» Karel M. Baloun, ingénieur du réseau social en 2005 et 2006. Pas besoin d’attendre que soit programmée une réunion pour que les choses se fassent».

Et si les médias s’en inspiraient? Pour comprendre comment s’entretient l’innovation permanente, voici quelques éléments de l’organisation des Facebook, Google, Twitter et Yahoo!, observés lors de mon voyage dans la Silicon Valley.

NB: L’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille, collabore avec Google.

1. Sans bureau fixe

Sur le «Googleplex», rares sont les quelques 8.000 «Googleurs» qui bénéficient d’un bureau individuel. Comme il y a du Wifi partout, les salariés travaillent sous les parasols, dans des canapés ou encore près du terrain de volley. «Nous avons pour priorité de leur fournir un environnement où ils sont récompensés pour leur contribution à la croissance de Google et à la création d’un monde meilleur», détaille la firme. Une liberté de mouvement, mais reliée à tout moment au réseau. Car les développeurs doivent produire, non des contenus comme des journalistes, mais du code. Et du code innovant, s’il vous plaît, pas un copié-collé de ce qui existe déjà. «Think outside the box», demande Google à ses développeurs. Une phrase qui n’est pas sans rappeler le slogan publicitaire d’Apple, en 1997, «Think different».

2. Le goût du challenge

«Ici, à Palo Alto, Moutain View et les environs, tous les hommes que tu vois prendre un café connectés à un ordinateur ont la même interrogation en tête, m’explique Adriano Farano, journaliste professionnel sélectionné pour effectuer une année de recherche à l’Université de Stanford. Quelle sera la prochaine start-up qui décollera?» Et donc, quel est «the place to be» pour ces ingénieurs, habitués à traquer les technologies révolutionnaires, sans quitter leur écran des yeux. Même s’ils ont déjà un boulot, «beaucoup ne cessent de collaborer, souvent bénévolement, avec des petites start-up en gestation, justement avec l’idée d’investir dans le(ur) futur», reprend Adriano Farano.

Les ingénieurs aiment ce qui donne leur fil à retordre, «ils veulent des gros problèmes à résoudre», ajoute Burt Herman, co-fondateur de Storify, après avoir été reporter pendant douze ans à Associated Press. En cela, la culture ingénieure est très différente de celle des journalistes, qui «aiment rendre les choses simples, alors que les développeurs préfèrent qu’on leur dise à quel point le sujet est complexe».

Résoudre un problème, c’est, chez Facebook, «finalement secondaire par rapport à l’idée que le processus de création ait été marrant et stimulant», détaille Karel M. Baloun. Il va même plus loin dans son livre et décrit, non sans humour, en cinq points le processus de création de gros projets comme Facebook photos:

1. Trouvez un ingénieur de génie qui renoncera à manger et dormir pendant deux mois
2. Donnez-lui une vision
3. Donnez-lui un graphiste pour que a/ il n’ait pas besoin de se demander quelle tête auront les pages et rester ainsi concentré sur leur fonction et b/ il sache immédiatement comment vont marcher ses pages
4. Déguerpissez. S’il vous parle, il pourrait commencer à avoir faim ou sommeil
5. Lorsqu’il a terminé, bénissez-le et dites lui que c’est exactement ce que vous vouliez.

3. L’expérience de l’échec

«Pourquoi l’innovation technologique a lieu dans la Sillicon Valley? Quel est le secret des ingénieurs qui travaillent dans la baie de San Francisco? J’ai passé un an, quand j’étudiais en tant que journaliste professionnel à l’Université de Stanford, à me poser ces questions», reprend Burt Herman. «Le vrai secret est de ne pas avoir peur de rater. Il faut se planter plein de fois avant de créer quelque chose de formidable, il faut avoir la liberté de réaliser des expériences avant de trouver une innovation qui puisse cartonner».

«En France, on est paralysé par la peur de l’échec, décrypte Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, responsable de la communication de Google France. A Moutain View, le mot d’ordre est allez-y, prenez des risques et plantez-vous». Résultat: les loupés ne sont pas un drame. «Si on n’a pas de temps en temps un gros plantage, c’est qu’on ne prend pas assez de risques», argue Larry Page, le co-fondateur du moteur de recherche, cité ici. Google Wave? Oui, cela n’a pas marché. «On a arrêté, on ne s’interdit jamais d’abandonner certains produits», reprend Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. En attendant, «plus de 200 projets sont élaborés en même temps dans le pôle recherche de Google», mais combien resteront?

4. Des salaires en béton armé

Les développeurs qui travaillent dans la Silicon Valley gagnent plus qu’ailleurs, à poste équivalent. Ils sont payés en moyenne environ 90.000 dollars par an, soit plus de 63.000 euros (93.250 dollars annuels à San Diego, 86.000 dollars à Sacramento), selon les chiffres de la fondation TechAmerica. D’autant que c’est moins l’expérience que la compétence qui est recherchée. Nous sommes aux Etats-Unis, la jeunesse constitue un atout plus qu’un handicap. C’est aussi tout un management, m’explique Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. «Lorsque l’on est innovant dans le management, on est innovant dans le produit».

5. Du temps de cerveau disponible

Les développeurs de la Silicon Valley qui n’ont pas l’habitude de compter leurs heures travaillent dans l’urgence et la rapidité pour faire fonctionner les interfaces. Dans le film The Social Network, le premier développeur de Facebook est d’ailleurs recruté sur un test de vitesse. Vous parlez de pression? C’est ce qui galvanise les geeks, et par extension, les développeurs. Les ingénieurs de Google peuvent consacrer 1 jour sur 5 à des activités personnelles – c’est comme cela qu’est né Google News, car, même pour leur jour dévolu au «privé», les ingénieurs conçoivent des algorithmes.

Pour libérer la tête des salariés des contraintes logistiques du quotidien (manger, se laver, se déplacer), ces entreprises ont mis en place toute une panoplie de services. Chez Google, les salariés peuvent donc emmener leurs chiens (– mais pas leur chat!), déposer leur linge sale. En outre, des transports, réservés aux salariés de Yahoo!, ou Google, font la navette entre Palo Alto, Moutain View, Sunnyvale, San Francisco, Santa Cruz, Berkeley, pour aller chercher les employés de leur domicile au bureau, et vice versa. Lesquels n’ont, du coup, pas besoin de voiture. A bord de ces «shuttles» (navettes, en VF), des sièges confortables et du Wifi bien sûr, toujours dans l’optique d’être connecté en permanence (voir point 1).

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La culture geek consiste aussi à manger devant son écran, pas à aller déjeuner pendant deux heures attablé dans un restaurant. Sur le campus Google, à Mountain View, la règle est simple: un salarié ne doit jamais avoir plus de 50 mètres à parcourir pour trouver de la nourriture… gratuite. Anthony Moor, éditeur des informations locales pour Yahoo!, basé à Sunnyvale, en Californie, n’en revient toujours pas. Longtemps journaliste dans des entreprises de presse, il ne travaille chez Yahoo! que depuis un an. «Tout ce que vous voyez là, la cafétéria (baptisée «Eat at URL’s», ndlr), les baby-foot, les jeux, les chewing-gums à volonté, les repas préparés, tout cela est conçu pour les développeurs, pas pour les rédacteurs de Yahoo! Actualités».

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6. Des techniciens à votre service

Chez Google, dans les «tech stop», des informaticiens réparent les disques durs et autres fonctionnalités défectueuses des ordinateurs des salariés. Jusque-là, rien de très différent d’un help desk traditionnel. Sauf que ces «tech stop» sont ouverts 24h/24. Chez Facebook, à Palo Alto, où travaillent environ 2.000 personnes, deux espaces servent aussi de «tech stop», l’un pour le personnel administratif, et l’autre pour les développeurs. Avec la cafétéria, c’est là le vrai rendez-vous de socialisation. Les salariés se rendent eux-mêmes au «tech stop» et sont pris en charge en quelques minutes. Efficacité redoutable et productivité maximum. Un vrai service VIP, et encore une façon, pour les entreprises, de montrer à leurs développeurs qu’on les soigne, eux et leur outil de «travail».

7. Le culte de la marque

L’idée, c’est de personnaliser tout ce qui peut l’être à la gloire du vaisseau amiral. Les développeurs «mangent», au propre comme au figuré, du Yahoo!, du Facebook, du Google, toute la journée. Et cela passe par un environnement de travail identitaire.

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Chez Yahoo!, tout est violet. Au Googleplex, la salle de gym s’appelle G-fit. Le vigile à l’entrée porte un bonnet de laine aux couleurs de Google, les vélos le sont aussi. Chez Facebook, même les Kit Kat sont estampés «Facebook». Les salles de réunion y portent des noms comme «Star Wars Kids», ou «lol cats», références à la culture geek. Une idée de Mark Zuckerberg, le fondateur, qui, pour être lui-même un tapeur de code n’omet aucun détail pour rappeler à ses ingénieurs qu’ils sont ici chez eux, dans leur monde.

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Chez Twitter, chaque salle de réunion et projet est baptisé d’un nom d’oiseau (au sens propre) afin de rester dans l’ambiance de la société – «twitter» désigne un gazouillis, et un oiseau bleu sert de logo. Le projet s’appelle «pigeon»? Pas grave, cela fait rire les développeurs.

8. Le vendredi pour parler

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Pour Google, Facebook et Yahoo!, le vendredi n’est pas le jour du «friday wear» (tenue plus décontractée que les autres jours) mais du discours du patron. Un moment fort. Et qui émule les troupes. En effet, toutes les semaines, «Zuck», comme ses employés appellent Mark Zuckerberg, se livre à un question/réponse dans la cafétéria face à ses employés. Une recette sans doute inspirée de Google, qui, chaque vendredi, voit l’un de ses dirigeants faire une intervention devant les salariés de Mountain View. Nom de l’événement: «TGIF», l’acronyme de «Thanks Google it’s friday» pour «célébrer l’arrivée du week-end». De quoi alimenter l’ambiance commando.

Cette organisation, c’est la clé de la réussite pour innover. Et cela ne concerne pas que les entreprises de nouvelles technologies. Dans les médias aussi, seules les rédactions qui ont pu réunir les ingrédients de cette recette (vie en réseau, rupture technologique, dépendance à son entreprise, rêve commun d’influence) ont pu imaginer de nouveaux formats et/ou de nouveaux usages. A elles de se réinventer sur ces modèles.

Alice Antheaume

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Nouvelles pratiques du journalisme: “Nous vivons un âge d’or”

Que retenir de la journée spéciale dédiée aux nouvelles pratiques du journalisme, organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po et la Graduate school of Journalism de Columbia, le 10 décembre?

Voici les points clés de chaque intervention, d’Ariane Bernard, du nytimes.com, à Antoine Nazaret, de Dailymotion, en passant par Masha Rigin, du Dailybeast.com, Sarah Hinman Ryan, de Times Union, Nicolas Enault, du Monde.fr, Nicolas Kayser-Brill, d’Owni.fr, Michael Shapiro et David Klatell, de la Columbia, et Jean-François Fogel et Bruno Patino, de l’Ecole de journalisme de Sciences Po…

pdf Cliquez ici pour la lire synthèse de la journée en français

pdf Cliquez ici pour lire la synthèse de la journée en anglais

[Merci à tous les éditeurs de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes, live stream et tweets pendant cette journée marathon. Cet article a été rédigé d’après leurs notes et le “live”]

Ariane Bernard, home page producer, nytimes.com

Ariane Bernard, du NYT.com, le 10 décembre 2O10

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

  • 60 journalistes travaillent sur le site du nytimes.com, et 8 personnes (dont Ariane Bernard) s’occupent à plein temps de deux pages d’accueil, l’une internationale, et l’autre nationale. Hiérarchiser les informations, repérer des “urgents”, trouver le meilleur titre possible, sont quelques unes des tâches qui incombent au “home page producer”. Son terrain journalistique? Quelques pixels seulement, mais un vrai enjeu
  • Chaque mois, 33 millions de visiteurs uniques se rendent sur le site du New York Times
  • L’outil le plus utilisé en interne au nytimes.com? La messagerie instantanée, pour se coordonner, dit Ariane Bernard, en montrant à quoi ressemble son écran d’ordinateur à la fin de sa journée de travail. Un écran truffé de fenêtres de “chat” qui clignotent
  • Un conseil, dit Ariane Bernard, “gardez toujours un oeil sur la concurrence”. Ses collègues et elle-même surveillent ainsi, toutes les heures, les infos publiées sur la page d’accueil des sites concurrents
  • Plus une information devient importante, et aura des rebondissements, plus “vous cherchez à faire savoir à vos lecteurs que vous allez continuer à développer cette information”. Et qu’ils peuvent donc rester connectés
  • Difficile de savoir si une secousse sismique doit faire l’objet d’une “alerte”, confie Ariane Bernard. “Je ne suis pas géologue, il est complexe de savoir, dans la minute où il se produit, s’il s’agit d’un tremblement de terre important ou pas”. Pour Haïti, en l’occurrence, c’était d’une importance majeure, comme en témoigne le résultat en ligne

Masha Rigin, spécialiste du référencement (SEO), thedailybeast.com

Masha Rigin, de thedailybeast, le 10 décembre 2010

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

  • Le rôle de Masha Rigin? Rendre plus visibles les contenus des journalistes de thedailybeast.com sur les moteurs de recherche. Cela s’appelle du SEO (Search Engine Optimization) ou référencement en français. “C’est du marketing très spécifique”, précise Masha Rigin
  • En tant que journaliste, il faut “anticiper ce que les utilisateurs vont chercher sur Google, et avec quels termes ils vont faire leurs requêtes, afin d’utiliser ces termes dans le titre de votre article”, conseille-t-elle. Précision: “nul besoin de faire de titres drôles ni spirituels”
  • Pour identifier les mots-clés les plus populaires, Masha Rigin préconise d’utiliser Google Trends
  • Dans le vocabulaire d’une spécialiste du référencement, figure cette drôle d’expression, “la densité des mots-clés”, ou “keyword density”. C’est-à-dire le nombre de fois qu’un mot-clé est mentionné dans l’article, comparé au nombre de mots constituant cet article. Conseil de Masha Rigin: “utilisez un mot-clé au moins une fois par paragraphe, et si possible, de façon rapprochée”. Cf ce W.I.P. Comment le SEO impacte-t-il l’écriture journalistique?
  • Les journalistes du numérique le savent bien: les articles doivent être truffés de liens, suppléments d’informations offerts aux lecteurs. A la fois de liens vers l’intérieur (vers d’autres articles du même média) et vers l’extérieur (vers des contenus de médias concurrents, vers des blogs, ou des vidéos, etc.) “La haute densité de liens, disposés sur des mots-clés ou des portions de phrases importantes, augmente le ranking de votre article”
  • Quant aux vidéos et aux photos, elles doivent être nommées une par une, avec le crédit et la légende (Qui est sur la photo/vidéo? Quand? Où? En quelles circonstances? Qui a saisi la scène?). “Sinon, elles n’existent pas pour Google. Et ce serait dommage car elles représentent une source de trafic de plus en plus importante”
  • “Le journalisme change sans cesse puisque l’algorithme de Google change sans cesse”

Nicolas Enault, coordinateur de l’audience, lemonde.fr

Nicolas Enault, du Monde.fr, le 10 décembre 2O1O
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
  • Pour Nicolas Enault, la journée de travail commence par de la “veille” sur ce que fait l’audience sur le site du Monde.fr. De la veille à la fois quantitative (volume et statistiques) et qualitative (qu’est-ce que les abonnés du Monde.fr disent?). Et c’est par ces sujets que s’ouvre, chaque jour, la conférence de rédaction de l’équipe Web
  • Environ 5.000 expressions d’abonnés par jour
  • 110.000 abonnés au Monde.fr
  • 1.300 commentaires par jour sous les articles du Monde.fr
  • La typologie des commentaires des abonnés? Il y a quatre catégories: 1. Les opinions, qui constituent la majorité des réactions 2. Les corrections des lecteurs (factuelles et orthographiques) 3. Les questions (sur le traitement de l’information et sur des points non compris) 4. Les travaux d’investigation des lecteurs
  • 8.000 blogs hébergés par lemonde.fr, dont 50 “stars” qui ont été démarchées par la rédaction Web et produisent le plus de trafic
  • Au quotidien, Nicolas Enault est aussi en liaison avec des journalistes du Monde imprimé. Ceux-ci ont parfois du mal à comprendre (ou accepter) que leurs articles cohabitent avec des chroniques produites par les abonnés, lesquelles ne devraient pas, selon eux, être confondues avec des contenus journalistiques
  • Parmi les questions les plus souvent posées par les journalistes du journal du soir à Nicolas Enault, celle-ci: comment fait la distinction entre Facebook et un blog?
  • Nicolas Enault livre un exemple d’interaction entre les abonnés et l’actualité via la création d’un livre d’or recensant les mots de soutien des internautes à Ingrid Betancourt après sa libération, le 3 juillet 2008. En tout, lemonde.fr a récolté plus de 7.000 mots. Et n’en a gardé que 2.500 après modération

Michael Shapiro, professeur de journalisme, cours de «city newsroom», Graduate School of journalism, Columbia

Michael Shapiro, professeur de journalisme de la Columbia, le 10 décembre 2O1O
Crédit photo: DR/Alexandre Marchand
  • “L’irruption du Web est une révolution, mais une révolution positive”, commence Michael Shapiro. Car de nouveaux postes sont créés sur le Web et aussi sur l’imprimé – Newsday, par exemple, est en train de recruter 33 journalistes. La presse ne doit pas être complètement morte”
  • Le nombre de journalistes continue de grandir aux Etats-Unis. “Or plus on embauche, plus la compétition entre journalistes a lieu. Or plus la compétition a lieu, meilleurs les journalistes sont”
  • Il faut apprendre à s’adapter, dit Michael Shapiro. Et surtout à s’adapter aux nouvelles technologies
  • Dans son cours de “city newsroom”, Michael Shapiro aide les étudiants de la Columbia à créer du contenu sur le blog Brooklyn Ink. Il s’agit d’y raconter des histoires de différentes façons, “c’est une plate-forme d’expérimentation journalistique”
  • Deux étudiants se chargent de l’édition de ce site, ils en sont responsables et doivent s’assurer que ce qui y est produit est bien publiable. Depuis trois ans que ce site existe, il n’y a eu aucune plainte pour diffamation, assure Michael Shapiro
  • Brooklyn Ink récolte 10.000 visiteurs uniques par semaine
  • “Nous vivons un âge d’or du journalisme. Mon métier, c’est de dire aux étudiants allez-y, expérimentez, mais ne faites pas d’erreur. Soyez professionnels et responsables de ce que vous faites”
  • Crédit vidéo: Daphnée Denis

David Klatell, professeur de journalisme, responsable de l’international, Graduate School of journalism, Columbia

  • Le journalisme a-t-il besoin d’innovation? Peut-être, mais David Klatell, professeur de journalisme à la Columbia, n’en est pas convaincu. Selon lui, “toutes les rédactions du monde se ressemblent: des journalistes, des écrans, des téléphones, des ordinateurs. Mais ils fabriquent tous un produit différent”
  • Et si l’innovation journalistique n’était qu’une réponse à la crise? “L’Argentine et le Brésil, par exemple, n’ont pas eu à faire face à la crise, donc ils n’ont pas cherché à y apporter de réponse. Alors que le Brésil souffre d’un système de distribution de journaux insatisfaisant, c’est à se demander s’il faut une crise pour innover”
  • L’innovation journalistique n’est-elle qu’une préoccupation occidentale? “Ici, c’est facile pour vous, reprend David Klatell. Il suffit d’un ordinateur portable, de la 3G, et vous êtes opérationnels. Dans d’autres pays, les jeunes générations doivent trouver d’autres solutions pour consommer (voire produire) des informations”

Crédit: DR/Hugo Passarello Luna

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

Sarah J. Hinman Ryan, directrice du pôle investigations et recherche d’informations, Times Union

  • A Times Union, un journal situé à Albany, à côté de New York, Sarah Hinman Ryan dirige le pôle de recherches et d’investigations. En clair, elle vérifie toutes les données et les faits avant publication
  • Non, son quotidien ne ressemble pas à celui d’une documentaliste. Elle fait du “fact checking” à grande échelle. Au bureau, elle travaille sur trois écrans à la fois: l’un pour Google, le deuxième pour Facebook, et le troisième pour “tout le reste”, y compris les bases de données américaines comme Nexis. Chercheuse d’infos, oui, journaliste, non
  • “Pour trouver et vérifier des données sur des personnes, je me sers des réseaux sociaux. C’est fou tout ce que les gens mettent en ligne sur eux-mêmes!” Mais ce serait trop simple. Pour bien enquêter sur des humains, “il faut comprendre leur façon de penser (et donc, d’avoir disséminer des infos, ndlr), c’est presque de la psychologie”, reprend Sarah Hinman Ryan
  • “Plus le nombre de sources et d’informations disponible augmente, plus celles-ci deviennent compliquées à traiter, et plus le besoin de faire des recherches et de vérifier les infos se fait sentir”, dit Sarah Hinman Ryan, pour qui l’algorithme de Google devrait créer des emplois: “Plus on a Google dans la vie, plus on a besoin de professionnels pour fact checker. Car on doit toujours douter de ce que l’on trouve en ligne. En outre, Google ne suffit pas car vous ne trouverez pas les 1.000 années d’histoire de France en un clic”
  • “Si vous ne trouvez pas une information sur le Web, ce n’est pas qu’elle n’existe pas, c’est que vous ne la voyez pas”
  • “S’il n’y avait ni crime ni meurtre, il n’y aurait pas (ou peu) besoin d’investigation”, insiste Sarah Hinman Ryan
  • Récemment, elle a contribué au projet Dead by mistake (mort par erreur en VF), et a notamment élaboré une base de données pour connaître le niveau de fiabilité de l’hôpital le plus proche de chez vous. Un résultat récompensé par le prix de la meilleure enquête, attribué par la Société américaine des journalistes professionnels (SPJ)

Madhav Chinnappa, directeur stratégique des partenariats, Google News, ex BBC News

  • Madhav Chinnappa est désormais “le visage de Google News en Europe” depuis 4 mois, après avoir passé 9 ans à BBC, et quelques années aussi chez Associated Press. “Quand je travaillais à la BBC, je négociais avec Google News, maintenant, je suis de l’autre côté. Je comprends mieux.”
  • Google News a été créé en 2001 par des ingénieurs qui trouvaient qu’à l’époque “c’était trop dur de trouver des informations sur le Web en temps réel”
  • Google News rassemble plus de 50.000 sources et son algorithme repose sur plus de 100 critères
  • “Avant, nous ne parlions que de contenus. Maintenant, il s’agit de contenus + audience + technologie”, reprend Madhav Chinnappa
  • Comment Google peut-il inclure la sérendipité (les heureux hasards qui font que l’on trouve des pépites sur le Web) dans son algorithme? “Nous travaillons dessus”, assure Madhav Chinnappa. En effet, Google News est en train d’évoluer vers de nouvelles façons (humaines) de sélectionner des informations. Ainsi, pour l’application Fast Flip, qui présente une série d’articles sous forme d’une page de magazine et permet de les feuilleter comme sur un journal papier. En outre, aux Etats-Unis, Google a fait appel aux éditeurs de Slate.com pour choisir les informations susceptibles d’intéresser l’audience de Google News
  • L’industrie du journalisme n’a pas un problème de journalisme, mais un problème de modèle économique”, diagnostique Madhav Chinnappa. “Les journalistes ne doivent pas avoir peur de Google. Nous essayons d’être une force positive et voulons travailler avec les éditeurs pour essayer de résoudre les problèmes économiques des médias”

Nicolas Kayser Brill, journaliste de données, statisticien, Owni.fr

nkbCrédit photo: DR/Hannah Olivennes

  • Un journaliste de données (ou data journalist), c’est quoi? Au quotidien, Nicolas Kayser Brill tente de regrouper des données, souvent détenues par les collectivités locales – qui ne savent pas toujours comment ni pourquoi les partager – et les mettre en scène de la meilleure façon possible, afin que le résultat puisse être lu par le public
  • Pourtant, sur Owni, pas de pression liée aux statistiques: “Nous cherchons à diffuser nos projets (c’est-à-dire à vendre des applications créées par l’équipe d’Owni à d’autres médias) plutôt qu’à accroître notre audience sur notre propre site”
  • Parmi les autres fonctions quotidiennes de Nicolas Kayser Brill, figure l’aspect “évangélisation” des potentiels “clients”. Via des déjeuners et rendez-vous, il promeut la transparence des données (sur la population de telle ou telle localité, sur l’activité des députés, etc.) auprès d’hommes politiques et d’activistes. C’est la partie “lobbying” de son travail. “Ceux qui détiennent les données ont besoin d’être formés”
  • Et l’indépendance d’Owni? Y a-t-il conflit d’intérêts entre l’éditorial d’un côté et la réponse aux commandes des clients de l’autre (créations de sites Web, d’applications, etc.)? A cette question, Nicolas Kayser Brill répond qu’Owni est plus indépendant que les autres car il n’accueille aucune publicité, donc n’a pas besoin de répondre aux demandes des annonceurs. Et il est détaché de l’impératif de faire l’audience. Un autre poids en moins. Quant au partenariat entre Owni et Wikileaks, c’est un échange “non commercial”, rappelle Nicolas Kayser Brill
  • Owni veut toujours être le “ProPublica” à la française – cf ce W.I.P. intitulé Tentative d’identification d’Owni


Crédit vidéo: Diane Jeantet

Antoine Nazaret, éditeur des contenus vidéos «news», Dailymotion

  • “Personne n’a de carte de presse chez Dailymotion” et pourtant, la plate-forme française de vidéos a un service édition de contenus comme décrit dans ce W.I.P., un rédacteur en chef et même des conférences de rédaction hebdomadaires pour décider de quelle vidéo mettre en avant. Cependant, “les conférences de rédaction sont plus consensuelles à Dailymotion que dans un média”
  • La page d’accueil de Dailymotion repose sur une éditorialisation faite à la main. “Nous avons pris de le parti d’une intervention humaine pour sélectionner les contenus”. Pourquoi? Antoine Nazareth donne trois raisons: 1. Pour montrer la diversité des contenus présents sur le site 2. Pour ajouter de la valeur au site par une sélection humaine 3. Pour se différencier des concurrents (YouTube repose sur un algorithme automatique)
  • “Nous nous sommes beaucoup battus pour affirmer notre droit à une action éditoriale”, reprend Antoine Nazaret. Reste que Dailymotion n’est pas producteur de contenus. “Vous ne trouverez aucune caméra chez nous”
  • La page des vidéos “news” (actualités et politique) de Dailymotion est la deuxième chaîne la plus regardée du site, avec près de 3 millions de visites mensuels (chiffre Nielsen) – relire le compte-rendu de la master class de Martin Rogard, directeur de Dailymotion, fait par les étudiants de l’Ecole de journalisme
  • 500 vidéos de la chaîne “news” sont envoyées chaque jour par les internautes sur Dailymotion
  • L’éditing des vidéos compte: “Ce que l’on doit vraiment soigner dès le début, c’est la preview (image d’appel, ndlr) de la vidéo ainsi que son titre et sa description”, prévient Antoine Nazaret. La “preview”, c’est le “premier critère de clic” pour un internaute
  • L’audience, même sur Dailymotion, demande des rendez-vous réguliers sur les contenus. “Nous avons recréé une quasi grille de programmes”, dit Antoine Nazaret
  • A la question “quelle différence fait Dailymotion entre un média et un homme politique, qui envoient tous les deux du contenu sur Dailymotion?, Antoine Nazaret ne fait pas dans la dentelle: “Aucune différence, l’homme politique est un diffuseur de contenu comme un autre”

Jean-François Fogel, professeur associé à l’Ecole de journalisme de Sciences Po

  • “Nous vivons à une époque formidable. Toutes les générations de journalistes n’ont pas la chance de voir naître un média, le Web, et le journalisme qui y est associé”
  • Les mêmes tâches journalistiques sont là (chercher une information, la trouver, la vérifier, la publier), mais tout a été métamorphosé, à la fois dans les outils et dans les pratiques

Bruno Patino, directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po

  • “Nous réfléchissons au futur du journalisme, mais au présent aussi, pour mieux adapter notre formation aux étudiants”
  • Au final, “le journalisme s’adapte plus vite que l’industrie des médias”

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La mécanique d’Orange

Gardiens à l’entrée du parking, double barrière, panneaux indiquant “accès réservé”. Pour entrer dans le laboratoire d’Orange, situé au milieu de la zone industrielle de Lannion, en Bretagne, il faut montrer patte blanche.

Sur place, on dirait une petite Silicon Valley sur… 33 hectares. Bâtiments à la devanture bleu vif, enfilade de couloirs transparents, jardin et terrasse attenants… Il n’y pas de piscine comme au siège de Google, en Californie, mais c’est (presque) tout comme. A l’Orange Labs de Lannion, l’un des centres de recherche et développement de l’opérateur, travaillent plus de 1.050 personnes, dont 900 ingénieurs. Ils cherchent, cogitent, trouvent, conçoivent dans tous les sens et à toute vitesse. «Lannion, c’est l’histoire et surtout l’avenir», a dit leur patron, Stéphane Richard, au début de l’été. De fait, c’est ici que la fibre optique a fait ses débuts, en 1971, et qu’a été imaginé le mur de téléprésence, en 2002.

Crédit : DR

Discussions au débotté

A la cantine ou par messagerie instantanée, les salariés lannionais parlent de «métadonnées», de «clustering», d’«espace vectoriel», et de «divergence humain/machine». Des termes un peu abstraits qui donnent cependant lieu à des outils très concrets. Ici, un résumeur de texte, capable en un clic de faire la synthèse d’un projet de loi de 120 pages comme d’un article de 3 pages, sans faute d’orthographe ni de syntaxe; là, une télé connectée au Net avec un flux de vidéos d’actu près de la machine à café; plus loin, un outil – issu des travaux menés par des collègues de Rennes- qui permet de séquencer des vidéos ou des sons en plusieurs parties.

«La vidéo est très difficile à analyser, raconte Laurent Frisch, directeur des contenus médias et entertainment chez Orange. Au début, dans les JT, on ne parvenait qu’à différencier les génériques de début et de fin du corps de la vidéo. Maintenant, on sait reconnaître – et chapitrer en conséquence – les changements de décors, de présentateurs, les reportages à l’extérieur, les interviews en plateau.» Plus fort encore, dans une émission de radio, les technologies développées à Lannion permettent de repérer quand cela change de voix, quand il s’agit d’une question, ou bien d’une réponse, et de visualiser toutes les occurrences d’un mot dans le fichier son.

Séquencer, découper, recouper

Cela n’a l’air de rien, mais pour les journalistes qui passent beaucoup de temps à traquer les petites phrases de personnalités, politiques ou autres, dans des vidéos ou des sons, c’est potentiellement beaucoup. Si de tels outils se démocratisaient dans les rédactions, ce serait 40% de temps gagné dans la journée d’un journaliste de desk. «La question revient sans cesse entre nous: doit-on ouvrir nos applications à nos partenaires, et plus loin, aux utilisateurs? La réponse n’est pas tranchée», sourit l’équipe.

Lannion, c’est aussi le seul endroit où, à ma connaissance, on peut croiser des spécialistes de la sémantique qui ne sont pas professeurs en faculté de Lettres, ou des psychologues ergonomes (cela ne s’invente pas). Certains ont fait Polytechnique, certains des écoles d’ingénieurs des télécoms, d’autres les deux. Tous cherchent à «découper automatiquement» l’actu, qu’elle soit sous la forme de texte, de vidéo, ou de son. Objectif affiché: «fluidifier la propagation des contenus pour les journalistes, blogueurs, et tous ceux qui diffusent l’info», reprend Laurent Eskenazi, responsable marketing pour le pôle médias/entertainment. Et créer des technologies qui fassent le travail.

Au fond, ils se posent la même question que les journalistes: «Comment repérer un sujet d’actu cohérent?», résume Tanguy Urvoy, ingénieur. S’il veut répondre à cette question, ce n’est pas pour produire de l’info. Mais pour en tirer le meilleur algorithme possible afin d’indexer en «sujets d’actu cohérents» une grande quantité d’infos, issues de plusieurs médias. C’est le principe de fonctionnement de l’agrégateur d’Orange, 2424actu.fr, comme celui de Google News.

Algorithme mon ami

En coulisses, ce serait presque simple, à écouter les explications. «Cet algorithme, c’est juste une grosse calculette», renseigne Tanguy Urvoy. En gros, il passe à la moulinette des articles, retire de ceux-ci la ponctuation, les pluriels des noms, les majuscules. Ce qui donne un «sac de mots». Puis «pondère» le résultat pour savoir quels mots sont importants dans ce «sac», eu égard à la place de ce mot à la fois dans l’article analysé (le mot est-il répété? Est-il présent dans le titre?) et dans le corpus créé par toutes les infos scannées à un instant T. «Plus un mot est rare, plus il remonte, reprend Tanguy Urvoy. Cela explique que l’algorithme soit très bon (comprendre: ne fait pas d’erreur, ndlr) sur les faits divers (dans lesquels vont apparaître un nom de ville ou de victime inédit, ndlr) et moins sur les débats, les rebondissements ou les événements plus diffus.»

Exemple pour mieux comprendre: le contenu intitulé au départ «Le père Arthur invite Sarkozy à Lille pour voir les roms» va créer un sac de mots dans lequel on trouvera les termes «arthur», «president», «republique», «commande», «roms», etc. Après pondération et projection de l’article dans un espace vectoriel, l’algorithme détermine qu’il va aller dans l’ensemble «roms». Et hop, le voici indexé dans un «sujet d’actualité».

«L’algorithme ne peut être parfait, veulent rassurer les ingénieurs, s’adressant à des journalistes, il y a encore quelques imperfections. Dans l’idéal, on voudrait tout automatiser à 80% et on garderait une main humaine pour effectuer les choix réellement importants et corriger les erreurs.»

A venir: un W.I.P. sur les algorithmes, nos confrères journalistes…

La collaboration avec les algorithmes vous fait-elle peur? Si oui, si non, dites moi pourquoi dans les commentaires ci-dessous…

Alice Antheaume

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