De l’esprit des «millennials»

Crédit photo: Flicrk/CC/theeerin

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Qui sont les «millennials» – que l’on appelle aussi la génération Y ou la génération Internet en France? La façon dont cette population, âgée de 18 à 35 ans, consomment les informations n’a rien à voir avec celle de leurs aînés. Et sans doute rien à voir non plus avec celle des adolescents.

Lors de la conférence FT digital media organisée par le Financial Times à Londres les 26 et 27 mars 2014, Robert Bakish, le président de Viacom International Media Networks, a présenté une étude réalisée sur près de 60.000 représentants de la génération Y en 2013. «C’est un marché extraordinaire», commence-t-il, qui concerne 2,5 millions de personnes dans le monde, et qui, l’année dernière, a dépensé «1.3 trillion de dollars aux Etats-Unis». Soit 0,9 milliard de milliards d’euros.

Parmi les interrogés, 76% pensent qu’ils peuvent enseigner des choses à des plus âgés qu’eux, 75% estiment que leur mission est de changer les choses, et 73% supposent qu’ils peuvent aller contre l’ordre établi. «Si, au travail, vous avez dans vos équipes des personnes de cette génération, mieux vaut savoir cela pour réussir à en tirer le meilleur», sourit Robert Bakish.

Paradoxes

D’autant qu’ils ont des dilemmes plein la tête, continue-t-il. Ils sont à la fois fiers de leur pays et veulent aussi rencontrer d’autres cultures. Ils vivent dans un univers régi par la crise et par la précarité professionnelle mais n’ont jamais été aussi optimistes. Enfin, ils sont «définis par la technologie et tout le temps connectés» alors que, dans le même temps, les relations avec leur famille et leurs amis sont leur plus grande source de bonheur.

Connectés

La vie hors ligne n’existe pas pour cette génération. Les chiffres évoquant leurs pratiques sont, à cet égard, éloquents. Chaque semaine, ils passent 8 heures sur les réseaux sociaux et 5 heures à regarder des vidéos en ligne. Chaque mois, ils voient près de 100 vidéos et envoient 3.146 SMS avec leur smartphone.

Et, contre toute attente, la télévision n’est pas morte pour eux, sauf qu’ils la regardent ailleurs que via un téléviseur. En Europe, 90% accèdent à des programmes télévisés en direct chaque mois – on ne parle pas ici du replay. Et, parmi ceux qui possèdent des tablettes, les deux tiers s’en servent pour regarder des contenus produits par la télévision. Dans leur vie, les écrans sont partout, et il n’y a aucune importance à distinguer, d’un côté, le téléviseur et, de l’autre, le mobile.

Attentes

Les usages des «millennials» ont, bien sûr, de l’impact sur ce qu’ils attendent des médias. Pour cette génération, les contenus d’information intègrent forcément la dimension des réseaux sociaux et ne sont pas mono-sources, mais ouverts sur l’extérieur. En outre, il faut «davantage de trames narratives dans les formats éditoriaux afin de maintenir un niveau de divertissement permanent» et, enfin, leur offrir du «glocal», une contraction des termes global et local, qui désigne des contenus mondialisés et aussi capables de s’adresser à des niches dotées de spécificités culturelles.

Dernier point, à l’attention des annonceurs. Les «millennials» mettent une valeur en majesté, l’honnêteté. «Ils n’aiment pas les marques qui se jouent d’eux», conclut Robert Bakish.

Alice Antheaume

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5 tendances numériques à South by Southwest 2014

Crédit: AA

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Des participants venus de 74 pays (contre 55 l’année dernière), un pavillon dédié à la «French tech», un autre à l’Allemagne, des discussions sur la surveillance, la vie privée, les adolescents et les algorithmes qui préoccupent la planète entière… L’édition 2014 de South by Southwest, qui s’est tenue du 7 au 11 mars à Austin, au Texas, était plus internationale que celle de 2013, avec ce «petit goût d’étranger» que n’a pas manqué de souligner CNN. Que retenir des quelque 800 conférences qui se sont enchaînées en quelques jours à un rythme effréné?

1. Les dissidents de la surveillance

Invité star de South by Southwest 2014, Edward Snowden, l’homme le plus traqué au monde pour avoir révélé les méthodes de surveillance de la NSA, l’agence de sécurité américaine, s’est exprimé depuis la Russie via une liaison vidéo aussi sécurisée qu’instable.

Dans le hall de l’Austin Convention Center, où ont été diffusées les images de son intervention, près de 4.000 personnes l’ont écouté dans un silence quasi religieux. Snowden, sachant qu’il s’adressait à un parterre de geeks, a comparé la NSA aux forces du mal d’Harry Potter et leur a demandé de développer des outils de chiffrement faciles à utiliser sans dextérité ni bagage technique particulier.

«La communauté d’Austin, présente à South by Southwest, peut apporter des réponses. Il y a une réponse politique qui doit être apportée, mais il y aussi une réponse technique qui doit être trouvée», insiste l’homme aux lunettes fines et au sourire discret.

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Célébré comme un héros par USA Today, Edward Snowden n’a pas convaincu ce journaliste de Gawker, qui estime que l’ex-consultant de la NSA a perdu son temps. Tenir un discours pro-vie privée à South by Southwest, un lieu où l’on va «pour voir et se faire voir», «antinomique avec l’idée que la vie privée est un bien qui doit être protégé», serait vain. Rien n’est moins sûr vu le retentissement qu’a eu son intervention, à laquelle Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, a ajouté sa pierre cette semaine, fustigeant le gouvernement américain, qui «devrait être le champion d’Internet, pas une menace» sur le réseau.

2. L’économie de la vie privée

La NSA en sait beaucoup. Elle en sait encore plus que ce qu’elle veut bien reconnaître, renseigne cette étude de Stanford, pour qui l’agence de sécurité américaine, espionnant les métadonnées de nos téléphones, accède aussi à nos problèmes de santé, nos affinités sexuelles, l’état de nos comptes bancaires et autres détails.

De ce constat naît «l’économie de la vie privée», laquelle surfe sur l’idée que nous serions prêts à payer un prix minime pour accéder à des services en ligne garantissant le contrôle de nos données.

Pile poil dans la tendance, les deux applications qui ont fait le plus de bruit à South by Southwest s’appellent Omlet et Secret. La première, Omlet, lancée par un laboratoire de l’université de Stanford, est un réseau social qui promet de ne pas vendre les données de ses utilisateurs ni de les stocker sur des serveurs.

La seconde application dont il a été beaucoup question à South by Southwest, Secret, n’a pas deux mois et vient de lever 8,6 millions de dollars. Elle propose de partager avec vos amis «ce qui vous passe par la tête sans craindre d’être jugé». Et pour cause, l’anonymat de ses utilisateurs est garanti… jusqu’à ce que leur secret obtienne 6 coeurs, et passe en mode public, mais sans être relié à leur profil. Ce qui compte, pour les créateurs de Secret (des anciens de Google et Square), ce n’est pas qui dit quoi, mais le principe même de partager des contenus.

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3. Les ados, ce mystère

Quels sont les usages des adolescents en ligne? Contre toute attente, ils sont obsédés par leur vie privée, révèle danah boyd, chercheuse chez Microsoft, qui tient à écrire ses nom et prénom sans majuscule, lors d’une conférence à South by Southwest. Son livre «It’s complicated – the social lives of networked teens» est le fruit de huit années de recherche et de 166 interviews conduites auprès de cette population adolescente.

Il en ressort que leur façon de gérer leur vie privée sur les réseaux sociaux ne répond pas à la même logique que celle des adultes. Ils ne cherchent pas forcément à verrouiller tous les paramètres de confidentialité de leurs profils, mais à échapper aux figures d’autorité (parents, enseignants). Pour ce faire, soit ils testent d’autres réseaux sociaux, surtout si ceux-ci n’ont pas encore été investis par des adultes, soit ils développent des pratiques de contournement. Comme cette ado qui, chaque jour, lorsque les adultes se connectent, supprime son compte Facebook, avant de, chaque nuit, quand les adultes dorment, le réactiver, pour le supprimer à nouveau le lendemain, et ainsi de suite.

Autre technique utilisée par les ados: échanger, au vu de tous, des messages codés que seuls leurs amis peuvent comprendre.

Si vous êtes parent, ne vous avisez de commenter l’un de ces messages chiffrés car cela prouverait:
1. que vous n’avez pas saisi le message codé de votre enfant
2. que vous commentez ce qui ne vous est pas adressé
et 3. que vous vous fichez de coller la honte à votre progéniture sur son réseau.

4. Le futur du journalisme? Les algorithmes

Je l’avais déjà écrit dans la boule de cristal du journalisme en 2014, il faudra cohabiter avec des algorithmes. A South by Southwest 2014, il y a eu plusieurs tables rondes sur ce sujet. Lors d’une discussion hilarante avec David Carr, le journaliste médias du New York Times, Eli Pariser, le président d’Upworthy, a ainsi précisé le fonctionnement de l’algorithme qui régit la plate-forme qu’il a lancée en mars 2012: «c’est une ligne éditoriale, intégrée à une équation mathématique. Un algorithme est un bout de code qui nous dit ce que l’audience veut voir, et tente de trouver les éléments qui vont maintenir les lecteurs sur un site, les encourager à cliquer sur des contenus et des publicités». Pour lui, aucun doute, «ces petits bouts de code sont bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions».

«Nous avons désormais l’habitude que les informations nous trouvent, en ligne, mais c’est toujours grâce à un algorithme», reprend Kelly McBride, de Poynter, lors d’une autre discussion sur les algorithmes, le journalisme et la démocratie. Tapez «journalism is…» dans le moteur de recherche Google et celui-ci indiquera la suite de la phrase la plus souvent cherchée, «journalisme is dead», relève-t-elle au passage.

Or les algorithmes ne sont pas neutres. «Il faut en finir avec le mythe de leur neutralité», continue Gilad Lotan, expert des données. «Lorsque les ingénieurs construisent des algorithmes, ils font des choix, basés sur leurs intuitions.» Et d’évoquer l’algorithme qui régit les trending topics de Twitter qui, selon lui, aurait été modifié afin que Justin Bieber ne remonte pas toujours en tête de ce classement. De même, reprend Kelly McBride, les vidéos proposées par Facebook pour compiler son année 2013 mettraient surtout en majesté les bébés, les annonces de type mariage, les visages souriants, et les photos en général.

Les algorithmes ont de plus en plus de pouvoir sur la distribution et la consommation d’informations, dit-elle encore. Ils «contrôlent qui voit quoi sur les plates-formes comme Facebook ou YouTube, ou même sur le New York Times avec ses listes des contenus les plus partagés ou les plus commentés, de même que sur Yahoo! News».

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5. Des métiers inédits

65% des écoliers d’aujourd’hui pratiqueront, une fois diplômés, des métiers qui n’ont même pas encore été inventés, anticipe le ministère du Travail américain. A South by Southwest, il y avait peut-être un aperçu de ces professions du futur.

Dans la même semaine, j’ai croisé Ben Lashes, l’agent de Grumpy Cat, le chat estimé à 1 million de dollars, qui se définit comme «managers de memes» – il s’était autrefois occupé de Keyboard Cat -, et Will Braden, créateur de vidéos de chats sur Internet, lors d’une table ronde sur l’économie des vidéos de chats en ligne. Il y avait aussi Gilad Lotan, «data scientist», ainsi que des chefs cuisiniers qui réalisent des recettes à partir d’ingrédients suggérés par une application de cuisine cognitive conçue par IBM…

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Alice Antheaume

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SXSW: Dans la peau d’un algorithme

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Cohabiter avec des algorithmes est inscrit dans la boule de cristal du journalisme en 2014. A South by South West 2014, à Austin, le programme n’y déroge pas. Les algorithmes rêvent-ils de contenus viraux? Tel est l’intitulé d’une discussion, entre David Carr, le journaliste médias du New York Times, et Eli Pariser, le président d’Upworthy, la plate-forme lancée en mars 2012 qui, en novembre 2013, a récolté 80 millions de visiteurs uniques. Le premier, campé dans son fauteuil, manie l’ironie à la perfection. Il joue à l’ancienne garde journalistique. Le second, quelque peu désarçonné par les questions de son interlocuteur, incarne la nouvelle école. Un échange hilarant, dont voici une retranscription partielle.

David Carr

On va parler d’algorithmes. Honnêtement, je ne sais même pas ce que sont ces foutus algorithmes. De quoi se nourrissent ces bêtes-là? Que faut-il leur donner à manger?

Eli Pariser

C’est une ligne éditoriale, intégrée à une équation mathématique. Un algorithme est un bout de code qui nous dit ce que l’audience veut voir, et tente de trouver les éléments qui vont maintenir les lecteurs sur un site, les encourager à cliquer sur des contenus et des publicités. Ces petits bouts de code sont bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions.

David Carr

Là, tout de suite, je ne suis pas d’humeur à lire un contenu évoquant un génocide. Que répondez-vous à cela?

Eli Pariser

Eli Pariser

En faisant des recherches pour mon livre, «The Filter Buble», j’ai remarqué que les contenus sur l’Afghanistan ne suscitaient guère de clics ni de partages sur les réseaux sociaux. Le New York Times les mettait pourtant en une de son site en disant aux Américains «nous sommes en guerre». Mais, en dehors du New York Times, quelle audience ces informations pouvaient-elles toucher?

David Carr

L’information sérieuse est peut-être une niche…

Eli Pariser

Lorsqu’on fait entre 50 à 60 millions de visiteurs uniques mensuels avec Upworthy, ce n’est pas une niche. Les drogués de l’information sont très bien servis. Mais selon une étude réalisée par Microsoft sur le comportement d’un million d’utilisateurs du navigateur Explorer, seulement 4% de ceux-ci voient plus de 10 informations en 3 mois. 4%! A nous de rendre les informations plus émouvantes, plus attirantes. A nous de procéder à la «gamification» de l’actualité.

David Carr

Vous ne rendez pas les informations plus intéressantes. Vous faites croire qu’elles sont plus intéressantes.

Eli Pariser

On a changé d’écosystème. Le temps où l’on se fiait aux couvertures des journaux et aux pages d’accueil des sites d’informations est terminé. Les lecteurs sont sur Facebook et Twitter, et ils attendent d’un algorithme qu’il leur indique quelles sont les informations les plus importantes pour eux. Si vous passez des semaines à écrire une formidable enquête que, à la fin, personne ne lit, cela ne colle pas avec la mission dévolue à votre enquête. Il n’y aucune pureté à produire de belles choses qui n’atteignent personne.

David Carr

A Upworthy, vous dites que vous êtes ce que vous mesurez. Que mesurez-vous?

Eli Pariser

Nous mesurons l’attention par minute plutôt que les pages vues et les visiteurs uniques. Comment savoir si les gens sont encore là à lire tel ou tel contenu ou est-ce qu’ils sont déjà partis? Les algorithmes voient la réalité à travers la réaction du public. Donc nous regardons nos contenus comme le ferait un algorithme. C’est une rupture par rapport à la hiérarchie éditoriale traditionnelle.

David Carr

Quand un journaliste dit à un autre journaliste qu’il a fait du bon travail, que c’est un bel article, ils se comprennent. Une machine peut-elle savoir si un article est de bonne qualité?

Eli Pariser

La qualité est subjective. La satisfaction des lecteurs et leur engagement (le fait qu’ils cliquent sur un contenu, qu’ils le commentent, qu’ils le partagent sur les réseaux sociaux) sont des preuves objectives qu’ils aiment ce qu’ils lisent. Il s’agit là de recommandation sociale pour savoir sur quoi les gens devraient passer du temps.

David Carr

Sérieusement? Vous pensez qu’un like est un signe objectif?

Eli Pariser

Un like, pas forcément. Mais un partage, si.

David Carr

Je suis influent sur Twitter. Mais c’est comme dire qu’un groupe de rock est important au Japon. Ce n’est pas rien, mais bon… N’est-ce pas la même chose pour Facebook et Twitter?

Eli Pariser

Il y a de nombreux réseaux sociaux, dont Twitter, Instagram, Tumblr. Mais l’algorithme de Facebook est plus important que le reste. Et pour cause, les chiffres sont un peu datés, mais un Américain moyen passe, chaque mois, 2 minutes sur Twitter et 7 heures sur Facebook.

David Carr

Comment faites-vous pour vérifier que les contenus que vous publiez ne sont pas des fakes? Pour ma part, je considère qu’Internet est un four auto-nettoyant…

Eli Pariser

Si on publie un fake, c’est une catastrophe pour nous. Car la seule chose qui compte, c’est la confiance de notre communauté.

David Carr

J’adore ceux qui disent cela et qui écrivent «nous sommes désolés» en tout petit lorsqu’ils se sont trompés.

Eli Pariser

On a une charte à Upworthy à ce sujet. Celle-ci stipule que l’on se doit de publier les corrections dans une typographie aussi grande que celle qui a servi à publier l’histoire originale. Et on doit mettre le même soin à rendre virales nos excuses que nos autres productions.

 Alice Antheaume

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SXSW: Chat peut rapporter gros

Crédit: AA

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Crépitements des flashs. Mouvement de foule. Le célèbre Grumpy Cat, de son vrai nom Tardar Sauce, une chatte à l’air ronchon, vient de faire une entrée surprise à South by South West 2014, à Austin, lors d’une conversation sur l’économie des vidéos de chats en ligne.

Grumpy Cat a un agent, Ben Lashes, invité à parler lors de cette table ronde. Son métier: «manager de memes», annonce l’intéressé. Il raconte ce qu’il s’est passé lorsque la propriétaire de Grumpy Cat, Bryan Bundesen, a posté une photo de son drôle de chat sur Reddit. En une nuit, elle a obtenu près de 30.000 interactions. 

Depuis, Grumpy Cat a sa chaîne de vidéos de YouTube – pas loin de 154.889 inscrits à l’heure où j’écris cet article -, a fait la une du Wall Street Journal, gagné le Webby Award du meilleur meme de l’année 2013. Quant au livre qui lui est consacré, A Grumpy Book for Grumpy Days, il figure, pour la dixième semaine, dans le classement des best-sellers du New York Times.

A Austin, la présence de Grumpy Cat suscite une douce hystérie. Des centaines de fans font la queue pour se prendre en photo à côté de cette star à quatre pattes. «Faire un grumpy est le nouveau selfie», estime Ben Lashes. Sans rire.

 

Crédit: Yann Chapellon

Crédit: Yann Chapellon

Festival de chats

Anecdotique? Les chats en vidéo ou en GIFS animés font non seulement des cartons en ligne – même si, le plus souvent, ils ne rapportent rien – mais font partie intégrante de la culture Web. Au point qu’il existe même, aux Etats-Unis, un festival des vidéos de chats, lequel a tourné dans cinquante villes au cours des deux dernières années. «100.000 personnes y ont assisté» dont 11.000 tickets pour l’édition au Minnesota, rapporte Scott Stulen, le directeur de ce festival, et «on a eu 1.100 articles à ce propos. Le tout pour 0 bénéfice».

Crédit: AA

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Tout public

L’intérêt des vidéos de chats en ligne? Agréger des catégories socio-professionnelles très différentes, des grands mères fans de chats, comme des bobos ou des enfants de 6 ans.

Will Braden, le créateur de la chaîne de vidéos Henri Le Chat Noir sur YouTube – 7,2 millions de vues -, lit ce qu’il y a écrit sur sa carte professionnelle: «je fais des vidéos de chats». Ses journées sont «surréalistes», sourit-il. «Jamais je n’aurais pensé un jour que cela serait mon métier, ni que je gagnerai de l’argent en faisant cela». Ses revenus proviennent des publicités sur YouTube et des produits dérivés d’Henri Le Chat Noir vendus dans une boutique en ligne dont un livre, «The Existential Musings of an Angst-Filled Cat». «Désormais, vous pouvez aller voir une maison d’édition en lui disant j’ai tant de followers, voici où ils vivent, et quel âge ils ont», reprend Will Braden. «Cela réduit le risque de la maison d’édition. Si 1% de tous vos amis sur Facebook achètent ce livre, elle a son retour sur investissement.»

De Grumpy Cat à Henri Le Chat Noir

«Je ne suis pas riche pour autant», reprend-t-il. La clé, selon lui, c’est d’avoir une audience spécifique et très demandée. Selon les statistiques fournies par YouTube, une majorité de femmes ayant entre 45 et 64 ans clique sur les vidéos d’Henri Le Chat Noir. «Ce n’est pas du tout le profil de l’utilisateur moyen de YouTube», précise Will Braden, qui y voit là un atout pour y héberger des publicités ciblées. Résultat, «Henri a un CPM (coût pour mille) de 10 dollars sur YouTube». Pas si mal.

La recette pour monétiser ses vidéos de chats? Connaître les fans de ses pages et leurs statistiques, utiliser ces données pour créer des produits dérivés – pour savoir si des tasses seraient une bonne idée ou s’il vaut mieux faire des tee-shirts -, et trouver des sponsors, comme Friskies. Car Henri Le Chat ou Grumpy Cat sont aussi des ambassadeurs, les images des marques des croquettes de demain.

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Alice Antheaume

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Les Décodeurs sont morts, vive Les Décodeurs

Crédit: Lemonde.fr

Crédit: Lemonde.fr

«Ceci est l’un des derniers billets de ce blog. D’ici quelques jours (…), nous cesserons de l’alimenter», pouvait-on lire vendredi dernier sur Les Décodeurs, le blog de fact checking participatif du Monde.fr. Né en 2009, cet espace s’inspirait du site américain Politifact.com et son célèbre «truth-o-meter» (le véritomètre) pour jauger la crédibilité de la parole politique.

Non, cela ne signifie pas ce genre journalistique n’a plus de sens. Au contraire. Alors que la désinformation en ligne augmente, au point que des chercheurs européens travaillent à la construction d’un détecteur de mensonges sur Twitter, Les Décodeurs sortent de l’espace limité d’un blog pour renaître au Monde.fr au sein d’un service du même nom composé de neuf personnes (un éditeur dédié, deux data journalistes, deux infographistes, trois rédacteurs, et un coordinateur du projet). Lesquelles feront du fact checking – pas que politique – toute la journée. Et ce, dès lundi prochain.

Vérifications, data visualisations et décryptages

«Nous voulons être le Buzzfeed du fact checking et démonter les rumeurs que l’on voit circuler sur les réseaux sociaux en repartant des faits, en donnant du contexte, et en s’appuyant sur des données et des graphiques», m’explique Samuel Laurent, le coordinateur du projet. Il confie en avoir eu l’idée en novembre dernier, lors des Assises du journalisme de Metz, en discutant avec Cory Haik, une journaliste du Washington Post. Celle-ci venait parler du Truth-Teller, un robot dont la mission est de vérifier automatiquement les discours des politiques américains au moment même où ils les déclament.

Pour Samuel Laurent, ça a fait tilt. Il était temps de dresser le bilan de cinq années de fact checking et de passer à l’étape suivante.

  • Leçon de fact checking numéro 1: la vérité est plus complexe qu’un tampon vrai ou faux

Parmi les enseignements tirés, il apparaît qu’il ne suffit pas d’apposer un tampon vrai ou faux sur une déclaration d’un homme ou d’une femme politique. «La vérité est chose complexe et exige des nuances», apprend-t-on sur feu le blog Les Décodeurs. «D’autant qu’elle varie selon les tendances politiques: aux extrêmes l’outrance et le faux complet; la droite, elle, affectionne les discours chiffrés, là où la gauche s’est spécialisée dans le flou et la langue de bois…».

  • Leçon de fact checking numéro 2: la politique n’est pas le seul champ qui mérite des vérifications

Autre constat, partagé à la fois aux Etats-Unis et en France: la politique ne doit pas être le seul objet des décryptages. Le Washington Post a adapté la technologie du Truth-Teller politique aux bandes annonces afin de distinguer dans les films ce qui relève de la fiction et ce qui est de l’ordre du réel – cela s’appelle le Truth-Teller pour les trailers.

De même, Les Décodeurs du Monde.fr veulent proposer du fact checking au sens large, au delà de la politique. Lorsqu’en janvier, François Hollande annonce une baisse des charges patronales, «nos lecteurs ne se disent pas “mais bon sang, quel est ce tournant libéral du président de la République?”. Ils se demandent “c’est quoi, les charges patronales?”», reprend le journaliste du Monde.fr, qui y voit là le signe qu’il faut davantage fournir des explications et des clés à l’audience.

  • Leçon de fact checking numéro 3: écouter les interrogations provenant des lecteurs

Les discussions émanant des réseaux sociaux seront scrutées de près, et guideront en partie les choix de sujets des Décodeurs. C’est là une petite rupture par rapport à la culture journalistique traditionnelle. Lorsqu’est annoncée par erreur la mort d’une personnalité en ligne, nombreux sont les journalistes qui, d’abord, ne le voient pas, et, ensuite, estiment qu’il vaut mieux ne pas en parler, au risque de donner de l’écho à une information erronée. Or il n’y a plus d’un côté Internet et de l’autre la vie, juge Samuel Laurent. En témoigne selon lui l’intox autour du soi-disant enseignement du genre dans les écoles qui a poussé certains parents à retirer leurs enfants de l’école en janvier: «c’est notre rôle que de s’attaquer à ces fakes à condition que nous soyons capables de les démonter».

S’adresser à une audience vivant sur les réseaux sociaux

L’autre objectif affiché de ce projet, c’est de rattraper par le col de la chemise ceux qui n’ont pas pour habitude de se connecter au Monde.fr. Voire qui ne s’informent que via les réseaux sociaux. Le circuit de diffusion se voit donc modifié afin d’aller trouver l’audience là où elle se trouve, en partageant d’abord des briques d’informations sur Twitter puis sur Facebook avant de publier ensuite sur lemonde.fr un contenu chapitré et composé des briques déjà disséminées sur les réseaux sociaux. «Notre temps 1 de l’info, c’est Twitter. Notre temps 2, c’est Facebook. Notre temps 3, c’est la publication sur le site. Notre temps 4 sera la publication dans notre futur journal du soir. Notre temps 5, c’est le journal quotidien. Et notre temps 6, c’est Le Monde Magazine.»

D’après les données récoltées lors d’une enquête sur l’état des pages d’accueil des sites d’informations français, 10% du trafic du Monde.fr provenait des réseaux sociaux en novembre 2013. Pour tenter de booster ce pourcentage, Les Décodeurs ont conçu un nouveau format intitulé Nanographix, une infographie présentée sous la forme d’un carré, qui, espère l’équipe, aura un «potentiel viral» important.

>> Ci-dessous un exemple de Nanographix sur la greffe du coeur >>

Crédit: Lemonde.fr

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A venir, donc, dès ce lundi dans le panier de ces nouveaux Décodeurs: des graphiques pour savoir à coup sûr si un sondage est sérieux ou non, des enquêtes pour, par exemple, identifier les communes les plus endettées, données à l’appui, et de quoi détecter si une ville est de droite ou de gauche.

«L’information sérieuse n’est pas forcément rasante», sourit Samuel Laurent. Au Monde.fr, les papiers pédagogiques – que l’on appelle outre Atlantique des explainers – dont le titre est bâti sur le modèle «comprendre (sujet) en (X) minutes» (JO de Sotchi: Comprendre la situation dans le Caucase en 3 minutes ou La maladie d’Alzheimer expliquée en 3 minutes) font des cartons d’audience. Parce que c’est la promesse d’une explication simple, pré-mâchée, qui permet aux lecteurs de briller ensuite en société ou en famille en ayant l’air d’avoir compris l’essentiel d’une actualité. Et c’est l’assurance que le temps passé à comprendre cette actualité n’excède pas quelques minutes, un délai raisonnable pour qui souhaite garder prise sur son temps.

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Alice Antheaume

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