«La rencontre entre offre (choix éditoriaux) et demande (préférences des lecteurs) ne se fait plus», assure Pablo Boczkowski, chercheur américain de l’Université de Northwestern, auteur de Digitizing the News. Innovation in Online Newspaper et de News at Work. Imitation at a Age of Information Abundance. Pour accréditer sa thèse, il a comparé les articles mis en ligne sur le premier écran des pages d’accueil de plusieurs sites d’information généralistes et les articles les plus lus/cliqués par les internautes.
Fossé
Résultat, un décalage conséquent et, finalement, une superposition minime entre les sujets choisis par les journalistes et ceux plébiscités par l’audience. Que l’on soit sur un site généraliste argentin (Clarin), britannique (The Guardian), américain (CNN), espagnol (El Pais), allemand (Die Welt), ou brésilien (Folha de Sao Paulo), le constat est le même: «Dans tous les cas, les journalistes ont tendance à faire davantage de sujets sur la politique, l’international, et l’économie, quand leurs lecteurs s’intéressent plutôt au sport, à la météo, à l’entertainment et aux meurtres», détaille Pablo Boczkowski.
Un constat qui ne diffère ni selon les pays ni selon les régions d’un même pays: c’est un phénomène que l’on retrouve partout, plaide le chercheur. Seule variable – logique au demeurant: le décalage entre offre et demande est d’autant plus grand que le site d’informations est élitiste.
Crédit: Flickr/CC/Zarko Drincic
Au comptoir de l’information
«Imaginons un boulanger qui propose à la vente 60% de pains complets et 40% de pains blancs. Seuls 4 de ses clients sur 10 veulent du pain complet, quand 6 de ses clients sur 10 veulent du pain blanc, reprend Pablo Boczkowski. A la fin de la journée, certains pains demeurent invendus, et des clients repartent insatisfaits.»
Cette métaphore n’est pas si loufoque: comme le boulanger se doit de satisfaire sa clientèle, un site Web d’infos doit fournir l’actualité du jour à son audience, laquelle doit sortir «repue» de clics et d’infos. La métaphore est même plus subtile que cela: le boulanger peut penser qu’il est meilleur pour la santé de ses clients de manger du pain complet plutôt que du pain blanc, de même que le journaliste peut estimer qu’il va élever le niveau de ses lecteurs s’il leur donne des sujets «nobles», de politique internationale par exemple, plutôt que trois brèves sur des célébrités.
Est-ce à dire que la majorité des journalistes ont une — trop — haute opinion de leur «mission», quand bien même celle-ci ne correspondrait à aucune réalité visible selon les outils qui analysent ce sur quoi cliquent les lecteurs? Certainement. Et cela se comprend. Car les journalistes, d’où qu’ils viennent, grandissent dans le culte des vertus démocratiques de la presse. Des vertus réelles. Sauf que, là encore, le Web a tout changé. Lorsque les journalistes du print écrivent un article qui n’intéresse peut-être qu’eux, ils apprennent au pire le lendemain que les ventes de leur journal sont mauvaises, mais sans savoir précisément si la désaffection du lectorat s’est faite à cause de leur article, ou si cela tient à la photo de la une, ou à la couverture, ou aux titres mis en exergue. Les journalistes Web, eux, voient en temps réel les clics — ou l’absence de clics — suscités par le sujet qu’ils viennent de publier. En clair, ils font face à la réception immédiate et permanente de ce qu’ils produisent.
Et croyez-moi, cette réception est le plus souvent indépendante de la qualité journalistique du contenu produit. Il n’est en effet pas rare qu’un article d’économie écrit dans les grandes largeurs, composé de cinq interviews différentes et ayant nécessité des heures voire des jours de réalisation, récolte à peine 5% du trafic du site, quand, dans le même temps, une brève sur Britney Spears qui a pris moins d’une demi-heure à écrire atteint les 70% de trafic.
Pour Maureen (alias Mo) Tkacick, jeune éditrice du site Jezebel, qui repose sur trois thèmes, le people, le sexe et la mode, il ne faut pas se mentir: «80% du trafic est généré par 20% des informations publiées», assure-t-elle. Une règle qui ressemble à la loi de Pareto, selon laquelle 20 % des moyens permettent d’atteindre 80 % des objectifs.
Dilemme
Alors il faut ruser. En mai 2008, quand un cyclone terrasse la Birmanie, le sujet n’intéresse pas les internautes. A 20minutes.fr, la rédaction décide de les interpeler et publie un article intitulé «pourquoi vous vous fichez de la Birmanie?». Cette fois, c’est un carton. «Plus de 15.000 morts, une catastrophe humanitaire de grande ampleur, un régime dictatorial accusé de ne pas l’avoir prévue, et pourtant vous êtes très peu à lire les articles sur la Birmanie, lit-on dans l’article. C’est un des sujets d’actu qui vous a le moins intéressés selon nos statistiques. Nous vous avons demandé pourquoi et, là, vous avez répondu en masse.» De fait, après modération, on trouve 270 commentaires qui tentent de répondre à l’interrogation.
Pour le reste, nombreux sont les éditeurs qui espèrent pouvoir attirer le public via un article people, sport, ou fait-divers, pour ensuite l’orienter par un lien sur un sujet moins facile d’accès et ayant nécessité davantage de ressources rédactionnelles.
Quel service le journaliste rend-t-il au lecteur?
Lors d’une semaine de cours intensifs à l’école de journalisme de Sciences Po, en février dernier, j’ai demandé aux étudiants de réaliser des articles trouvés parmi les sujets les plus vus de Yahoo! actualités, les plus envoyés de lemonde.fr, les mots-clés les plus recherchés du moment sur Google, via l’outil Google Trends, et les vidéos les plus vues du jour sur Dailymotion. But du jeu: apprendre aux étudiants à repérer ce qui intéressent les internautes et calquer la sélection éditoriale sur ces baromètres. Après trois jours à ce régime, les étudiants ont soupiré: «On ne va quand même pas faire des sujets sur la neige tous les jours parce que les internautes ne cliquent que sur ça cette semaine?». Soit dit en passant, selon une récente étude du Pew Internet Project, consulter la météo est en effet la première motivation des Américains pour se connecter à Internet depuis leur téléphone portable.
Posture
Que faire alors? Les rédactions qui refusent de s’adapter à que veulent les lecteurs risquent gros. Les autres doivent trouver où placer le curseur entre qualité journalistique et sujets populaires. Difficile car entre ce que les journalistes croient savoir des goûts de leurs lecteurs, et les vrais goûts de ces lecteurs, le fossé est parfois grand, rappelle Hugh Muir, journaliste au Guardian.
«Si je suis ce que je mange, je suis aussi les informations que je consomme, conclut Pablo Boczkowski. De même que le corps pourrait se satisfaire de pain blanc, l’appétit du public pour les informations pourrait en majorité se contenter de sport, entertainment, et fait-divers. Mais la société et les enjeux politiques vont en souffrir.» Question de santé.
Alice Antheaume
Pablo Boczkowski, qui était récemment l’invité du Social Media Club à Paris, (vidéo : http://socialmediaclub.fr/2010/06/la-conference-le-marche-de-linformation-journalistique-sur-le-web-du-1606-en-video/) est en fait encore plus pessimiste que ça sur l’intérêt porté par le public à l’information journalistique.
Selon ses observations, les internautes, très majoritairement, ne se connectent à des sites proposant de l’information que depuis leur lieu de travail, du lundi au vendredi, pour de très très courtes “pauses”, répétées plusieurs fois dans la journée. Ils se contentent en réalité de lire des titres et des résumés. Les sites de portails ou d’agrégateurs leur suffisent très largement.
Ils sont à la recherche uniquement de ce qu’il y a de nouveau par rapport à leur dernière visite. Une information factuelle, neutre et brève leur suffit, qui nourrira leur conversation avec leurs proches.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par narvic, brunopatino. brunopatino a dit: La question, posée par @alicanth a Pablo RT @narvic: Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent? http://ff.im/-naHjh […]
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Alice Antheaume, françois guillot, Maxime Hurtrel, Béatrice T., christophe dutheil et des autres. christophe dutheil a dit: Hyper intéressant. RT @alicanth: Et si les journalistes n'écrivaient que ce que les lecteurs lisent? Slate http://bit.ly/c3qRRq […]
Ce constat n’est pas étonnant.
Les sujets politiques sociaux ou diplomatiques sont peu lus car le décalage entre les positions défendues par les journalistes et leurs employeurs sont à l’opposé de ce que pensent les lecteurs :
(slate y compris , pardon) 99% des journalistes et des journaux dans un immense panurgisme et une unanimité consternante :
-défendent l’austérité,
-culpabilisent les citoyens avec une supposée “dette”, -souhaitent la suppression de la retraite à 60 ans,
-dévalorisent les grévistes même les grèves des journalistes !
– prônent le OUI à l’europe libérale
-approuvent Bush et discréditent Chavez
-etc
Alors que la majorité des citoyens pensent souvent le contraire .
L’information est une affaire démocratique et citoyenne. A défaut de le comprendre la profession journalistique va sombrer dans un honteux naufrage.
Gaffe quand même: etre dans le vent ou etre référent? Dans ce cas, on ne met plus le nez dans un conseil municipal ou une session de conseil général. Je crois que la question n’est pas d’écrire que ce qui plaît, mais d’apprendre à mettre en scène l’info, même la plus chiante, pour qu’elle devienne un peu sexy. Ce pourrait être une belle mission pour un jeune embauché dans une rédaction: interdit d’être chiant….
Vous donnez des cours à de futurs journalistes, et vous faîtes des articles sur les problèmes de la presse?
Ah!
Je trouve que ce constat n’est pas si étonnant que cela. On va dire que la société de consommation dans laquelle nous vivons ces temps-ci s’intéressent plus aux déboires de Britney Spears qu’aux catastrophes naturelles. Ce qui est assez… choquant et décevant vous ne trouvez pas? Pour ma part, je lis les articles les plus interessants comme l’économie, la politique ou faits divers par exemple. La météo m’importe guère il suffit de poser son nez contre sa fenêtre pour comprendre non? :). Mais, encore une fois cela est une question de goût et d’interêt? Et les personnes se cultivent de la manière qui les arrange le plus, dans certains cas c’est vraiment pitoyable.
Veuillez m’excuser des fautes d’orthographes malgré mon bon niveau en français, je reste une jeune fille de 15 ans qui écrit un peu trop vite au clavier.
Mon lien vers la vidéo de Pablo Boczkowski ne fonctionne pas (son intervention, en anglais, est la dernière). Je refais une tentative : 😉
http://socialmediaclub.fr/2010/06/la-conference-le-marche-de-linformation-journalistique-sur-le-web-du-1606-en-video/
[…] Je lis blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/2010/07/04/et-si-les-journalistes-necrivaient-que-ce-que-… […]
Adapter l’offre et la demande ?
Vous savez les sites X sont très populaires…
Ou alors vous voulez imiter le “Sun” et sa “page 3 girl” ?
On est en démocratie, je ne vous cache pas que pour agir en citoyen responsable, il faut être informé correctement sur la société. C’est nécessaire, sinon notre système ne peut pas fonctionner.
Et vous êtes liée à Science Po ???
Vous savez, pour être plus populaire, vous pourriez ajouter plus de photos de vous, ca pourrait faire du buzz.
Vous croyez que si les journalistes adaptait l’offre et la demande que ca les valoriseraient ? Le trash c’est connoté comment ?
C’est juste “décomplexé” ?
On a l’impression que vous voulez oter des yeux des gens les sujets qui sont nécessaires pour que la société fonctionne. Vous savez, si la ligne éditoriale d’un journal se veut élitiste, ce journal à une vocation conceptuelle avant d’avoir une vocation grand publique, alors a quoi rime le fait d’adapter l’offre et la demande ?
Si les gens se trompent de journal tant pis pour eux.
Manque t on de titres de presse ou de télévisions ?
Apres tout les tabloids ca existe, s’ils ont honte d’en acheter, ce n’est pas un vrai problème.
[…] 17:57:41: Je lis https://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/2010/07/04/et-si-les-journalistes-necrivaient-que-… […]
“repérer ce qui intéressent les internautes et calquer la sélection éditoriale sur ces baromètres”.
Je croyais que les journalistes étaient censés proposer un agenda, et non répéter ce que tout le monde dit déjà. Pendant longtemps, les journalistes ont été des gens engagés dans un effort de sensibilisation du grand public, justement pour leur expliquer les enjeux politiques auxquels ils ne se seraient pas forcément intéressés autrement. Ca n’a jamais été facile. Abandonner ce sacerdoce, n’est-ce pas renoncer au métier de journaliste?
Sans compter le renoncement à l’orthographe.
Une étude réalisée au début des années 2000 par le Glasgow Media Group révèle qu’il peut en être autrement. Elle montre qu’un JT, par exemple, dès lors qu’il cesse de relever d’un dispositif d’agitation polarisé sur les temporalités rapides et dénote une volonté pédagogique de saisir le latent et de formuler la complexité des événements (leurs ressorts sociaux, politiques ou économiques), éveille considérablement la curiosité des téléspacteurs et aiguise leur intérêt à connaitre, à en savoir plus…
Ce qui est certain c’est les journalistes qui ont encore un travail s’observent, s’invitent dans leur média respectif, mais ne savent plus penser par eux-même.
Ça semblent même inversement proportionnel.
“et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent”, du people, des faits divers sordides et du sport…
ah ben tiens, c’est déjà ce qu’ils font
Et si tous les journalistes ecrivent seulement ce qui interesse la majorite du lectorat, que deviennent ceux qui s’interessent aux autres articles ?
Oublies, meprises au nom de la loi de la majorite ?
Le problème n’est pas tant le fossé entre ceux qui achètent du pain blanc et ceux qui préfèrent le pain complet, mais de savoir quelle vision on a du journalisme. Pour ma part, j’opte pour la définition de Serge Halimi :
“La mission du journaliste consiste à rendre intéressant ce qui est important, pas important ce qui est intéressant.”
@Betty: En effet, apparemment, plus de gens s’intéressent à la vie privée de Britney Spears qu’à la situation internationale.
Prenons maintenant la situation du point de vue de l’individu moyen. L’individu moyen a zéro prise sur la situation internationale.
Il vote tous les cinq ans pour un président et un parlementaire (lequel, s’il est dans la majorité, vote la politique du président), qui peut fort bien se faire élire sur un programme et faire autre chose, et qui de toute façon constitue un « package » (on ne peut pas demander le programme de politique internationale de Bayrou et la politique économique d’Aubry, il faut choisir).
Vous me direz qu’il peut adhérer à une association ad hoc qui jouera le rôle de groupe de pression, mais un individu a une énergie limitée et, à supposer que son travail et sa famille lui laissent les loisirs de se lancer là dedans, il ne peut s’investir dans 36 associations chacune défendant un sujet important.
Être confronté à des faits graves sur lesquels on n’a pas de prise est anxiogène, voire inutilement anxiogène. C’est sans doute pourquoi les gens s’intéressent plutôt à des sujets légers.
Plus frappant encore aura été le traitement des incidents de l’eurotunnel qui ne concerne guère que quelques centaines de parisiens
…. ou la couverture de l’effort européen de réduction des factures de téléphonie mobile…. internationales (qui concernent qui, en France ? ).
… ou la question de la récupérations des “congés” perdus par les malheureux vacanciers coincés dans leurs villégiatures de rêve par ce volcan au nom imprononçable…
PArfois, je me demande si les rédactions se rendent compte du point auquel elles se discréditent par de tels choix rédactionnels ?
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Nicolas Bocquet. Nicolas Bocquet a dit: "Les rédactions qui refusent de s’adapter à que veulent les lecteurs risquent gros" (via @OlivMeg) http://goo.gl/xmVr […]
Votre article suppose que la quantité de clicks est une mesure fiable de l’intérêt du lecteur, ce qui est non évident, voire idiot. Votre lecteur peut très bien visiter un site pour lire 2 ou 3 articles de fond, correspondant à ses intérêts et demandant concentration, et picorer à cette occasion parmi une demi-douzaine de faits-divers ou plus pour se détendre ou par curiosité – mais dans ce cas, l’attractivité du site d’information dépendra essentiellement de ces 2 ou 3 articles de fond, et non de l’écume qu’il aura parcouru dans la foulée.
On entre dans un des graves dilemmes de la presse en ligne. Néanmoins Alice, il me semble que tu oublies un aspect. Dès qu’on arrête de traiter l’actu sérieuse, les lecteurs nous écrivent, voire nous insultent à grand coup de “Pourquoi vous parlez de cette bêtise alors qu’il y a des gens qui meurent dans le monde” (c’est encore plus vrai à L’Express qu’à 20Minutes).
Pourtant, comme tu le racontes, quand on écrit sur ces sujets, ils ne lisent pas ces papiers sérieux alors que nous avons investi du temps et de l’énergie dans ces articles.
Donc faire en 2008 à 20minutes.fr, le papier “pourquoi la Birmanie ne vous intéresse pas”, c’était surtout pour mettre les internautes face à leurs propres contradictions. Tout en réussissant à faire cliquer sur une actu pas sexy du tout. 🙂
Autre chose (décidément je m’incruste). Les journaux papiers en sont déjà là, notamment les magazines. En faisant des couv marronniers qui vendent (les meilleurs lycées, les francs-maçons), les journalistes s’achètent aussi du temps pour faire de l’enquête.
Enfin, quand ils se rendent sur des sites de médias, les internautes ne souhaitent pas trouver uniquement l’info la plus “clickable”, mais avoir un panorama de l’actu, même s’il clique sur Britney Spears à la fin. En renonçant au hard news, les site d’info perdraient toute possibilité de fidéliser un lecteur et donc de ne pas être totalement dépendant des moteurs de recherche.
Je ne suis pas certaine de vous suivre.
A partir du moment où un site comme celui de 20 minutes parvient à “ruser” dites-vous – et l’utilisation de ce terme m’a laissée songeuse, car il y entre comme l’ombre d’une amertume que je ne m’explique pas – n’est-ce pas l’indice que la “cote de popularité” de telle ou telle info (et notamment sur le net, peut-être) est fonction de la façon dont on la présente?
Je me serais sentie un peu pessimiste si la rédaction de 20 minutes avait joué la carte du populisme le plus vil pour racoler l’attention des internautes sur la Birmanie. Mais (sans avoir été prendre connaissance de l’article en question), ce n’est pas l’impression que m’en donne votre présentation.
Lorsque 20minutes.fr aborde l’actualité birmane comme d’habitude, les internautes ne paraissent pas s’y intéresser.
Lorsqu’ils sont interpelés – sans hostilité, me semble-t-il, mais avec force – ils viennent s’expliquer (j’irai prendre connaissance de leurs explications avec intérêt – et je le dis sans aucune ironie), et ils prennent connaissance du sujet sur lequel leur attention est ainsi attirée.
Vous semblez interpréter cette histoire comme renvoyant, essentiellement, à une absence d’intérêt réel pour le hard news, que l’on peut à la rigueur contourner par l’utilisation d’une astuce éditoriale.
Mais en réalité, on pourrait conclure à l’inverse, que les internautes sont en réalité intéressés par cette actualité – dont ils n’ont pas voulu prendre connaissance tant qu’elle était traitée sur un ton dont ils se sont, d’une façon ou d’une autre, lassés.
Si les sujets tels que l’économie et la situation internationale n’intéresse pas les lecteurs, ce n’est pas forcément de la faute des journalistes, mais surtout la faut de ceux qui font cette actualité.
Entre avidité, cupidité, cynisme, copinages, corruption, et sensation bien réelle de ne rien pouvoir y changer, les gens consomment l’information qui leur change les idées, pas celle qui leur rappelle à quel point ils sont inutiles et en ce bas monde.
Cela dure depuis la nuit des temps (j’exagère), disons depuis que des crieurs parcouraient les villages pour annoncer les informations dans les pays.
L’autre question est de savoir si le journalisme, par le biais de certains de ses plus emblématiques représentants, n’a pas perdu ou tout du moins très sérieusement érodé sa crédibilité à force de s’acoquiner avec les pouvoirs politico-économiques.
Las, le public les auraient tous mis dans le même sac, jugeant que quelle que soit l’analyse, elle est biaisée par l’effet de manipulation générale à laquelle participent (ou que subissent) les acteurs de la presse.
Enfin, les journalistes s’octroient “la faute”, mais avec ou sans crise de la presse, le public s’est toujours beaucoup plus intéressé à l’arrière-train ou aux nénés de britney ; qu’à la énième conférence sur le climat dont il ne ressort jamais rien.
La recette globale du contenu d’un média est la même depuis toujours, seuls les dosages ont changé.
[…] narvic Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent? (W.I.P.) (++/Pablo Boczkowski) – https://blog.slate.fr/labo-jo… […]
[…] copiste multimédia ? » – Le Monde Diplomatique – Août 2008 (2) Alice Antheaume – « Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent ? » – Slate.fr – 4 juillet 2010 (3) Interview de Dominique Wolton – http://www.omegatv.tv – […]
[…] Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent? […]
[…] https://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/2010/07/04/et-si-les-journalistes-necrivaient-que-… […]
Ce constat n’est malheureusement guère nouveau, bien qu’il mérite d’être rappelé car porteur d’une vérité de prime abord déprimante.
Quoi de pire, en effet, que de chroniquer les chutes de neige tous les jours? Tous nos confrères de la PQR comprendront aisément. (Il y en a qui aiment)
La question qui mérite plus d’être posée, à mon sens, est plutôt de savoir pourquoi les lecteurs s’intéressent d’abord à des articles courts, vite faits mal faits mais sur des thématiques presque trop faciles mais qui, pourtant, attirent les flux. (Quoique, je ne suis pas aussi certain que le nombre de clics soit un critère suffisant pour juger de la vitalité d’un article précis – l’heure de publication, la place de l’article sur la une du site… jouent aussi). Car, sinon, nous serions en effet ramenés à une certaine “bassesse thématique” qui ne manquera pas d’effrayer bon nombre de journalistes 🙂
Ceci étant dit, notons que de vite fait à vite lu, il y a une dimension de temporalité qui ne peut être omise. Lire un papier long et complexe requiert un effort intellectuel que les gens ne veulent pas (ou ne peuvent pas, et c’est un autre sujet) fournir.
C’est aussi, d’ailleurs, l’une des libertés du Web que ne permet le papier : écrire des articles avec un calibrage beaucoup plus lâche, sans réelle (ou plus faible) contrainte de signes, car il n’y a pas de maquette à tenir. Alors, il y en a qui se lâchent. Je me dénonce d’ailleurs volontiers 😮
Nous pourrions alors nous retrancher derrière un élitisme de façade en nous cantonnant à lire Libé, Chronic’art et AD pendant que les titres qui réussiront réellement à être rentables seront Gala et France Soir. C’est donc plutôt de l’ordre de l’éducation critique aux médias (bouh, une dénomination chomskyste) qu’il faut trouver une solution à ce problème car, malgré tout, je pense que cet abaissement des thèmes recherchés (qui n’a rien de nouveau en soi, notons bien) est effectivement un problème.
Il est facile de se retrancher derrière des arguments de rentabilité et de lisibilité pour amener les internautes à d’abord lire des brèves sur la dernière cuite de Paris Hilton ou sur le dernier clip de Christophe Maé, mais c’est omettre une dimension fondamentale du Web : ce média n’est pas qu’un média d’instantanéité mais également d’approfondissement, de découverte. Et tant que celle-ci ne sera pas plus inculquée, aux jeunes comme aux moins jeunes, la situation n’a aucune raison de changer!
Le contre-exemple (relatif) de Mediapart, qui parvient à faire long, intéressant et à peu près rentable, est peut-être une voie à approfondir.
Et la définition de Serge Halimi signalée par Clairon a le mérite de poser ces enjeux : “La mission du journaliste consiste à rendre intéressant ce qui est important, pas important ce qui est intéressant.”
La seule chose qui soit finalement sûre dans ce maelström est qu’il faut prendre des mesures maintenant pour obtenir des résultats… plus tard, car les choses ne changent pas du jour au lendemain. Paradoxal pour un média dont l’une des qualités premières, si ce n’est la principale, est justement l’instantanéité…
Ecrire sur le web et suivre les stats d’audience de sa production au jour le jour peut se révéler terriblement déprimant pour un journaliste. Pire, on finit par n’accorder d’importance qu’aux chiffres (pap, VU & co), à se fixer de stupides défis de plafonds à franchir (et avec un peu de créativité, ça marche : avec Internet, les arbres peuvent encore monter au ciel !). C’est optimal pour la pub et donc pour le chiffre d’affaires mais cela devient vite un vrai carcan…
Pas de solution miracle je crois, à part une bonne dose de lucidité : il faut produire le plus vite possible cette info “sexy” qui assure le business et se dégager du temps pour le boulot intéressant et le contenu riche. Ce qui ne dispense pas de chercher à rendre ce dernier attrayant : là encore, avec un peu d’inventivité, on peut “alléger” un sujet sérieux sans pour autant vendre son âme au diable ! Mais ça demande du temps… Pas facile quand justement on écrit sur Internet, le média de l’instantané par excellence !
[…] informations ont-ils besoin? (lire un précédent W.I.P. consacré à ces questions et intitulé «et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent?»). Pour Jay Rosen, un bon journaliste est supposé suivre l’activité de l’audience à la trace. […]