Les Américains sous perfusion d’infos?

«L’information est envahissante, portable, personnalisable et participative – c’est une expérience de socialisation». Cette phrase, en épitaphe d’une présentation du Pew Internet Project sur «comment  la consommation de médias a changé depuis 2000», résume les données agglomérées par une enquête effectuée sur plus de 2.000 Américains, âgés de plus de 18 ans. Ci-dessous, quelques uns des chiffres-clés à retenir, extraits de cette présentation faite en juin 2010.

Information envahissante

79% des Américains utilisent Internet, 82% ont un téléphone portable, 59% se connectent à Internet sans fil

56% des sondés disent aller en ligne pour «s’amuser» et/ou «tuer le temps»

45% des internautes interrogés déclarent en 2009 que c’est «très dur» d’abandonner Internet quand 51% des possesseurs de téléphone portable disent que c’est «très dur» de lâcher son mobile

Information portable

Sur téléphone mobile, les Américains consultent avant tout la météo, et parcourent les titres. Une frange non négligeable est abonnée aux alertes par email/sms ou «push» sur portable

Crédit: Pew Research Internet Center

Crédit: Pew Research Center

Information personnalisable

67% des Américains assurent ne suivre que des «sujets spécifiques»

28% des internautes interrogés ont déjà «customisé» une page/un agrégateur d’informations

Information socialisante

72% des Américains qui suivent les infos disent «adorer discuter avec leurs proches» (famille, collègues, amis) de ce qu’il se passe dans le monde

50% comptent sur leurs proches pour les informer des informations qu’ils doivent connaître

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Liens du jour #35

Les ados ne cliquent pas tant que cela sur le bouton “share”: 23% seulement partagent régulièrement des contenus en ligne, et quand ils le font, c’est pour la musique, les jeux et des images (The Strategy Web)

MSN veut se doter d’un code de conduite, comme dans les rédactions (News Rewired)

Le New York Times et le Huffington Post lancent des Tumblr: une migration au détriment de Twitter? (Editorsweblog.org)

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Tentative d’identification d’Owni

Owni, plate-forme de «journalisme digital», et dernier-né des pure players de l’hexagone, veut être le ProPublica (1) français. C’est-à-dire une organisation qui finance des productions journalistiques sans en tirer profit. «L’information ne vaut pas d’argent et n’en rapporte pas, m’explique Nicolas Voisin, 32 ans, à la tête d’Owni. Depuis le temps, on le sait!».

Ordinateurs customisés et appartement à moquette

Les locaux d’Owni, situés près de la place de la République à Paris, ressemblent à une ruche. Une quinzaine de personnes travaillent, dans une chaleur d’étuve due à la surchauffe des ordis, sous les toits de ce qui semble être un ancien appartement. Nicolas Voisin appelle son équipe «la rédaction», sauf qu’ici, «il y a plus de techniciens que de journalistes».

Dans l’entrée, des développeurs de sites Web. Plus loin, Jean-March Manach, journaliste spécialiste des réseaux pour le site Internet Actu, et auteur du très bon blog Bug Brother, hébergé sur lemonde.fr, et Adriano Farano, ancien directeur de la rédaction de Café Babel, qui s’occupe du développement international d’Owni. Une jeune femme ne lève pas la tête de son clavier: c’est Astrid Girardeau, ex-journaliste à ecrans.fr, qui chapeaute une nouvelle section du site, «live», dont le lancement est prévu la semaine prochaine et sera un mélange de journalisme de liens et de formats courts. Dans une autre pièce, des graphistes-designers discutent, sur des fauteuils moelleux de cuir noir, comme des producteurs de télévision, tandis qu’un nid de très jeunes éditeurs, partageant la même table – mais pas les mêmes ordis, s’activent sur les contenus du site.

Crédit: DR

Crédit: DR

De fait, comme beaucoup de journalistes Web, les éditeurs d’Owni ne font pas qu’écrire des articles, ils agrègent des contenus extérieurs, imaginent titres et intertitres, font de l’activisme sur les réseaux sociaux, parlent statistiques, trouvent des idées pour mettre en scène des données en graphiques, ou commandent des articles à des pigistes (150 euros la pige, le double s’il y a des photos et/ou vidéos avec l’article, jusqu’à 500 euros s’il s’agit d’un gros dossier). Car à Owni, il n’y a pas de rédacteur en chef. En ligne, le résultat est hétérogène: des histoires souvent inédites, des infographies bien construites, du «crowd-sourcing», une plate-forme de blogs, mais un côté labyrinthe qui peut désarçonner.

Faire du service pour faire de l’info

La spécificité affichée de ce «laboratoire on line»: publier tous ses contenus (articles, applications, graphiques, tableaux, etc.) sous licence Creative Commons depuis la date de sa création, en avril 2009. Autrement dit, les contenus peuvent être reproduits ou modifiés par d’autres, à condition de citer la source et ne pas en faire un usage commercial.

Mais la particularité d’Owni est surtout économique. Contre toute attente, ce site ne cherche pas à commercialiser ses contenus. «Nous faisons le contraire d’un Rue89, détaille l’équipe. Eux ont commencé par produire des informations en ligne, et ensuite, pour faire vivre leur modèle, ils se sont mis à vendre des services, en faisant de la formation et de la conception de sites Web. Nous avons fait l’inverse.» A savoir engranger de l’argent avec une société commerciale, du nom de 22mars, qui négocie des contrats annuels avec des institutions pour leur faire des sites Web, de la maintenance, et diverses applications. Ce n’est qu’ensuite qu’a été lancé Owni, dont les 4 salariés, les 11 associés indépendants, entrepreneurs ou auto-entrepreneurs, et les 6 contrats en alternance, vivent sur les capitaux de l’entreprise mère, 22mars (234.000 euros de chiffre d’affaires, en 2009, et un objectif d’1 million d’euros en 2012).

«Notre économie existe avant le média. Et elle existera après… A ce titre, Owni est un formidable laboratoire de R&D (recherche et développement, ndlr)», reprend Nicolas Voisin.

Non-profit

Et si, par hasard, des éditeurs publiaient sur Owni des articles pas très gentils sur les clients de 22mars? La réponse de Nicolas Voisin cingle: «Le directeur de la publication d’Owni prend la responsabilité légale des contenus publiés sur le site, pas l’initiative éditoriale.»

Pas de pression financière directe, donc, ni de quête forcenée de l’audience (100.000 VU par mois selon les chiffres donnés par la plate-forme), un rythme de publication de croisière (moins de 10 articles par jour), Owni est l’incarnation, «à petite échelle, de ce que les Anglo-saxons appellent le “non-profit” (…) qui plus est sans pub ni péage – et ceci n’est pas prêt de changer.»

(1) ProPublica a financé une production Web qui a remporté le prix Pulitzer 2010.

Alice Antheaume

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Liens du jour #34 (spécial vuvuzela)

La BBC a reçu plus de 500 plaintes à cause du vacarme des vuvuzulas lors de la retransmission des matchs (BBC news)

Mode d’emploi pour regarder les matchs de foot sans vuvuzela (Slate.fr)

Plus précis encore: comment couper le son des vuvuzelas sur son ordinateur ou sa télé? (Mikiane)

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3D à la télé, ce que ça change à la façon de regarder le foot

Reuters/Jas Lehal

Crédit: Reuters/Jas Lehal

La 3D est-elle l’avenir du football à la télé? A en voir le programme de la Coupe du monde, qui vient de débuter, nombreux sont ceux qui veulent le croire: pas moins de 25 matchs seront tournés en 3D par des caméras de Sony, TF1 en diffusera 5, CanalSat, propriété de Canal+, 10, sans oublier les quelques cinémas qui, en France, vont organiser des projections ad hoc. Qui peut regarder des matchs en 3D? A quel prix? Qu’est-ce que cette technologie change à la façon de suivre un match de foot? Débuts de réponses.

  • C’est quoi, une image en 3D?

Une image en 3D est une image en relief. Laquelle est constituée de deux images légèrement décalées l’une par rapport à l’autre. Lorsqu’un spectateur regarde une image 3D, son oeil droit perçoit l’une des deux images, son oeil gauche l’autre image, de façon simultanée et très rapide. Les lunettes permettent alors de «synchroniser» ces deux images pour que naisse l’image en relief sur la rétine.

  • Comment les cameramen captent-ils ces images sur le terrain?

Ils travaillent avec des caméras spéciales pour filmer les deux images détaillées plus haut, des caméras avec deux yeux, deux objectifs donc. Gilles Maugard, directeur général adjoint des technologies et systèmes d’information de TF1, m’explique le dispositif: «d’ordinaire, pour les matchs en HD (haute définition, ndlr), on tourne avec 15 caméras. Là, pour la 3D, on est encore en phase de test, on tourne avec 6 ou 7 caméras.» Quant aux spécificités de tournage, elles ne sont pas encore tout à fait définies. Si ce n’est qu’a priori, les plans sont pris de plus près et les zooms moins utilisés, pour éviter l’effet mal de mer. «Après l’expérience du Mondial, on aura beaucoup plus de retours de la part de ceux qui filment et qui réalisent», reprend Gilles Maugard.

  • Qui peut regarder les matchs en 3D?

Tous ceux qui ont acheté une télévision 3D, plus des lunettes pour chacun des spectateurs. Le prix de ce téléviseur? 1.300 euros pour le premier modèle, et une centaine d’euros pour chaque paire de lunettes. Tandis que Médiamétrie réfléchit à créer un panel spécial pour les spectateurs de télé 3D, il reste une option moins onéreuse: se rendre dans l’un des 39 cinémas qui projette les matchs de la Coupe du monde en 3D, à 15 euros le billet d’entrée, lunettes comprises.

  • La 3D à la télé va-t-elle susciter l’engouement des téléspectateurs?

Personne ne le sait. «On espère qu’au moins 10.000 téléspectateurs vont regarder les matchs en 3D pendant la Coupe du monde», précise Gilles Maugard. D’après le cabinet GfK, entre 150.000 et 200.000 téléviseurs 3D pourraient être vendus en France d’ici à la fin de l’année 2010. Est-ce que tout le monde aura vraiment besoin de regarder des matchs de foot en 3D? Pas sûr. Cependant, il faut noter la règle suivante: les innovations précédentes, à la télé, n’ont jamais éloigné les fans de leur sport. Ceux-ci montrent souvent une capacité d’absorption très rapide de nouvelles images, l’oeil étant capable de s’habituer.

«Regarder un match en noir et blanc, beaucoup de jeunes trouvent cela à la limite du supportable aujourd’hui», rappelle Pascal Griset, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne. C’est dire si la couleur, arrivée sur les écrans en 1967, a été vite adoptée. Quant au ralenti, il est crucial à la télévision. Un match diffusé sans ralenti, ce n’est plus un vrai match. «Même lorsque les spectateurs sont sur place, dans les stades de foot, ils regardent l’action en direct sur le terrain, puis se tournent immédiatement vers les écrans disposés ici et là dans les tribunes pour revoir une action de plus près, un but ou une faute. Enfin, les journalistes qui commentent les matchs, également sur place, font toujours des commentaires sur les ralentis diffusés sur les écrans. C’est devenu structurel.»

  • Cela va-t-il changer la façon qu’ont les spectateurs de regarder des matchs?

Oui. Car la 3D sur le petit écran n’offre pas le même confort que la 3D au cinéma. «Il faut de très bons téléviseurs, et rester bien en face de l’écran, sinon, on ne profite pas de l’image. Cela nécessite donc de rester concentré devant sa télé, ce qui n’est plus vraiment l’usage des gens aujourd’hui.» C’est donc moins immersif que le cinéma et moins intuitif que la télévision que l’on connaît. Autre problème, qui pourrait déstabiliser les spectateurs: les chaînes n’ont pour l’instant pas pu fabriquer des publicités qui, à la mi-temps, seraient également en 3D. Ce qui va obliger le téléspectateur à retirer puis remettre ses lunettes, le temps de la pause pub. «On est un peu gênés par rapport à ça», concède Gilles Maugard. «Disons que pour le moment, la 3D est un bonus plutôt qu’autre chose. A terme, la pub sera aussi en 3D, comme celle du cinéma, avant Avatar ou Alice au pays des merveilles

  • A terme, les matchs de foot seront-ils tous diffusés en 3D?

Difficile à dire. Pour Gilles Maugard, la 3D pourrait être plutôt réservée à quelques événements d’exception, comme… le Mondial. Ou alors, la 3D pourrait n’être utilisée que pour certaines séquences des matchs de foot, par exemple pour voir ou revoir certaines actions en 3D, mais pas sur l’intégralité de la rencontre. L’avenir, estime ce dirigeant de la première chaîne, c’est plutôt la HD, diffusée pour la première fois via Ushuaïa, en février 2006. Puis utilisée pour la Coupe du monde de foot 2006 sur TPS, avant de servir la Coupe du monde de rugby de 2008, sur TF1.

L’avenir du foot télévisuel pourrait aussi résider dans l’utilisation de la «Newsight GmbH», une technologie en 3D relief créée les entreprises Grundig et 3D Image Processing (3D-IP) et visible… sans lunettes. Pour les footovores, c’est le comble de l’interactivité: voir entrer dans son salon le ballon que vient de shooter un joueur mondialement connu, et ce, en temps réel. En revanche, faire la passe, toujours depuis son salon, pour remettre ce même ballon sur le terrain officiel, n’est pas encore possible. En attendant, une innovation fait sensation sur le site du Guardian, l’option «replay» des matchs de la Coupe du monde à partir des messages postés sur Twitter.

  • Le sport est-il un moteur d’innovation pour la technologie télévisuelle?

Oui. Pour Pascal Griset, le sport a toujours été «un produit d’appel». «Si les nouvelles technologies télévisuelles ne sont pas toujours créées pour le sport, elles se développent souvent avec lui», dit-il, en citant l’exemple du Tour de France, qui a grandi en même temps que les moyens de diffusion de l’image se sont perfectionnés. «Au début du Tour de France, il n’y avait aucune transmission d’image, mise à part à l’arrivée. Puis, les images ont pu être diffusées en direct. Mais il y avait toujours des difficultés à filmer les cyclistes en plein effort, sauf sur quelques points de passage.» Quand la technique a permis aux spectateurs de suivre, depuis le petit écran, la course au moment-même où les cyclistes pédalaient, cela a été la révolution. Un exploit sportif, en quelque sorte.

«Il est plus facile d’innover avec le sport, car ce sont des émissions de flux, qui offrent une grande souplesse sur les moyens de production, alors qu’une fiction, tournée 18 mois avant sa diffusion, ne permet pas du tout la même réactivité», ajoute Gilles Maugard.  Un bémol, cependant: les chaînes ont beau assurer qu’elles «créent l’événement» et que «c’est une première», en réalité, les premières images 3D, appelées à l’époque «stéréoscopiques», ont été projetées pour la première fois avant la seconde guerre mondiale, se souvient Pascal Griset. «Je ne veux pas jouer le rôle de l’historien qui dit toujours qu’il n’y a jamais rien de neuf, mais disons que cela ne sera une vraie révolution que si la technologie se répand vraiment.»

Et vous, de quelle façon aimeriez-vous regarder les matchs de foot à l’avenir?

Alice Antheaume

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Liens du jour #33

Les 5 sites qui aident à redéfinir l’édition d’informations en ligne (Mashable)

Le modèle “on paie en ligne ce que l’on veut” peut-il marcher pour les news? (Nieman Lab)

La médiocrité, reine des contenus en ligne (Monday note)

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Abus d’anonymat

«Bertrand a 42 ans, il est illettré». Ainsi commence l’article d’un étudiant en journalisme. Son relecteur lui demande: «Pourquoi Bertrand tout court? Pourquoi ne pas avoir mis son nom de famille?» Réponse: «Parce que c’est lourd à porter, l’illettrisme. Donc mon témoin a demandé à rester anonyme.» Et son professeur de reprendre: «Mais c’est son vrai prénom? – Oui.» Le même jour, un autre exemple: dans un sujet sur la souffrance au travail, réalisé par un autre étudiant, l’identité de salariés ayant mal vécu leur licenciement n’est pas révélée.

Il n’y a pas que les étudiants. Bien au contraire. Ils ne font que suivre l’exemple des nombreux journaux français qui publient des articles avec la fameuse mention «les prénoms ont été modifiés», ou qui ne donnent pas les noms des «sources». Ou… qui donnent un vrai prénom, sans le nom de famille, mais en illustrant l’article avec une photo pêchée sur Facebook, comme cela a été le cas, paradoxal, pour nombre de sujets sur Zahia, la jeune femme ayant eu des relations sexuelles tarifées avec des joueurs de l’équipe de France de foot.

Rendre une source anonyme, modifier prénom et nom des témoins, supprimer le patronyme est bel et bien un droit pour les journalistes. Mais pour Peter Peter Gumbel, correspondant de Time Magazine et professeur de déontologie à l’école de journalisme de Sciences Po, le procédé est utilisé abusivement. «L’identification des sources est vraiment essentielle pour éviter toute manipulation», argue-t-il.

Question culturelle

Or, en France, l’enjeu n’est pas le même, à écouter les étudiants, et les journalistes dans les rédactions. «C’est vrai que de plus en plus de personnes demandent à rester anonymes quand ils parlent de leur entreprise en des termes pas toujours tendres, explique Renaud Lecadre, journaliste d’investigation à Libération. Ils craignent de nuire à leur carrière. Je ne leur force pas la main, car moi non plus, je ne souhaite pas que l’article où je les cite leur nuise». Si certains demandent à ce que leur nom ne soit pas dévoilé, c’est peut-être parce qu’ils ont désormais conscience des traces numériques qui restent d’eux en ligne. Et n’ont sans doute aucune envie qu’un potentiel employeur tape leur nom sur Google et tombe sur un article qui décrit par le menu leur dépression dans leur précédent travail.

Crédit: DR/Desencyclopedie

Crédit: DR/Desencyclopedie

Léa Khayata, une étudiante de l’école de journalisme, en a fait l’expérience, lors d’un reportage sur des jeunes juifs français. «Deux des trois témoins principaux du reportage ont demandé à ce que leur nom soit modifié, explique-t-elle. Je ne m’y attendais pas (…) Une fois la surprise passée, j’ai compris les raisons de leur demande. “Olivier” et “Rachel” m’ont tous les deux expliqué qu’ils n’auraient pas pu s’ouvrir à moi de la même façon si je n’avais pas respecté leur anonymat.»

Excès de prudence, voire frilosité? «C’est un problème culturel», martèle Peter Gumbel. Lequel estime que cela proviendrait des sources françaises, en général très réservées, contrairement aux «Etats-Unis où l’on donne tout aux journalistes, identité, profession, âge, adresse, téléphone, y compris salaire et niveau d’imposition».

En outre, selon Peter Gumbel, les journalistes français auraient une fâcheuse tendance à ne pas se formaliser d’abuser de formules telles qu’une «source proche du dossier»; «glisse-t-on dans les couloirs»; «dit-on en coulisses»; «de l’avis de l’entourage». «Tout l’art du journalisme, c’est de négocier pour que le “off” (ce qui n’est pas enregistré, ndlr) puisse devenir du “on the record”», publiable donc, insiste Peter Gumbel.

«Je ne leur force pas la main»

Même avis de Jean-Pierre Mignard, avocat spécialisé notamment dans le droit de la presse: «Les journalistes français doivent forcer leurs interlocuteurs à prendre leurs responsabilités, plutôt que de faire un usage massif du procédé.» Pour le magistrat, sous couvert de confidentialité, les dits interlocuteurs se permettent de «dire tout et n’importe quoi». Du n’importe quoi qui se finit parfois au tribunal, en cas de plainte pour diffamation ou insulte. Or «une source anonyme ou non identifiable est par définition une source non recevable», rappelle Jean-Pierre Mignard, «puisqu’on ne peut pas y apporter ni une preuve de faits ni un argument de bonne foi». Comprendre: cela ne vaut rien, juridiquement parlant. «Non seulement c’est un procédé facile, paresseux et très contestable, résume l’avocat, mais c’est encore un danger supplémentaire pour le journaliste qui, lors de procès, va davantage porter la responsabilité des paroles de sa source… non identifiée.» C’est d’ailleurs écrit dans la charte des droits et devoirs des journalistes français: «Un journaliste digne de ce nom prend la responsabilité de tous ses écrits, même anonymes».

Nul besoin d’en faire tout un plat, estime Renaud Lecadre. «Le nom de la source n’est pas toujours une information en soi. Par exemple, pour les faits-divers, sur des histoires qui concernent des gens ordinaires, qu’importe leur vrai nom! Mettre l’identité de la personne ne change pas l’histoire, et n’y apporte rien non plus.»

Secret professionnel

D’autant que, dans certains cas, la modification du nom des interlocuteurs est quasi obligatoire: par exemple s’il s’agit de mineurs, de policiers, ou plus généralement, de fonctionnaires d’Etat, soumis à une obligation de réserve. Moi-même, j’ai changé le prénom et le nom d’une institutrice interrogée dans un article publié sur 20minutes.fr, «à quoi sert vraiment l’école maternelle?». C’était à sa demande. Et c’était la condition à laquelle je pouvais publier ses propos.

En évoquant ce cas avec Peter Gumbel, celui-ci m’a dit qu’il aurait fallu essayer de trouver quelqu’un d’autre, quelqu’un qui aurait accepté de parler à visage découvert. En clair, une ou un instituteur syndiqué(e), protégé par son statut.

«Il est toujours préférable d’avoir des sources identifiées, afin que les lecteurs puissent évaluer l’importance de l’information, ainsi que la crédibilité et la position de la source», explique le rédacteur en chef du New York Times, Bill Keller.

Des paroles prononcées après que le New York Times a changé sa charte sur le bon usage des sources anonymes, en 2004, à la suite de l’affaire Jayson Blair, un journaliste qui avait bidonné toute une série d’articles. De quoi «embarrasser le journal». Désormais, il est prévu dans la charte du quotidien américain que, si une source anonyme doit être citée, le journaliste doit expliquer – dans l’article – pourquoi cette source est restée anonyme. Et il doit également livrer la vraie identité de cette source anonyme à son rédacteur en chef, au motif que «l’engagement de garantir l’anonymat est collectif, celui du journal, et non celui d’un journaliste de façon individuelle».

Et vous, l’usage des sources anonymes vous gêne-t-il en tant que lecteurs? Voyez-vous des différences entre leur utilisation par la presse française et la presse anglo-saxonne?

Alice Antheaume


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Liens du jour #32

Les liens hypertexte affectent-ils notre concentration? (20minutes.fr)

Nom de code? Atlantico, le nouveau pure player bientôt prêt à sortir (Electron Libre)

Entre murs payants et tablettes, le cahier de tendances printemps-été d’Eric Scherer (AFP Mediawatch)

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