Palmarès (triste) et retour (joyeux) sur le 64e Festival
Convenu et décevant, ce palmarès qui clôture un Festival qui aura été tout le contraire. Au douzième jour d’un assemblage surprenant de diversité, le jury semble s’être rabattu sur des plus petits dénominateurs communs qui, à l’exact opposé de ce qui s’était produit l’an dernier, n’affirment aucune idée ni aucune vision du cinéma. La seule dimension un peu notable de cette liste de récompenses est de corroborer un des choix significatifs de la compétition, la présence de films de genre, en primant une comédie (The Artist, prix d’interprétation à Jean Dujardin, qui le mérite mais où le véritable intérêt du film est noyé) et à un film d’action (Drive, du Danois Nicolas Winding Refn, exercice de style sans grand intérêt, contrairement aux apparences sans doute un des titres les plus formalistes de la sélection).
Le prix du scenario prime le film le plus étouffé par la supériorité de son scenario sur sa réalisation, tandis que le partage ex aequo du Grand Prix du Jury, récompense souvent consacrée aux œuvres les plus novatrices, accuse l’indécision des choix. Palme annoncée avant l’ouverture du Festival, solution consensuelle qui prime un film dont même de nombreux inconditionnels de l’auteur des Moissons du ciel conviennent qu’il comporte bien des aspects faibles et contestables, la récompense suprême à The Tree of Life de Terrence Malick témoigne surtout de l’incapacité de ce jury de construire une proposition cohérente.
On gardera le regret que ne figurent au palmarès ni le plus étonnant et réjouissant (Pater d’Alain Cavalier), ni le plus accompli et rigoureux (Le Havre d’Aki Kaurismaki), ni le plus inventif formellement (L’Apollonide de Bertrand Bonello), ni le plus fin (Habemus papam de Nanni Moretti). Et il est à prévoir que les beaux films des Dardenne (un demi-prix pour deux frères ça ne fait pas lourd pour chacun) et de Nuri Blige Ceylan ne gagnent pas grand chose à être ainsi rassemblés. Pourquoi être allé chercher l’assemblage télévisuel de saynètes accrocheuses concocté par Maiwenn pour lui donner le prix du jury ? Mystère. Tout juste concèdera-t-on que, sans trop prendre de risques, le jury a trouvé moyen de saluer l’exceptionnelle puissance de Melancholia de Lars Von Trier sans récompenser le réalisateur lui-même, après les déclarations débiles auxquelles il s’est livré. Gageons que le cinéaste n’est d’ailleurs pas mécontent d’avoir en deux films offert deux prix d’interprétation à ses actrices (Kirsten Dunst après Charlotte Gainsbourg dans Antechrist il y a deux ans).
Mais l’essentiel n’est évidemment pas là. Il est dans l’extraordinaire fécondité du cinéma qui s’est manifestée tout au long de ce Festival, en compétition officielle et bien au-delà. Il est dans l’heureux déplacement des repères, et d’abord des repères nationaux. On a ainsi vu un film italien entièrement tourné aux Etats-Unis et en Irlande (This Must Be the Place), un film finlandais entièrement tourné en France (Le Havre), un film britannique 100% fabriqué aux Etats-Unis (We Need to Talk About Kevin), un film français qui se passe entièrement en Amérique (The Artist) et un autre entièrement tourné au Maroc (La Source des femmes). On a vu aussi se multiplier les signes de dynamisme économique, avec un marché du film en hausse conséquente, et des ventes importantes dans de nombreuses parties du monde jusqu’à présent frileuses, comme la Russie ou l’Amérique latine.
Mieux que d’habitude, le 64e Festival a aussi su faire place aux réalités du monde contemporain, avec en particulier la présentation du film collectif égyptien 18 jours et du film tunisien Plus jamais peur de Mourad Ben Cheikh, les films des cinéastes iraniens persécutés par le régime islamique Jafar Panahi et Mohammad Rassoulof, la table ronde organisée par la Quinzaine et associant cinéastes d’Iran réprimés et cinéastes syriens menacés de mort. Dans un autre registre, l’intelligence du Pater de Cavalier trouvait moyen de faire écho aux tribulations de l’actualité la plus récente, faisant vieillir avant l’âge la lourde Conquête tant médiatisée.
Si cette année aura sans conteste été celle où la Semaine de la critique, qui fêtait ses 50 ans, aura été la plus remarquée des sections parallèles – phénomène confirmé par la Caméra d’or à Las Acacias de l’Argentin Pablo Giorgelli, Un certain regard, la Quinzaine des réalisateurs et l’ACID auront également réservé à des salles combles bon nombre d’heureuses surprises. A côtés de quelques grands noms attendus, et qui ont répondu à cette attente (Gus Van Sant, André Téchiné, Bruno Dumont, Jafar Panahi – sans oublier Woody Allen et Christophe Honoré hors compétition), il faut noter l’entrée dans la lumière de jeunes cinéastes, et particulièrement de jeunes cinéastes françaises. Aucune n’en aura mieux profité que Valérie Donzelli, justement acclamée comme réalisatrice et actrice de La guerre est déclarée, mais Valérie Mrejen (En ville, coréalisé par Bertrand Scheffer), Eva Ionesco (Little Princess), Katia Lewkowitz (Pourquoi tu pleures ?) participent elles aussi de cette revigorante diversité de propositions. Au sortir de ces douze jours de véritable fête du cinéma, on se souvient avec plus d’amusement que d’affliction d’articles qui, au moment de l’ouverture, annonçaient l’obsolescence du cinéma en salles et du principe même des festivals. Du 11 au 22 mai sur la Croisette, pas un jour, pas une heure qui n’ait apporté un démenti direct à ces fausses prophéties.
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