Tous les ans c’est la même chose je me dis que je n’irai plus à la soirée d’ouverture. Alors qu’on peut tranquillement voir les films en projection de presse, sans avoir à se corseter d’un smoking et s’empapilloner. Et après, il y a le diner d’ouverture, c’est à dire une foire d’empoigne avec plusieurs milliers d’autres pingouins voraces. Désormais cordée de l’humiliation de lieux hiérarchisés, où les invités de différents rangs sont triés sans ménagement par les vigiles à l’oreille tirebouchonnée. Et tous les ans j’y retourne. Souvent, le film est pire que Le Robin des bois de Ridley Scott qui a ouvert les festivités 2010, étrange machin mal fichu, courant plusieurs gibiers à la fois, et qui se termine dans un ridicule inutile sans défaire tout à fait l’intérêt qu’on y a trouvé – comme on retient du sable entre ses doigts.
D’abord et sans conteste, le film profite de la présence de Cate Blanchett, qui sauverait presque le film à elle seule. Ensuite cette tentative de salir la légende, pas métaphoriquement mais littéralement, de la plonger dans la boue, mais une boue synthétique, où règnent les effets spéciaux numériques. D’où un bizarre effet de film à la fois terrien et immatériel, fabriquant un post-moderne médiéval dont la vanité intrigue un peu). Enfin, plus que l’idée de faire des Français les méchants (autant en vouloir à l’Histoire, et à Shakespeare au passage), celle de ramener au centre la Magna Carta, cette charte prémisse de la démocratie moderne, troispetits tours de cours avant de relivrer le rappel historique en pâture à une dramaturgie mélodramatoque, le Prince Jean allant et venant entre plusieurs fonctions (ne parlons pas de « personnages », il n’y en a aucun dans ce film), à ce moment carrément côté serpent de Walt Disney.
Tout le monde disait du mal de Russel Crowe en sortant, sous prétexte qu’il est lourd et ne fait pas grand chose. Moi je trouve ça pas mal, ça leste un film qui n’a d’intérêt que quand il ralentit, et devient assez attachant quand il en s’y passe plus rien du tout. Alors que les scènes d’action sont embarrassantes de niaiserie. Donc à un moment il y a une sorte d’enjeu politique, et puis plus du tout, comme si le scénariste avait eu un plan, les producteurs un autre, que le réalisateur avait bricolé ça en transpirant à cause de tous les effets électroniques qu’il allait falloir ajouter pas question d’à peu-près dans la réalisation quand tout le reste est complètement de traviole. Et les monteurs qui se sont échinés sans grand succès à donner de la cohérence et du rythme à l’ensemble.
Après la séance, applaudie poliment, c’était franchement plus rigolo, tout le contenu du Grand Auditorium Lumière s’apprêtant à se ruer sur les petits fours du Majestic mais bloqué net en haut des marches par une vigoureuse averse. Dans son improbable robe à froufrous, Arielle Dombasle prédisait qu’elle allait ressembler à une serpillère, du moins affichait-elle une allure et un humour qui faisait défaut à la plupart de ses congénères (moi inclus). On vit donc Thierry Fremaux, qui n’est pas seulement le délégué général du Festival (et le directeur de l’Institut Lumière) mais un garçon efficace, secouriste à ses heures, judoka expérimenté, et bien d’autres choses encore, porter lui-même des brassées de parapluies pour ses hôtes en détresse. Sous la tourmente, nous finîmes par aller du Palais au palace, pour ne pas manger et mal boire, en piétinant et en se fichant des coups de coudes les les autres.
Tout ça pour dire que cette année c’est un peu pire (la soirée), et un peu moins pire (le film), mais surtout que j’ai repiqué au truc. Parce que j’aime ça, que Cannes c’est aussi ça, qu’on y peut boire des demis dans des bistrots jusqu’à l’aube ou faire le dandy, rencontrer des jeunes amoureux fous du cinéma avec qui discuter des différentes versions des Rapaces de Stroheim ou d’Out One de Rivette, des affairistes véreux (ou pire, juste des affairistes), quelques uns des plus grands artistes vivants, des publicistes cyniques et des aficionados qui ne jure que par telle sélection, tel café, telle idée du cinéma, tel année « historique ». Et que se priver de l’un ou l’autre de ces aspects composites, sinon contradictoires, serait – pour moi – rater ce qui fait le sel unique de ce festival. Demain, je veux dire tout à l’heure, ouverture de Un certain regard et de la Quinzaine, premier film de sélection officielle, la gourmandise est à son comble. Le cinéma, encore une fois, commence.
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