Ce Vendredi matin, j’ai aperçu Bernard Brochant, Maire de Cannes, à deux reprises. La première, à 11h, en traversant la place de l’hôtel de ville où se déroulait une cérémonie en hommage des victimes françaises des massacres de Sétif, devant le monument aux morts. Un rassemblement destiner à « apaiser les tensions », dans une polémique qui depuis le début du Festival laissait redouter de fortes perturbations pour la projection du film de Rachid Bouchareb, « Hors la loi »
Environs 500 manifestants, pieds noirs ou anciens combattants, brandissant des banderoles, photos chocs de français ou de harkis égorgés, furieux d’un film qu’ils n’avaient pas vu « et ne souhaitaient pas voir de toute façons », et outrés que la France, donc le contribuable, donc eux, ait produit un film occultant un pan tragique de l’histoire des français d’algérie.
Difficile de leur expliquer qu’un film de cinema n’a pas vocation documentaire ni obligation d’exhaustivité, surtout sur un thème dont le point de vue algérien a été si peu traité ces trente dernières années. Tandis que la rancœur et la peine des anciens combattants, bien que disproportionnées par rapport au film, paraît sincère, la queue de défilé s’ultradroitise et devient inventive sur les répercussions que pourrait avoir le film. On y parle d’un embrasement des cités, d’une islamisation à outrance, les bras fatigués des anciens combattants laissent placent à d’autres plus musclés et plus jeunes, ne suscitant pas la compassion. Des mouvements d’extrême-droite avaient parlé d’une « croisade sur la croisette » pour cette journée de projection, ce qui avait motivé la présence en masse de camions de gendarmerie devant le palais, et triple fouille en son entrée.
Un dispositif impressionnant.
Au final, la projection se sera déroulée dans le calme, et, en lieu et place de l’instrumentalisation redoutée, tout le monde a joué sa partition. Les anciens d’Algérie ont parlé, les extrémistes ont du se taire, les gendarmes ont gendarmés, la municipalité a canalisé, et le cinema, solidaire, a pu faire valoir la liberté d’expression du réalisateur et les valeurs qui animaient le Festival. RDV à la prochaine polémique, et viva il cinema.
Ambiance toute autre, deux heures plus tard sur la place de la Castre qui, du haut du suquet, domine le port et la Croisette. On y monte à pied via des escaliers en pierre qui épousent cette ancienne colline, en crachant ses poumons, accréditation ou pas.
Comme chaque année depuis 2001, le maire y organise son déjeuner : un Aïoli géant, en présence du jury du Festival et de 500 cannois, journalistes, partenaires et personnalités conviées – « jamais aucune défection parmi les membres du jury, hormis Emmanuelle Béart en 2004. Même Sharon Stone a gouté l’aïoli». David Lisnard, adjoint au maire, Président du Palais des Festival. Bogoss quadra et hyperactif, il traverse les tables comme un jeune marié, et consulte régulièrement son portable pour s’enquérir de la situation autour du Palais. Avant l’aïolade, il a fait visiter au jury le musée de la Castre, jouxtant la placette. A l’image de nombreux musées de la région, l’endroit est mignon mais on ne pige pas ce qu’on visite : objets antiques d’Océanie, d’Amérique du Sud, instruments de musique. Alexandre Desplat s’installe à un piano et joue devant Benicio Del Toro, Lisnard twitpique la scène.
Car le député suppléant est également un twittos et un blogueur. Il voit tout passer sur twitter, et répond aux messages privés. Il connaît nos pseudos. Je me félicite in petto que Second Life ait périclité, car à ce rythme on aurait presque pu danser un slow virtuel ensemble sans faire gaffe.
Après un pastis de l’amitié, je montre patte blanche sous l’arche en pierre de la place, et on accède au banquet sous une haie fleurie de mamies en costume provençal. Des seniors jouent le fifre et le tambourin, je n’ai jamais vu autant de Provençaux à Cannes, ville dont il faut avouer qu’on ne ressent pas la provençalité à chaque coin de rue. On parle d’un accent Niçois, d’un accent Toulonnais ou Marseillais, mais rarement d’un accent Cannois. Varois de cœur, l’univers me rassure, et l’ambiance est chaleureuse. Je ne suis pas loin d’embrasser les bonnes joues d’une des mamies de l’académie provençale.
En tout cas l’assistance est ravie. De tous les évènements du Festival, c’est à n’en point douter le plus hétéroclite. A ma table, des commerçants cannois, une twitteuse, des cadreurs canadiens, et un jeune journaliste tchèque, dont l’apparence d’oiseau blessé et la solitude attirent ma sympathie aillée. Je lui explique, égayé par le rosé, les vertus de l’aïoli – il acquiesce poliement à mes blagues. Il me raconte ensuite avec beaucoup de gêne que son travail est compliqué à expliquer car il est tchèque mais travaille pour un journal web slovaque. Cela me paraît plutôt simple, mais les pincettes qu’il a pris pour m’expliquer cette situation me laissent perplexe, comme s’il redoutait que je me lève subitement pour le dénoncer en hurlant. Il partira au milieu du repas à toute vitesse, cela aura été l’enigme de cette journée.
J’aperçois le maire pour la deuxième et dernière fois. Un rapide discours destiné à ses invités, dans un anglais avé l’accent, mais plutôt fluent, à mi chemin entre De Caunes et Raffarin. Il y loue la vie à la cannoise, ou toutes les religions et tous les âges vivent ensemble en parfaite harmonie, au sein de ce petit paradis. « Et comme on dit en Provence, à l’an que ven ! »
Whatever. Les Canadiens descendent le rosé, et quand leur plat est fini, finissent l’aïoli à la tartine. Deux petites tartelettes en dessert, un café, et on sent venir la fin. Le jury est déjà reparti dans les voitures protocolaires, après 60 minutes de visite-dej-café.
Je redescends le suquet en zig-zag en compagnie d’un agent immobilier et son épouse – ou sa fille, je n’ai pas osé demander.
I’a plus rouge ni blanc, i’a plus nèrvi ni fiòli,
Quand l’aiòli parèis, car l’aiòli es l’aiòli:
Un manja prouvençau que s’arrapo i rougnoun.
(Il n’y a plus ni rouge ni blanc, ni bourgeois ni brigand
Quand apparaît l’aioli, car l’aioli c’est l’aioli
Un plat provençal dont tout le monde se régale.)
Audouard Marrel, 1882
bonjour
1) vous reprenez les chiffres du Figaro (entre 500 et 700 manifestants) mais la dépêche de l’AFP disponible 1 heure plus tard mentionnait déjà 1200 manifestants selon la police : ils étaient environ 1500
2) “ils critiquent un film qu’ils n’ont pas vu” avez-vous remarqué que tout ceux qui l’encensaient ne l’avaient pas vu non plus simplement pour rester dans le politiquement correct, la bienpensance de la LDH et autre ?
3) Mr Bouchareb dit en France qu’il s’agit d’une fiction mais en, Algérie qu’il s’agit d’un film historique !
4) la vérité historique oui mais toute la vérité !
vu d’Algerie et particulièrement de kabylie, l’agitation sur le film hors la loi est disproportionnée. hors la loi est une fiction comme le livre de saadi, Amirouche, une vie, deux morts et un testament.un récit. qui lui aussi, suscite des polémiques chez les anciens combattants.