Première scène de « Wall Street, l’argent ne dort jamais » d’Oliver Stone projeté hier à Cannes : Gordon Gekko (Michael Douglas), géant de la finance déchu, sort de 14 années de prison. Ses objets lui sont restitués un par un. L’énumération de sa maigre cassette résume à elle seule l’état dans lequel on retrouve Gekko, celui qui fut l’antihéros de fiction le plus célèbre du Wall Street des années 80 (avant que Patrick Bateman, personnage du roman “American Psycho” de Bret Easton Ellis, ne lui vole la vedette).
Quelques feuilles reliées, une chevalière, un pince à billets sans billets, et un téléphone. Pas n’importe quel téléphone : le Dynatac 8000, un des premiers portables vendus aux USA. La salle se bidonne en voyant le volumineux engin en plastoc.
Au-delà de l’effet comique, la scène révèle les deux bouleversements dont Gekko n’aura pas été partie prenante durant ces 14 années de détention. Et ils sont inextricablement liés : l’évolution du système boursier, et le progrès technologique.
Gekko, un protogeek
Dans le premier Wall Street, il existe une barrière invisible entre les moguls et le reste du monde : les uns possèdent l’information, les autres ne la possèdent pas. Et, corollaire à l’époque, l’accès à cette information est en partie conditionné par la possession matérielle de l’outil d’information – inaccessible pour le commun des mortels.
Le Dynatac pesait 785g, et coutait 3995$ de l’époque – environs 9000$ d’aujourd’hui, l’équivalent de 200 iphones tout neufs et hors forfait.
Lorsqu’il est utilisé dans le film, c’est toute sa mobilité qui s’exprime – et à l’époque, l’image même de voir un téléphone en extérieur est fascinante. Gekko, sur la plage, et sa nemesis, l’anglais Sir Larry Wildman, sur le deck d’un yacht, consultant tranquillement son énorme PC dans un bain de soleil.
« La plus précieuse des commodités que je connaisse est l’information», révèle Gekko à son jeune apprenti, Bud Fox (Charlie Sheen) dans le premier opus. Dans « Wall street never sleeps », les choses ont quelque peu changé. L’accès à la communication n’est plus réservée à un cénacle. La comparaison des deux jeunes traders du I et du II révèle le fossé qui les sépare. Le jeune Jacob Moore, sorte de reflet inversé sauce 2010 de Bud Fox, éco-aware et sentimental, se réveille en ouvrant son laptop et en allumant Bloomberg sur son écran avant même d’être sorti du lit. Les infos du marché sont ingérées avant le petit déjeuner, contraste saisissant avec le trader de 1986, l’œil rivé aux LED vertes de la salle d’affaires, les ordres du jour distillés par un haut-parleur grésillant.
Du Quotron de Bud Fox au Reuters Messenger de Jacob Moore…et Jérôme Kerviel
Pour passer les ordres et observer les tendances, Bud Fox (Wall Street 1) pianote sur un Quotron, un système de données financières devenu mythique (on appréciera le clavier dans l’odre alphabétique, rêve de tout policier). Le Quotron sera racheté par Reuters en 1994 et deviendra Reuters Trader, le système de consultation financière le plus utilisé au monde – en plus d’apporter un confort de consultation et d’analyse incomparable avec les systèmes de l’époque, il intègre un formidable gadget inter-opérable avec MSN : le messenger.
Si elle apporte du confort aux jeunes traders d’aujourd’hui, la messagerie instantanée est à double tranchant. En 1986, pour propager ses rumeurs, Bud Fox utilisait le téléphone, en codant son info (le mythique « Blue Horseshoe Loves Anacott Steel »), puis se lève de son siège, et parcourt toute la salle, égrenant à l’oreille de tous ses collègues de confiance la même info. En 2010, Jacob Moore envoie un IM ou un twit privé (twitter est mentionné sur le dossier de presse, bien que le « texting » soit plus mis en avant dans le film) à une liste restreinte de collègues. Si l’opération est moins longue et moins calorique, elle devient plus dangereusement détectable.
Jérôme Kerviel peut en témoigner – les historiques de ses chats paniqués à son ami Moussa provenaient précisément de son Reuters messenger. Les retranscriptions sont étonnantes, mélange de conversations informelles et d’aveux paniqués, matinés d’une grammaire SMS peu glamour.
Même mésaventure pour Fabrice Tourre de Goldman Sachs, pincé, lui, à cause de ses emails (il est intéressant, quand on parcourt les transcripts des mails de Goldman Sachs, de voir à quel point le français aime faire de longue, jolies phrases, là ou l’américain est concis et vigilant – c’est peut-être sa françitude qui a piégé Fabulous Fab).
L’information : à chercher en 1986, à cacher en 2010
Les enjeux scénaristiques de Wall Street 1 et 2 résideront dans le contraste générationnel. La manière d’escroquer s’adapte aux outils – seul fil rouge : la puissance de la rumeur, devenue exponentielle à l’ère de l’instant messaging.
Le méchant de Wall Street 1 faisait son beurre sur le délit d’initié, cherchant l’info à la source, quitte à faire traquer ses cibles en taxi, pour prendre ensuite l’ennemi à revers.
Objectif : être là ou les autres ne sont pas.
Dans Wall Street 2, c’est au contraire sur la dissimulation que les nouveaux escrocs travaillent, inventant de nouveaux produits financiers aux définitions volontairement opaques, misant à la fois sur des valeurs et l’échec de ces valeurs – « 75 personnes dans le monde savent ce que toutes ces initiales veulent dire », dit le Gekko 2010, amer et repenti, devant une assistance de jeunes traders.
Objectif : être partout en même temps.
Entre la projection presse de 8h30, et la projection officielle de 19h00, le CAC 40 aura chuté de 4,59 %. J’ai vérifié les chiffres via mon iphone, sur la croisette, face à la mer – Gekko ’86 style.
Henry Michel, à Cannes.
photogrammes (c) “Wall Street”, Oliver Stone, 20th Century Fox.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Hélène Huang. Hélène Huang a dit: Wall Street by Oliver Stone: ça me donne envie de le voir… http://bit.ly/crWds6 #cannes […]
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