La gentrification du football

Enrico Macias, le visage du nouveau supporter de foot.

Le foot change de public. Les dirigeants visent les spectateurs aux poches les plus remplies et tant pis pour les autres.
A partir de 2013, le vrai foot à la télé sera payant. Al Jazeera et Canal + se partageront les droits de la Ligue des Champions et de la Ligue 1 en France. M6 et TF1 pourront toujours s’écharper pour savoir qui paiera beaucoup trop cher pour diffuser les mornes matchs de l’équipe de France. France Télé, toujours en retard, garde les matchs des coupes nationales et ses sponsors improbables – des brioches Pasquier au PMU.

Cette nouvelle donne télévisuelle coïncidera avec les premières livraisons des stades rénovés (ou construits) pour l’Euro 2016. Il y a fort à craindre que l’entrée dans ces enceintes flambant neuves sera sensiblement plus chère que l’entrée dans les stades historiques. L’Angleterre, qui a connu avant la Ligue 1 les arrivées de milliardaires étrangers et la construction de nouveaux stades/centres commerciaux, a vu les tarifs des abonnements s’envoler à Manchester comme à Arsenal.

Du footix au bobo

Tous les éléments sont réunis pour une mutation profonde dans le football: le changement de ses spectateurs. Le foot n’est plus un sport, c’est un spectacle et un business. Pour filer la métaphore, c’est davantage une comédie musicale de Kamel Ouali remplissant le palais des sports qu’un Coluche des débuts dans le peu glamour café de la gare…

Depuis 1998 et le succès populaire des Bleus d’Aimé Jacquet, le foot est sorti de sa niche. Les discussions autour du ballon rond ne se limitent plus aux mains courantes de stades ou au zinc des bars. Le foot se féminise, le foot s’intellectualise, le foot se politise. Il devient possible d’intéresser un public aisé et nombreux aux aventures de onze gars en short.

La transition est douce mais inéluctable. La vieille garde des journalistes sportifs est poussée vers la sortie et leurs remplaçants ne leur ressemblent en rien. Christian Jeanpierre est un présentateur pour enfants, voyant la vie en rose et s’extasiant sur le moindre geste technique. Hervé Mathoux joue plutôt la carte jeune cadre. Costard, humour policé, palette toujours prête. On est loin des Thierry Roland et Eugène Saccomano, dont les commentaires lors de l’affaire Zahia sont exceptionnels de beauferie.


Le Replay, saison 2: épisode 7 par Les_Cahiers_du_Football

Le PSG est un excellent exemple de ce mouvement. Afin de contrer la présence de quelques mecs violents dans les tribunes, le club a dit “bye bye à ses groupes de supporters. Le plan Leproux, symbolisé par la mascotte Germain le Lynx, fait la part belle aux familles et aux places VIP. La logique est la même lorsqu’on interdit aux supporters marseillais et parisiens d’aller soutenir leur équipe à l’extérieur lors des duels PSG-OM. Une tribune populaire est susceptible de déborder, de claquer un fumigène ou de chercher l’affrontement physique avec les adversaires ou les stadiers. Un spectacle trop choquant pour certains. Du coup, on dégaine les interdictions de stade à la sulfateuse. Propre.

Foot, PS, même combat?

Le foot, comme le PS, se coupe donc de son public populaire. Reste un impondérable: les joueurs, issus bien souvent de ces couches populaires. Un peu comme des citoyens romains allant voir des gladiateurs sauvages dans l’arène mais n’en voulant surtout pas au forum, les dirigeants cherchent à contrôler les sorties médiatiques de leurs joueurs. On leur donne des éléments de langages pour éviter les dérapages, on envoie en conf’ de presse ceux qui passent le mieux (Toulalan pendant quasiment toute la Coupe du monde 2010) et on leur fournit des sapes siglées de leur club pour assurer un certain standing. Il ne faut pas choquer le bourgeois.

Mais cette politique a ses défauts. La passion autour du foot semble s’amenuiser. Dans le numéro 91 du magazine So Foot, le football amateur est présenté comme en état de crise avancé. Manque de licenciés, certes, mais surtout manque d’encadrants bénévoles, de public et de dynamisme. Vous avez déjà vu un mec en costard se lever un dimanche pour coacher des moins de douze ans lors d’un match super important contre le premier de la poule dans le canton voisin ? Ce désamour pourrait coûter cher au monde pro quand le vivier nécessaire au renouvellement des générations s’amenuisera. Moins de jeunes talents = moins de spectacle au stade = moins de spectateurs premium.

En attendant une possible implosion du foot français, quel avenir pour les supporters traditionnels? Comme en Angleterre, certains se dirigeront peut-être vers les stades des divisions inférieures afin d’épancher leurs passions débordantes. Ils seront d’autant plus éméchés qu’ils traîneront régulièrement dans les bars pour y mater les matchs des grandes équipes. Pour les plus sobres, il reste le streaming, en espérant que Hadopi 3 soit aussi inefficace que les précédentes.

Olivier Monod

Suivez-nous aussi sur Facebook et sur Twitter

Crédit REUTERS/Charles Platiau

4 commentaires pour “La gentrification du football”

  1. Je pense que les clubs français n’ont pas trop intérêt à tirer sur la corde car le réservoir de public n’est pas le même qu’en Angleterre, différence culturelle oblige.

    Le PSG arrive à attirer un public plus “bourgeois” cette année car d’une part, ils attirent des “stars” à grands coups de pétrodollars et de manchettes de journaux, et d’autre part, c’est le seul club digne de ce nom en Région Parisienne, de loin la région la plus riche et la plus peuplée.
    Hormis le PSG, je ne vois pas d’autres clubs pouvant attirer un public de cadres payant 30 ou 40 €/place. Même Lyon et son futur stade de 60 000 places ou Marseille ou Lille. Sans parler des clubs plus modestes comme Sochaux ou Caen qui voient leurs affluences actuellement stagner.

    Bref, les dirigeants français ont plutôt intérêt à regarder du côté de l’Allemagne où les supporters sont mieux intégrés aux clubs. A trop jouer aux autocrates, les dirigeants français risquent d’entretenir une forte volatilité de leur public : un public présent seulement lors des temps forts.

    Perso, quelque part, ça me ferait bien marrer que les clubs français se prennent une bonne gamelle : effondrement des affluences dans les stades, stagnation des audiences TV, etc.

    Ca leur apprendrait la modestie et à respecter leur public.

  2. Si le PSG attire un public plus bourgeois, c’est parce que les jeunes des quartiers voisins y vont plus et que le prix des places ( en virage) est plus qu’abordable. Le plan Leproux est l’une des causes principales et c’était déjà le cas l’année dernière, les qataris n’ont fait que renforcer l’attractivité. Mais si les gens vont au parc c’est avant tout que les prix y sont plus qu’intéressant surtout pour les 15-25ans.
    Le public s’en retrouve épuré? Non , j’ai toujours trouvé le public du parc assez éclectique même lorsque les abonnements en virages étaient encore possible et tant mieux.

    Je sais de quoi je parle puisque je fait partie de ce public, ancien abonné il y a quelques années j’y retourne aujourd’hui plus facilement tout comme de nombreuses personnes ( anciens abonnés ou pas).

    Concernant le phénomène de gentrification, êtes vous allé dans les stades de Premier League ? Le public est massivement issu des classes moyennes plus pauvres que riches mis à part Chelsea ou Arsenal ( ce qui s’explique par leur implantation géographique au sein de quartiers chic).

    En effet difficile de trouver mieux comme consommateur, qu’un type animé par une passion. Un public plus riche préféra dépenser son argent dans un autre domaine plus enclin à lui offrir une meilleure reconnaissance dans son milieu social.
    Et actuellement si vous allez dans les clubs amateurs et bien vous constaterait qu’ils sont essentiellement composés de personnes issus de milieux “populaires” . Et ce sont ces mêmes personnes qui jouent au foot qui le regardent , qui en sont passionnés et qui de facto sont des cibles faciles pour le marchandising. Le t-shirt de foot dans les milieux aisés est un truc de beauf dans les milieux populaires il permet de marquer une différence chez celui qui le porte, chose dont j’ai pu m’apercevoir lors de mon adolescence.

    Les critères de reconnaissance et les moyens d’y parvenir ne sont pas les mêmes selon les milieux sociaux et le foot est encore largement délaissé dans les couches les plus aisées.

    Concernant les journalistes , ça fait des lustres qu’ils commentent en costard 3 pièces, chose ridicule je vous l’accorderai. Mais pour beaucoup le foot est quelque chose de sérieux, trop sérieux que ce soit chez celui qui le vend ou celui qui l’achète.

    Le foot amateur est en crise, certes il manque des adultes pour encadrer les jeunes. Mais quand vous aurait bossé comme un acharné toute la semaine, allez trouver la foi. Les communes sont de plus en plus réticentes a à fournir des subventions aux clubs, la mentalité de “village” n’est plus au goût du jour, les jeunes préfèrent rester chez eux le dimanche pour jouer aux jeuxvidéos, bref ce n’est pas seulement le foot qui change mais tout une époque.

  3. […] La gentrification du football Le foot change de public. Les dirigeants visent les spectateurs aux poches les plus remplies et tant p … Source: blog.slate.fr […]

  4. […] analyse sur le foot business dans le blog foot de Slate.fr… tout s’applique parfaitement à OL […]

« »