La recette du polar-carton

Comme dirait l’autre, si on est critique, c’est qu’on est un artiste raté et/ou frustré. Ce qui explique pourquoi on est si méchant. Tu ferais pas mieux que les scénaristes que tu critiques, me disait un jour un critique de critique qui n’avait sans doute pas tort même s’il n’avait rien compris. Du coup, à défaut de pouvoir faire mieux, je me suis demandé comment faire aussi bien. Il doit bien exister une recette pour faire des cartons dans les audiences, me suis-je dis. Parce que j’avais chaud (et que ça a du me monter à la tête), parce que je venais de me taper des épisodes d’un bidule tellement nul qu’il cartonne (et que ça a du me re-monter à la tête), je me suis mis en tête (du coup) de faire une petite liste de ce qu’il me faudrait mettre dans mon scénario de carton (si j’en écrivais un très cyniquement pour qu’il cartonne) – tout ça en étant méchant, parce que c’est mon job. Aller, au pif, faisons un polar*.

1. Un flic. Le flic, c’est le soduku de la série télé. Ça vous fait réfléchir, mais pas trop, entre deux métros. Ça rassure. En ce moment, le flic est fort mais se mange un peu déprimé. Un peu alcoolo. Un peu seul. Un peu raté. Un peu fragile. Un peu. Sinon, tu finis chez Canal.

2. Une flic. Ben oui. Faut de l’amour. Et puis la flic, qui est une femme, est plus fragile que le flique qui est un peu fragile. Des fois, elle pleure, mais au fond elle est plus forte que le flic. Tout ça est tellement compliqué que ça finira chez le psy. C’est dire.

3. Des enfants. Plein. Après chaque cadavre découvert, il faut une fillette. Pas une petite grosse. Une poupée, toute blonde et toute mignonne avec de grands yeux tout mélancoliques, qui réclame sa maman ou son papa – dont les restes sont embarqués dans un grand sac. Mettons-en aussi dans la vie du héros, qui les adore et/ou les déteste mais va se rendre compte que c’est le résultat d’un trauma de son enfance et/ou qu’au final il a tort.

4. Un pavillon de banlieue proprette. Même si ce n’est pas celui du héros. Cherchons si possible une maisonnette qui fait super américaine, sans muret, sans grillage. Mettons-y la famille du gentil (des gens normaux) ou un tueur, pour un méga effet surprise (ça aurait du être un gars normal). Si vous craignez que la complexité de ce dernier point embrouille les téléspectateurs, placez votre tueur dans un appart ravagé, avec des fuites au plafond, éclairé au néon clignotant, les fenêtres obstruées par du papier journal. Comme ça, ce sera clair.

5. Un chien. Il faut ce qu’il faut pour faire baisser l’anxiété du téléspectateur pas averti, mal à l’aise depuis qu’il a compris que dans un polar, y’a souvent une victime.

6. Des répliques fortes. Par exemple : « N’essayez pas de vous payer notre tête ! » ou « le meurtrier est certain d’être dans son droit ! » En fait, tout ce que vous pensez qu’un flic pourrait dire. Et, surtout, quand il arrive sur une scène de crime, faites-le dire « Qu’est-ce qu’on a ? » Un truc, pour vous faciliter la vie : finissez toutes vos répliques par des points d’exclamation.

7. Un commissariat mieux que chez Ikea. Baies vitrées, larges espaces, ordinateurs rutilants, décoration au goût certain, machines à café à tous les étages, fauteuils confort, et si possible vue de choix sur un monument parisien – au pire, les toits, c’est romantique. En gros, pensez commissariat de Deauville implanté sur l’Île de Cité. On n’est pas là pour faire réaliste. On est à la télé.

8. La super compil des trucs qui n’arrivent que dans les séries, jouée dans son intégralité. La porte qui se casse en un coup de pied, le téléphone qui sonne pile quand il faut et ne se décharge jamais, les ordinateurs qui font « bip », « dridridridri bip » quand tu tapes sur le clavier et qu’une liste de noms apparaît, les voitures qui font toujours un burnout au démarrage, le méchant qui ne veut pas se la fermer et qui du coup laisse le temps au gentil de s’en sortir, les parties de jambes en l’air tout habillé, etc.

9. Une direction artistique à la pointe. Derrière la caméra, il vous faut un mec qui voudrait faire du Malick, mais qu’on force à faire une pub pour Canard WC. Champ, contre-champ, champ, contre-champ paf, ni vu ni connu tournoiement de la caméra. Deux fois par épisode, laissez lui le droit de se prendre pour un réal de clip techno, avec des séquences pleines d’effets assassins pour les épileptiques. Côté bande son, pensez au tapis de « Qui veut gagner des millions ? » avec le climax (« pooooummmm ») à chaque fin de séquence, même s’il ne s’y passe pas grand-chose. Aucun silence ne sera toléré.

10. Des acteurs conciliants. Pour vous procurer la liste des comédiens disponibles pour votre série, voyez au choix ceux qui ont déjà fait 50 rôles dans des sagas de l’été et d’autres séries comme la vôtre et qui s’y sentent bien (il en faut), ceux qui cherchent à lancer (maladroitement) leur carrière, ceux qui ont de toute façon ruiné leur carrière, et ceux qui ont des problèmes avec le fisc.

Si toi aussi tu es un scénariste inspiré, complète cette liste. Ensemble, on fera un carton.

Image de Une : Le Chat, de Philippe Geluck (Casterman).

* Ce post contient du second degré et une dose d’humour (en tout cas, il essaye).

8 commentaires pour “La recette du polar-carton”

  1. Il ne faut pas oublier les personnages secondaires, hyper importants et surtout qui doivent se limiter à un trait de caractère pour être bien identifiables pour qui suivrait la série en tricotant ou en faisant ses mots croisés (voir un de tes posts précédents;-)!)
    Bref, je verrais bien un(e) ami(e) un peu paumé(e) (entendre à tendance suicidaire, drogué et/ou alcoolique), qui mettrait régulièrement le flic, la flic, ses enfants ou leur chien dans une situation délicate! Et n’oublions pas un ou deux représentants du troisième âge, genre père ou mère indigne (ce qui expliquerait ton traumatisme d’enfance)!
    Tu me prends dans ta team d’écriture ou pas?

  2. @Alice : et la soeur / le frère / le parent boulet, qui a des problèmes d’argent ! Ok, embauchée 😉

  3. C’est un tacle sur Falco?

    Vous pouvez, oh là, oui, mais c’est pour savoir! 😉

  4. Numéro 6 : “des répliques fortes” : ne surtout pas oublier “N’en fais pas une affaire personnelle, Gérard !”, dit par un collègue, alors que l’inspecteur Gérard sort de la pièce la bave au lèvre et en rechargeant son flingue.

  5. @Lafayette : Non, je ne vise aucune série en particulier, mais tout un ensemble de séries…

  6. N’oublions pas le scientifique à lunettes dans son super labo high-tech.
    Après il y a deux écoles: le scientifique au noeud pap’, un peu vieux mais à la pointe qui sert d’image paternelle au héro ou le jeune avec les t-shirts marrants qui te montre toutes ses découvertes sur sa tablette reliée au méga écran plat du bureau, qui permet de faire des points sur des cartes et un petit power point sur les victimes.

  7. Très marrant ton petit top 10 du polar éculé. Mais bon, il va falloir malheureusement encore faire avec pendant quelques temps (pas de date, pas de date…). Si ça ne te va pas, écris à TF1 et France Télé, véritables responsables de la standardisation des productions télé. De plus, il y a une partie de tes points qui ne sont pas très vrais (sauf à nommer une série en particulier) ou applicables à un paquet des séries qu’on aime, y compris les british, les danish et les neo-zealandish… Bref, un poil réducteur mais jouissif quand même par endroit. Le point 9 m’a fait beaucoup rire. Un peu moins quand j’ai pensé à nos Terrence Malick nationaux en train de réécrire mon travail… Enfin, on fait avec ce qu’on a et on se bat pour que ça change, crois-moi… Eric V.

  8. Je me propose pour les décors :
    Je rajouterais bien des appartements toujours bien rangé et super clean… surtout celui des flics avec enfants… (ils vont devoir me donner leur secret :D))
    Je propose aussi des voitures toujours propre et aussi très chères type 4×4
    Et surtout, il ne doit jamais pleuvoir

    Est-ce que je peux être embauché pour les décors ? Je peux aussi faire les bruitages 🙂

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