On a revu le pilote de Grey’s Anatomy

Quand ma collègue Charlotte Blum et moi-même avons décidé de revoir, une fois par mois, un pilote de série « classique », « culte », bref, connue, on pensait essentiellement se payer une bonne tranche de rigolade. Du coup, on a commencé avec Beverly Hills, et on s’est bien marré. Puis, on s’est payé la tête de Jack Bauer… Mais, à chaque nouveau pilote, notre envie de déconner s’est amoindrie, et un terrible constat s’est imposé : ils disent plein de choses intéressantes, ils méritent aussi un regard sérieux. Alors, quand est venue l’heure de Grey’s Anatomy, c’est moitié rigolard, moitié concentré, qu’on a appuyé sur « play. » Direction le 27 mars 2005 !

Aujourd’hui, on me dit Grey’s Anatomy, je pense gros soap bien chargé, avec passions impossibles, déchirements et morts atroces à tous les étages. Une série que j’ai bien aimée, mais dont je me suis lassé, et qui continue d’en faire des paquets dans mon dos. Revoir sa naissance devrait être émouvant. Ça commence comme je me souviens, avec Meredith et Mamour à poil (enfin, dans la version network de « à poil », c’est à dire couverts). Notez que présenter un type qui sera le sex-symbol de la série torse nu a un avantage : comme ça, au moins, c’est clair. Pendant que j’analyse l’accoutrement de Monsieur, Charlotte, elle, se concentre sur la tête de Madame. « Dès les premières secondes, Grey’s Anatomy réalise un exploit : l’héroïne se réveille après une nuit apparemment torride (elle a un homme nu à portée de main) et elle n’est pas maquillée ! C’est du jamais vu, ENFIN une série qui n’essaie pas de nous faire croire que les femmes se réveillent avec un brushing parfait et un trait d’eyeliner digne d’une pin-up. Rien que pour ça, je révise mon jugement. » D’entrée de jeu, notre analyse vole très haut.

Je me rattrape (enfin, j’essaye). Avec le savoir-faire ricain, Shonda Rhimes, la créatrice de la série, parvient à dresser un CV quasi complet de son héroïne en l’espace d’une seule scène. Elle est encore en chaussettes qu’on sait (presque) tout d’elle. Je note aussi que Rhimes ose aussi un parfait « anti-Clair de Lune », en faisant coucher ses deux personnages principaux avant même que la série ne commence. La feinte est un peu artificielle, parce qu’elle n’empêchera pas le jeu du chat et de la souris, mais c’est malin. Charlotte précise, en soulignant l’évolution moins subtile du procédé, comme Grey’s Anatomy nous présente en un temps record ses héros.

« Nous suivons cette courageuse jeune femme sur son lieu de travail, à l’hôpital, et assistons à un tirage de toutes les ficelles de la série de network : tous les noms des personnages sont cités pendant l’appel (comme ça, on les repère tout de suite, au cas où on ne serait pas capable de se débrouiller tout seul). Une voix annonce “Vous êtes médecins“, et on comprend ce que tous ces gens pouvaient bien faire dans un hosto. Non mais c’est vrai, quoi, ça aurait pu être des espions russes ou des extra-terrestres… En quelques secondes, on peut repérer les personnalités des personnages : Cristina Yang est du genre rebelle (la preuve, elle se déplace en moto. Beau cliché, merci Shonda Rhimes); Katherine “Izzie” Stevens n’est pas sûre d’elle (et pour cause, c’est une ex mannequin, et comme on le sait, les mannequins sont bêtes. Encore une belle leçon de finesse par Shonda). Pour la peine, elle fera des touchers rectaux pendant sa première garde, ça lui apprendra à être jolie. George O’Malley est un peu mou du genou, ça va être le petit chouchou que les téléspectatrices auront envie de consoler. »

Le temps pour moi de noter que Sendhil « Mohinder » Ramamurthy fait de la figuration en interne de médecine (il apparaît littéralement pendant deux scènes), et je commence à me souvenir qu’au début, Grey’s Anatomy était moins soap et moins cruelle que maintenant. On y voit assez peu d’opérations, dans ce pilote, et on y rigole beaucoup. En fait, on est vraiment dans une comédie dramatique, pleine de petites scènes amusées et amusantes, qui utilise les codes du soap – ah, l’amoooour – mais avec une bonne dose de sitcom. « L’équation série médicale + soap + buddy serie + (presque) sitcom, ça me semble imbattable, précise Charlotte. Dommage qu’ils n’embauchent pas Dr House, ils pourraient ajouter la série policière. Et le côté course contre la montre pour sauver les malades rappelle légèrement 24 Heures Chrono, sauf qu’ici, les Jack Bauer du quotidien prennent parfois le temps de manger. »

On n’a jamais douté des qualités de Grey’s Anatomy, mais à revoir ce pilote, on se (re)dit que c’était du solide. Il y a du mouvement sans que ce soit syncopé, les actrices et les acteurs sont bons, les clichés sont bien là mais habilement utilisés (il y a un arrêt cardiaque et un « instant Dr House » avec recherche d’une solution pour un cas médical), les dialogues sont bien sentis… Bref, avec le recul, on se dit qu’à l’époque, on aurait eu tort de ne pas y voir un futur carton. Charlotte ne dit pas le contraire. « Si beaucoup de choses m’énervent dans Grey’s Anatomy, je reconnais que c’est vraiment bien pensé. Et j’aime la façon dont ces internes redeviennent des êtres fragiles, peureux, inquiets. La façon dont ils semblent devoir affronter les monstres de leurs terreurs nocturnes en faisant face à des médecins impressionnants et dures à cuire, comment ils doivent se surpasser, se prouver qu’ils valent le coup, épreuve après épreuve. Ça nous rappelle qu’ils sont humains, et ça fait du bien. »

Avec les années de recul, ça n’empêche pas de sentir aussi ce qui finira par nous éloigner de Grey’s Anatomy – non pas dépit, mais par usure, par lassitude essentiellement dans mon cas. L’égocentrisme des personnages est déjà là, leur manie de l’introspection permanente, comme si la caméra était tenue par un psy. Et puis, c’est un détail mais ça tape vite sur le système : les envolées de piano, comme celle de la fin du pilote, en trop. Comme je suis galant, je laisse Charlotte conclure – surtout qu’elle le fait avec beaucoup de sérieux, en attaquant par une référence bien technique comme il faut. « Le script doctor John Truby ne cesse de le répéter : des personnages bien écrits doivent avoir une “révélation”. Pas un truc mystique ou surnaturel, mais une révélation personnelle. Et dans cette série, les révélations sont permanentes. Car oui, jeune fille fragile, tu es capable de devenir une battante, oui amie de toujours, tu es capable de trahir pour avancer. Oui, oui, oui, Grey’s Anatomy va être le théâtre de changements permanents, de luttes internes et externes sans merci. Finalement, si je n’avais pas peur de pleurer comme une gamine devant chaque épisode, je regarderais peut-être, de temps en temps. Mais entre les gens qui meurent, se séparent, se trompent, souffrent, et la musique parfaitement choisie pour tirer des larmes (et que j’écoute déjà, sans regarder la série, mais en pleurant quand même), je pense que je vais passer mon tour. Il est où mon coffret de Sons of Anarchy déjà ? »

Image de Une : Grey’s Anatomy (ABC/TF1)

7 commentaires pour “On a revu le pilote de Grey’s Anatomy”

  1. Je me souviens très bien du visionnage intensif qu’a représenté les deux premières saisons sur tf1. C’était drôle, léger. Comme un anti-Urgences. Et surtout ce générique qui annonçait la couleur, cette petite musique. D’ailleurs j’ai trouvé que la série a vraiment changé (évolué ?) quand ils ont décidé de systématiquement zapper le générique.

  2. Grey’s anatomy a tout pompé sur Scrubs, et ne mérite donc aucune considération.

    Ca, c’est dit 🙂

  3. sachant que Scrubs ressemble étrangement à H …

  4. J’adore Grey’s Anatomy, même si j’ai parfaitement conscience de ces nombreux défauts, je trouve que c’est une série qui arrive à se renouveller et ça me fait toujours rire (et aussi pleurer). Après, c’est vrai que les morts à répétition c’est un peu lourd, mais bon…

  5. H ne m’a jamais fait passer du rire au larmes en moins de 20mn…
    Et Scrubs m’a fait réflechir, pas H

    Dur de trouver des comparaisons, je trouve, hormis que les deux sont très drôles…

  6. Je crois que c’est un des meilleurs pilotes que j’ai vu, c’est pourquoi je suis d’accord quant vous dites qu’il y a un très bon travail d’introduction des personnages et des intrigues. Même si la série s’est perdue dans les saisons 4, 5 et 6, le final de la saison 6 lui a redonné le coup de fouet dont elle avait besoin. Elle fait dans le spectacle mais elle le fait bien. Puis, on repart progressivement vers une amélioration des scripts, bien que les parallèles avec les cas médicaux sont loin d’être subtils. Et on arrive avec la saison 9 ou l’exploit de retrouver des choses à dire, de faire évoluer ses personnages sans retomber dans les travers qui les caractérisaient dans les premières saisons. Je trouve ça assez fort de mettre l’hôpital comme enjeu, même si cela épouse complétement le côté soap de la série. Toujours autant de plaisir à la suivre et c’est bien la seule après autant d’années d’existence.

  7. Enfin bon, Scrubs etait une sitcom de 20 minutes pleine de délires et vraiment tournée vers la comédie, alors la comparaison avec Grey’s ne tient nonplus la route.
    Sinon moi j’avoue que j’adore cette série, certes elle a changé et ce début doit être plus léger, mais perso je me suis tellement attaché aux personnages (la moitié à peu près sont toujours là après 9 saisons, 9 ans quoi) que je ne peut imaginer la jour où cette série s’arretera. Faut avouer qu’elle a quand même amené un peu de fraicheur aux séries médicales autant que Scrubs l’a fait au niveau sitcom.

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