A force de trop regarder la télé, on oublie de lire. C’est un des aspects négatifs des séries télé, ces petites bêtes chronophages qui mangent vos soirées comme une armée de termites charmeuses. Du coup, quand on reçoit un bouquin dans sa boîte aux lettres, ça fait bizarre. Surtout quand ledit bouquin est tellement épais qu’il n’y rentre pas, dans la boîte. Mais comment ne pas se réjouir de la sortie en français, 20 ans après son édition américaine, de Homicide : A Year on the Killing Street, le livre de référence de David Simon, celui qui inspirera, avec The Corner, la rédaction de The Wire ? Baltimore, c’est son nom français, vient de sortir aux éditions Sonatine. J’ai plongé dans ses 937 pages – je n’ai pas encore fini – et j’aimerais vous en dire deux mots.
Ce bouquin trônait dans ma bibliothèque, bien en vue, depuis un peu plus de 5 ans, dans sa version originale. J’en avait lu une cinquantaine de pages, avant de craquer. S’y mettre en VO, c’était un peu comme regarder The Wire sans sous-titres. Un sacré défi, et la meilleure façon de gâcher son plaisir. Humblement, j’avais donc transformé Homicide (aussi le titre de la série où Simon fit ses armes) en objet de décoration livresque, chic et on ne peut plus classe dans la bibliothèque d’un sériephile. En attendant la VF, que voici donc. Certes, la traduction agréable d’Héloïse Esquié doit nous priver de quelques accents mimés sur le papier, mais elle ne trahit pas, me semble-t-il, l’esprit de David Simon. Car c’est bien cela qui ressort d’abord de Baltimore : l’expression par les mots de ce qu’on ressent face à ses séries, particulièrement face à The Wire.
Baltimore est d’abord un polar, qui a tout de la fiction, avec ses personnages charismatiques, ses intrigues, ses rebondissements, son décor, la ville de Baltimore. Un sacré pavé dont certains passages passeraient aisément pour de la pure invention, mais dont le sens du détail trahit rapidement la véracité. Car Baltimore, comme l’indique son sous-titre, « une année dans les rues meurtrières », est aussi le résultat d’une enquête du journaliste David Simon qui, à la fin des années 80, vécu un an complet aux côté de la brigade criminel de sa ville – il bossait alors pour le Baltimore Sun, ce même journal qu’il mettra en scène dans l’ultime saison de Sur Écoute. Documentariste, Simon multiplie les infos, décrit par le menu le commissariat, analyse le comportement des flics sur les scènes de crime, transforme par instant son récit en petit manuel du détective – exemple : on commence par analyser la scène de crime autour du corps, pas le corps lui-même, qui ne bougera pas. Ou encore : ce qui importe, c’est le « comment », pas le « pourquoi » la victime a été tuée.
Du coup, Baltimore reflète précisément les ambitions de David Simon, son envie de raconter la réalité tout en mettant en avant sa force dramatique et sa complexité — la préface de Richard Price explique cela avec un brio que je ne saurais avoir. Il dessine ses héros scrupuleusement, mais ne s’interdit pas de créer l’empathie avec eux. Cet équilibre n’empêche pas des explications parfois un poil didactiques – mais toujours riches d’informations. On pourrait d’ailleurs faire les mêmes reproches à Baltimore et aux séries de Simon : il faut prendre le temps, supporter certaines expositions lentes et longues, se pencher sur les parties les plus ardues comme sur un document qui servira les parties les plus divertissantes. Je ne suis pas encore arrivé au terme de ses 937 pages, mais je me suis laissé prendre par son récit, lentement, pour y prendre de plus en plus de plaisir.
J’aurais un autre plaisir, celui d’en parler, et de ses séries, avec David Simon, sur Le Mouv’ samedi 13 octobre à 17h. Et je serai, comme beaucoup d’entre vous j’en suis sûr, au Forum des Images, à Paris, le lundi 15 pour une masterclass de Simon, animée par Olivier Joyard des Inrocks.
Baltimore est disponible aux Editions Sonatine, 937p, 23€.
Quel honneur de recevoir ce qui demeure très certainement l’équivalent de Dieu à la télévision américaine
Ne pouvant me déplacer jusqu’à la capitale, j’écouterais votre émission avec vif intérêt. A noter que les éditions Florent Massot avaient édité The Corner – Hiver/Printemps en février dernier; un ouvrage à lire également (disponible en poche à http://livre.fnac.com/a3730929/David-Simon-The-corner-Hiver-printemps)
C’est le livre de non-fiction le plus impressionnant qu’il m’ait été donné de lire. À compléter avec The Corner pour avoir les deux facettes du même tableau, et comprendre d’où vient The Wire.