It’s not TV, it’s cinema (ou presque)

C’est la grosse news de cette fin de semaine : Ewan McGregor fera partie du casting de l’adaptation pour HBO des Corrections de Jonathan Franzen. L’Écossais, très rare à la télévision – on ne l’a pas vu sur petit écran depuis 1997 et un épisode d’Urgences – rejoint l’impressionnante batterie d’acteurs « de cinéma » d’HBO. La chaîne câblée, qui a aussi mis la main sur quelques-uns des producteurs, réalisateurs et scénaristes les plus célèbres et les plus en vue d’Hollywood, semble vouloir faire de ses séries des laboratoires télé pour monstres hollywoodiens en mal de liberté. Pour le meilleur, ou pour le pire ?

Martin Scorsese, Steve Buscemi, Tom Hanks, Laura Dern, Dustin Hoffman, Nick Nolte, Jeff Daniels, Darren Aronofsky, Noah Baumbach, Chris Cooper, Dianne Wiest, maintenant Ewan McGregor – et j’en passe pas mal – se précipitent, où se précipiteront bientôt sur la chaîne des Soprano, de The Wire et consorts. Se joignent à eux Aaron Sorkin et Michael Mann, des hommes de télé devenus aussi des hommes de cinéma. En tout cas, des piliers, des vieux de la vieille. Pourquoi cette liste ? Pour faire un double constat : HBO aime le cinéma, et HBO aime les grand noms. Mais HBO est aussi censé donner le « la » en matière d’avancée des séries télé, et peut-on vraiment avancer en donnant la parole à d’excellents éléments, mais des notables hollywoodiens, quitte à réduire à la portion congrue la place des jeunes talents ?

La question mériterait une thèse, mais je ne veux ici que donner mon sentiment immédiat sur ce choix, qui ne signifie certainement pas la chute de la qualité des œuvres d’HBO, mais peut-être un danger pour le futur de la création télé. Et une collusion complexe entre cinéma et télé – là aussi un vrai sujet de thèse…

D’abord, donner les clefs de la maison à des gens de cinéma est-elle une bonne chose ? L’expérience des ceux cités ci-dessus et leurs immenses qualités laissent peu de place au doute : leurs séries sont (Boardwalk Empire, Enlightened) ou seront (Luck, The Corrections, More as the Story Develops) d’excellentes séries. Pour les acteurs, on peut regretter que ces grands noms — encore une fois excellents — « volent » la place d’acteurs moins connus, jeunes ou discrètement installés à la télévision, dans l’attente d’un grand rôle. Si Tony Soprano avait été joué par John Goodman (que j’adore, par ailleurs), aurait-on découvert James Gandolfini ? Michael C. Hall aurait-il explosé si on avait donné son rôle de Six Feet Under à Brad Pitt ? Certes, Game of Thrones ou How to Make it in America offre de beaux rôles à des acteurs méconnus, mais les futurs projets d’HBO reposent essentiellement sur de grand acteurs déjà installés. Pendant ce temps-là, AMC lance Jon Hamm, Aaron Paul ou Anson Mount (Hell on Wheels, qui n’est pas encore au niveau de ses collègues, mais la prise de risque est là). Je le répète, il ne faut pas faire de généralités, mais la télé a longtemps été une boîte à révélation pour les jeunes acteurs. Il faudrait qu’elle puisse le rester.

Quid des réalisateurs et des scénaristes ? Là encore, leur expérience est indéniablement la bienvenue, pour renforcer encore l’intelligence et le savoir-faire d’une chaîne dont le nom résonne comme une référence – on dit « ce sera sur HBO » comme on dirait « ça va forcément être excellent. » Avec les millions qui les suivent, Scorsese, Hanks et consorts font passer la télévision à un nouveau degré de production. A tel point qu’une agaçante tendance à dire  « on est plus à la télé, on est au cinéma » à la place de « la qualité de production est formidable » s’est installée dans les discours. C’est bien le problème : on est à la télé, pas au cinéma. Je peux très bien me tromper – et d’ailleurs je souhaite me tromper – mais je veux quand même poser la question : les séries ne risquent-elles pas de pâtir, à un moment où à un autre, de cette envie de « faire du cinéma », d’en oublier ses forces premières, l’originalité de ses scénarios et la complexité de ses personnages ?

On peut se rassurer en se disant qu’HBO a l’excellente idée de coupler ces grands noms d’Hollywood avec des fines plumes télé : Scorsese avec Terence Winter pour Boardwalk Empire, Mann (par ailleurs un ancien de la télé) avec David Milch pour Luck, etc. De quoi garder en tête les principes de la narration sérielle, et ne pas finir avec un film découpé en épisodes – ce que seules les miniséries peuvent se permettre (miniséries qui sont d’ailleurs encore plus squattées par le cinéma, de John Adams à Mildred Pierce).

Malgré tout cela, la question demeure : ne faudrait-il pas donner plus souvent leur chance à de jeunes premiers, devant et derrière la caméra, dans une grande chaîne (par le talent) comme HBO, et se méfier d’une tentation du « tout grands noms Hollywoodiens » ? Ce choix n’est-il pas la manifestation luxueuse de la peur du risque qui frappe la télé américaine ? La réponse sera apportée par l’expérience et le temps. Je ne suis pas paniqué du tout – pour l’instant – mais un certain jeunisme me pousse parfois à être agacé – juste après un premier mouvement d’excitation – par la collection hollywoodienne que monte la chaîne, peut-être au détriment de jeunes talents…

Image de Une : Steve Buscemi et Michael Pitt dans Boardwalk Empire (HBO/Orange Cinéma Séries).

3 commentaires pour “It’s not TV, it’s cinema (ou presque)”

  1. Bonjour,

    Bon article!!!

    En parlant d’HBO, je ne sais pas si vous aimez mais j’ai un faible pour l’excellente Bored to Death. Une série trop méconnu dont on ne parle pas assez.

  2. Article super intéressant !
    Il pointe les limites d’une industrie hollywoodienne qui tourne en rond depuis trop longtemps mais qui est également victime des mêmes symptômes; les producteurs, quand ils misent de l’argent sur des projets déjà rebattus, ne pensent qu’à intégrer des stars pour opter à la rentabilité. Sans stars, pas de projets viables et financés, et c’est dommage.

    Concernant le domaine des séries (chez HBO, il est clair que c’est flagrant vu l’arrivage de pointures du 7ème art), cela montre aussi que les auteurs et les artistes trouvent (pour l’instant) dans le paysage des séries un espace de liberté tel qu’il pouvait exister dans les années 70. Mais, en même temps, on parle là de séries évènementielles. Des séries comme Bored to death, Treme ou Game of Thrones ne comportent pas de stars à proprement parler.

    Quant à la saison 2 de Boardwalk Empire, c’est vraiment de la belle ouvrage.

  3. HBO a construit son empire (et pas juste celui d’Atlantic City) en mettant plus d’argent, de moyens dans les séries. Elle a ainsi construit sa réputation de qualité, The Wire restant pour moi “la série” policière ultime.
    Ne boudons pas notre chance quand on voit Scorcese diriger le pilote de Broadwalk Empire. Comme il était (il n’y a pas si longtemps) agréable de voir Forest Witaker dans The Shield.

    Plus de qualité ne tue pas la qualité. Il peut être extrêmement intéressant de voir de bons acteurs, de bons réalisateurs et scénaristes de cinema pouvoir exprimer leur talent sur plus de 2 heures de film, non ?

    Et puis plus HBO “marchera”, plus elle pourra donner sa chance à de nouvelles séries, peut être plus confidentielles, mais oh combien savoureuses.

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