Et voici la fin de notre top avec les 3 premiers. Le reste du classement est ici :
->#50-41
->#40-31
->#30-21
->#20-11
->#10-4
3. Animal Collective – Merriweather Post Pavilion [Domino, 2009]
Animal, on est mal : en cette fin d’année, le Animal Collective-bashing est devenu un sport de choix dans la blogosphère musicale, un passage obligé des commentaires des tops de fin d’année. Dans le rôle des haters, quelques chevaliers à la triste figure pour qui le groupe, trop bruyant, ébouriffé, foutraque, cadre mal avec le fantasme d’un indie rock propret, mignon, idéal en bruit de fond et assorti avec la table basse du salon. La faute des New-Yorkais, avoir lancé le sprint trop tôt tel le premier Usain Bolt venu : Jack bien monté en graine, celles des haricots magiques qui semblent orner sa pochette, Merriweather Post Pavilion a été sacré album de l’année bien avant le jour de sa sortie CD aux Etats-Unis, le 20 janvier 2009. Pile au même moment était intronisé un obscur politicien nord-américain, lui aussi trop adoré et trop vite, victime aussi depuis d’une légère chute de popularité, sic transit hypa mundi.
Il faut dire qu’en onze mois, les opposants ont eu largement le temps d’affûter leur argument massue : Animal Collective cacherait derrière son apparente complexité son incapacité à composer des mélodies immortelles. Une idée déjà ridiculisée par des singles ou EP précédents (“The Purple Bottle” et sa citation d’une vieille scie de Stevie Wonder, “Peacebone” ou “Water Curses”) et que contrent encore ici une poignée de titres : un “Bluish” tout en romantisme fondant, “Lion in a Coma”, accouplement maximaliste entre Pow Wow et le “Premiers Symptômes” de Gainsbourg, et évidemment “Brothersport”, tuerie à tue-tête et à tu et à toi, choeur fanfaron qui nous venge de toutes les chorales et fanfares pénibles des années 2000 (Arcade Fire, Beirut, on en passe). Après, bien sûr, il y a huit autres morceaux qu’il faut débroussailler à la machette avant d’en apercevoir toutes les beautés, mais c’est là celle d’Animal Collective : “In The Flowers”, premier titre, deux minutes trente de pénombre sous les lianes et soudain la lumière, le plus beau des groupes-clairières.
En cela, Panda Bear, Avey Tare et les autres ne sont pas tant les petit-fils de Brian Wilson (même si la comparaison est frappante, y compris avec des albums méconnus des Beach Boys seventies comme Love You) ou les correspondants américains de Faust qu’un groupe dans la lignée de Sonic Youth : en 1987-1988, soit à peu près au même point de leur carrière, ces New Yorkais-là étaient encore tenus par une partie de la critique pour des petits rigolos un peu fumeux qui planquaient leur inspiration erratique derrière des larsens. On connaît la suite de l’histoire, et on suppose qu’Animal Collective aussi : un groupe tellement classe et inclassable qu’il en est devenu classique. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.
[Spotify] [Deezer]
2. The Strokes – Is This It [RCA, 2001]
J’avais 16 ans en 2001. Comme tous les jeunes de mon âge, j’écoutais du rap français. Comme tous les jeunes de mon âge, je m’ennuyais terriblement lors des vacances familiales. Cet été-là, au Auchan près de la plage, je me suis acheté Rock’n’Folk parce que je trouvais que les mecs en couverture avaient plus la classe que Tryo. Ils s’appelaient The Strokes.
Je ne revis plus un coiffeur avant six mois. Je trouvais cette coupe de cheveux assez cool. Avec un an de retard, les filles de mon lycée finirent aussi par trouver ça cool. Ma mère n’était pas très fan et estimait que ce n’était pas avec ça que j’allais trouver un travail. Je m’en foutais. Mon seul souci était de rester à la mode; il était bien évident que cette coupe de cheveux serait ringarde dès la fin 2003, une fois le revival rock passé. Je parcourais de longues pages sur l’histoire de la pop pour essayer d’anticiper la future tendance musicale. Et me préparer psychologiquement à me couper les cheveux.
J’ai aujourd’hui 24 ans, un travail et toujours cette coupe de merde. J’ai traversé quelques tendances musicales (l’indie rock de 2005, l’electro fluo de 2007, l’indie rock de 2009) sans trop me faire refouler à l’entrée des clubs malgré un style vestimentaire constant. Je ne suis pas le seul : dans les soirées, les mecs ont toujours des cheveux un peu trop longs, des jeans trop serrés et un air éternellement fatigué. Les filles n’ont pas coupé leur frange de 2002 et arborent juste au poignet des reliques de leur passion pour MGMT.
On dirait bien que le temps s’est arrêté depuis la sortie de l’album des Strokes. Si j’avais eu 16 ans en 1991, je vous aurais raconté la même histoire au sujet de Nirvana.
[Spotify] [Deezer]
1. Wilco – Yankee Hotel Foxtrot [Nonesuch, 2002]
Mon premier est un cas d’école de marketing musical raté – dollars et mégaoctets. En 2001, quand Wilco remet son quatrième album à sa maison de disques, Reprise, une filiale de Warner alors en pleine fusion pharaonique avec AOL, les costards-cravates du label flairent un suicide commercial. Viré, le groupe part avec pour indemnités de départ les droits de ce disque auquel pas grand monde ne croit, et qu’il finit par mettre en ligne sur son site, geste encore rare à l’époque. Récupéré par une autre filiale de Warner, Nonesuch, l’album se vendra finalement à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires aux Etats-Unis, et reste le plus gros succès commercial de Wilco.
Mon deuxième est la date symbole de la décennie – sang et poussière. Le 11 septembre 2001, Al Qaida détourne quatre avions de ligne, deux sur les tours jumelles du World Trade Center à New York, un sur le Pentagone et un qui finira sa course en Pennsylvanie : 3 000 morts. Ce 11 septembre, c’était justement le jour où Wilco devait publier son disque chez Reprise : un album dont la pochette avait déjà été choisie – deux tours, celles de Marina City à Chicago. Un morceau s’y appelle “Ashes of American Flags”, un autre “War on War”, un autre encore (“Poor Places”) se conclut par un message codé issu de l’alphabet phonétique de l’Otan, comme un SOS ou une bouteille à la mer. Un hasard, bien sûr. Le même, sûrement, qui a conduit les Moldy Peaches a publier en ce matin d’automne aux Etats-Unis un album contenant une chanson appelée “NYC’s Like A Graveyard”, le groupe de hip-hop The Coup à anticiper en photo la destruction des Twin Towers ou Dylan, le Sphinx du rock américain, à sortir ce 11 septembre de quatre ans de silence discographique…
Mon troisième est une adolescence musicale féconde qui s’achève – ruptures et liaisons. Ca commence avec un batteur, Ken Coomer, viré durant l’enregistrement, ça continue avec des tensions entre les deux leaders, Jeff Tweedy et Jay Bennett, qui se déchirent sur la direction à donner à l’album (démissionnaire, le second nommé est mort il y a six mois d’une surdose de médicaments), et ça se termine avec un coucou, Jim O’Rourke, qui, alors qu’il s’apprête à intégrer Sonic Youth, vient pondre ses oeufs expérimentaux dans le nid. Le résultat : un disque aux coins floutés, aux mélodies gommées ou adoucies, même quand elles sont évidentes comme “Kamera” ou “Jesus, etc”. Où l’americana en état de grâce des albums précédents (le country-rock Being There, le très pop Summerteeth) se fond dans un paysage indéfinissable aux accents de paradis perdu : “I miss the innocence I’ve known, playing Kiss covers beautiful and stoned” . Wilco continuera de sortir de très beaux albums dans les années suivantes, mais ne retrouvera jamais cet équilibre instable miraculeux.
Mon tout s’appelle Yankee Hotel Foxtrot : le plus beau paysage après la bataille des années 2000.
[Spotify] [Deezer]
Jean-Marie Pottier et Vincent Glad
lire le billetAprès les albums classés de la 50e à la 41e place, ceux classés de la 40e à la 31e place, ceux classés de la 30e à la 21e place, ceux classés de 20e à la 11e place, suite de notre classement des meilleurs disques de la décennie. On finira dans quelques jours par les trois premiers. Dans la mesure du possible, un lien renvoie vers l’écoute sur Spotify et Deezer.
10. The Shins – Wincing The Night Away [Sub Pop, 2007]
Les Shins, où le groupe paradoxal d’une ère où le classicisme est mal vu. Pas assez connu du grand public, mais trop célèbre pour la simple scène indé, la “faute” à un film caricature du cinéma indépendant, Garden State, où Nathalie Portman annonçait à Zach Braff que ce groupe allait changer sa vie. Quatre types qui livrent dans le même temps, avec leur troisième album, leur production la plus ample et la plus accueillante pour le grand public et leurs morceaux les plus biscornus, après un deuxième disque (Chutes Too Narrow) qui était en gros l’inverse. Hormis le mini-tube smithien “Australia”, Wincing The Night Away est un disque de chansons en gouttes de pluie (“Sleeping Lessons”, “Red Rabbits”), de morceaux foudroyants à la trentième écoute (“Turn On Me” ,”Girl Sailor”) ou d’interludes, comme sur un vieux poste de télévision fifties. Un album, un vrai, avec ses temps très forts puis faussement faibles, son début, son milieu et sa fin. Peu fait pour le monde cruel de l’iPod et de la touche shuffle, celui de ces années 2000 que le groupe a finies en claquant la porte de son label et en perdant deux de ses membres. Avec le temps, les Shins pourraient devenir les Prefab Sprout de leur époque, un groupe auquel on pense parfois sur Wincing The Night Away : un “Fred Astaire of words” au micro, érudit et brillant, de grandes pop-songs, de beaux succès et une petite influence au final. Une belle cause un peu vite perdue, soit un bon résumé de l’indie-rock.
[Spotify] [Deezer]
9. Outkast – Speakerboxxx / The Love Below [Arista Records, 2003]
Il y a des disques trop massifs qu’on n’a jamais vraiment fini d’explorer. Double album d’une extravagante longueur (135 minutes), Speakerboxxx / The Love Below ressemble à ces chefs d’œuvre du cinéma qui ressortent plusieurs décennies plus tard en DVD dans une version Director’s cut rallongée de 35 minutes. Sauf qu’Outkast a sorti directement sa version Director’s cut. Speakerboxxx / The Love Below est en quelque sorte le White Album du hip-hop, un bac à sable de génie, cimetière des ego, entre deux personnalités qui donnent tout avant le déclin. Si les Beatles avaient appuyé sur “random” pour faire le tracklisting, aucune ambiguïté chez Outkast : Speakerboxxx est l’album solo de Big Boi et The Love Below celui d’Andre 3000. Sept ans après, Outkast ne s’en est toujours pas remis et leur discographie est barré d’un éternel “coming next”. Pris isolément, que vaut chaque face du disque ? Speakerboxxx est la face purement hip-hop, ghetto, pimp. Une réponse hypertrophiée aux deux faiseurs de tube de l’époque, Timbaland et The Neptunes, tenants du minimalisme dancefloor. A la louche, 42e place dans ce top. The Love Below est déjà dans l’après-hip-hop, Andre 3000 a fini de rapper et chante franchement après avoir fait son coming out pop. Il traverse la discographie de Prince déguisé en amuseur public, une plume dans le cul et un oeil figé sur AllMusic pour bien vérifier qu’il vient de faire sauter la banque et de réaliser le plus grand disque de la décennie. A la louche, 13e dans ce top.
[Spotify] [Deezer]
8. Of Montreal – The Sunlandic Twins [Polyvynil, 2005]
Et si c’étaient eux, les Beach Boys des années 2000, finalement ? Ceux qui, au-delà des signes extérieurs de joliesse californienne (soleil, sable, filles), de la simple imitation ou des bêtes citations, avaient vraiment retrouvé, depuis leurs terres géorgiennes, la pierre philosophale de Brian Wilson – mélodies en or, anti-dépresseurs par kilos, forme angélique, fond plutôt sombre (“I remember feeling like a ship/Whose captain was too drunk to steer/And you watched as I was sinking/Waving sadly from the pier”) ? Comme ses glorieux prédécesseurs, la bande de Kevin Barnes a connu une discographie en forme d’ascension rectiligne vers le jardin d’Eden, auquel la pochette de ce septième album, son Pet Sounds à elle, fait irrésistiblement penser. Une fois quitté ce paradis perdu, le groupe a ensuite composé l’un des plus hallucinants singles de la décennie (”Heimdelsgate Like A Promethean Curse”) avant de finir par prendre au mot ceux qui lui disaient qu’il avait dix mélodies par morceau en sortant Skeletal Lamping, un disque qui en contenait quinze par chanson, son Smile à lui, un peu épuisant. Maintenant que la hype l’entourant est déjà légèrement retombée, on attend avec impatience ses années 2010, ses seventies à lui, sa splendide déchéance à base de grosses barbes, de ballades laid-back et de futurs grands disques oubliés.
[Spotify] [Deezer]
7. N*E*R*D – In Search of… [Virgin, 2001]
Si la figure imposée de la décennie aura été la fusion des genres en une pop omnisciente, les années 2000 ont commencé par une autre alliance au moins aussi importante entre les tubes grand public et les producteurs expérimentateurs. Entre 2000 et 2002, les 3 plus grosses cash machines de l’industrie ont confié un de leur disques à des laborantins : Madonna avec Music (produit par Mirwaïs), Britney Spears avec Britney (produit par les Neptunes) et Justin Timberlake avec Justified (produit par les Neptunes et Timbaland). Sortie en plein milieu de cette époque dorée, In Search Of est le projet solo des Neptunes, un caprice d’esthètes qui veulent se garder quelques unes de leurs meilleurs compos. Fidèle à la pochette, les N*E*R*D proposent un rap à la cool, un théorème de soul du XXIe siècle balancé avec la conviction d’un branleur qui préfère finir sa partie de Playstation avant de changer le monde. In Search Of avait trouvé le juste équilibre entre les extravagances électroniques de Timbaland et le funk jouissif de Sly Stone mais les Neptunes auront la mauvaise idée de brader leur bijou en le faisant rejouer par un groupe de garage rock pour la sortie américaine du disque. Seul l’Europe aura bénéficié de la version d’origine devenue depuis collector. Le résultat d’une grosse erreur d’appréciation des Neptunes : ils n’avaient pas besoin de tourner le dos au hip-hop/R’n’B avec cette version rock, ils étaient déjà depuis longtemps ailleurs.
[Spotify, version US] [Deezer, version US]
6. The Fiery Furnaces – EP [Rough Trade, 2005]
“Vendus ! “, “Bourgeois !”, “Sociaux-traîtres !”. C’est un peu le genre d’injures qu’on s’attend à recevoir en choisissant cet album/compilation/faux EP au milieu de la déjà imposante discographie des Fiery Furnaces, un peu comme si on décidait de voter MoDem après avoir milité à la LCR pendant toute une campagne électorale. Alors que les Fiery Furnaces se sont fréquemment tournés vers des extrêmes bien plus barrés, comme le bateau ivre Blueberry Boat, le psychiatrique Rehearsing My Choir ou le zapping fluo de Bitter Tea, toute leur rhétorique est pourtant très bien comprimée dans les chansons collectées sur cet EP. Un programme irréprochable : des mélodies montagnes russes, un songwriting caoutchouc, la chanteuse la plus fascinante depuis longtemps (pourtant absente du récent top des indie girls crushes du site Stereogum, on ne les félicite pas) et un résultat final qui allie la compacité d’une compression de César à la poésie du cadavre exquis. Comme la Révolution française, la discographie des Fiery Furnaces est un bloc qui ne se divise pas, dont il faut parcourir les passages grâcieux mais aussi les instants de terreur : même ses moments les plus centristes, comme ceux-ci, relèvent du génie, cette perversion du talent.
[Spotify] [MySpace]
5. Sufjan Stevens – Come on feel the Illinoise [Asthmatic Kitty Records, 2005]
Sufjan Stevens nous avait vendu un improbable projet, parcourir les 50 Etats américains et leur dédier chacun une production (un album ou un MP3). L’épopée avait commencé en 2003 avec Michigan et s’était poursuivi avec Illinoise en 2005. Tout le monde y croyait, Sufjan Stevens allait repousser les limites de l’humanité et s’abîmer dans son absurdité en livrant son dernier disque Alaska à 75 ans. Ce que l’on n’a pas vu sur le coup, c’est que la cathédrale pop que Sufjan Stevens voulait bâtir au nom de l’Amérique n’était pas contenue dans ce projet des 50 Etats, mais dans Illinoise lui-même, œuvre trop vaste pour tolérer une suite. Le disque déborde tellement que la maison de disques épongera les chutes dans un second album, The Avalanche, qui reçut aussi un très bel accueil critique. Les 50 Etats resteront à jamais 2, le Michigan d’un côté et les 49 autres regroupés sous la bannière de l’Illinois de l’autre. Car sous le prétexte fallacieux d’un livre d’images convoquant quelques figures du “Prairie State” (le tueur en série John Wayne Gacy Jr., le poète Carl Sandburg, le héros indépendantiste Casimir Pulaski), Sufjan Stevens touche à l’universel — vu des yeux d’un premier communiant. La dimension épique du projet fait corps avec la musique, gavée d’ambition, d’arrangements enchanteurs et de chœurs baroques. Sufjan Stevens joue 22 fois la même chanson, mais avec toujours une manière différente de monter vers le ciel.
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4. Daft Punk – Discovery [Virgin Records, 2001]
Discovery est un grand disque rétro-futuriste. Kubrick avait filmé 2001 vu de 1968 ; Daft Punk met en musique 2001 vu de 1978. Dans ces années 2000 en carton-pâte mises en images par le créateur d’Albator, la croissance est infinie, l’adolescence éternelle et le “One more time / We’re gonna celebrate” tient lieu de philosophie de vie. L’amour est digital, et jamais vraiment triste, on pleure peu ou alors sous couvert d’un anonymat vocoderisé. Ces années 2000, c’est tout ce que les critiques n’ont jamais vécu parce qu’ils étaient malheureusement déjà trop vieux. Résultat : le disque a été accueilli très froidement en 2001, avant de s’imposer progressivement comme un des plus grands disques électronique de tous les temps. Comment expliquer ce retard à l’allumage ? Certainement parce que Daft Punk avait mis un certain zèle dans son mauvais goût, privilégiant le vocoder (honni depuis l’horrible tube Believe de Cher en 98) et la cheesy pop des débuts de MTV avec de grandes rasades de synthés dégoulinants. Mais le mauvais goût finit toujours par revenir par la porte de derrière et Daft Punk l’a fait entrer sous les applaudissements, certes tardifs, au patrimoine de l’humanité. La postérité de Discovery deviendra évidente dans la seconde moitié de la décennie quand les adolescents de 2001 commenceront à sortir des disques. Interrogez aujourd’hui un fluokid, vous verrez que les enfants de l’an 2000 ont tous appris à danser et à aimer sur One More Time. Dans son délire rétro-futuriste, Daft Punk n’avait pas vu 2001 mais 2006.
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Jean-Marie Pottier et Vincent Glad
lire le billetAprès les albums classés de la 50e à la 41e place, ceux classés de la 40e à la 31e place et ceux classés de la 30e à la 21e place, suite de notre classement des meilleurs disques de la décennie. Dans la mesure du possible, un lien renvoie vers l’écoute sur Spotify et Deezer.
20. The Streets – Original Pirate Material [679 Recordings, 2002]
Les années 2000 furent aussi celles du grand déclassement, du dérapage des classes moyennes vers les classes moyennes inférieures. Naufragées du pouvoir d’achat, les banlieues résidentielles n’ont pas vraiment de genre musical pour exprimer leur condition — alors que les centres-villes ont le rock à mèche et les banlieues le hip-hop. En France, il n’y aura guère eu que Diam’s, Orelsan et la tecktonik pour chroniquer ce quotidien périurbain ; pas vraiment des chefs d’œuvre. En Grande-Bretagne, Mike Skinner a.k.a The Streets a d’emblée trouvé le ton juste avec son premier album Original Pirate Material, dessinant un paysage urbain plombé par l’ennui où dominent trois valeurs: la Playstation, le joint et la bouteille de Brandy. Cette chronique de la lose moderne, dans laquelle se reconnaissent finalement tous les quartiers, est sublimée par l’accent cockney de Mike Skinner et cette musique terriblement moderne, mélange de hip-hop, de garage, de funk, de notes jazzies… Bref, tout ce qu’on peut trouver dans les poubelles d’une salle de concert londonienne.
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19. Mull Historical Society – Loss [Blanco Y Negro, 2001]
Il y a six mois, une vidéo réjouissante a buzzé sur le Net : on y voyait un groupe de bergers gallois dessiner dans les collines des figures observables depuis le ciel en fixant des diodes lumineuses sur le dos de leurs troupeaux de moutons. Un assez bon résumé de la musique faite par Colin McIntyre, Ecossais né sur l’île de Mull, 3.000 habitants, 20.000 moutons (“To the friends, in my head”, premiers mots du disque, on le comprend). Et, en ce qui le concerne, des rêves de démesure pop plein la tête : en écoutant ces cathédrales carillonnantes bâties en allumettes, on s’est répété une leçon déjà apprise dans les années 90, comme quoi les plus beaux disques indie-pop étaient souvent le fait de types qui se prenaient pour Brian Wilson depuis un trou perdu. Sauf que, finalement, McIntyre n’avait jamais écouté les Beach Boys : et si le vrai critère du génie, c’était l’ignorance, en fait ?
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18. Kanye West – 808’s & Heartbreak [Roc-a-fella Records, 2008]
Kanye West a commencé sa carrière en s’imposant comme le mec le plus cool du monde avec une renversante trilogie étudiante, montée progressive vers l’âge adulte (The College Dropout, Late Registration, Graduation). Et puis en 2008, Kanye West se dit que la nouvelle frontière, c’est de devenir le plus grand rappeur de tous les temps. Il s’attelle à la composition de ce qui doit être son chef d’œuvre. Très affecté par la mort de sa mère et la fin de son couple, il façonne un monument de tristesse recouvert pudiquement d’une d’épaisse couche d’Auto-Tune: 808’s & Heartbreak, disque maudit immédiatement honni par une bonne partie de la critique, folle tentative de dépasser le hip-hop en le plongeant dans le bain froid des 80’s. Kanye West finira la décennie dans un affligeant exercice d’autodestruction: comme un reniement, il produit le titre “D.O.A. [Death of Autotune]” de Jay-Z et s’abîmera définitivement en hurlant aux MTV Music Awards “Yo Taylor, I’m really happy for you. I’mma let you finish but Beyoncé had one of the best videos of all time. ONE OF THE BEST VIDEOS OF ALL TIME”. Autant dire que 808’s & Heartbreak est appelé à devenir légendaire dans 30 ans. ONE OF THE BEST RECORDS OF ALL TIME.
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17. Arcade Fire – Funeral [Merge, 2004]
Septembre 2004, d’un simple lien, La Blogothèque déclenche la plus grande hype musicale de l’année (et accessoirement de la décennie). Funeral d’Arcade Fire, pas encore sorti en France, devient le disque de l’année 2004 sur le web. Mais il faudra attendre plus de 6 mois pour que Les Inrocks en fassent leur couverture et finissent pas le classer en tête de leur classement … 2005. Ironie de l’histoire: un journaliste des Inrocks avait découvert ce disque en même temps que la blogosphère à la faveur d’un voyage au Canada, plaçant, seul contre tous, le disque 44e du top 2004. Un album qui gagne 43 places en un an: cruel contretemps qui enterra de fait la presse musicale (absurdement liée à l’actualité phonographique) consacrant les blogs (liés à l’actualité des MP3) comme les nouveaux défricheurs de talent. Et sinon la musique ? Un grand disque de lyrisme post-mortem, à réveiller un grenier poussiéreux de son souffle chaotique. Mais un disque à écouter assez vite tant cette pop baroque qui fait de l’accordéon un objet chic risque de ne pas résister à l’extinction programmée de la race bobo.
[Myspace] [Site officiel]
16. Air – Virgin Suicides [Record Makers, 2000]
Sous l’effet conjugué de Sofia Coppola, de son directeur de la photo et de la bande-son d’Air, les plans champêtres de Virgin Suicides vont devenir la référence ultime en terme de beauté féminine, inondant les années 2000 de jeunes filles en fleur et de vapeurs adolescentes; contrepoint féminin au cuir-slim-Converse imposé par les Strokes. Si un concert d’Au Revoir Simone ressemble aujourd’hui à un shooting de Vogue sous tranquillisants, on peut en partie l’imputer au rythme lent, pré-pubère, concupiscent de la chanson “Playground Love“, sommet absolu de ce disque. Mais comme le film, le disque a une autre face, celle de l’après; des “Dead Bodies” et de l'”Empty House”. Et Air excelle dans cet exercice illustratif d’easy-listening d’outre-tombe où surgissent ça et là les fantômes de Gainsbourg ou de Morricone. Incontestablement le plus grand disque du duo versaillais, le seul à ne jamais flirter avec le mauvais goût.
[Spotify] [Deezer]
N.B. : Pour répondre par avance aux commentateurs énervés, si le film est sorti en 1999, la B.O. est bien sorti en France début 2000.
15. Panda Bear – Person Pitch [Paw Tracks, 2007]
Pour classer Panda Bear très haut dans un top des années 2000, il suffirait de parler de sa pochette génialissime (des gens presque à poil, des animaux complètement à poils, entre Pet Sounds et Electric Ladyland revus par un grand enfant), mais on vient de nous signaler dans l’oreillette qu’il s’agissait d’un top disques, pas art graphique. Parlons musique, donc, et en l’occurrence voix : plus que les disques d’Animal Collective, qui contiennent généralement une bonne poignée de mélodies tuantes, ce troisième album solo de leur co-leader met avant tout du chœur à l’ouvrage, et sonne comme une version modernisée du “Our Prayer” des Beach Boys, passée à la moulinette de la musique répétitive. Une grand messe pour le temps présent qui endoctrine, obsède, hypnotise, met en transe, élève, bref qu’aimeront détester ceux qui tiennent Animal Collective et ses fans pour une secte digne de l’ordre du Temple solaire. Si c’est le cas, on peut s’inscrire où ?
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14. The Clientele – Strange Geometry [Merge, 2005]
Postulat : en dix ans de carrière et six albums, The Clientele, grand groupe sous-estimé, fait en gros toujours le même disque, qu’on pourrait résumer à ces quelques mots du premier morceau de Strange Geometry, “when the evening paints the streets”. Reste donc à chacun, dans cette discographie entre chien et loup, à la mélancolie lettrée puisée aux meilleures sources (Byrds, Velvet, Simon & Garfunkel, sans oublier des arrangements de cordes de Louis Philippe), à choisir la teinte qu’il préfère : le chanteur Alasdair MacLean, paraît-il bon peintre par ailleurs, donne l’impression d’expérimenter chanson après chanson toutes les nuances du rouge, du rose et du mauve (le premier album du groupe s’appelle The Violet Hour). Chacun a donc son Clientele préféré, qu’il soit pourpre, carmin ou vermillon, du moment qu’une chanson l’a touché en plein cœur pendant un coucher de soleil. A défaut d’avoir jamais vu le rayon vert, ce groupe nous a au moins déniché le rayon violet.
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13. TV On The Radio – Dear Science [Touch and Go, 2008]
C’est avec grand regret que nous plaçons TV On The Radio à cette décevante 13e place. Bombardé révélation de la décennie lors de la sortie de Desperate Youth, Blood Thirsty Babes en 2004, le groupe new-yorkais n’a toujours pas signé l’album dont on a envie de léguer les MP3 à sa descendance. Dans leur trilogie discographique très homogène, on choisira quand même Dear Science, pas un disque d’île déserte, mais au moins un disque de presqu’île isolée en hiver. Le quintette de Brooklyn se risque ici à des formats plus pop, avec toujours ce fond de l’air arty-noisy-rock-soul. En indécrottable laborantin, TV On The Radio encapsule le son de l’époque dans le wall of sound maison: électro minimale sur “Love Dog“, romantisme sufjan-stevensien sur “Family Tree“, mort de Michael Jackson en exclu sur “Golden Age“. Un disque parfait, mais dans une perfection à la TV On The Radio. Du genre qu’on accroche au mur du palais de Tokyo. Et qu’on ne réécoute finalement pas souvent.
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12. The New Pornographers – Twin Cinema [Matador, 2005]
Les New Pornographers sont-ils vraiment un supergroupe indie, comme essaie de le faire croire leur notice Wikipedia ? Certes, la chanteuse Neko Case et les excellents songwriters AC Newman et Dan Bejar, auteur de plusieurs très bon albums solos sous le nom de Destroyer (Your Blues, Rubies, Troubles In Dreams), ont tous des carrières à côté du groupe, mais c’est le cas d’une bonne partie des musiciens de la scène indépendante, qui goûte assez les liaisons multiples. Tenter de ranger les Canadiens dans la même case que Blind Faith ou les Travelling Wilburys, ces mastodontes qui tentaient de faire croire que un plus un donnerait trois, relève de l’oxymore. Cela dit, leur génial troisième album, Twin Cinema, en est un vivant, avec son don pour rendre de la noblesse à des genres souvent sous-estimés (le glam-rock, la power-pop), ses rythmiques de plomb fondu et ses mélodies éternelles, ses intros pied au plancher et sa grâce dissimulée. A l’image de son titre, de sa pochette et de ses concepteurs, un disque né sous le signe des gémeaux.
[Spotify] [MySpace]
11. The Delgados – Hate [Mantra, 2002]
Quand on désespère du rock anglais, il reste heureusement le rock écossais (en revanche, la même astuce ne marche pas vraiment pour le football). Dans une décennie plutôt pauvre musicalement outre-Manche, les Delgados, groupe d’honnêtes gregarios de l’indie-pop inspirés par un cycliste espagnol peu mémorable, n’avaient pas grand-chose pour s’extirper du Peloton (le titre de leur premier album, paru en 1995). Du moins jusqu’à ce qu’ils tombent sur la pharmacopée magique du docteur Friedmann, producteur assez surestimé mais qui leur injecta assez d’EPO pour créer deux grands disques, The Great Eastern puis ce Hate. Une pièce montée empoisonnée de mélancolie, un disque embaumé vivant dans sa production pharaonique, teinté de mauvais acide comme sa pochette, sans doute la plus moche produite par le rock britannique depuis les Pale Saints. Une œuvre qu’on aime un peu pour la même raison maso qu’un démarrage de feu Marco Pantani dans l’Alpe d’Huez : sublime en surface, léthal en profondeur.
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Jean-Marie Pottier et Vincent Glad
Photo : mandyxclear
lire le billetAprès les albums classés de la 50e à la 41e place et ceux classés de la 40e à la 31e place, suite de notre classement des meilleurs disques de la décennie. Nous continuerons de dérouler ce classement jusqu’à la fin de l’année. Dans la mesure du possible, un lien renvoie vers l’écoute sur Spotify et Deezer.
30. Junior Boys – So This Is Goodbye [Domino Recording, 2006]
L’électro de chambre a connu une grande année en 2006: avec les Anglais de Hot Chip, mais aussi avec les Canadiens de Junior Boys. Quand Hot Chip traîne, mélancolique, au bord du dancefloor à siroter un verre, Junior Boys reste calfeutré chez soi, en pleine crise de claustrophobie. Pour situer un peu, le duo canadien compose des chansons tristes de songwriter triste, sauf qu’il convoque à son chevet la house des débuts (type Frankie Knuckles) et le son techno minimal berlinois. Le spectral single “Double Shadow” est à se taper contre les murs et on aimerait lui accoler un adjectif à la con basé sur le mot “cold” mais ce ne serait considérer qu’une partie du problème. Cette musique a la chaleur de la défaite, l’énergie de l’orgueil blessé.
[Spotify] [Deezer]
29. The Innocence Mission – Befriended [Badman Recording, 2003]
Il y a dix ans, beaucoup de critiques mettaient dans leurs listes des meilleurs disques des années 90 Reading, Writing & Arithmetic, un bel album pop-folk du groupe anglais The Sundays, emmené par sa chanteuse Harriet Wheeler. Glisser The Innocence Mission dans une liste identique pour les années 2000 revient à faire taire les déclinologues, à dire que le genre a fait des progrès: Befriended sort plus ou moins du même moule, mais se rend bien plus indispensable par sa fine pellicule de givre, ses balancements quasi-bossa, son piano fantôme et son éternelle hésitation entre la beauté et la tristesse, one for sorrow, two for joy, comme il le dit lui-même. Un disque qui n’a l’air de rien au premier abord, mais dont les écoutes répétées n’entament pas le feu pâle.
[Spotify] [Deezer]
28. Broken Social Scene – You Forgot It In People [Arts & Crafts, 2002]
Ce disque peut être considéré comme le premier de la vague indie qui deviendra la norme en terme de rock à partir de 2004 sous l’effet conjugué du premier album d’Arcade Fire, de l’enthousiasme pavlovien des MP3 blogs et de la cathédrale imprenable Pitchfork. Mais comment définir ce mouvement diffus que faute de mieux on appelle l’indie ? Nous nous y étions essayé sur un précédent blog en le définissant ainsi : 1/ un mouvement venu de l’Amérique du Nord 2/ un contrepoint à une pop anglaise sur le déclin (Franz Ferdinand and co) 3/ diffusion essentiellement via les blogs et le peer-to-peer 4/ une scène avant-gardiste mais qui n’oublie pas ses racines américaines, entre Beach Boys et Sonic Youth. You Forgot It In People est une sorte de manifeste esthétique du mouvement : une pop bancale blindée d’influences toutes plus classes les unes que les autres (Brian Eno, Dinosaur Jr, Godspeed You ! Black Emperor…) et l’impression que jamais MTV ne pourrait diffuser une chanson.
[Deezer] [MySpace]
27. Broadcast – Tender Buttons [Warp, 2005]
Comme la vieille mansarde ou le grenier d’une maison de famille, Tender Buttons grince, grésille et craque de partout sous ses quelques oripeaux modernistes (en l’occurrence le nom du label, Warp, et des bip-bip anémiés par-ci par là). Un pas de côté et on traverse le plancher de ses brèves pop-songs pour retomber sur le Colossal Youth des Young Marble Giants, autre pochette en noir et blanc, autre chef d’oeuvre de new wave minimaliste. La vue basse, on se cogne sur le premier Velvet Underground, autre son fouillis, autre chanteuse distante. Le duo de Broadcast a pourtant quelque chose à lui, bien à lui, et sans quoi ce périple ne serait que littérature : des mélodies bricolées mais parfaites, susurrées par une voix neutre et pourtant étrangement attachante.
[Spotify] [MySpace]
26. Sonic Youth – Sonic Nurse [Geffen, 2004]
Il est communément admis que les “vieux” ne figurent pas dans les classements de fin d’année, a fortiori de fin de décennie. Les Rolling Stones, Bob Dylan et Neil Young, qui poursuivent plus ou moins péniblement leur carrière, ne rentrent plus vraiment dans le champ de la critique. Jamais rattrapés par la brigade du jeunisme, Sonic Youth approche malgré tout des 30 ans de carrière. Après un gros passage à vide au tournant du siècle (qui leur vaudra un retentissant 0.0 sur Pitchfork), Kim Gordon revient de maternité et transforme ce qui devait être le premier album solo de Thurston Moore en revival des grandes années. Dans le couple, c’est Madame qui cogne le plus avec “Pattern Recognition” et “Mariah Carey and the Arthur Doyle Hand Cream”. Monsieur navigue en père peinard et offre quelques moments de grâce plantés sur une verticale de larsens. L’illusion est parfaite: ce groupe est éternellement jeune. Sauf quand le caméraman zoome un peu trop sur Thurston Moore.
[Spotify] [Deezer]
25. Radiohead – Kid A [Parlophone, 2000]
C’était une autre époque : on téléchargeait sur Audiogalaxy et Napster, on ne connaissait pas encore les bulletins papillons de la Floride, les Twin Towers étaient toujours debout, le retour du rock un fantasme d’étudiants en marketing musical et Radiohead au sommet de sa gloire, avec un accueil critique délirant pour ce Kid A et sa suite, le bien plus inégal Amnesiac. Depuis, on a vieilli et appris la nuance. A simplement aimer ces ballades décharnées (“How To Disappear Completely”) qui font que le disque aurait fort bien pu s’appeler KO Computer. A vénérer ces poussées de fièvre dignes des Talking Heads que sont “The National Anthem”, “In Limbo” ou “Idioteque”. A en sauter les quelques scories comme ce “Kid A” vocodérisé ou l’instrumental “Treefingers”. Un disque à remettre à sa juste place, déjà assez haute : celle de grande cathédrale glaciale et inégale des années 2000, comme le Closer de Joy Division vingt ans plus tôt, à une autre fracture entre deux décennies.
[Spotify] [Deezer]
24. Baxter Dury – Len Parrot’s Memorial Lift [Rough Trade, 2002]
On pourrait dire que Baxter Dury a sorti son premier album à l’âge de cinq ans sans même jouer une note de musique : en 1977, année punk, il figurait sur la pochette de New Boots & Panties!! aux côtés de son père Ian, l’auteur de “Sex & Drugs & Rock’n’Roll”. Enregistré après la mort de ce dernier, Len Parrot’s Memorial Lift est donc un second premier album: une renaissance pourtant paradoxalement placée sous le patronage musical d’un mort-vivant (Lou Reed) et d’un vampire (Bowie), aux ballades expirant élégamment, au chant masculin-féminin esquissé du bout des lèvres, moitié curare, moitié tsé-tsé. En enregistrant ce disque à écouter seul dans sa chambre, rideaux fermés, de peur que le soleil ou la foule ne vienne réduire en poussière sa beauté, Baxter Dury se préparait un destin de trésor caché, qu’il n’a cessé depuis (un seul autre album, des concerts classieux, de long silences) de confirmer.
[MySpace]
23. Ratatat – Ratatat [XL Recordings, 2004]
La pochette de la décennie ? Dans ce kaléidoscope de poses rock passe l’idée que le rock n’est plus qu’un sous-genre de la musique des machines, l’électro. Et le mauvais coup de Photoshop ne fait que rajouter à cette ambiance très début de siècle. Ratatat pourrait être le disque d’adolescence de Daft Punk quand ils avaient encore des guitares : le souffle épique du dancefloor, la naïveté pop de la jeunesse, les boucles obsédantes d’une personnalité encore hésitante. Les groupes pop sans chanteur avaient disparu depuis une éternité. On se souvenait à peine des Shadows et à vrai dire, on ne s’en portait pas si mal. Ce qui explique que ce premier disque de Ratatat ait été accueilli poliment, mais sans plus, avec la certitude qu’il serait vite oublié. Cinq ans plus tard, on a compris qu’un iPod est une œuvre globale, cohérente et que faire de l’électro avec des guitares, c’est aussi banal que d’appuyer sur “shuffle”.
[Spotify] [Jiwa]
22. Okkervil River – Black Sheep Boy [Jagjaguwar, 2005]
Du lyrisme et de la retenue, du grunge et de la pop vitaminée, du folk sous l’influence du beautiful loser Tim Hardin et de la country atmosphérique… Face à une production anglaise plutôt médiocre, on a beaucoup écouté de rock américain ces dernières années, et c’est sans doute le Black Sheep Boy de ces Texans venus d’une des places fortes de la scène indé (Austin) qui en a fourni le plus beau prisme. Une des définitions les plus justes de ce terme si beau et si fourre-tout d’americana : pas une bande de rednecks tripotant leur pedal steel en remplissant un bulletin d’adhésion au parti républicain, mais une nature hostile et féérique, des animaux monstrueux et bienveillants, un songe gothique en noir et blanc saturé dans la lignée des dernières scènes de La Nuit du chasseur, “love” tatoué d’un côté, “hate” de l’autre.
[Spotify] [Deezer]
21. Lambchop – Nixon [City Slang, 2000]
Il y a quelque chose de magnifique à appeler un album Nixon. L’ancien président américain représente les années 70 dans tout ce qu’elles ont de plus surannées. Malgré l’insertion d’une bibliographie sur Richard Nixon dans la pochette, Lambchop finira par reconnaître que le disque ne fait pas vraiment référence à lui, mais qu’il est juste inspiré de la musique de ces années-là. Nixon est l’album soul de Lambchop, un hommage de la country de Nashville à la soul de Philadelphie (si vous n’avez rien compris à cette phrase, je vous incite à visiter ce site). Hypertrophiée à grand renfort de cuivres et de cordes, la musique de Lambchop atteint ici des sommets émotionnels comme sur la joyeuse chorale de “Up With People”. Pitchfork, qui n’aimait pas trop le disque, a eu l’extrême bon goût d’écrire “Nixon is a record for grandmothers and hipsters”.
[Spotify] [Deezer]
Jean-Marie Pottier et Vincent Glad
Photo de une : karpov the wrecked train
lire le billetAprès les albums classés de la 50e à la 41e, suite de notre classement des meilleurs disques de la décennie. Nous continuerons de dérouler ce classement jusqu’aux fêtes de fin d’année. Dans la mesure du possible, un lien renvoie vers l’écoute sur Spotify et Deezer.
40. Blonde Redhead – Melody Of Certain Damaged Lemons [Touch & Go, 2000]
Le plus grand groupe nippo-italien (le seul ?) a dynamité, dispersé, ventilé, éparpillé le titre de son cinquième album façon puzzle : le long des onze titres, on retrouve donc, en fait de mélodies de certains citrons endommagés, des “Equally Damaged”, “Melody of Certain Three”, “Ballad of Lemons” ou “For The Damaged”. Le symbole d’un album qui, contrairement au suivant, le très beau mais plus classique Misery Is A Butterfly, donne envie de faire l’éloge du fragment et des petites coupures. Un cadavre exquis à siroter en en goûtant les stridences et l’acidité, les ballades aux jambes sciées et les pulsations incertaines, la voix de crécelle d’Amadeo Pace et la douceur coupante de Kazu Makino. Ils sont fans de Gainsbourg (ils ont repris “Slogan” et enfanteront une “Melody” sur l’album suivant), vénèrent Sonic Youth, eux-même fans de Gainsbourg, accouplent le bruitiste et la pop triste : un bel inceste de citron, en somme.
[Site officiel]
39. Adam Green – Friends of Mine [Rough Trade, 2003]
Le deuxième album d’Adam Green a la beauté des promesses non tenues. Avant, il était le petit prince de la scène anti-folk du début des années 2000, le bon pote des Libertines, un Jonathan Richman qui aurait vite trouvé une Moe Tucker (l’unique album des Moldy Peaches, chef d’oeuvre anecdotique). Après, il est devenu un songwriter conscient de ses effets, soucieux d’incarner ses idoles (Scott Walker, Frank Sinatra, Leonard Cohen…), à la voix épaissie par un maniérisme un peu triste. Entre les deux, Friends of Mine, comme une photo d’un passage à l’âge adulte, avec ses morceaux bien charpentés mais encore naïfs ou ses hommages à des starlettes déjà un peu fanées (“Jessica Simpson”), comme lui bientôt. Il avait un peu plus de vingt ans, et on ne laissera personne dire que ce n’était pas le plus beau disque de sa vie.
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38. Vampire Weekend – Vampire Weekend [XL Recordings, 2008]
Cet album a mauvaise réputation chez les snobs. Que lui reproche t-on ? D’être trop évident, trop bien né, avec des références trop chic (new-wave et ghetto de Soweto) et des paroles façon Vincent Delerm de l’Ivy League (“Who gives a fuck about an Oxford comma? I’ve seen those English dramas too”). Effectivement. Oui. Faut reconnaître. Sauf qu’il suffit de passer un titre comme “Oxford Comma” en soirée pour se rendre compte de l’incroyable efficacité de Vampire Weekend. Entre le gros son rock et les slows, il y a toujours de la place pour cette pop nostalgique et contemplative qui permet d’engager la discussion avec les filles. Il est 23h et l’on se dit que le plus beau métier du monde, c’est étudiant.
[Spotify] [MySpace]
37. MGMT – Oracular Spectacular [Columbia, 2008]
Ils ont piqué leur nom dans un manuel d’école de commerce, leur maquillage dans la trousse de leur mère, leurs fringues dans la mallette d’un grand-oncle hippie, leurs synthés aux puces du Connecticut et leurs morceaux à David Bowie. Pourtant, ils ont tout bon, et pas seulement parce qu’ils sont jeunes et que le système a besoin de chair fraîche (il y a des dizaines de groupes pour ça) : parce qu’ils croient que ça leur donne un talent particulier et qu’ils ont les moyens de leur prétention. Résultat des classes, le “Smells Like Teen Spirit” des années 2000 (“Time To Pretend”) et une poignée d’autres hymnes aux slogans monosyllabiques comme “Kids” ou “The Youth”, auprès desquels on viendra réchauffer nos vieux os. Quinze ans après, MGMT a réussi le même hold-up que les so young Suede, autre groupe jeune et beau, beau, beau et con à la fois.
[Spotify] [Deezer]
36. The Rapture – Echoes [DFA Records, 2003]
The Strokes, The Hives, The Vines, The Bravery, The Rapture, The Servant, The Music. Retour du rock. Première moitié de la décennie 2000. Groupes en “the”. Rayez les mentions inutiles. Quelques années après, le bilan est forcément cruel. Le revival rock a fabriqué un paquet de groupes déjà ringards six mois après la sortie de leur premier single. Dès l’origine, les Rapture s’étaient hissés au-dessus de la mêlée avec le maxi “House of Jealous Lovers“, hymne définitif des caves new-yorkaises. La suite, toujours façonnée par James Murphy (a.k.a LCD Soundsystem), un des plus grands producteurs de la décennie, n’allait décevoir que les grincheux. Parcourant leur bréviaire rock avec des fondamentaux house, les Rapture accouchent d’un son urbain furieusement moderne, alternative à un hip-hop déclinant. Un son poisseux qui s’écoute de préférence sur le chemin du retour, quand le premier métro porte encore les stigmates de la veille.
[Spotify][Deezer]
35. Godspeed You! Black Emperor – Yanqui U.X.O. [Constellation, 2002]
Le mélange de la politique et la musique a quelque chose d’ennuyant par avance. Mais chez Godspeed You ! Black Emperor (groupe, super-groupe ou secte occulte, on ne sait pas trop), seule une guerre peut justifier l’ampleur et le millénarisme de l’orchestration. Le premier titre – le plus beau et le plus tragique – de ce brûlot post-rock s’appelle “09-15-00“, soit la date de la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, qui déclenchera la deuxième Intifada. L’espoir n’est pas absent de cette longue montée instrumentale qui passe par l’orage le plus violent pour finir dans un hébétement contemplatif, une forme de coma lourd mais pas irréversible. Nous sommes en 2002, le monde s’enfonce dans un long tunnel post-11-Septembre. Un disque qui ne serait peut-être jamais sorti sous une présidence Obama.
[Site officiel]
34. Phoenix – United [Source, 2000]
Phoenix a connu le succès dès son premier disque, United, sur la base d’une erreur historique. Début 2000, MTV diffuse en boucle le clip de “If I ever feel better” barré d’un bandeau “french touch” et l’on croit déceler sous les synthés vintage la queue de la comète Daft Punk. Mais Phoenix n’a rien à voir avec la scène électro et serait plutôt la première banderille du revival rock. Un an avant les Strokes, les Versaillais ébauchent la formule miracle qui fera pousser des franges sur le front des filles: guitares mélancoliques, production 70’s, look papier glacé. Ce tout-esthétisme sera récompensé par Sofia Coppola, qui fera du merveilleux “Too Young” la bande-son hédoniste de Lost In Translation. Mais on en oublierait presque le fondamental mauvais goût de cet album, qui revisite les 70’s vu d’une chambre d’ado, passant de la guimauve 10cc à la brutalité AC/DC sans se demander si les filles du premier rang sont toujours là. Les 3 albums suivants — meilleurs, diront certains — ne retrouveront jamais cette subtile imperfection.
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33. Islands – Arm’s Way [ANTI-, 2008]
Comme un deuxième album est toujours raté, les Islands ont décidé de faire un grand pas en avant du bord du précipice après le très remarqué “Return To The Sea” : un deuxième LP trop long, trop produit, trop arrangé, à la pochette abominablement kitsch. Contents de voir les bons vieux théorèmes se vérifier, les critiques ont pu dérouler leurs gammes et vite passer à autre chose. Peut-être avaient-ils rapidement repéré les choeurs sublimes qui bouclent “Life In Jail”, la petite musique de chambre enivrante de “To A Bond” ou ces quelques secondes de refrain déchirant au coeur des onze minutes de “Vertigo”, mais une malédiction est une malédiction, que voulez vous. Dix-huit mois plus tard, on peut reculer son nez du tableau et voir la fresque prendre forme : à accrocher dans la galerie des grands disques vite sortis, sitôt oubliés, injustement méprisés.
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32. Clipse – Hell Hath No Fury [Arista Records, 2006]
Unanimement considéré comme un des plus grands disques hip-hop de la décennie, le deuxième album des Clipse a de quoi alimenter une interminable discussion de comptoir: qui des Clipse au micro ou des Neptunes à la production est responsable de ce chef-d’œuvre ? Réponse : les deux. Sans leurs généreux donateurs de beats Chad Hugo et Pharrell Williams, les Clipse seraient sans doute restés des petites frappes. Sans Pusha T et Malice, dealers de coke repentis, les Neptunes se seraient enfoncés au milieu des années 2000 dans un inexorable déclin, incapables de surpasser leur orfèvrerie dancefloor pour Britney et Justin. Avec le concours des lyrics paranos des Clipse, les Neptunes dessinent un paysage urbain naturaliste, sec, décharné; le genre de truc qui résonne dans la tête du dealer quelques secondes avant sa chute.
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31. Elliott Smith – Figure 8 [DreamWorks, 2000]
Disque riche, foisonnant, le plus orchestré de sa carrière, Figure 8 est devenu l’ultime album d’Elliott Smith trois ans plus tard avec la mort de son auteur, un couteau dans la poitrine. Il pourrait aujourd’hui s’effacer derrière ses épitaphes trop évidentes, son titre qui désigne une boucle gracieuse de patinage artistique, son avant-dernière chanson intitulée “Can’t Make A Sound”, comme une extinction progressive, son dernier morceau sèchement titré “Bye”, au revoir sec répété en boucle avant le grand plongeon. Mais, depuis 2003, la figure de Smith continue de vibrer, dans ces films vus ou sortis après sa mort (The Royal Tenenbaums de Wes Anderson ou Paranoid Park de Gus Van Sant, qui avait déjà boosté sa carrière avec Good Will Hunting) ou sur ce mur de Sunset Boulevard à Los Angeles, régulièrement couvert de graffitis en son honneur. Figure 8 ne s’écoute pas comme un testament, mais comme un trait d’union, l’un des plus beaux, entre Hollywood (production DreamWorks oblige) et la marge.
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Jean-Marie Pottier et Vincent Glad.
Photo de Une : this.is.epic.
lire le billetLes années 2000 n’ont toujours pas de nom (les noughties?) mais nous les avons tellement aimées. Il faut dire que nous avons eu la bonne idée d’avoir 20 ans pendant cette décennie. Jusqu’aux fêtes de fin d’année, nous allons dérouler notre classement des meilleurs disques de la période. On commence par les albums classés de la 41e à la 50e place. Dans la mesure du possible, un lien renvoie vers l’écoute sur Spotify et Deezer.
50. Ryan Adams – Heartbreaker [Bloodshot Records, 2000]
Pas de clip pour “To Be Young (Is To Be Sad, Is To Be High)” : la première chanson de Heartbreaker, la plus belle, celle qui résume le mieux (ce titre…) l’esprit de l’album n’est jamais sortie en single. Heureusement, ce clip, le cinéma américain le lui a créé, trois ans plus tard : Luke Wilson quitte une convention de cadres encravatés et grimpe dans un taxi conduit par un chauffeur goguenard, le générique démarre, le titre, Old School, s’inscrit en même temps que les premières notes. Le film restera comme l’un des symboles du Frat Pack, ce groupe de comédiens trentenaires (les frangins Wilson, Will Ferrell, Vince Vaughn…), immatures et sensibles. Comme Ryan Adams ou son modèle Gram Parsons, cet autre croisement du Sud américain et de la cocaïne, tous deux old school et jeunes Turcs.
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49. !!! – Louden Up Now [Warp, 2004]
En 2004, New York est un peu sorti de la folie Strokes et s’impose comme la capitale du punk-funk, un mélange explosif qui revisite des groupes comme Gang of Four ou ESG à la lumière des avancées de la science psychotrope. Dans la moiteur des caves new-yorkaises, on découvre alors des groupes comme The Rapture (on en reparlera), Radio 4 (on n’en reparlera pas, et pour cause) et puis donc !!!, un collectif de 8 musiciens qui débarque avec un extraordinaire premier single “Me and Giuliani Down By The School Yard”. L’album confirme l’essai et impose un rock physique et crétin, lacéré de cris hallucinés et de fulgurances aussi lourdes que la ligne de basse: “What did Georges Bush said when he met Tony Blair? Shit Scheisse Merde”. Loin de l’habillage hype imposé par leur label Warp, les concerts laissent percer la vérité: !!! est un groupe de ploucs magnifiques, qui transpirent encore plus qu’ils ne boivent — et c’est une sacrée performance. Et d’ailleurs, cette histoire de New York n’est que du storytelling, le groupe s’est formé à Sacramento.
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48. L’Altra – In The Afternoon [Aesthetics, 2002]
Sur la pochette, des fleurs en gros plan, un peu floues, battues par le vent, un rayon de soleil qui pointe derrière et aucune image du groupe : un instant, on croit arriver dans un disque new age, à mettre à faible volume pendant un massage relaxant, l’horreur. L’Altra, c’est pourtant l’anti-complaisance absolue, la sérénité comme antidote à la paresse : du folk-pop, genre ancestral s’il en est, aux mélodies parfaites mais épurées, aux bords légèrement floutés, passés rapidement à la gomme post-rock (le groupe vient de Chicago, l’un des bastions du mouvement). Le dernier titre, entièrement instrumental, s’appelle “Goodbye Music”, et c’est bien dans les quelques secondes qui suivent un après-midi évanoui que se cache la beauté du disque. Le silence après un album de L’Altra, c’est encore de L’Altra.
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47. Sébastien Tellier – Politics [Record Makers, 2005]
La vérité, c’est que la presse musicale n’a rien à raconter. Quand le critique en a fini avec les influences d’un disque, il n’a plus grand chose à écrire, alors en général il balance deux-trois références cryptées à son adolescence solitaire à Châteauroux. Un seul disque a échappé à cette tyrannie du vide ces dernières années: Politics de Sébastien Tellier. Certainement berné par un marketing malin, la presse titrait alors des conneries du genre “Sébastien Tellier président!” et de longs papiers détaillaient son absurde programme politique contenu dans les titres du disque: un soutien aux Indiens d’Amérique, la paix dans le monde et des chèques-cadeaux Yves Rocher. Malgré le zèle de la presse rock, Nicolas Sarkozy finira par l’emporter et quatre ans après, tout le monde a oublié ce grotesque habillage pour ne retenir que ça: ce disque comprend les deux meilleurs titres français de la décennie, “La Ritournelle” et “Broadway“. Et je ne dis pas ça parce qu’ils me font terriblement penser au regard de cette fille seule sur un banc, un soir d’automne pluvieux. A Châteauroux.
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46. Jens Lekman – “When I Said I Wanted To Be Your Dog” [Service Records, 2004]
Iggy Pop chantait “I Wanna Be Your Dog”, Jens Lekman proclame “When I Said I Wanted To Be Your Dog”, et y ajoute des guillemets : si l’on aime le songwriter suédois, c’est bien pour la délicieuse distance qu’il met dans tout ce qu’il chante. Dans l’écart entre ses mélodies faites de bouts de ficelle ou carrément chantonnées à cappella et ses ambitions lorgnant vers le grand orchestre, de la lo-fi symphonique qui revient à essayer de monter une commode Louis XV avec une clef alène. Dans ce balancement entre gravité et désinvolture qui caractérise les paroles de “You Are The Light” : “I got busted, and I used my one phone call to dedicate a song to you on the radio”. Ou comment faire dans le romantisme l’air de rien, avec les moyens du bord, les femmes et les refrains d’abord.
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45. Julian Casablancas – Phrazes For The Young [Rough Trade, 2009]
Il avait débarqué en 2001 comme une carte postale sépia des seventies new-yorkaises, avec un groupe trop jeune et beau pour être vrai et “un son aussi tranchant/que des rayures en noir et blanc” (Jonathan Richman, “Velvet Underground“). Huit ans après, le leader des Strokes boucle la décennie avec un premier album solo d’une beauté foudroyante, spleen et digital, parsemé de citations early eighties (Ultravox, New Order voire les Talking Heads de Fear of Music sur le meilleur morceau, “Tourist”) que le dernier album des Strokes laissait déjà pressentir. En huit ans, il a montré comment passer d’un futur rétro au retour vers le futur, mais c’est l’instant présent qui transpire de sa voix qui n’aura jamais été aussi élégamment fêlée : celle d’un chanteur qui veut faire craquer les sutures de son groupe et met son coeur à nu.
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44. The Go ! Team – Thunder, Lightning, Strike [Memphis Industries, 2004]
“Ian Parton veut écouter The My Bloody De La’s Youth 5, produit par Spector, mais ça n’existe pas”, écrivaient Les Inrocks. On ne saurait mieux résumer l’ambition folle, absurde et en même temps singulièrement mineure du leader du groupe. Chez Go ! Team, comme dans un iPod, tout se vaut, les montées de cuivres de la Blaxploitation valent bien une rasade d’electroclash ou de shoegazing. Et comme dans un iPod, tout déborde, tout dégorge, de l’extase jusqu’à l’écœurement. Autre point commun avec le MP3, une certaine esthétique du cheap sonore: produit avec les pieds, ou avec des mains un peu paresseuses, Thunder, Lightning, Strike reste légèrement en-dessous de la ligne de flottaison du “grand disque”. Mais ne serait-ce qu’en souvenir des prestations scéniques dantesques du groupe (une fausse Kelis survitaminée au chant, deux batteries qui se battent en duel derrière), on ne peut s’empêcher d’aimer passionnément ce disque.
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43. Plush – Fed [After Hours, 2002]
Un nom de prophète soul couplé à un prénom de frère Gallagher, une chanson (“Found a Little Baby”) sacrée meilleure face B de tous les temps par le magazine Mojo, un rôle de backing band de luxe chez Smog ou Palace, une apparition fugace au piano dans le High Fidelity de Stephen Frears… Entre classe et effacement, il y a là-dedans toute la carrière de Liam Hayes, alias Plush. Et la même combinaison dans le deuxième album de cet artiste de Chicago, Fed, sorti après… sa version maquettes (Underfed) et en ayant épuisé quelques dizaines de milliers de dollars et cinq producteurs, dont le grand Steve Albini. Derrière sa déco de cabaret luxueux, dans le plus pur style Randy Newman, Harry Nilsson ou Scott Walker, Fed n’arrive pas à cacher longtemps ses poches vides, sa chemise froissée, sa mélancolie et ses regrets. Très Las Vegas, et presque parano.
[MySpace] [Site officiel]
42. Hot Chip – The Warning [DFA/Astralwerks, 2006]
Comme il y a le bleu Klein, il y a le vert Hot Chip. Inventé par le clip d'”Over and over”, mini-tube de ce disque, le vert Hot Chip matérialise la musique du quatuor britannique: un vert synthétique, libidineux, collant aux baskets, mais dévoilant à l’usage un certain tragique. Comme ce vert qui arracherait des larmes à une miss météo, le groupe electro-pop est contraint à la mélancolie: trop vieux pour sa musique et trop geek pour sa coolitude, Hot Chip plombe invariablement l’ambiance de ses hymnes dancefloor. Le deuxième single de l’album restera comme leur chef-d’œuvre, une complainte soul qui semble incarner toute la nostalgie du monde en un intitulé parfait, universel: “And I was a boy from school”.
[Spotify] [Deezer]
41. Beach House – Teen Dream [Sub Pop, 2009]
Le destin du premier grand disque de la prochaine décennie — sortie le 26 janvier 2010 — résume tellement bien les années 2000 qu’on est obligé de le rétrograder en 2009 (#mauvaisefoi). Depuis quatre ou cinq ans, tous les albums indie un tant soit peu attendus sont disponibles sur Internet plusieurs mois à l’avance, alimentant une bulle médiatique qui souvent a déjà éclaté quand le disque sort vraiment. Concernant le troisième album de Beach House apparu sur le net début novembre, la bulle (qui inonde Hype Machine de MP3) a de quoi tenir encore plusieurs mois. Après deux disques beaux mais chiants, le duo de Baltimore a enfin osé un peu de luxuriance instrumentale, un peu de démesure vocale jusqu’à atteindre avec “Norway” une forme de perfection dans le tube pour teenagers rêveurs . Le reste de l’album est quasi parfait, rendant orgiaque une séance de contemplation du plafond.
[Hype Machine][MySpace]
>> Suite du classement avec les disques classés de la 40e à la 31e place
Jean-Marie Pottier et Vincent Glad.
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