Après les albums classés de la 50e à la 41e, suite de notre classement des meilleurs disques de la décennie. Nous continuerons de dérouler ce classement jusqu’aux fêtes de fin d’année. Dans la mesure du possible, un lien renvoie vers l’écoute sur Spotify et Deezer.
40. Blonde Redhead – Melody Of Certain Damaged Lemons [Touch & Go, 2000]
Le plus grand groupe nippo-italien (le seul ?) a dynamité, dispersé, ventilé, éparpillé le titre de son cinquième album façon puzzle : le long des onze titres, on retrouve donc, en fait de mélodies de certains citrons endommagés, des “Equally Damaged”, “Melody of Certain Three”, “Ballad of Lemons” ou “For The Damaged”. Le symbole d’un album qui, contrairement au suivant, le très beau mais plus classique Misery Is A Butterfly, donne envie de faire l’éloge du fragment et des petites coupures. Un cadavre exquis à siroter en en goûtant les stridences et l’acidité, les ballades aux jambes sciées et les pulsations incertaines, la voix de crécelle d’Amadeo Pace et la douceur coupante de Kazu Makino. Ils sont fans de Gainsbourg (ils ont repris “Slogan” et enfanteront une “Melody” sur l’album suivant), vénèrent Sonic Youth, eux-même fans de Gainsbourg, accouplent le bruitiste et la pop triste : un bel inceste de citron, en somme.
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39. Adam Green – Friends of Mine [Rough Trade, 2003]
Le deuxième album d’Adam Green a la beauté des promesses non tenues. Avant, il était le petit prince de la scène anti-folk du début des années 2000, le bon pote des Libertines, un Jonathan Richman qui aurait vite trouvé une Moe Tucker (l’unique album des Moldy Peaches, chef d’oeuvre anecdotique). Après, il est devenu un songwriter conscient de ses effets, soucieux d’incarner ses idoles (Scott Walker, Frank Sinatra, Leonard Cohen…), à la voix épaissie par un maniérisme un peu triste. Entre les deux, Friends of Mine, comme une photo d’un passage à l’âge adulte, avec ses morceaux bien charpentés mais encore naïfs ou ses hommages à des starlettes déjà un peu fanées (“Jessica Simpson”), comme lui bientôt. Il avait un peu plus de vingt ans, et on ne laissera personne dire que ce n’était pas le plus beau disque de sa vie.
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38. Vampire Weekend – Vampire Weekend [XL Recordings, 2008]
Cet album a mauvaise réputation chez les snobs. Que lui reproche t-on ? D’être trop évident, trop bien né, avec des références trop chic (new-wave et ghetto de Soweto) et des paroles façon Vincent Delerm de l’Ivy League (“Who gives a fuck about an Oxford comma? I’ve seen those English dramas too”). Effectivement. Oui. Faut reconnaître. Sauf qu’il suffit de passer un titre comme “Oxford Comma” en soirée pour se rendre compte de l’incroyable efficacité de Vampire Weekend. Entre le gros son rock et les slows, il y a toujours de la place pour cette pop nostalgique et contemplative qui permet d’engager la discussion avec les filles. Il est 23h et l’on se dit que le plus beau métier du monde, c’est étudiant.
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37. MGMT – Oracular Spectacular [Columbia, 2008]
Ils ont piqué leur nom dans un manuel d’école de commerce, leur maquillage dans la trousse de leur mère, leurs fringues dans la mallette d’un grand-oncle hippie, leurs synthés aux puces du Connecticut et leurs morceaux à David Bowie. Pourtant, ils ont tout bon, et pas seulement parce qu’ils sont jeunes et que le système a besoin de chair fraîche (il y a des dizaines de groupes pour ça) : parce qu’ils croient que ça leur donne un talent particulier et qu’ils ont les moyens de leur prétention. Résultat des classes, le “Smells Like Teen Spirit” des années 2000 (“Time To Pretend”) et une poignée d’autres hymnes aux slogans monosyllabiques comme “Kids” ou “The Youth”, auprès desquels on viendra réchauffer nos vieux os. Quinze ans après, MGMT a réussi le même hold-up que les so young Suede, autre groupe jeune et beau, beau, beau et con à la fois.
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36. The Rapture – Echoes [DFA Records, 2003]
The Strokes, The Hives, The Vines, The Bravery, The Rapture, The Servant, The Music. Retour du rock. Première moitié de la décennie 2000. Groupes en “the”. Rayez les mentions inutiles. Quelques années après, le bilan est forcément cruel. Le revival rock a fabriqué un paquet de groupes déjà ringards six mois après la sortie de leur premier single. Dès l’origine, les Rapture s’étaient hissés au-dessus de la mêlée avec le maxi “House of Jealous Lovers“, hymne définitif des caves new-yorkaises. La suite, toujours façonnée par James Murphy (a.k.a LCD Soundsystem), un des plus grands producteurs de la décennie, n’allait décevoir que les grincheux. Parcourant leur bréviaire rock avec des fondamentaux house, les Rapture accouchent d’un son urbain furieusement moderne, alternative à un hip-hop déclinant. Un son poisseux qui s’écoute de préférence sur le chemin du retour, quand le premier métro porte encore les stigmates de la veille.
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35. Godspeed You! Black Emperor – Yanqui U.X.O. [Constellation, 2002]
Le mélange de la politique et la musique a quelque chose d’ennuyant par avance. Mais chez Godspeed You ! Black Emperor (groupe, super-groupe ou secte occulte, on ne sait pas trop), seule une guerre peut justifier l’ampleur et le millénarisme de l’orchestration. Le premier titre – le plus beau et le plus tragique – de ce brûlot post-rock s’appelle “09-15-00“, soit la date de la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, qui déclenchera la deuxième Intifada. L’espoir n’est pas absent de cette longue montée instrumentale qui passe par l’orage le plus violent pour finir dans un hébétement contemplatif, une forme de coma lourd mais pas irréversible. Nous sommes en 2002, le monde s’enfonce dans un long tunnel post-11-Septembre. Un disque qui ne serait peut-être jamais sorti sous une présidence Obama.
[Site officiel]
34. Phoenix – United [Source, 2000]
Phoenix a connu le succès dès son premier disque, United, sur la base d’une erreur historique. Début 2000, MTV diffuse en boucle le clip de “If I ever feel better” barré d’un bandeau “french touch” et l’on croit déceler sous les synthés vintage la queue de la comète Daft Punk. Mais Phoenix n’a rien à voir avec la scène électro et serait plutôt la première banderille du revival rock. Un an avant les Strokes, les Versaillais ébauchent la formule miracle qui fera pousser des franges sur le front des filles: guitares mélancoliques, production 70’s, look papier glacé. Ce tout-esthétisme sera récompensé par Sofia Coppola, qui fera du merveilleux “Too Young” la bande-son hédoniste de Lost In Translation. Mais on en oublierait presque le fondamental mauvais goût de cet album, qui revisite les 70’s vu d’une chambre d’ado, passant de la guimauve 10cc à la brutalité AC/DC sans se demander si les filles du premier rang sont toujours là. Les 3 albums suivants — meilleurs, diront certains — ne retrouveront jamais cette subtile imperfection.
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33. Islands – Arm’s Way [ANTI-, 2008]
Comme un deuxième album est toujours raté, les Islands ont décidé de faire un grand pas en avant du bord du précipice après le très remarqué “Return To The Sea” : un deuxième LP trop long, trop produit, trop arrangé, à la pochette abominablement kitsch. Contents de voir les bons vieux théorèmes se vérifier, les critiques ont pu dérouler leurs gammes et vite passer à autre chose. Peut-être avaient-ils rapidement repéré les choeurs sublimes qui bouclent “Life In Jail”, la petite musique de chambre enivrante de “To A Bond” ou ces quelques secondes de refrain déchirant au coeur des onze minutes de “Vertigo”, mais une malédiction est une malédiction, que voulez vous. Dix-huit mois plus tard, on peut reculer son nez du tableau et voir la fresque prendre forme : à accrocher dans la galerie des grands disques vite sortis, sitôt oubliés, injustement méprisés.
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32. Clipse – Hell Hath No Fury [Arista Records, 2006]
Unanimement considéré comme un des plus grands disques hip-hop de la décennie, le deuxième album des Clipse a de quoi alimenter une interminable discussion de comptoir: qui des Clipse au micro ou des Neptunes à la production est responsable de ce chef-d’œuvre ? Réponse : les deux. Sans leurs généreux donateurs de beats Chad Hugo et Pharrell Williams, les Clipse seraient sans doute restés des petites frappes. Sans Pusha T et Malice, dealers de coke repentis, les Neptunes se seraient enfoncés au milieu des années 2000 dans un inexorable déclin, incapables de surpasser leur orfèvrerie dancefloor pour Britney et Justin. Avec le concours des lyrics paranos des Clipse, les Neptunes dessinent un paysage urbain naturaliste, sec, décharné; le genre de truc qui résonne dans la tête du dealer quelques secondes avant sa chute.
[Spotify][Deezer]
31. Elliott Smith – Figure 8 [DreamWorks, 2000]
Disque riche, foisonnant, le plus orchestré de sa carrière, Figure 8 est devenu l’ultime album d’Elliott Smith trois ans plus tard avec la mort de son auteur, un couteau dans la poitrine. Il pourrait aujourd’hui s’effacer derrière ses épitaphes trop évidentes, son titre qui désigne une boucle gracieuse de patinage artistique, son avant-dernière chanson intitulée “Can’t Make A Sound”, comme une extinction progressive, son dernier morceau sèchement titré “Bye”, au revoir sec répété en boucle avant le grand plongeon. Mais, depuis 2003, la figure de Smith continue de vibrer, dans ces films vus ou sortis après sa mort (The Royal Tenenbaums de Wes Anderson ou Paranoid Park de Gus Van Sant, qui avait déjà boosté sa carrière avec Good Will Hunting) ou sur ce mur de Sunset Boulevard à Los Angeles, régulièrement couvert de graffitis en son honneur. Figure 8 ne s’écoute pas comme un testament, mais comme un trait d’union, l’un des plus beaux, entre Hollywood (production DreamWorks oblige) et la marge.
[Spotify]
Jean-Marie Pottier et Vincent Glad.
Photo de Une : this.is.epic.
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[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Vincent Glad, Emgenius. Emgenius a dit: RT @vincentglad MGMT, Clipse, Elliott Smith…: suite de mon classement des 50 disques de la décennie sur Slate http://bit.ly/59Kw0o […]
Phoenix, Vampire Week-end et MGMT méritaient une bien meilleure place !
@Hypstyle
ou pas
Vampire Week-end et MGMT.dans le classement .. Les fleet foxes ne devraient pas être très loin.
Par contre, dans votre passage sur les <> (bouh les doubles guillemets) vous mettez dans le même sac the music, the vines (no problemo) et The Hives … je ne peux pas laisser passer cela. Je comprends toutafé que des albums dont aucune chanson ne dépasse les 2min 30 ne méritent pas de faire parti d’un quelconque Top50, cependant The Hives est un des meilleurs groupes que j’ai vu sur scène. Ils sont tout simplement fantastiques, les mettre au même niveau que les autres (i.e. “ringards six mois après”) montrent juste que vous ne les avez jamais vu en concert. Des qu’ils passent pres de chez vous, allez les voir, vous ne le regretterez pas.
Tiens une partie mon post a sauter ici: , je parlais des groupes en “THE”
J’attends encore Arcade Fire avec Funeral, les killers avec Hot Fuss, Interpol avec Antics, the stars avec leur première version de Set yourself on fire, ColdPlay, ou encore Muse.
Ca fait plaiz par contre de voir Eliott Smith, ou the Go! Team (qui meriterait d’être dans le top 30 tellement c’est incomparable) dans ce classement.
C’est quand la suite ?
[…] les albums classés de la 50e à la 41e place et ceux classés de la 40e à la 31e place, suite de notre classement des meilleurs disques de la décennie. Nous continuerons de dérouler ce […]
Je trouve l’album “WOLFGANG AMADEUS” de Phoenix meilleur que United. Ce dernier a mal vieilli.
[…] voici la fin de notre top avec les 3 premiers. Le reste du classement est ici : ->#50-41 ->#40-31 ->#30-21 ->#20-11 […]