Les récompenses individuelles dans le foot n’ont d’intérêt qu’au bistrot

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PippoAvatar copyEt un, et deux, et trois ballons. Jolie journée que ce lundi 10 janvier, qui a vu la remise de trois prix. Un premier – le principal, le Ballon d’Or, par France Football et la FIFA à Léo Messi – et deux, plus amusants – les ballons de plomb et d’eau fraîche – par le site Internet satirique Les Cahiers du Football.

Le nouveau trophée FIFA Ballon d’Or est-il un inutile et superficiel coup marketing?” se demandait en novembre Aurélien Le Génissel dans un article de Slate. S’il récompense des joueurs formidables – mais nous savions déjà qu’ils étaient bons – en terme de suspense, il a été d’un total désintérêt, à part en Catalogne. Tout a été dit ou presque sur la nouvelle formule et sur le Ballon d’Or en général. Résumons vite mais bien: c’est une récompense pour Footix, tous ceux qui ne retiennent de 2010 que le but d’Iniesta en finale de Coupe du monde. Les seules personnes qui ont encore le droit de s’enthousiasmer pour cette récompense, ce sont les enfants. A cet âge, on a toujours besoin d’idoles et de cartes Panini plus valorisées dans les cours de récré.

L’architecte de Matrix ayant horreur du vide, le Ballon d’Or étant dévalué, il fallait son pendant “maléfique”, le Ballon de Plomb. Existant depuis 2003 déjà, il récompense le plus mauvais joueur de Ligue 1, élu par les internautes, sur des critères variés et subjectifs. Pour se différencier de L’Equipe, les Cahiers du football se sont lancés dans une célébration des mauvais – qui touche son paroxysme avec le (très drôle) classement à l’envers.

Sur le papier, l’idée est bonne, voire excellente. Sauf que sans vouloir disserter une nouvelle fois sur la démocratie et ses limites (parce que nous ne sommes pas Claude Allègre), l’élection, jusqu’à cette année et la victoire d’un Lensois, avait toujours abouti à la “victoire” d’un joueur d’un des trois clubs les plus médiatiques, le triumvirat Marseille-Paris-Lyon. Quand on n’a que trois minutes pour voter, entre deux actualisations de jeux chronophages ou un PowerPoint à rendre, pas le temps de se pencher avec attention sur les matchs de Coutadeur ou, il y a quelques années, du regretté Viveros.

Du coup, cette année, Ben Arfa – objectivement un bon joueur – a failli gagner et se classe finalement deuxième. Les Cahiers du Football, bien conscients de ce risque, avaient expliqué avoir hésité à le sélectionner. Mais pour continuer d’exister médiatiquement, et pouvoir ainsi défendre leurs positions – notamment contre l’arbitrage vidéo – ils ne peuvent se permettre de ne choisir que des inconnus.

Le Ballon d’Eau fraîche découle de la même idée: créer une récompense sympa, qui amuse les gens et qui puisse assez facilement être reprise par les autres médias. Objectif: élire le joueur représentant le footballeur total, en gros celui qui se jette sur tous les ballons. Un type censé incarner des valeurs vraies et ancestrales du foot, n’avoir jamais changé de club, conservé un état d’esprit irréprochable, et que tout le monde aime bien, même s’il n’a jamais rien gagné. Jérémie Janot et ses tatouages étaient parfaits pour ce premier rôle.

Les trois prix ont occupé l’espace médiatique. Les trois, si on a tout de même plus de sympathie pour les deux petits, ont eu des résultats à peu près prévisibles, et ont chacun bien répondu à leurs rôles définis au départ. Faire plaisir aux sponsors, à la FIFA et à la grande famille du football mondial pour celui de France Football. Donner l’impression qu’un autre football est possible et qu’on peut être impertinent même si on choisit des joueurs attendus pour le second (et l’auteur de l’article s’inclue dans cette deuxième partie, ayant voté pour Coupet).

Jean-Marie Pottier expliquait récemment pourquoi nous avons besoin des classements musicaux. Pour lui, «lire les listes d’un magazine ou d’amis permet de savoir chaque année si, musicalement, nous vieillirons ensemble ou pas. (…) Les tops de fin d’année, ou l’éphémère et éternelle beauté du polaroïd-souvenir.» L’écrivain Julien Gracq, qui critiquait les prix littéraires en 1949 dans son livre La littérature à l’estomac, expliquait: «Ainsi se trouve-t-il que la littérature en France s’écrit et se critique sur un fond sonore qui n’est qu’à elle, et qui n’en est sans doute pas entièrement séparable : une rumeur de foule survoltée et instable, et quelque chose comme le murmure enfiévré d’une perpétuelle Bourse aux valeurs. Et en effet – peu importe son volume exact et son nombre — ce public en continuel frottement (…) comme un public de Bourse a la particularité bizarre d’être à peu près constamment en ” état de foule “: même happement avide des nouvelles fraîches, aussitôt bues partout à la fois comme l’eau par le sable, aussitôt amplifiées en bruits, monnayées en échos, en rumeurs de coulisses».

Les prix footbalistiques répondent à cette même double logique: un mélange d’instantané historique et d’agitations médiatiques boursicoteuses. Ce qui est amusant, c’est pouvoir critiquer a posteriori Cannavaro ou Owen ou bien se remémorer les carrières de Francis Llacer et Matt Moussilou. Le résultat, le jour J, n’a en lui-même aucun intérêt.

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Quentin Girard

Crédit photo: Reuters/Ruben Sprich

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