Le business-model déficitaire des clubs: l’exemple de l’OL

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Pourquoi le club de Jean-Michel Aulas était-il déficitaire l’an dernier, après cinq années de gestion vertueuse?

Le mardi 12 janvier, l’UEFA publiait un rapport financier sur les clubs européens de première division des 53 fédérations qu’elle chapeaute. Résultat inquiétant, alors qu’a été adopté le principe de “fair-play financier”: 56% d’entre eux sont en déficit, la plupart plombés par les salaires des joueurs et le coût des transferts. Au total, en 2009, ils ont dépensé 12,9 milliards d’euros, pour n’en générer que 11,7. Soit une perte cumulée record de 1,2 milliard, en augmentation de 85% (!) par rapport à 2008.

Malgré la crise financière, et malgré les nouvelles règles de l’UEFA, les clubs de foot européens sont donc de moins en moins rigoureux. Ou de plus en plus téméraires. Pour comprendre pourquoi, PDPS a décidé de prendre un cas exemplaire de cette tendance, en se plongeant dans les comptes de l’Olympique Lyonnais (voir le rapport financier), qui, après cinq années de gestion bénéficiaire, a connu les affres du déficit lors de la saison 2008-2009.

Le 6 octobre dernier, Jean-Michel Aulas a le sourire dans les chaussettes. Le “successful boss” du foot français doit se présenter à la presse pour annoncer un résultat net déficitaire, sur la saison 2009-2010, de 35,4 millions d’euros d’OL Groupe, la holding qui gère notamment le club. Une gifle publique, après cinq années de gestion positive, pendant lesquelles il a fallu se pâmer devant le “modèle” Aulas.

Pourquoi cette perte nette? Lors de la saison 2009-2010, dont l’exercice financier s’est clos au 30 juin 2010 (avant le coûteux transfert de Gourcuff donc…), l’OL a généré 160,2 millions d’euros, contre 192 millions la saison précédente. Soit une baisse du chiffre d’affaires de 17%.  Les profits sont ainsi répartis.

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[Billetterie: 24,8 millions d’euros / Partenariats et publicité: 14,7 millions / Droits TV: 78,4 millions / Exploitation de la marque: 28,2 millions / Cession de joueurs: 14,1 millions]

OL Groupe a dépensé plus qu’il n’a gagné, lors de cet exercice: plus de 195 millions d’euros, dont 95,8 pour le seul achat de joueurs. L’équilibre est rompu, d’où le déficit.

Grosso, Mounier et Keita : des joueurs plaqués argent

Heureusement, ce 6 octobre, la com est bien rodée. Le président de l’OL avance tout un tas de raisons pour expliquer la défaillance: d’abord l’affaire Betclic (sponsor maillot interdit avant la loi sur les jeux en ligne), ensuite la rupture du contrat avec Umbro (qui a plumé l’OL de 4 millions), bien sûr la crise financière (qui pèse sur les ventes de produits dérivés et la publicité) et surtout des cessions de contrats décevantes: lors de cet exercice, l’OL n’a pas bien vendu ses joueurs. 8,4 millions d’euros pour Kader Keita au Galatasaray, 2 millions pour Fabio Grosso à la Juve (+1 million maximum en fonction des perfs du latéral gauche) et 2,5 millions pour Anthony Mounier à l’OGC Nice (+15 % de la plus-value sur un transfert futur). En 2009, la Benz’ avait rapporté 35 millions; en 2008, Malouda 18 et Ben Arfa 11.

Au final, les comptes de l’OL font apparaître 14,1 millions d’euros de produits dans ce domaine, là où ils affichaient plus de 55 millions de moyenne les quatre saisons précédentes. A peu de choses près, la différence (41 millions) correspond au déficit annuel. Comme Jean-Michel Aulas le répète efficacement aux médias présents, on trouve ici la cause première de la perte nette dans le compte de résultat des Gones.

Gomis et Lovren, des machines-outils d’investissement

Il serait toutefois trop simple de s’arrêter à cette conclusion, celle que le rapport financier du club met en tête de gondole, comme le message essentiel qu’il faut imprimer dans les esprits. Coup d’oeil sur l’évolution des autres postes budgétaires.

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[Billetterie: de 22 à 25 millions / Partenariats & Pub: de 21 à 15 / Droits TV: de 68 à 78 / Produits de la marque: de 28 à 28 / Transferts: de 52 à 14]

La publicité baisse (-31%), car c’est la crise, doublée de l’imbroglio autour de BetClic. Les droits TV (+15,1%) et la billetterie (+10,7%) sont en nette hausse, grâce au bon parcours des Lyonnais en Ligue des champions: qui dit demi-finale, dit plus de spectateurs et plus de retransmissions sur TF1 et Canal. Ce qui a certainement permis, en dépit de l’atonie du marché des produits dérivés (c’est la crise, on vous a dit), à la branche “produits de la marque” de se maintenir (+1,4%). Partout en France, des collégiens ont cette saison acheté le maillot de Jean II Makoun après son but contre le Real. Le tout additionné pèse plus de 146 millions d’euros, en hausse de 4,7% sur un an, soit 6,5 millions d’euros. Pas suffisant pour absorber la chute des recettes liées aux cessions de joueurs.

D’autant plus que l’OL a eu la folie des grandeurs sur le marché des transferts lors de cet exercice. 95 millions d’euros, ce n’est peut-être qu’un seul Cristiano Ronaldo, mais ça fait quand même une somme énorme, pour un club dont les recettes de la saison précédente étaient juste deux fois plus élevées (192 millions). Dans le rapport financier annuel du club, l’OL justifie cette politique par la volonté “d’accélérer ses investissements en joueurs expérimentés afin de réduire les écarts avec les meilleurs clubs européens”… D’où les 25,8 millions d’euros pour Lisandro Lopez, mais aussi les 20,7 millions pour Michel Bastos, 15,8 millions pour Aly Cissokho, 15,2 millions pour Bafetimbi Gomis, puis les 9,9 millions pour Dejan Lovren au mercato d’hiver et enfin les 7,4 millions d’euros pour Jimmy Briand au tout début de l’intersaison 2010.

Pas la peine de rentrer dans la polémique sur la véritable valeur des joueurs (Gomis, 15 patates?), ce n’est pas le sujet. On remarquera juste que les joueurs, s’ils sont chers à l’achat, le sont aussi en termes de rémunération, sous forme de salaires ou de primes. Les “charges de personnel” ont augmenté de 16,6 millions d’euros, en raison sans doute de la paye de Lisandro mais aussi des primes liées au bon parcours en Ligue des champions. A coup sûr, cette augmentation vertigineuse des charges n’est pas liée à une augmentation de la secrétaire de Bernard Lacombe.

Diversification, formation, modération

Quels enseignements retenir du cas lyonnais, dans la perspective de l’instauration prochaine du “fair-play financier”?

– A défaut de pouvoir vivre à crédit et recourir à la dette, les clubs vont devoir se diversifier pour dégager plus de chiffre d’affaires. C’est particulièrement vrai pour les clubs français, qui sont, comme on le sait, ultra-dépendants des droits TV. A Lyon, ils représentent en 2009-2010 la moitié de son chiffre d’affaires et trois fois les recettes de billetterie.

En termes de diversification, l’OL est pionnier, via ses filiales coiffure, voyages, merchandising, etc. Mais elles restent trop petites pour assurer des revenus. D’où le combat aulasien en faveur d’un nouveau “Grand Stade” conçu comme une enceinte sportive, commerciale et hôtelière, c’est-à-dire un pôle économique à lui tout seul.

– Le fair-play financier va obliger les clubs à développer une politique de formation, pour recourir au minimum aux achats de joueurs extérieurs, compte tenu de l’inflation sur le marché (CR9, 93 millions…). Il s’agira de faire éclore le plus de talents possibles, soit pour remplir le onze titulaire quelques années plus tard (l’exemple Lacazette à Lyon, promis à un bel avenir), soit pour réaliser d’importantes plus-values à la revente (l’exemple Benzema, de Gerland à Santiago Bernabeu). A défaut d’un centre de formation permanent, un effet pervers du “fair-play financier” pourrait conduire certains clubs à débaucher des jeunes joueurs prometteurs et déjà formés, pour les revendre ensuite (ce qui se passerait si par exemple Lyon voulait revendre Lloris, acheté 8,5 millions d’euros à Nice en 2008, et qui en vaut au moins 3 fois plus aujourd’hui).

– Surtout, le fair-play financier va rendre impossible ce que font depuis quelques années Manchester City et le Real Madrid, et Lyon l’année dernière, c’est-à-dire dépenser des sommes folles pour acheter des joueurs très très très grassement payés. Des sommes folles parce que totalement disproportionnées par rapport aux moyens financiers du club. L’OL était à l’équilibre pendant cinq ans, quand sa politique de recrutement consistait essentiellement à acheter les meilleurs joueurs pas chers de Ligue 1, pour les faire accéder au niveau Champion’s League. Ainsi Essien, Diarra, Malouda, Coupet… En signant la saison dernière des chèques monstrueux pour faire venir Lisandro du Portugal, Gomis de Saint-Etienne et Bastos de Lille, Lyon s’est aligné sur les pratiques des riches pour “réduire les écarts avec les meilleurs clubs européens”. Une justification qui sonne plutôt comme un aveu: impossible de rejoindre le gratin européen sans déraison financière, puisqu’elle est devenue la règle en Premier League et en Liga.

Le principe du fair-play financier instauré par l’UEFA s’en trouve légitimé, en dépit des effets pervers qu’il pourrait engendrer. La course à la compétitivité n’est pas nationale, mais européenne. Donc la plongée vers les déficits a une cause continentale. C’est la gestion extrêmement dispendieuse des clubs comme le Real, Man Utd, Chelsea ou City qui oblige les Lyonnais à sortir plus de billets qu’ils n’en font entrer dans les caisses.

En conclusion, quelques mots pour rassurer les supporters lyonnais. Pas d’inquiétude, malgré le déficit 2009-2010, la situation financière du club reste plutôt bien maîtrisée. Il repose toujours,  au sortir de cette mauvaise année, sur un confortable matelas: 130,8 millions de capitaux propres.

En outre, le résultat financier (la différence entre les revenus financiers issus des placements et les charges liées à l’endettement) de l’OL légèrement négatif, de 800.000 euros (contre un résultat positif de 600.000 euros la saison précédente). Ce qui signifie que le club est peu endetté, même si ses marges en la matière se sont beaucoup réduites en un an (la “trésorerie nette de l’endettement financier” est passée de 62,3 millions d’euros à 15,4 millions).

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Laurent Legoupil

NB : Au passage, on apprend à la lecture du rapport financier de l’OL que l’ami Aulas a touché, au titre de la saison 2009-2010, une rémunération de 1,173 million d’euros, ainsi décomposés : 643.000 euros de fixe, 501.000 de variable (contre 630 et 277 la saison précédente), 17.000 d’intéressement et 12.000 d’avantages en nature.

Crédit: REUTERS/Fatih Saribas

6 commentaires pour “Le business-model déficitaire des clubs: l’exemple de l’OL”

  1. Si je comprends bien les clubs n’ont d’autre choix que de faire croire au miracle à encore plus de jeunes de milieux ou de pays défavorisés pour garnir leur centre de formation et avoir plus de chances de tomber sur LA perle… et jeter les autres qui prennent (un peu) leur revanche en coupe de France quand leur club “amateur” rencontre leur club formateur “pro”…
    encore une fois le financier de qqs uns (M. Aulas…) l’emporte sur le “social” du plus grand nombre… à quand la révolution du coquelicot (notre jasmin !)?…

  2. Je pense que tu resume bien la situation des club. Par contre sa serais bien que tu sois un peu plus transparent sur tes opinions “anti-Aulas”. Il s’agit ici des quelques erreurs de management dans l’entreprise OL…

    N’oublions pas que Aulas a repris L’Olympique Lyonnais en division 2, le club etait endette et avec peu d’experience (ndlr, fonde en 1950, contrairement aux grand club Francais de Marseille, Bordeaux…ect).

    Je terminerais sur la crise economique, et la hausse du prix des transfert, ainsi que loies de finance concernant les droits des clubs. Ces derniers elements viennent affaiblir tous le club Francais…

  3. A vomir, quels gâchis! fadaises, colifichets, enfantillages, débilité, fatuité, un exemple de honte pour notre civilisation au détriment des investissements constructifs d’emplois pérennes. je m’arrête à cette diatribe car tout le monde sait et se cache derrière son petit doigt. Le populo (la plèbe, la lie) est mieux contrôlée comme ça, plutôt que de dépense ces sommes vertigineuse en éducation par le biais de professeurs/locaux/matériels d’enseignement…

    Quant aux joueurs : VAE VICTIS !

    Les journalistes sportifs ? trop malins pour ne pas rebondir dans d’autres secteurs…

  4. Ah ah ah…

  5. […] Plat du pied, sécurité » Le business-model déficitaire des clubs: l’exemple de l’OL (tags: Lyon) […]

  6. […] de Lyon, remplacé par Montpellier en Ligue des champions . Le club présidé par Jean-Michel Aulas, très lourdement déficitaire en 2009/10, passerait de la 2e à la 9e place. Pas d’Europe, pas de martingale financière de […]

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