Merci Tony Vairelles


Et si Tony Vairelles et Balotelli étaient les dernières raisons de se passionner pour le football?

Un soir en Lorraine, dans la banlieue de Nancy. Une boîte de nuit comme il y en a des milliers à travers la France. Au bord d’une route, un hangar immense et glauque et un parking où on laisse attendre les enfants dans le froid quand on n’a pas eu le temps de trouver une baby-sitter. Le genre d’endroit qui contribue grandement aux nombreux tués sur la route chaque année.

Et donc, je vous résume, vous le savez déjà, une bousculade, des vigiles qui font les gros bras et des clients les kékés, un des mecs virés qui revient avec un fusil de chasse et qui blesse trois personnes dont une grièvement. Un fait divers assez classique sur la Côte d’Azur ou en Corse l’été. Sauf que là, dans les personnes inculpées, il y a Tony Vairelles, l’ange blond de Lens à la fin des années 1990.

Merci Tony Vairelles. La dépêche annonçant la mise en examen de l’ancien international a ainsi été l’une des plus lues sur LeMonde.fr pendant plusieurs jours. Pourquoi me direz-vous? Malgré sa reprise foirée de Gueugnon, le joueur était tombé dans un anonymat relatif. Il n’appartient pas à ces dizaines de joueurs que l’on voit sur les plateaux de téle apporter la bonne parole aux télespectateurs incultes et qui au bout d’un moment se ressemblent tous. Et pourtant, l’affaire passionne. Parce qu’avant d’avoir potentiellement participé à un règlement de comptes, il reste un footballeur qui fut connu et il rejoint les petits et grands scandales de ces dernières années, de Zahia aux feux d’artifices de Balotelli.

Tous ces épisodes, qui font vendre du papier, permettent aux bien pensants de s’exprimer et à nous d’aimer le foot. De Charlie Mitten à René Higuita en passant par Chinaglia ou Romario, le football n’a pas attendu les années 2010 pour avoir des mecs déviants. Plutôt, au contraire, il s’est aseptisé. Du coup, toute sortie de route est immédiatement montée en épingle. Il y a trente ans, Tony Vairelles, joueur aimé mais qui ne restera pas dans l’histoire, aurait-il fait autant parler de lui pour les mêmes faits dix ans après l’apogée de sa carrière? Sans doute pas. Cela aurait fait une page dans le Républicain Lorrain, un petit article dans l’Equipe, et puis voilà. Là, tout de suite, la puissance d’Internet et des chaines d’info en continu permet de faire marcher l’imagination à plein régime.

Why always me?

Selon Charlie Chaplin, «ce n’est pas la réalité qui compte dans un film, mais ce que l’imagination peut en faire». C’est la même chose dans le football et ses à-côtés. Ce qu’il s’est passé exactement on ne le sait pas, et il faut laisser le temps à la justice. Mais ce qu’on imagine très bien, ce sont les frères Vairelles, des fiers Gitans, déferlant sur les vigiles et défouraillant à tout va, dans une ambiance de film de gangster cheap, déclamant des paroles de Seth Gueko. Par exemple, celles de Bad Cowboy: Je suis ce putain de cowboy qu’a toujours une teille à se torcher. Tu peux me tirer dans la tête, dans les seufs, sur le pec, etc. Cela suffit amplement à notre bonheur de spectateur voyeur.

L’idée est la même avec Balotelli. Lorsqu’on apprend qu’il a mit le feu avec un de ses potes à sa baraque en jouant aux feux d’artifice dans sa maison et que le lendemain il fait un grand match contre Manchester United, on ne peut s’empêcher de l’aimer et de se dire, «il est génial». Parce que c’est une tête de con, parce qu’il dépense sans compter, parce qu’il profite à mort du système sachant très bien qu’à la fin on tirera sur les banquiers. «Why always me?», inscrit-il sur son t-shirt lors de ce fameux match. Mais parce que tu en as rien à foutre mec, et que, surtout, tu adores qu’on t’aime pour toutes les conneries que tu fais. Alors, tu te sens exister.

Le spectateur voyeur que nous sommes a besoin d’excès. Ces dernières années nous nous sommes dirigés de plus en plus vers un spectacle aseptisé: toute incartade en dehors et sur le terrain est sévèrement condamnée, à la fois par les institutions sportives, les pouvoirs publics, mais aussi les journalistes, qui sont souvent les premiers à donner des leçons de morale. Alors que, soyons tous honnête: un mach qui se termine, en plus des buts, par trois cartons rouges et une bagarre générale entre les joueurs, c’est mieux. Cela met un peu d’ambiance.

Que retiendra-t-on de la Coupe du Monde 2010, en France? L’épisode du bus. Et si sur le coup ce fut difficile à vivre, c’est devenu depuis un élément presque charnel de notre rapport au football. Comme le disait l’historien Ernest Renan dans son discours à la Sorbonne, Qu’est-ce qu’une nation, les éléments fondateurs sont tout autant les grandes victoires que les échecs. L’important finalement est qu’il se passe quelque chose d’extra-ordinaire.

Quand la manne financière est en train d’établir des hiérarchies irréversibles et que les scores de set de tennis deviennent habituels entre les gros et les petits, ce qu’il reste, ce à quoi on s’attache, ce sont les Balotelli et les Tony Vairelles. Plût aux Dieux que ce ne soit pas le dernier de leurs crimes. Merci, donc, et, sans doute même, hélas.

Clément Noël

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(Crédits photo: Tony Vairelles et Daniel Moreira, à Lens, en 1999, Reuters.)

6 commentaires pour “Merci Tony Vairelles”

  1. Je trouve cet article pathétique, non seulement cela donne une mauvaise image d’un sport sans raison, mais en plus de ça, c’est fondé sur un tas de ragots et d’aprioris. Tony Vairelles est aller chercher ses frères qui s’étaient effectivement faits sortir de boîte de nuit, mais il n’est en aucun cas responsable de l’altercation avec les videurs selon les témoins de la scène. Doit on le juger pour une bêtise que ses frères ont commise…? Vous descendez la réputation d’un homme décrit par tout le monde de sympathique et non violent et cela sans preuve de sa culpabilité. Vous vous permettez de l’associé à la musique de Seth Gueko, vous parlez de ses frères gitans, etc… . Vos lecteurs retiendront de lui un comportement odieux alors que vous ne vous êtes appuyé que sur du vent . C’est franchement honteux

  2. Vous faites un sacré raccourci sur Renan. Les éléments fondateurs d’une nation sont les victoires et les échecs. Mais l’important n’est pas “qu’il se passe quelque chose d’extra-ordinaire”. Renan dit que “la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs
    nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l’effort en commun. Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore.”
    Que le sport soit devenu selon vous totalement inintéressant puisque hégémonique n’est pas une raison pour céder à la bêtise et au voyeurisme.
    Lisez des livres.

    Panem et circenses

  3. Hélas mon cher M. Lorenzi vous faites fausse route. Qualifier de ‘franchement honteux’ un texte qui ne fait que retranscrire et mettre en relief des faits sans jamais les interpréter est, pour le coup, honteux. Clément Noël rend hommage au Tony Vairelles que nous avons tous adoré. Celui pour qui la nuque n’a pas de fin, celui qui nous a fait marrer dans la rubrique culte de téléfoot, celui qui a enchainé les buts sur les terrains de D1 pendant des années, celui qui a joué jusqu’à…. 38ans. Vairelles c’est un mec brut, et c’est ce que nous raconte l’article. C’est aussi un gitan, c’est aussi un mec qui a voulu placé à peu près tous les gens de sa famille qui cherchaient une planque. Il s’agit là de constat, ceux même qui font de Tony Vairelles un mec sympa et atypique aux yeux de toute la communauté des footeux. Les raccourcis n’existent pas dans l’article. Au contraire, c’est vous-même qui les produisez en associant rap / gitans / et délinquance.

  4. Max, je ne pense pas que vous ayez saisi la motivation de l’article.

    Il ne s’agit pas ici à mon avis de descendre Tony Vairelles, mais de critiquer les spectateurs moyens, les média et le foot-business en général.

    De nos jours, on entend beaucoup parler du football pour ses faits divers pimentés hors-terrain : le spectale n’est plus le sport en lui même mais la bagarre à la fin du match, le joueur qui met le feu à sa maison, etc.

    Le problème c’est que les gens en redemandent. Les médias en profitent, c’est du foot people.

    Pour terminer… ce sport est avant tout un business, et le salaire d’un joueur ne dépend pas de son Q.I.
    C’est un soucis dans le sens où, dans une société de consommation comme la nôtre, les gens adulent tout ce qui a de l’argent. Malheureusement, sans en faire une généralité, certains joueurs ont un pois chiche dans la tête : quand tu mets le feu à ta maison, tais toi et fais profil bas.

  5. Une ode aux mauvais garçons du rock, à ceux qui dérapent, à ceux qui font des conneries, c’est de l’anthologie, ça fait partie du mythe en ces périodes de pop-rock FM sur-aseptisé.
    Une ode aux mauvais garçons du foot, à ceux qui dérapent, à ceux qui font des conneries, c’est “franchement honteux” et coupable de tous les amalgames fantasmés de ses lecteurs.

    Monde de merde.

  6. […] Merci Tony Vairelles Et si Tony Vairelles et Balotelli étaient les dernières raisons de se passionner pour le football? Un soir en Lorraine, dans la banlieue de Nancy. Une boîte de nuit comme il y en a des milliers à travers la France. Source: blog.slate.fr […]

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