Les journalistes politiques analysent la communication et l’action du sélectionneur de l’équipe de France.
Le pays gronde. Les comptoirs de PMU ne parlent que de ça. Le pouvoir d’achat ? Non. La récession ? Non. Le chômage ? Non plus. Mais quoi alors ? Raymond Domenech ! C’est lui dont on veut la tête. Pour Sarkozy, on verra plus tard. Il y a plus urgent que la sortie de crise ; il y a la qualification pour la Coupe du monde. Une élimination serait autrement plus grave que l’aggravation du déficit public. Du coup, tout le ressentiment se porte sur le sélectionneur, laissant un peu de répit à nos élus. Comme si s’opérait un déplacement freudien du politique sur l’équipe de France. La chose publique du moment, c’est le football, rien d’autre. Pourquoi ? Et si la cause était Domenech lui-même ? Le sélectionneur a-t-il adopté les codes politiques au point que la doxa en a fait un dirigeant comme Sarkozy, Aubry et les autres ? Nous avons posé la question à quelques journalistes politiques, passionnés de foot ou non. Domenech, politique ou pas politique ? Réponse en trois parties, comme à l’école.
I. Thèse : Domenech, l’émanation d’une ère politique récente
Renaud Dély n’hésite pas : “Ah oui, Domenech, il est politique jusqu’au bout du short. Il est même très sarkozyste dans sa façon d’être.” Par sarkozysme, prévient le directeur adjoint de la rédaction de Marianne, entendre le reflet d’une époque, plutôt qu’une inclinaison théorique. D’ailleurs, Domenech ne s’en cache pas : il est de gauche.
Ce qui n’empêche pas le sélectionneur de partager avec notre actuel chef d’Etat un égocentrisme hypertrophié. “La star, c’est lui, pas l’équipe. C’est tout à fait différent de ses prédécesseurs, Aimé Jacquet, Roger Lemerre ou Jacques Santini. Il se présente toujours de telle sorte à être le plus important. Comme Sarkozy, dont les ministres n’existent pas, à commencer par François Fillon.” Est-ce vraiment un hasard si, comme le petit Nicolas, le petit Raymond voulait devenir Président de la République ?
Deuxième caractéristique du sarkozysme de Domenech, la tendance à la provocation. Ce que Renaud Dély rapproche de la théorie politique dite de la “triangulation”, ou la stratégie consistant à aller récupérer des thèmes chers aux adversaires. Ainsi Sarkozy célébrant Jaurès ou Ségolène Royal voulant planter un drapeau tricolore devant chaque porte. “Domenech, il a toujours des petites phrases provocatrices, remarque l’ancien de Libé. Surtout contre les journalistes.” Mais aussi contre le milieu du foot, avec lequel il se place en rupture : passionné de théâtre, Domenech, qui lit des livres et s’est dit récemment amateur de “philosophie” en conf de presse, détonne. Et s’amuse de ce décalage.
Dernier élément du cas Domenech : le syndrome Mireille Dumas, c’est-à-dire l’abolition de la frontière vie privée-vie publique. “Il mélange le professionnel et l’intime, le nous et le moi, analyse le pigiste de luxe de So Foot. Quand il parle, il ne fait pas la différence entre ce qui semble pour lui une mission quasi sacrificielle et les souffrances qu’elle implique.” Et Renaud Dély de citer sa fameuse sortie sur “l’odeur du sang” dont la presse se régale – selon lui. Ou encore son inoubliable demande en mariage en direct sur M6. Le paroxysme d’une confusion entre l’homme et la fonction, symbole des temps politiques modernes selon Renaud Dély. “C’est la pipolisation. Estelle Denis joue un rôle médiatique. On voit souvent des photos du couple dans le JDD ou la presse spécialisée, dans leur maison en Bretagne ou dans le 14ème (où ils habitent, ndlr).”
Une pipolisation courante dans le monde politique, en particulier pour les couples dont l’homme est un élu de la Nation et la femme une journaliste. Tiens, comme Raymond et Estelle justement. “Ah oui, je n’y avais pas pensé“, s’exclame Eric Zemmour. L’éditorialiste vu à la télé du Figaro n’y connaît rien au foot – c’est lui qui le dit. Domenech, politique ou pas ? “Une colle”, évacue-t-il au milieu de son déjeuner. Avant d’ajouter : “les relations amoureuses officielles entre les hommes politiques et les femmes journalistes, c’est quelque chose de récent, qui date de la fin des années 80. Avant, il y en avait, mais elles étaient cachées. Maintenant, les politiques divorcent et se remarient avec des journalistes. C’est une logique de fonction : on bosse ensemble toute la journée, donc on s’épouse.” Raymond Domenech suit le mouvement.
Thomas Legrand, lui non plus, n’est pas un footeux. Il est même “réfractaire” au ballon rond, dit-il au téléphone tout en faisant le plein de son scooter. Mais l’éditorialiste de France Inter, également chroniqueur pour Slate, a quand même remarqué quelque chose. “Domenech, il a une façon désinvolte de parler, qui est à la mode chez les politiques les plus jeunes. Comme Copé par exemple. Le côté j’men fous, ouais bof, moi je suis cool et insensible aux vacheries. Copé, il ne s’insurge pas quand on l’attaque. Domenech non plus, je crois.“
S”il est politique, Domenech émarge dans la “nouvelle génération”, selon Renaud Dély. “Il est le produit d’une époque : l’ego, la blessure, la souffrance, le côté télé-réalité. On imagine bien Domenech et Sarkozy ensemble dans le Loft, mais pas Juppé et Jospin.” Domenech est du côté de Sarkozy (bling-bling, Neuilly et yacht de Bolloré), quand Mémé Jacquet ressemblait plus à Chirac (le cul des vaches, l’odeur du terroir et du fromage corrézien).
II. Antithèse : Domenech, un bleu en politique
D’accord, il ressemble à Sarkozy. Mais il a encore tout à apprendre, nuance Frédéric Gerschel, du service politique du Parisien. “Sarkozy, c’est un as de la com, qui connaît toutes les ficelles du métier, explique le supporter de l’OGC Nice. La com de Domenech, elle, est catastrophique. C’est quand même la grande différence avec les politiques d’aujourd’hui. Et Domenech ne se remet jamais en question. Si on le plaçait à la tête d’un ministère, il ne ferait pas 15 jours. Ce type-là n’aurait pas de durée de vie dans le monde politique tel qu’il est aujourd’hui.”
Fort de ce constat, le coauteur de Canal Sarkozy ne voit pas vraiment ce qui rapproche Domenech des hommes politiques. “La com, c’est primordial pour eux. Pas pour Domenech, qui apparemment n’est pas coaché dans ce domaine.” Même avis chez Jean-Michel Aphatie, l’intervieweur de RTL. “Contrairement aux politiques, Domenech n’est pas dans la séduction. Il ne cherche pas à être aimé. Il s’en fout. Avec lui, on est au-delà de la langue de bois classique.”
Ce qui étonne le chroniqueur du Grand Journal, c’est surtout la “contradiction” manifeste qui caractérise le comportement de Domenech, contradiction qui serait absolument impossible dans le monde politique. “On peut être désagréable quand on a des résultats. Or Domenech n’a pas de résultats, et il est extrêmement désagréable, surtout avec la presse.” Un paradoxe qui s’explique sans doute par le fait que le sélectionneur national n’a pas à convaincre les électeurs pour rester à son poste, avance Jean-Michel Aphatie.
“Le mépris pour les journalistes, c’est la seule chose que partage Domenech avec certains politiques”, croit Frédéric Gerschel. “Comme Martine Aubry“, balance-t-il. Sauf que la première secrétaire du PS ne le montre pas ostensiblement, se contentant de l’évoquer en privé. L’animosité de Raymond pour la presse, elle, est patente. Chaque conférence de presse nous la rappelle. “C’est sa caractéristique fondamentale, décrypte Jean-Michel Aphatie. On ne peut pas le comprendre sans penser le mépris qu’il éprouve pour les journalistes.”
Ce mépris, pour Renaud Dély, c’est plutôt la conséquence des échecs du sélectionneur, surtout en matière de communication. “Au début, c’était la star. Puis, quand Zidane, Makelele et Thuram sont revenus, il s’est effacé et a eu des résultats. Ensuite, il est redevenu la star, mais sans les résultats. Donc il s’est mis en avant pour soi-disant protéger les joueurs. Ça n’a pas pris, donc maintenant il joue avec les journalistes.” Et laisse percer les sentiments qu’il nourrit à leur égard. Hors de toute volonté de séduction. Une posture intenable pour qui veut faire de la politique.
III. Foutaise : Domenech ne sera jamais secrétaire d’État aux sports
Alors, Domenech, un homme politique comme les autres ? Plutôt quelqu’un qui s’inspire des hommes politiques sans parvenir à leur ressembler. Impossible pour lui de maîtriser tous les codes, dont il n’applique qu’une partie. Pour Jean-Michel Aphatie, la conséquence est logique : Domenech se laisse déborder par son naturel. Un peu comme Rama Yade. La comparaison aurait été flatteuse il y a deux ans, mais aujourd’hui Rama Yade énerve tout le monde, des Hauts-de-Seine au Val d’Oise, en passant par l’Élysée et la rue de la Boétie. Ce qui la sauve, c’est sa popularité auprès du grand public. Ce dont ne peut s’enorgueillir Raymond Domenech.
Jérôme Lefilliâtre
Bonjour,
Je vous cite “(Domenech) plutôt quelqu’un qui s’inspire des hommes politiques sans parvenir à leur ressembler”. Tiens donc…Que fait Domenech ? Il sélectionne des joueurs pour l’équipe nationale de football. Il met en place des schémas tactiques, des systèmes de jeu, établit une animation offensive ou ce que vous voudrez. Bref vous m’avez compris. Il dirige des entrainements aussi. Il organise la vie de groupe de ses joueurs. il décide d’une équipe type. Ha oui, c’est vrai, il communique aussi….
Pauvre politique française ou étrange presse sportive ?
Je pense, pour ma part, qu’il est très intelligent le Raymond. Et très doué. Ca fait six ans qu’il est là l’artiste. Dans le football on sait très bien que quelque soit sa côte d’amour, seuls les résultats comptent ( certains argentin réclamaient la tête de Dieu ). On sait très bien que la vérité du terrain est implacable. On sait très bien qu’en politique un effet d’annonce peut des fois faire chuter la pression pendant des mois, alors qu’au football “le plus important c’est les trois points”. Six ans….
Dans votre article on lit des déclarations d’Eric Zemmour, dont vous dites qu’il n’y connait rien. En politique non plus semble t-il. Combien de ministres ( donc désignés et non élus ) ont tenu six ans et pouvant se targuer d’être le personnage public le plus détesté du pays ?
Regardez, en 5 ans de connexion internet, il est le premier pour qui j’ai envie de laisser un message après avoir lu un article. Et pendant ce temps, n’en déplaise Renaud Dély, on ne parle pas de ses joueurs….
Combien d’article sur le jeu de l’équipe de france avez vous publié sur la vingtaine qui sont en ligne sur votre site ? Combien de papier ou de référence sur le personnage Domenech ? Continue comme ça raymond ! Et entre nous, un bon job à notre époque….
Bonne continuation à vous. Et allez Malherbe.
[…] mais non, il s’agit d’un sélectionneur. Domenech n’était-il pas, après tout, qu’un homme politique comme un autre? On a demandé leurs avis à Jean-Michel Apathie, Thomas Legrand, Renaud Dély et Eric […]