Des participants venus de 74 pays (contre 55 l’année dernière), un pavillon dédié à la «French tech», un autre à l’Allemagne, des discussions sur la surveillance, la vie privée, les adolescents et les algorithmes qui préoccupent la planète entière… L’édition 2014 de South by Southwest, qui s’est tenue du 7 au 11 mars à Austin, au Texas, était plus internationale que celle de 2013, avec ce «petit goût d’étranger» que n’a pas manqué de souligner CNN. Que retenir des quelque 800 conférences qui se sont enchaînées en quelques jours à un rythme effréné?
Invité star de South by Southwest 2014, Edward Snowden, l’homme le plus traqué au monde pour avoir révélé les méthodes de surveillance de la NSA, l’agence de sécurité américaine, s’est exprimé depuis la Russie via une liaison vidéo aussi sécurisée qu’instable.
Dans le hall de l’Austin Convention Center, où ont été diffusées les images de son intervention, près de 4.000 personnes l’ont écouté dans un silence quasi religieux. Snowden, sachant qu’il s’adressait à un parterre de geeks, a comparé la NSA aux forces du mal d’Harry Potter et leur a demandé de développer des outils de chiffrement faciles à utiliser sans dextérité ni bagage technique particulier.
«La communauté d’Austin, présente à South by Southwest, peut apporter des réponses. Il y a une réponse politique qui doit être apportée, mais il y aussi une réponse technique qui doit être trouvée», insiste l’homme aux lunettes fines et au sourire discret.
Célébré comme un héros par USA Today, Edward Snowden n’a pas convaincu ce journaliste de Gawker, qui estime que l’ex-consultant de la NSA a perdu son temps. Tenir un discours pro-vie privée à South by Southwest, un lieu où l’on va «pour voir et se faire voir», «antinomique avec l’idée que la vie privée est un bien qui doit être protégé», serait vain. Rien n’est moins sûr vu le retentissement qu’a eu son intervention, à laquelle Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, a ajouté sa pierre cette semaine, fustigeant le gouvernement américain, qui «devrait être le champion d’Internet, pas une menace» sur le réseau.
La NSA en sait beaucoup. Elle en sait encore plus que ce qu’elle veut bien reconnaître, renseigne cette étude de Stanford, pour qui l’agence de sécurité américaine, espionnant les métadonnées de nos téléphones, accède aussi à nos problèmes de santé, nos affinités sexuelles, l’état de nos comptes bancaires et autres détails.
De ce constat naît «l’économie de la vie privée», laquelle surfe sur l’idée que nous serions prêts à payer un prix minime pour accéder à des services en ligne garantissant le contrôle de nos données.
Pile poil dans la tendance, les deux applications qui ont fait le plus de bruit à South by Southwest s’appellent Omlet et Secret. La première, Omlet, lancée par un laboratoire de l’université de Stanford, est un réseau social qui promet de ne pas vendre les données de ses utilisateurs ni de les stocker sur des serveurs.
La seconde application dont il a été beaucoup question à South by Southwest, Secret, n’a pas deux mois et vient de lever 8,6 millions de dollars. Elle propose de partager avec vos amis «ce qui vous passe par la tête sans craindre d’être jugé». Et pour cause, l’anonymat de ses utilisateurs est garanti… jusqu’à ce que leur secret obtienne 6 coeurs, et passe en mode public, mais sans être relié à leur profil. Ce qui compte, pour les créateurs de Secret (des anciens de Google et Square), ce n’est pas qui dit quoi, mais le principe même de partager des contenus.
Quels sont les usages des adolescents en ligne? Contre toute attente, ils sont obsédés par leur vie privée, révèle danah boyd, chercheuse chez Microsoft, qui tient à écrire ses nom et prénom sans majuscule, lors d’une conférence à South by Southwest. Son livre «It’s complicated – the social lives of networked teens» est le fruit de huit années de recherche et de 166 interviews conduites auprès de cette population adolescente.
Il en ressort que leur façon de gérer leur vie privée sur les réseaux sociaux ne répond pas à la même logique que celle des adultes. Ils ne cherchent pas forcément à verrouiller tous les paramètres de confidentialité de leurs profils, mais à échapper aux figures d’autorité (parents, enseignants). Pour ce faire, soit ils testent d’autres réseaux sociaux, surtout si ceux-ci n’ont pas encore été investis par des adultes, soit ils développent des pratiques de contournement. Comme cette ado qui, chaque jour, lorsque les adultes se connectent, supprime son compte Facebook, avant de, chaque nuit, quand les adultes dorment, le réactiver, pour le supprimer à nouveau le lendemain, et ainsi de suite.
Autre technique utilisée par les ados: échanger, au vu de tous, des messages codés que seuls leurs amis peuvent comprendre.
Si vous êtes parent, ne vous avisez de commenter l’un de ces messages chiffrés car cela prouverait:
1. que vous n’avez pas saisi le message codé de votre enfant
2. que vous commentez ce qui ne vous est pas adressé
et 3. que vous vous fichez de coller la honte à votre progéniture sur son réseau.
Je l’avais déjà écrit dans la boule de cristal du journalisme en 2014, il faudra cohabiter avec des algorithmes. A South by Southwest 2014, il y a eu plusieurs tables rondes sur ce sujet. Lors d’une discussion hilarante avec David Carr, le journaliste médias du New York Times, Eli Pariser, le président d’Upworthy, a ainsi précisé le fonctionnement de l’algorithme qui régit la plate-forme qu’il a lancée en mars 2012: «c’est une ligne éditoriale, intégrée à une équation mathématique. Un algorithme est un bout de code qui nous dit ce que l’audience veut voir, et tente de trouver les éléments qui vont maintenir les lecteurs sur un site, les encourager à cliquer sur des contenus et des publicités». Pour lui, aucun doute, «ces petits bouts de code sont bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions».
«Nous avons désormais l’habitude que les informations nous trouvent, en ligne, mais c’est toujours grâce à un algorithme», reprend Kelly McBride, de Poynter, lors d’une autre discussion sur les algorithmes, le journalisme et la démocratie. Tapez «journalism is…» dans le moteur de recherche Google et celui-ci indiquera la suite de la phrase la plus souvent cherchée, «journalisme is dead», relève-t-elle au passage.
Or les algorithmes ne sont pas neutres. «Il faut en finir avec le mythe de leur neutralité», continue Gilad Lotan, expert des données. «Lorsque les ingénieurs construisent des algorithmes, ils font des choix, basés sur leurs intuitions.» Et d’évoquer l’algorithme qui régit les trending topics de Twitter qui, selon lui, aurait été modifié afin que Justin Bieber ne remonte pas toujours en tête de ce classement. De même, reprend Kelly McBride, les vidéos proposées par Facebook pour compiler son année 2013 mettraient surtout en majesté les bébés, les annonces de type mariage, les visages souriants, et les photos en général.
Les algorithmes ont de plus en plus de pouvoir sur la distribution et la consommation d’informations, dit-elle encore. Ils «contrôlent qui voit quoi sur les plates-formes comme Facebook ou YouTube, ou même sur le New York Times avec ses listes des contenus les plus partagés ou les plus commentés, de même que sur Yahoo! News».
65% des écoliers d’aujourd’hui pratiqueront, une fois diplômés, des métiers qui n’ont même pas encore été inventés, anticipe le ministère du Travail américain. A South by Southwest, il y avait peut-être un aperçu de ces professions du futur.
Dans la même semaine, j’ai croisé Ben Lashes, l’agent de Grumpy Cat, le chat estimé à 1 million de dollars, qui se définit comme «managers de memes» – il s’était autrefois occupé de Keyboard Cat -, et Will Braden, créateur de vidéos de chats sur Internet, lors d’une table ronde sur l’économie des vidéos de chats en ligne. Il y avait aussi Gilad Lotan, «data scientist», ainsi que des chefs cuisiniers qui réalisent des recettes à partir d’ingrédients suggérés par une application de cuisine cognitive conçue par IBM…
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Alice Antheaume
lire le billetMISE A JOUR 14 décembre 2012 (cet article avait été écrit en mai 2012): Le Guardian annonce vouloir tuer son social reader. La raison? L’envie de reprendre la main sur les interactions que le Guardian a avec ses lecteurs, plutôt que d’en laisser le contrôle à Facebook.
Cela vaut-il la peine, pour un média, de développer son «social reader» (lecteur social en VF), cette application conçue comme un navigateur à l’intérieur-même de Facebook qui propose aux lecteurs des articles du titre en fonction des recommandations de leurs amis et de leurs goûts? Le Washington Post en a un, le Wall Street Journal aussi, le Huffington Post de même. En France, Le Figaro, Le Monde, 20 Minutes, L’Equipe et L’Express en sont dotés. Or, selon le site américain Buzzfeed, les lecteurs fuieraient ces applications.
En témoigne la dégringolade, depuis avril, des courbes de connexion aux «lecteurs sociaux» du Washington Post, du Guardian et de Dailymotion. Une diminution qui pourrait résulter des changements opérés par Facebook sur sa plate-forme le mois dernier.
Le prix dans la balance
«Tant mieux, on n’aura peut-être finalement pas besoin de concevoir un social reader alors que l’on est déjà en retard sur d’autres développements», souffle un journaliste de sites d’informations. D’autant que la création d’un social reader pour un éditeur n’est pas gratuit. En France, il faut compter aujourd’hui entre 20 et 40.000 euros pour une interface comme celle du Washington Post, m’indique Matthieu Stéfani, consultant sur les nouveaux médias.
Mais peut-on en faire l’impasse? Pour Matthieu Stéfani, la «question n’est plus de savoir s’il faut faire ou non un social reader (cela reviendrait à se poser la question d’être ou non sur Google)» mais de comment le faire. Aucun doute selon lui, «le social reader a permis à plusieurs médias de faire exploser le trafic en provenance de Facebook, arrivant même pour certains à battre Google News».
«Les éditeurs dont la courbe de connexion baisse le plus sont ceux qui se sont lancés les premiers. Ils ont eu beaucoup de monde au début, un peu moins aujourd’hui, car il y a de plus en plus de concurrence sur ce créneau», m’explique Julien Codorniou, de Facebook. «Mais la baisse reste relative quand on voit que Dailymotion a recruté 27 millions de membres en un mois, et Deezer 250.000 personnes par semaine». Ce que confirme Martin Rogard, de Dailymotion: «Au final, on a gagné 25% de vidéos vues en plus chaque jour».
Boosteurs d’audience
Les «social readers» seraient donc de fabuleux «boosteurs d’audience». Pour en avoir le cœur net, regardons les chiffres des lecteurs sociaux des médias français et notamment, les lignes DAU (daily active users, les utilisateurs actifs quotidiens) et MAU (monthly active users, soit les utilisateurs actifs mensuels) sur le site AppData, qui traque les audiences des applications disponibles sur Facebook.
Concernant L’Express, les feux semblent au vert avec 220.000 utilisateurs mensuels et une progression quotidienne du nombre d’utilisateurs.
Idem, du côté de L’Equipe, les courbes sont en augmentation, même si le nombre d’utilisateurs mensuels n’atteint pour l’instant que 20.000 personnes.
Le lecteur social du Figaro, lancé en avril 2012, compte certes 40.000 utilisateurs actifs mensuels après un mois d’existence mais sa courbe d’audience au quotidien baisse.
C’est pourtant bien au-delà des 9.000 utilisateurs mensuels du social reader du Monde, dont les courbes à la fois mensuelles et quotidiennes fléchissent.
Néanmoins, pour des sites d’infos qui touchent des millions de visiteurs uniques par mois, l’impact peut paraître secondaire. «Le matin, les gens ne se lèvent pas en se disant “tiens, et si j’allais sur le social reader d’un éditeur”», reprend Julien Codorniou. «Certains médias partent de zéro pour acquérir leurs utilisateurs sur un “social reader”. Et il faut réussir à trouver un moyen de les retenir, via des techniques de réengagement…».
«Boucle de la viralité» facebookienne
Ce qui signifie, selon Facebook, que le «circuit» de lecture ne devrait pas souffrir de rupture. Accrochez-vous, voici l’explication:
Vous lisez un article sur l’application mobile du Washington Post et souhaitez le partager sur Facebook depuis votre mobile. Alors s’ouvre, toujours à l’intérieur de l’application mobile du Washington Post, une fenêtre vous demandant si vous l’autorisez à vous connecter sur le social reader du Washington Post sur Facebook, vous dites oui, et vous pouvez ensuite partager votre lecture sur Facebook sans quitter l’application mobile du Washington Post. Et si quelqu’un clique, depuis son ordinateur connecté à Facebook, sur l’article du Washington Post que vous venez de partager sur Facebook, cela le renvoie vers le «social reader» du Washington Post sur Facebook.
Ce qui est décrit ci-dessus serait, selon Facebook, une expérience réussie de lecture et de partage social, c’est-à-dire sans passer d’une application à l’autre et sans se perdre en cours de route.
Outre cette «boucle de la viralité» qui n’est que rarement «bouclée», déplore Julien Codorniou, les lecteurs sociaux ont d’autres avantages. 1. Toucher un public plus jeune 2. Capitaliser sur une partie du temps passé par les inscrits sur Facebook, à savoir 7 heures en moyenne par mois pour les Américains 3. Connaître les lecteurs, connectés via leurs profils Facebook.
«Cela permet de vraiment identifier quelqu’un, avec son nom, prénom, ses goûts (tels que renseignés sur Facebook, ndlr), son adresse email», dit encore Julien Codorniou. «Si un même lecteur se connecte sur le site du Monde.fr (sans s’identifier en tant qu’abonné, ndlr), Le Monde ne sait pas qui il est, alors que, sur son social reader, Le Monde peut le recontacter. La possibilité de transformer un lecteur en prescripteur, pour la presse, ça vaut vraiment le coup!»
Question de vie privée
Et si les utilisateurs rechignaient à voir s’afficher sur leurs profils Facebook leurs lectures, pas tant celles qui concernent la vie politico-économico-internationale du monde, mais au hasard la perte de poids d’une star?
En en discutant ici et là, je m’aperçois que je ne suis pas la seule à bloquer sur l’idée que tous mes amis puissent voir, en temps réel, ce sur quoi je clique. Parmi les utilisateurs potentiels des lecteurs sociaux, il y a:
A ceux qui implorent Facebook de leur permettre de choisir de partager (ou pas) les contenus lus sur un «social reader» sur leur mur, les équipes de Facebook répondent qu’il y a bel et bien un bouton on/off sur les lecteurs sociaux. «On pousse les développeurs à le prévoir». Sauf que ce bouton ne permet pas de choisir au cas par cas, et que, bien sûr, par défaut, on partage tout.
Le rapport annuel sur l’état des médias américains en 2012, réalisé par le Pew Project for Excellence in Journalism, avait prévenu: gestion de la vie privée et dépendance aux entreprises de nouvelles technologies figurent parmi les principales difficultés des éditeurs.
Utilisez-vous ou fuyez-vous les lecteurs sociaux des éditeurs sur Facebook?
Alice Antheaume
lire le billetUn journaliste n’est pas un homme politique… et vice-versa (The Nation/NPR)
Les journalistes doivent-ils penser comme des développeurs? Oui. Et non. (Currybet.net)
L’évolution de la vie privée sur Facebook depuis 2005 sur ce graphique (Accessoweb)
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