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Apparue jeudi sur l’App Store, l’application mobile gratuite de Quartz, le pure-player américain né en 2012, est une petite bombe. Elle ne ressemble à aucune autre et met 1.000 kilomètres dans la vue des médias qui essaient de produire des informations calibrées pour le mobile.
Sa force? Offrir des informations via un système de chat par SMS, le même que celui que l’on utilise quand on converse sur iPhone avec ses contacts. “C’est une conversation continue sur les informations, comme si l’on chattait ensemble”, résume l’équipe. “On vous envoie des messages, des photos, des GIFS, des liens, et vous répondez”.
Derrière l’envoi des messages, un petit “news bot”, un algorithme donc, mais écrit par des journalistes humains, insiste Quartz, auquel le lecteur peut répondre pour infléchir la suite via des réponses pré-mâchées: “pourquoi?”; “Autre chose?”; ou un émoticône pour en savoir plus sur le sujet… Point de SMS publicitaires au milieu de la conversation, mais en guise de point d’orgue, un message sponsorisé par une marque de voitures.
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“La messagerie est-elle le futur de l’information? Quartz semble penser que oui”, écrit le site Fortune. L’intérêt, c’est qu’il n’y a besoin d’aucun apprentissage pour s’en servir. Car qui possède un smartphone sait forcément envoyer un SMS.
Joint par email, Zach Seward, le créateur de l’application et l’éditeur exécutif de Quartz, me confie qu’avant de miser sur les messages instantanés, une petite équipe a d’abord travaillé sur différentes possibilités et idées pour l’application, avec deux obligations : 1. mettre “de côté tous les concepts existants sur les applications d’informations” et 2. se demander à quoi pourrait ressembler le journalisme de Quartz s’il vivait de façon indépendante sur un iPhone. Comprendre: pas question de faire du copié-collé du site vers le mobile.
“Quand l’idée de l’interface sous la forme d’un chat est arrivée, elle a semblé tout de suite irrésistible”, reprend Zach Seward. “Et ce n’était pas que nous. Après l’avoir testée à l’extérieur, on a vu que que les gens avaient l’air d’aimer que cela soit à la fois très simple et engageant”.
L’engagement, ici, ne consiste pas à retenir les lecteurs le plus longtemps possible. “Notre objectif est que chaque session ne dure que quelques minutes, pour que vous soyez informés rapidement et divertis en même temps”. De quoi coller à l’utilisation des terminaux mobiles comme “tache secondaire”, comme le préconisait Mashable dès 2011, c’est-à-dire accomplie lorsque l’on fait autre chose, que l’on soit dans les transports, dans une file d’attente à la caisse du supermarché, ou dans un ascenseur. Des sessions d’informations sur mobile qui peuvent se terminer d’une seconde à l’autre: parce que l’ascenseur est arrivé, parce que l’on descend du bus ou du métro, parce qu’il est temps de mettre ses courses sur le tapis de la caissière….
Et, en effet, au bout d’un temps sur l’application de Quartz, un message prévient qu’il n’y a plus d’autres informations pour l’instant. Si on râle – ce qui est mon cas -, un autre message rétorque “pas de nouvelles, bonne nouvelle” et enchaîne avec une question de culture générale pour m’occuper – “quel est l’aéroport qui transporte le plus de voyageurs au monde: Atlanta ou Pékin?”.
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Comment vont réagir les lecteurs? Sont-ils avides d’informations à se mettre sous la dent ou saturés? Pour l’instant, nul ne le sait. Si Quartz ne donne pas le nombre de téléchargements à ce stade, les évaluations des premiers utilisateurs sont encourageantes.
Kevin Delaney, le rédacteur en chef de Quartz, prévient qu’ils vont apprendre des interactions – anonymisées – récoltées sur l’application “pour voir ce qu’il faut faire en plus ou en moins”.
En filigrane transparaît la crainte d’en faire trop. Ou, tout du moins, de fatiguer les lecteurs déjà très sollicités sur leur smartphones, notamment via les pushs.
Et pour cause, sur la seule matinée du 10 février 2016, entre 6 et 13 heures, mon seul smartphone a reçu 66 urgents de divers médias français, annonçant ici la victoire de Bernie Sanders et Donald Trump aux primaires républicaines dans le New Hampshire, là un accident de car scolaire dans le Doubs, et enfin la démission de Laurent Fabius du quai d’Orsay.
Quartz ne veut pas alimenter cette bataille du push qui se joue entre les médias pour squatter les écrans mobiles. “Vous allez adorer recevoir nos notifications. Nous ne vous les enverrons pas si ce n’est pas important et la plupart d’entre elles ne seront pas sonores, elles éclaireront juste votre téléphone en silence”.
Dans le monde, la moitié des propriétaires de téléphones autorisent l’envoi de pushs. Aux Etats-Unis, 33% les acceptent “toujours” ou “souvent”, 36% “parfois”, et seulement 31% “rarement” ou “jamais”, selon le rapport de Comscore. Fait notable, la France est le pays qui témoigne de la plus forte utilisation de ces pushs pour accéder aux informations publiées en ligne.
A quand une conversation sur les informations en français? “Pour l’instant, nous allons continuer en anglais, mais plus tard, qui sait?”, répond Zach Seward.
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Alice Antheaume
lire le billetOù étiez-vous le vendredi 13 novembre 2015? Jamais vous n’oublierez ce que vous faisiez ce soir-là, au moment où les attentats ont frappé Paris. Vous n’oublierez pas non plus comment vous avez appris l’existence des fusillades dans les 10 et 11e arrondissements parisiens, puis l’explosion des bombes au Stade de France. Les journalistes, français, étrangers, sur le pied de grue ce soir-là, n’ont pas oublié non plus.
Sur une idée de Catherine Galloway, qui enseigne à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, nous avons posé la question à nos confrères journalistes, français ou étrangers. Ressort de leurs témoignages une extraordinaire mobilisation pour couvrir ces événements tragiques qui n’a laissé personne indemne. Même ceux qui sont habitués à couvrir de terribles actualités. Même un mois après cette tragédie.
Vendredi 13 novembre, je sortais d’un bar vers Parmentier à 21h30 et je m’apprêtais à rentrer chez moi, dans le quartier du Petit Cambodge. Et donc à passer par la rue Bichat. Quand j’ai vu passer une puis deux puis quatre ambulances, je les ai suivies.
Je crois que j’ai alors regardé Twitter: j’y ai vu les toutes premières infos sur “une fusillade au Petit Cambodge”. J’ai foncé là-bas en pensant que c’était une fusillade type règlement de comptes. J’ai marché sans réfléchir jusqu’à arriver rue Alibert où je me suis retrouvée les pieds dans le sang sur la terrasse du Carillon. J’ai marché comme une automate jusqu’au Petit Cambodge, sans comprendre ces alertes qui commençaient à tomber dans tous les sens, notamment sur le Stade de France… A ce stade, je n’avais pas vu que Le Carillon était touché aussi.
Là, je me suis arrêtée et j’ai appelé la radio pour leur dire que j’étais là. Ils m’ont prise en direct à l’antenne. J’ai décrit et re-décrit ce que je voyais: des cadavres en train d’être recouverts de draps blancs, des gens qui pleurent, des blessés, des flics hyper tendus qui disent que ce n’est pas terminé et nous plaquent contre les murs, dans les renfoncements de portes…
Au début, personne, ni mes chefs, ni les secours ni les policiers, ne comprenait où on en était, combien il y avait eu de fusillades, où, ce qui était lié… Et moi je suis restée plantée là, au milieu du périmètre de sécurité, à tendre mon iPhone en mode dictaphone aux témoins, aux blessés légers, à tous les gens qui me semblaient suffisamment peu touchés pour me répondre, à essayer de compter les morts. J’étais dans l’encadrement de la porte de l’hôtel du Carillon et j’ai même pas pensé à monter interviewer les gens dans l’hôtel tellement j’étais en état de choc, sans même m’en rendre compte d’ailleurs, mais j’interviewais tous les gens qui en sortaient.
J’y suis restée jusque vers 2 heures du matin, à faire des directs au téléphone et à envoyer les témoignages recueillis à l’iPhone par email, quand la police a compris que je n’étais ni victime ni témoin et qu’ils m’ont sorties du périmètre.
J’ai retrouvé un collègue de RTL, on a fait le tour des points touchés les plus proches, la fontaine au roi, l’un des périmètres autour du Bataclan. On essayait de comprendre, de vérifier qu’il y avait soi-disant un 7e ou 8e lieu de fusillade “boulevard de la République”. Je suis rentrée chez moi vers 4 heures, réveillée à 6 heures pour retourner en direct pour la matinale, relevée par un collègue à 13h30 le samedi…
Vendredi soir, j’ai découvert les attaques par une alerte du Monde sur mon smartphone, en sortant d’une projection au Forum des images, aux Halles à Paris. Très rapidement, tout le monde autour de moi, y compris Dany Cohn-Bendit qui participait à cette ouverture d’un festival de films sur l’état du monde, a découvert consterné et inquiet, les événements qui venaient tout juste d’éclater.
Mais cette alerte du Monde en disait peu, et il n’y avait encore rien sur les sites de médias, en particulier celui du Monde justement. Je suis donc allé sur Twitter, et j’y ai tout de suite pris la mesure de la gravité des événements. Des tweets faisaient déjà état de morts au Bataclan et dans d’autres lieux publics ciblés, et des explosions au Stade de France. Il n’y avait guère de doute que l’on avait affaire à des attentats, et que c’était très grave.
J’ai tout de suite quitté le Forum en me disant qu’il fallait que je rentre chez moi pour mettre en ligne cette information sur Rue89, car, à cette heure-là, nous n’avons pas de permanence. J’ai pris le métro tout en remontant ma timeline sur Twitter. Tout autour de moi les gens regardaient leur smartphone, personne ne parlait, les regards s’étaient déjà assombris.
En sortant au métro Strasbourg Saint Denis pour rentrer chez moi, j’ai appris que le bilan était déjà de 18 morts. Des gens arrivaient en courant de la place de la République, sur le boulevard Saint Martin, en criant “ils tirent”… Certains se sont réfugiés au Théâtre de la Renaissance qui a fermé ses portes. En remontant ma rue, j’ai assisté à une engueulade entre un automobiliste insouciant qui voulait avancer vers République et un passant qui cherchait à l’en dissuader. L’automobiliste renonça en étant confronté à l’alerte d’un smartphone faisant état des 18 morts…
Arrivé chez moi, j’ai mis quelques paragraphes en ligne, suivant à la fois ma timeline Twitter et iTélé sur ma télévision, constatant que Twitter était à la fois plus rapide, plus complet, plus diversifié.
Seul atout de la télé : au bout d’un moment, des directs aux quatre coins de Paris… Puis le contact a été établi avec les membres de notre équipe dispersés dans Paris, à la fois pour savoir si tout le monde était sain et sauf, et pour savoir s’ils avaient des informations, des témoignages de leur côté.
J’ai travaillé ainsi jusqu’à 2 heures du matin environ, une fois l’assaut sur le Bataclan terminé, les interventions présidentielles passées – le direct de l’Elysée puis celle sur place au Bataclan. C’est à ce moment-là que j’ai pris réellement la mesure de la tragédie qui venait de surgir au coeur de Paris, et que j’avais décrite pendant plusieurs heures. Et je n’ai pas pu m’endormir.
Je travaillais dans la rédaction de la BBC vendredi soir à Londres, quand quelqu’un a dit que Twitter bruissait d’informations sur des fusillades à Paris. Il était 20h40 ici, 21h40 à Paris. Il n’y avait rien encore sur les fils des agences donc immédiatement je me suis ruée sur Twitter pour savoir ce qu’il se passait. J’ai écrit un tweet en français demandant si quelqu’un avait vu quelque chose, et la même chose sur Facebook pour savoir si mes amis, pour lesquels je m’inquiétais, allaient bien.
Depuis que Twitter est devenu populaire, vous devez être sur une information dès qu’elle arrive pour repérer les gens qui savent vraiment ce qu’il se passe et témoignent sans intermédiaire. Après environ 20 minutes, vous avez des retweets de partout et cela devient difficile de trouver les premiers témoins visuels. Ce soir-là, nous étions là à temps.
Un type a répondu à mon tweet en disant qu’il avait entendu des coups de feu provenant selon lui d’une Kalashnikov. Il n’avait rien vu mais il habitait près de là où avait eu lieu l’une des fusillades. Il pouvait entendre les gens crier et les sirènes de la police. J’ai décidé qu’on allait le faire parler en direct. A 21h, nous étions en édition spéciale. J’ai prévenu le producer que, le temps que je téléphone à notre témoin, il demande au présentateur de meubler à l’antenne jusqu’à ce qu’il décroche. Il a parlé 10 bonnes minutes en direct. Il a décrit ce qu’il voyait, a parlé du quartier et a situé l’arrondissement dans Paris. C’est très important pour une chaîne internationale comme la nôtre parce qu’on ne peut pas demander à nos téléspectateurs de connaître la géographie de Paris.
Quelques minutes plus tard, nous avons pu parler à quelqu’un qui était à La Belle Equipe, l’un des bars qui a été attaqué. Quelqu’un dont la voix tremblait mais qui a réussi à décrire la scène vue du bar. Sa femme et lui étaient sains et saufs. A la BBC nous nous assurons toujours, avant de le mettre à l’antenne, que notre témoin est en sécurité et qu’il ne se met pas en danger en nous parlant.
Puis j’ai posté un autre message en ligne. Alors que nous avions de plus en plus d’informations en provenance de Paris, je suis devenue terriblement inquiète de ne pas avoir de nouvelles de mes amis parisiens.
A 21h30, nous étions toujours en édition spéciale. Des images nous provenaient, mais c’était très confus. Parce qu’il faisait nuit, il était impossible de savoir où ces photos avaient été prises, dans quelle rue ou dans quel restaurant. Nous en savions si peu à ce stade qu’il nous fallait être très prudent. Nous devions spécifier si tel élément provenait d’une agence, tel élément provenait d’un témoignage, pour ne surtout pas répandre la peur ni la panique. Il n’a pas évident tout de suite de comprendre combien d’attaques il y avait, et comment elles étaient liées entre elles. Quand nous sommes en breaking news, nous ne pouvons pas confirmer chaque information avec de multiples sources, donc nous devons avancer avec énormément de précautions, en faisant comprendre à notre public que c’est une situation en cours de développement.
Après une heure entière de direct, à 22h, nous avons passé le relais au présentateur suivant qui a continué l’édition spéciale. Et mon collègue présentateur et moi avons alors découvert des messages sur nos écrans nous demandant si vous vouliez aller à Paris couvrir les événements dès la première heure le lendemain. Nous avons tout de suite dit oui.
Lui a commencé à prendre des billets de train, mais moi j’avais encore 2 heures de boulot devant moi avant de finir mon service. Nous en savions beaucoup plus sur les attaques à ce stade : c’était bien des attaques terroristes. En vrai, j’étais terrifiée. J’ai essayé de rester professionnelle et de ne pas montrer à quel point j’étais affectée par tout cela, mais c’était extrêmement difficile. Ce qu’il s’est passé au Bataclan, au moment de la prise d’otages, était le comble de l’horreur pour moi qui imaginais tous ces gens pris au piège à l’intérieur. Quand je suis rentrée chez moi, j’ai essayé de rassembler mes pensées, de réfléchir à ce dont j’aurais besoin pour le lendemain à Paris, et j’ai encore regardé Twitter et la télévision pendant une heure. J’ai pleuré en me couchant, ce vendredi soir-là. Plein de gens croient que les journalistes sont blindés, pour ne pas dire cyniques. Mais plus on grandit, plus on s’adoucit, du moins dans mon cas. Quand vous savez ce que c’est que de perdre quelqu’un qu’on aime, vous pouvez imaginer la peine que les proches des victimes vont endurer.
Le premier train du samedi matin était presque vide, à part quelques journalistes. Dès notre arrivée, nous nous sommes précipités au Bataclan pour rejoindre nos confrères journalistes. Notre travail est de fournir des directs pour deux de nos chaînes, BBC World News et BBC News.
Au début, nous étions deux équipes de la BBC à couvrir les événements. Ce sont nos collègues qui ont commencé les directs avec un camion régie devant le Bataclan, pendant que le présentateur et moi sommes allés vers les autres lieux des attentats. En arrivant vers La Bonne Bière, nous avons fait des directs par telephone. Nous avons essayé de faire des duplex par Skype mais la qualité de l’image était insuffisante donc nous avons abandonné cette option.
Avec toutes les images disponibles, la production à Londres pouvait illustrer nos prises d’antenne sans que l’on nous voit tout le temps. D’habitude, nous évitons de faire cela par téléphone mais là, nous étions les premiers de la BBC à être sur place. Les rues étaient complètement vides, si ce n’est la présence des journalistes.
En me retrouvant dans ce quartier que je connaissais dans d’autres circonstances, je me suis vraiment identifiée aux victimes. Je me suis dit que j’aurais pu être l’une d’entre eux. Cela m’a donné encore plus envie de raconter ce qu’ils traversaient.
Vendredi 13 novembre, je n’étais pas à Paris mais à Gif sur Yvette et j’ai débuté la soirée en jouant à “Fallout 4”, un jeu vidéo d’action qui se passe dans un univers post-apocalyptique. C’est ma copine qui était à mes côtés qui m’a informée après avoir reçu un premier push – Le Parisien je crois – qui mentionnait une fusillade à Paris. J’ai rigolé en disant “encore un règlement de compte, je te parie que c’est dans le 14e ou le 19e” et j’ai continué à jouer. Et quelques minutes plus tard, elle m’annonce une explosion au Stade de France et me dit, “non c’est dans le 11e la fusillade, on parle du restaurant Le Petit Cambodge”.
Là, évidemment, j’ai tout arrêté – parce que ça semblait fou et improbable, et aussi sûrement parce que c’est un restaurant où l’on va souvent -, mis mon jeu sur pause, basculé sur BFMTV et Twitter. On est restées scotchées comme ça jusqu’à 3 heures du matin. Dans les premiers temps, j’étais énervée de ne pas être sur place. J’avais envie d’aller voir, de me rendre compte et puis, petit à petit, j’ai réalisé que j’étais sûrement beaucoup mieux là où j’étais. La rédaction de France TV Info s’est organisée très rapidement et j’ai proposé mon aide dès le lendemain mais on m’a dit que c’était bon. Je ne suis rentrée sur Paris que dimanche soir mais avec beaucoup d’appréhension.
Le lendemain j’ai commencé à travailler sur un diaporama des images les plus fortes du week-end car certaines images me hantaient et j’avais envie de les compiler, pour figer à jamais ces images que chacun d’entre nous avait en tête.
Je rentrais chez moi et ai reçu une alerte vers 9h45 je crois. Ensuite, j’ai zappé entre iTélé et BFM jusqu’à 3 heures du matin. Deux journalistes étaient encore à Polka, situé non loin du Bataclan, ils sont restés bloqués une partie de la nuit.
Nous étions en contact avec eux, avec Dimitri Beck, le rédacteur en chef, et avec toute l’équipe. Nous avons commencé à parler de ce que l’on ferait sur le site : faire parler des photographes sur la difficulté, même pour un reporter de guerre, de “photographier la guerre à domicile”. Et nous avons décidé de faire une série sur le le sujet.
Le lendemain, le samedi, Paris Photo à annoncé la fermeture du Grand Palais. Avec ma fille Adelie de Ipanema, directrice de la Galerie Polka, et Dimitri Beck, on s’est donné RV à Polka pour décider sur place si on ouvrait ou non la Galerie. La décision rapide et unanime a été de ne pas ouvrir par solidarité avec les victimes et leur famille.
J’étais dans la rédaction quand une journaliste du desk arabophone a appelé pour prévenir qu’il y avait une fusillade dans un restaurant où elle était, La Belle Equipe, dans le 11e arrondissement de Paris. Elle a dit qu’il y avait des morts et du sang partout. L’une de mes collègues a hurlé dans la salle de rédaction pour que tout le monde soit au courant. Après les attentats de janvier, nous avons tous pensé à une attaque terroriste. Mais nous avons été prudents et avons mis un bandeau “breaking news : shooting in the 11th arrondissement of Paris, casualties reported”. En d’autres termes, nous avons fait du factuel, en nous tenant à ce dont nous étions sûrs.
Dans les minutes qui ont suivi, c’est devenu très confus. Nous avons appris qu’il y avait une fusillade rue Bichat, puis rue de Charonne, puis boulevard Voltaire. Nous n’avons pas compris à ce stade qu’il y avait plusieurs attaques en même temps. Ensuite nous avons su qu’il y avait eu des explosions au Stade de France et ce n’est qu’à partir de ce moment là que nous avons fait le lien entre tous ces événements.
A 22h15 j’ai présenté le bulletin d’informations économiques, comme je le fais toujours, et pendant ces cinq minutes, il est devenu évident que quelque chose d’énorme était en train d’arriver.
Avec deux collègues, nous avons alors passé les 2-3 heures suivantes dans le studio, en direct, à essayer collecter des informations en utilisant les agences de presse, Twitter, et des témoins visuels sur place. Beaucoup de nos collègues de France 24 étaient dans le quartier de République, en train de profiter de la soirée, et ils nous ont appelé pour rapporter ce qu’ils voyaient et entendaient. Nous avons aussi obtenu une séquence filmée boulevard Voltaire, montrant la mobilisation massive des forces de l’ordre, avec des policiers cachés derrière des véhicules, hors de portée des balles.
Personnellement, j’ai eu du mal à comprendre la situation. J’ai eu du mal à réaliser ce qui se passait sous mes yeux. Après l’attentat de Charlie Hebdo, en janvier, je me suis peut-être laissé berner par une fausse impression de sécurité, renforcée par les mesures mises en place. J’étais convaincu que la foudre ne s’abattrait pas deux fois au même endroit et certainement pas de façon si rapprochée.
Quand j’étais en direct à l’antenne, j’ai contacté ma femme et mes proches via Facebook Messenger pour leur demander s’ils étaient en sécurité et pour les rassurer en ce qui me concernait.
Tous les journalistes à France 24 ont ressenti l’impérieuse nécessité de raconter les faits de façon juste, ce qui est probablement lié à la proximité que nous avons avec cette histoire. Dans ma rédaction, nous sommes tous sortis, un jour ou l’autre, dans le 10e et le 11e arrondissements de Paris, où nous sommes tous allés voir un match de foot au Stade de France.
Les événements nous ont frappés encore plus durement lorsque nous avons appris que l’un de nos caméramen, Mathieu Hoche, a été tué au Bataclan. Nous l’avons appris le samedi après-midi, comme un coup de poignard dans le ventre. Notre équipe technique connaît mieux Mathieu que moi, et pour eux, cela a du être extrêmement difficile. Ils ont pourtant continué à travailler, tout le monde a continué à travailler, de façon admirable.
La difficulté de produire de la télévision en direct, en cas de breaking news, est aussi liée à la logistique. Nous devons décider de quelles ressources déployer, où, et pour combien de temps. Quand vous avez des ressources limitées, une situation qui évolue de minute en minute, une rédaction très fatiguée et parfois des problèmes techniques, élaborer le planning est très très complexe.
A 21h45, je reçois un coup de fil d’Alexandre Sulzer, l’une de nos journalistes, de permanence à la rédaction. Il m’annonce des coups de feu au Petit Cambodge, avec des sources récoltées sur Twitter. Il a préparé un papier après avoir eu la confirmation de la mairie de Paris. Il est censé finir à 22h, il me propose de rester un peu. Je suis fatiguée par ma semaine. Je veux croire au fait divers. Mais très vite, un chef des infos qui se trouve au Stade de France nous alerte sur les explosions.
A 21h55 on publie “Fusillade dans le 10e arrondissement” puis on envoie un push “explosion au Stade de France, Hollande exfiltré”. Je suis désormais devant mon ordi en train de préparer le live pendant qu’Alexandre nourrit l’article. Mon mec me dit de me calmer car il trouve que je suis désagréable au téléphone avec mes collègues. J’essaie d’être plus zen avec mes interlocuteurs, mais intérieurement, je suis survoltée. Trop de choses à faire vite et bien.
J’ai envoyé dans la foulée un mail à l’équipe puis au print pour prévenir de notre mobilisation.
Propos recueillis par Alice Antheaume et Catherine Galloway
lire le billet90.000 personnes, hommes et femmes, smartphones greffés à la main, badge orange autour du cou, arpentent les 100.000 mètres carrés du Mobile World Congress, logés au Fira Gran Via à Barcelone, sorte de Roissy-Charles de Gaulle doté de huit terminaux, accessibles via des tapis roulants.
“A cause de ta start-up, tu crois que le mobile, ce sont les applications. Arrivé ici, tu comprends que non: les applications, cela tient dans un demi-hall”, sourit Antoine Guénard, de Batch.com.
Les maîtres du royaume sont les opérateurs de téléphonie
Car au World Mobile Congress, les rois sont les opérateurs de téléphonie. Ceux à qui Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook et invité star de la première journée, a dit qu’il les aimait parce que, grâce à eux et aux coûteuses infrastructures qu’ils ont développées, il a pu “connecter le monde”. Il les a d’ailleurs invités ensuite à un somptueux dîner composé de douze plats accompagnés de douze vins, dans une galerie d’art, selon Challenges.
Quelques heures plus tôt, ce sont ces mêmes opérateurs qui sont montés sur la grande scène du World Mobile Congress les premiers. Objectifs: montrer leurs biceps et faire du lobbying auprès des “régulateurs”. Leur message? En substance, merci de mettre les mastodontes du Web comme Google et Facebook sur le même plan législatif que nous, les opérateurs, sinon ce n’est pas juste. “Facebook est un service de communication qui échappe aux règles de régulation”, glisse Timotheus Höttges, le président de Deutsche Telekom. Et il n’en pense sans doute pas moins de Google, qui, de surcroît, vient d’annoncer qu’il allait devenir un opérateur virtuel de téléphonie, aux Etats-Unis, dans “quelques mois”.
Un message qui fait écho aux propos déjà tenus par Stéphane Richard, le patron d’Orange, réclamant “l’égalité de traitement sur les données personnelles et la fiscalité” entre les géants américains du Net et les opérateurs. “Je trouve scandaleux et inacceptable que les trois plus grandes entreprises américaines de l’Internet payent 1% des impôts du numérique en France, quand nous, les opérateurs en payons 96%”.
La 5G en vue
Parmi les autres sujets qui mobilisent ces opérateurs au Mobile World Congress, figure la 5G, ce réseau dernière génération ultra rapide. En son honneur, la panoplie communicationnelle est de sortie: vidéos promotionnelles, présentations comparatives selon lesquelles la 5G permettrait de télécharger un film en 6 secondes, quand on met 7 minutes pour ce même film avec de la 4G, et 70 minutes avec de la 3G.
Il y en aura pour les Jeux Olympiques d’hiver en Corée du Sud, promet Chang-Gyu Hwang, le président de KT Corporation, le groupe coréen de communications et médias. Pour le reste, aucune date n’est avancée.
“La 5G n’est ni pour demain ni pour la semaine prochaine”, tempère Stéphane Richard, d’Orange, qui préfère expliquer ce à quoi cela pourrait servir. “La 5G va supporter l’augmentation des objets connectés – 50 milliards d’objets vont être connectés d’ici 2020, selon les estimations – et va offrir une meilleure expérience pour les utilisateurs, d’où qu’ils soient, y compris dans les transports, les TGV, les avions, ou dans les lieux bondés, comme les stades” pendant un match.
Pour Ken Hu, le vice président de Huawei, la 5G n’est rien de moins qu’une “question de vie et de mort” dans le cas des voitures connectées. Slide à l’appui, il assure que les véhicules pourraient freiner en 2,8 centimètres avec la 5G, quand il leur faut 1,4 mètre avec la 4G.
Du réseau, partout, tout le temps, et rapidement !
S’il y a bien un sujet qui ne vieillit pas avec les années, c’est la question de l’accessibilité du réseau, et, avec, la vitesse de connexion. Si Eric Schmidt, le patron de Google, prédisait lors de l’édition 2012 du Mobile World Congress que l’Internet serait comme l’électricité, invisible mais “toujours là”, le réseau est, en 2015, forcément mobile – “le mobile est devenu le coeur du Web”, dit Anne Bouverot, directrice générale de l’association mondiale des opérateurs mobiles GSMA – mais “encore trop lent”, d’après Timotheus Höttges. “Or nous devons pouvoir délivrer des services et des communications en quelques micro-secondes seulement”.
“Internet est devenu un besoin primaire pour la plupart des individus, surtout pour les plus jeunes, et la connectivité va devenir un besoin vital”, abonde à son tour Stéphane Richard.
Et Vittorio Colao, de Vodafone, d’appuyer: “les clients veulent plus de vitesse et d’ubiquité”. Comprendre: ils veulent se connecter sans surcoût démentiel selon le pays dans lequel ils se trouvent. “Les clients comprennent qu’ils ne sont pas les mêmes partout mais ne comprennent quand ils doivent payer des tarifs prohibitifs lorsqu’ils sont à l’étranger”, dit-il encore.
Entre les allées
Aux détours d’un des quelque 1.800 stands, le roi Felipe VI d’Espagne est là. La reine des Pays-Bas Maxima aussi. Plus loin, c’est Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique, qui va soutenir la French tech.
Autres sujets beaucoup débattus au Mobile World Congress: le paiement sur mobile (Mastercard et Samsung ont noué un partenariat pour lancer Samsung Pay), les objets connectés (montre, manteau, bracelet, chaussures, collier pour chien), les voitures autonomes, et – c’est plutôt nouveau – les contenus. Car plus il y a de réseau, plus il faut de quoi butiner. “La priorité des clients, c’est la qualité du service. Cela inclut la vitesse, la couverture et… les contenus distribués”, détaille Vittorio Colao, citant les chiffres de The Daily Mail, un site britannique dont la majorité des internautes se connectent en dehors de l’Angleterre.
Si le Mobile World Congress fête cette année ses 10 ans, et sa “plus grosse édition”, d’après John Hoffman, l’organisateur en chef, il témoigne d’une sensibilité inédite à l’environnement. Chaque participant s’est ainsi vu remettre, avec son badge, un coupon pour utiliser à l’oeil les transports en commun de la ville pendant quatre jours.
Dimension “green”
Activité rituelle des journées de conférence, la recherche d’une prise électrique pour recharger son mobile. Cette année, les recharges de téléphones se sont via des panneaux solaires disposés dans tous les terminaux pour économiser l’énergie. Durant son discours, Stéphane Richard a lui aussi mis le sujet sur la table. “L’avènement de la 5G va fabriquer un monde plus green”, avance-t-il.
Les opérateurs, tous écolo-responsables? Vu les prévisions de croissance, avec 3.8 milliards d’utilisateurs de l’Internet mobile en 2020 dans le monde, “développer un réseau qui soit écologique est vital”, espère Stéphane Richard, qui mentionne à la fois le transport des data, les serveurs, et les mobiles eux-mêmes. “Lorsqu’ils ne sont pas en service, ces outils consomment quand même de l’énergie. Cela ne devrait pas être le cas”.
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Alice Antheaume
lire le billetEn 2014, on a appris à cohabiter avec les algorithmes, cherché de nouveaux leviers économiques, on a été horrifié par les décapitations de journalistes, on a déprimé en suivant la situation de LCI et celle de Libération, et on a vu le “brand content” s’inviter sur les sites d’informations et les applications.
Quel est le programme pour 2015? Voici, nouvelle année oblige, 8 prédictions qui pourraient avoir de l’impact sur les journalistes et la vie des rédactions.
“Sur le Web, le marché de l’information est arrivé à maturité, alors que sur mobile, les usages explosent”, constate Antoine Clément, ex directeur général adjoint de Next Interactive, lors des Assises du journalisme organisées à Metz en octobre 2014. Les chiffres lui donnent raison. Car en France, 75% des applications voient leur trafic progresser tandis que 60% des sites Web enregistrent une baisse de fréquentation, selon une étude d’AT Internet citée par Frenchweb.fr.
A L’Equipe, 50% du trafic se fait désormais sur mobile, et 50% provient encore du site, me confie Fabrice Jouhaud, le directeur de la rédaction. Au Monde, cela fait deux ans et demi que les pages vues sur mobile supplantent celles réalisées sur le site lemonde.fr.
Quant aux réseaux sociaux, ils misent tout sur le mobile. Si la technologie avait été au point lorsque Facebook est né, “Facebook aurait été une application mobile”, et non un site pensé pour l’ordinateur, avait déjà lâché en 2012 Bret Taylor, directeur de la technologie de Facebook.
Moralité: en 2015, pas la peine de s’échiner sur les sites Web, mieux vaut se concentrer sur la stratégie sur mobile, à la fois des smartphones et des tablettes. Avec 43% de la population française qui se sert de téléphones pour naviguer sur le Web, c’est là que se trouve la réserve d’audience pour les rédactions.
Lundi 22 décembre: j’ai reçu sur mon smartphone 9 alertes de BFM TV, 8 du Point, 8 du Figaro, 4 du Monde, 4 de France TV Info, 5 d’Europe 1, 8 de L’Express, 7 de France Info. Cette journée n’a rien de spécial – si ce n’est, tout de même, la mort de Joe Cocker. Elle est le reflet de la bataille du push qui se joue, depuis quelques années déjà, entre les médias pour squatter les écrans de téléphone à l’aide de notifications visant à alpaguer le chaland avec une information importante, lui faire vivre un événement en “live”, lui faire un résumé de la journée ou du week-end écoulé, ou se rappeler à son bon souvenir.
Une stratégie qui a déjà fait ses preuves. En 2014, les utilisateurs ayant accepté de recevoir des notifications push sur leur smartphone passent trois fois plus de temps sur les applications émettrices de ces alertes, selon l’étude de la société américaine Localytics.
En effet, d’après nos estimations, un seul push peut générer 20.000 à 30.000 visites sur une application française d’informations généralistes.
A condition de ne pas l’envoyer à tort et à travers. C’est là tout l’enjeu pour les rédactions en 2015: comprendre les besoins de leurs lecteurs, afin de leur envoyer des pushs personnalisés, ciblés et adéquats, pouvant même intégrer des images, au bon moment de leur journée. Cela nécessite de savoir répondre aux questions suivantes avant l’envoi d’une alerte, conseille cet instructif guide des notifications:
• Qui doit recevoir ce push? Il y a a minima trois catégories d’utilisateurs dont les besoins ne sont pas les mêmes: les nouveaux arrivants, les utilisateurs assidus, et ceux qui ont téléchargé l’application mais s’en servent rarement. Ce à quoi s’ajoutent des utilisateurs géolocalisés selon leur lieu de vie – à qui on peut envoyer des informations concernant leur région ou leur pays.
• Quel message doit comporter ce push? Comment peut-il être personnalisé?
• A quelle heure chaque utilisateur doit-il recevoir ce push? Histoire d’éviter de bombarder les expatriés d’alertes lorsque c’est la nuit pour eux.
• Que se passe-t-il une fois que le push est envoyé? Quelle est l’action requise par l’utilisateur – qu’il lance l’application? Qu’il envoie un SMS? Qu’il conserve le message de l’alerte pour un usage ultérieur?
Gagner la bataille du push, c’est faire monter le taux d’engagement des lecteurs, rallonger le temps qu’ils passent sur l’application, et tisser un lien de confiance avec l’audience, prédit Localytics dans son rapport de fin d’année sur l’état des applications mobile.
Va-t-on enfin voir un programme capable de marier la culture numérique et le “formatage” télévisuel? Il y a bien des programmes à la télévision qui sont des déclinaisons de formats et de talents nés sur le Web – la pastille Le Gorafi, sur Canal+, M. Poulpe à la météo du Grand Journal sur la même chaîne, Le Point quotidien de Vice News, sur France 4 -, il y a aussi des séries télévisées qui jouent à fond la carte de l’interaction sur le Web avec les fans – Fais pas ci, fais pas ça sur France 2 – mais jusque là, beaucoup se sont cassé les dents à vouloir mélanger ces univers.
Cyrille de Lasteyrie, alias Vinvin, a plusieurs fois tenté ce numéro d’équilibriste en lançant Le Grand Webzé puis Le Vinvinteur sur France 5, des expériences foldingues comme on les aime mais qui n’ont, comme on dit à la télévision, “pas trouvé leur public”. “Le Web est gratuit, libre, insouciant, insoumis. La télé, c’est l’inverse: calibrée, rigoureuse, institutionnelle. L’une est un format, l’autre un anti-format. Il faut cesser de vouloir à tout prix marier la carpe et le lapin”, analyse Cyrille de Lasteyrie dans Télérama.
En attendant que quelqu’un trouve la recette, les producteurs de télévision sont amenés à (re)penser leurs émissions pour qu’elles soient disponibles depuis n’importe quel écran. Et ce, même si, la France est un pays où le téléviseur “reste l’équipement privilégié pour regarder les programmes en direct (93 % des Français l’utilisent comme tel)”, selon un rapport du Crédoc (le centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie).
L’urgence, en 2015, c’est donc d’offrir une continuité dans la consultation des contenus selon qu’on est sur un téléviseur, une tablette, un ordinateur, un téléphone, en reprenant l’émission exactement où on l’avait laissée. “Pour l’instant, le mot télévision désigne toujours ce truc qui trône dans votre salon et les émissions qu’on a pris l’habitude de voir depuis presque 60 ans – même si ces émissions vous parviennent maintenant via Internet. Mais on a clairement besoin de créer une nouvelle nomenclature qui convienne au monde multi écrans et multi plates-formes dans lequel on vit”, prévient Roy Sekoff, le président du Huffington Post Live, cité par Mashable.
C’est le “come back” d’un format que l’on croyait obsolète: la newsletter. “Elle n’est plus tout à fait comme la cassette que l’on faisait par amour au collège, mais elle est une compilation du meilleur qui peut procurer le même type de sentiments” qu’à l’époque, explique Katie Zhu, développeuse chez Medium, dans ses prédictions 2015 au Nieman Lab.
De Time To Sign Off (il est temps de conclure, en VF) à Brief.me, le projet lancé par Laurent Mauriac, en passant par Mondadori, les informations se distribuent plus que jamais par email. Et pour cause, ces newsletters offrent un “temps calme”, comme disent les instituteurs, aux lecteurs éreintés par ce flux incessant d’informations qui les assaille, en leur présentant ce qu’ils doivent savoir, rien de plus, rien de moins. Et ce, à un moment qu’ils ont choisi, c’est-à-dire le moment où ils où ouvrent l’email contenant la newsletter.
“Une des raisons pour lesquelles les newsletters fonctionnent, c’est parce qu’elles agissent comme un filtre intelligent”, écrit Mathew Ingram sur le site Gigaom. En un sens, elles court-circuitent le torrent d’informations que l’on lit sur Twitter, Facebook, sur les blogs, sur les sites d’informations, pour trouver ce qui compte vraiment. Et c’est quelque chose dont on a probablement plus besoin que jamais.”
En 2015, les rédactions vont activer ou ré-activer leurs offres de newsletters. Mais quelle newsletter va rester? Et comment se distinguer des autres quand on est un média généraliste? “Plus vous êtes générique, moins vous avez de valeur pour les lecteurs”, conseille Mathew Ingram. “Alors pensez à toutes les niches et les micro-marchés dans lesquels vous pourriez segmenter votre offre de contenus, et trouvez une façon de les incarner” avec un ton, un style, une sélection qui témoigne de votre patte.
La décapitation du journaliste américain James Foley filmée dans une vidéo diffusée sur YouTube – elle a, depuis, été retirée de la plate-forme -, celle ensuite d’un autre journaliste américain, Steven Sotloff….
Ces images de l’actualité, effroyables, témoignent de la la violence innommable des événements et des risques que prennent les journalistes sur le terrain. En 2014, selon le bilan de Reporters sans frontières, 66 journalistes ont été assassinés, 119 enlevés, 1846 menacés et/ou agressés, et 40 toujours otages.
Cette année, il y a eu une escalade dans l’imagerie de l’horreur, diffusée sans filtre et à des fins de propagande, via les plates-formes de distribution accessibles à tous. Les journalistes sont devenus des instruments au service de l’Etat islamique, déplore Jon Lee Anderson, grand reporter au New Yorker, invité à donner la leçon inaugurale de rentrée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po. “Cliquer sur ces vidéos chorégraphiées et présentées comme un message à l’Amérique, c’est ce que souhaitent ces bourreaux. Or je ne vais certainement pas leur donner ce plaisir”.
Impossible de prédire ce qu’il adviendra en 2015 sur ce plan. Espérons néanmoins que les médias refuseront encore de relayer de telles horreurs en ligne. Même si, avant de décider de diffuser ou non une image dans un média, il faut bien les examiner dans les rédactions et les authentifier. C’est le travail des journalistes qui, pour tenir au quotidien, ont peu à peu appris à se blinder.
Robots lisant des informations à haute voix comme un présentateur de journal télévisé, vidéos avec voix off compilées en 5 secondes – quand il faut une vingtaine de minutes à un humain, même expérimenté, pour ce faire -, algorithmes capables de trier les contenus et d’en produire à leur tour… Désormais, l’information doit compter avec l’intelligence artificielle, et les journalistes s’habituer à l’idée d’avoir des robots comme collègues.
Si, aux Etats-Unis, Forbes et le Los Angeles Times ont succombé aux sirènes de robots sachant écrire des articles de A à Z, les rédactions françaises n’ont pas encore recours à de tels services. En 2014, elles se sont contenté de mettre en place des “social media bots”, des robots actifs sur les réseaux sociaux.
C’est qu’a fait France TV Info lors des municipales avec un robot sur Twitter à qui les utilisateurs pouvaient demander de les alerter des résultats obtenus dans leur circonscription dès que ceux-ci étaient disponibles. Même système avec L’Equipe et son “automatic score”. Pour savoir où en est le score de votre équipe de foot préférée sans allumer la télé, vous interpelez le compte Twitter de l’Equipe en mentionnant le nom de l’équipe qui vous intéresse. Instantanément, vous recevez la réponse sur Twitter de la part de l’Equipe avec un lien qui renvoie sur le score du dernier match.
Le système, mis en place début novembre, a deux objectifs, me renseigne Emmanuel Montecer, community manager de L’Equipe:
1. générer du trafic sur les supports de L’Equipe en provenance des réseaux sociaux (au moment du lancement, alors que lequipe.fr récolte entre 50 et 70 millions de visites mensuelles, seuls 1 à 2 millions proviennent de Twitter)
2. soulager l’équipe humaine, qui croule sous près de 10.000 interpellations du compte Twitter de l’Equipe par mois, avec 70% de demandes sur le foot.
Et en 2015? L’Equipe réfléchit bien sûr à élargir l’”automatic score” au rugby, et notamment le top 14. Et d’autres rédactions vont intégrer des robots à la fabrication de leurs informations. Imaginez par exemple France 2 ou TF1 travailler avec l’application Wibbitz pour produire des commentaires sur images en presque temps réel dans leurs JT…
A votre avis, à quoi les rédacteurs en chef et directeurs de rédaction passent le plus de temps? Réponse: à organiser les équipes, leur rotation, à faire des plannings, et à s’arracher les cheveux pour que les différents services parviennent à travailler ensemble.
Or dans bon nombre de rédactions, et c’est ce qu’a révélé le mémo “Innovation” du New York Times, il y a toujours un vrai mur entre l’Eglise et l’Etat, entre la rédaction et les autres services, comme si travailler à autre chose qu’à l’information était une tare. Développeurs, chefs de projet, graphistes bouent de ne pas connaître les requêtes des journalistes pour remplir leur mission, et la rédaction nourrit une peur viscérale de se faire “manipuler” par des intérêts marketing quand elle n’est pas débordée par le quotidien.
Parlez-vous et s’il vous plaît devenez les meilleurs amis du monde, implore Alisha Ramos, une graphiste de Vox Media. “Chers journalistes, les développeurs et les graphistes ne sont pas des aliens. Ils peuvent ne pas comprendre votre jargon mais ils peuvent avoir une idée intelligente pour rendre digestes toutes les données que vous regardez. Chers développeurs, les journalistes ne sont pas des extra-terrestres. Ils peuvent avoir des idées qui pourraient déboucher sur la créations d’applications dans lesquelles vous pourriez tester ce nouveau code Javascript qui vous tente.”
“Améliorer les passerelles et les collaborations avec les ingénieurs, les graphistes, ceux qui s’occupent des statistiques et des données, et ceux qui font de la recherche et du développement, ne représente aucune menace pour nos valeurs journalistiques”, insistent les auteurs du mémo du New York Times pour évangéliser leurs collègues. Et si la notion de “rédactions intégrées” passait de l’état de mirage à la réalité? Le message devrait enfin passer en 2015.
Regardez ce contenu sur la préparation physique des danseuses du corps de ballet de New York publié sur le site du New York Times. Ce “reportage”, dont le format ressemble à s’y méprendre à celui de Snowfall, faisant la part belle à l’écriture, aux photos, dessins et aux vidéos, n’est pas une commande de la rédaction du New York Times, mais d’une marque de chaussures, Cole Hann. Même chose pour ce long format sur l’incarcération des femmes dans les prisons, avec des témoignages d’anciennes détenues en vidéo, des chiffres mis en scène dans des graphiques: il a été payé par Netflix pour la série “Orange is the new black”.
Ces deux exemples sont ce que l’on appelle du “native advertising”, une publicité qui reprend les codes journalistiques du média qui l’héberge. Le New York Times, Buzzfeed, Forbes, mais aussi lemonde.fr, Le Huffington Post, Lexpress.f, tous accueillent ces publicités d’un nouveau genre, cherchant par là à maximiser leurs revenus publicitaires. En France, les rédactions se cassent la tête pour réussir à les produire, à les insérer dans des espaces autrefois réservés aux informations, et à en assurer la distribution en fournissant au besoin des statistiques sur leur consultation aux annonceurs. De quoi provoquer quelques débats agités sur la ligne jaune entre contenus sponsorisés et journalistiques.
Le grand flou a commencé dès 2014, quand le native advertising, promesse de nouveaux revenus bienvenus, s’est invité à la table, avant que les règles ne soient gravées dans le marbre. En 2015, l’étiquetage des contenus, qu’ils soient payés par des marques ou écrits par des journalistes de la rédaction, va devoir être affiché.
Excellentes fêtes à tous et très bonne année 2015!
Alice Antheaume
lire le billetPour s’informer, le Français est Google News-dépendant, utilise de plus en plus son smartphone, aime les articles sous forme de listes, les vidéos d’actualités, rechigne toujours à payer pour de l’information, fait davantage confiance à une signature journalistique qu’à la renommée d’une rédaction, et préfère parler de l’actualité avec ses proches de visu plutôt que sur les réseaux sociaux.
Tels sont les principaux traits du consommateur d’informations français version 2014, selon l’enquête Digital News Report 2014 réalisée par le Reuters Institute for the Study of Journalism, et présentée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po le mercredi 17 septembre.
>> Pour voir le portrait 2013 du consommateur d’informations français, c’est ici >>
>> Pour voir le portrait 2012 du consommateur d’informations français, c’est là >>
La majorité des Français sondés passent par des moteurs de recherche (40%), et notamment par Google News, une spécificité hexagonale qui ne date pas d’hier. Les autres s’informent en étant happés par email dans leurs messageries (24%) ou en se rendant directement sur le site ou sur l’application du média (23%) – d’où la place encore importante laissée à la page d’accueil des sites d’informations français. Une plus faible proportion (14%) découvre les informations via les réseaux sociaux. Quant au push sur mobile, il ne draine pas les foules (6%).
Pour accéder aux informations, 36% des Français utilisent au moins deux supports (par exemple ordinateur + téléphone ou ordinateur + tablette ou téléphone + tablette), 22% utilisent comme outil principal leur téléphone, 8% recourent à la seule tablette, des chiffres qui ont beaucoup progressé depuis l’année dernière.
A noter: les plus accros à l’information, donc ceux qui se connectent plusieurs fois par jour, sont des hommes (72% d’entre eux s’informent plusieurs fois par jour, contre 59% de femmes). En outre, le fait d’utiliser une tablette ou un smartphone plutôt qu’un ordinateur fixe favorise leur consommation multi-quotidienne d’actualités.
Seuls 12% des sondés déclarent avoir payé au cours de l’année précédente pour obtenir des informations en ligne, soit en s’offrant un abonnement, soit un article à l’unité soit une application. Il y a certes une réserve de 10% qui se disent prêts à payer à l’avenir, mais cela reste du déclaratif.
Ce qui motive ces acheteurs français, c’est, d’abord, la variété des informations qu’ils peuvent trouver en payant (49%). Ensuite, la recherche de contenus signés par des journalistes connus (40%). C’est d’ailleurs un point spécifique à notre pays: les Français font davantage confiance à des journalistes en tant qu’individus qu’à la renommée d’un journal ou d’une chaîne de télévision. Et, troisième raison qui motive le paiement pour de l’actualité, la facilité d’accès à un contenu “quand ils veulent et où ils veulent” (39%).
Tous pays confondus, les plus enclins à dégainer leur portefeuille pour de l’information sont des hommes de plus de 55 ans, ayant un niveau d’études égal ou supérieur à BAC+3 et pourvus d’une tablette.
Seuls 21% des Français partagent chaque semaine une information – via email, sur les réseaux sociaux, par chat ou via Skype – quand les Italiens sont 44% à le faire. Ils ne se désintéressent pas pour autant de l’actualité, mais quand ils en discutent, ils préfèrent le faire de visu (30%), à la machine à café, lors de repas familiaux, plutôt qu’en ligne, aux yeux de tous.
D’ailleurs, l’idée de débattre de l’actualité ou d’afficher les informations que l’on recommande en ligne et en public semble susciter la méfiance dans l’hexagone. Lorsqu’ils partagent des actualités, les Français le font avant tout loin du regard des autres, via email (13%) et/ou sur une messagerie instantanée (15%). Ils sont 11% seulement à le faire sur les réseaux sociaux et 10% à “liker” sur Facebook des contenus.
Pour s’informer, les plates-formes communautaires les plus populaires en France sont Facebook (27% des sondés y trouvent des informations) et YouTube (16% y visionnent des vidéos d’actu), devant Google Plus (10%) et Twitter (7%).
Si Twitter a été un réseau social clé pour les journalistes et les politiques, notamment pendant la campagne présidentielle de 2012, “depuis le tweetgate déclenché par Valérie Trierweiler, le gouvernement est devenu plus prudent”.
Conséquence ou non, en matière politique, “la plupart des Français sont plus passifs en ligne que leurs homologues européens, sauf lorsqu’il s’agit de commenter les programmes télévisés” sur les réseaux sociaux. Ils sont même près de 4,6 millions à affirmer avoir déjà commenté en direct un programme télévisé sur un réseau social, selon une autre étude sur la Social TV.
A noter, l’émergence des applications comme Whatsapp, racheté par Facebook en février pour 19 milliards de dollars. En Espagne, 26% des sondés s’en servent pour partager des informations. En France, 1% seulement mais c’est un phénomène qui n’existait pas encore l’année dernière.
Les Français apprécient avant tout les articles de type “liste” (53%) avec des titres et sous-titres faciles à digérer – vous êtes vous-même en train d’en consulter un exemple ici -, ainsi que des longs formats écrits (44%). Autres formats prisés, les photos et les vidéos.
Contrairement aux autres pays étudiés, où le texte reste le format référentiel suprême en ligne, l’appétit pour la vidéo est remarquable en France. 40% des Français privilégient les vidéos d’actualité, contre 25% qui préfèrent le texte, et 35% qui butinent à la fois du texte et de la vidéo. Des chiffres qui justifient les investissements massifs des rédactions pour produire des vidéos. Pour l’heure, les deux obstacles à la consommation de vidéos en ligne sont 1. le découragement quand la vidéo ne se charge pas et 2. l’envie de regarder la vidéo sur un plus grand écran.
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Alice Antheaume
lire le billetLes consommateurs d’informations sur mobile vont devenir plus nombreux que ceux qui utilisent leurs ordinateurs. En novembre 2013, 11,3 millions de Français ont utilisé leur mobile, tablette ou smartphone, pour consulter sites et applications d’actualité, et ce, en moyenne sur 5 jours par mois, selon Médiamétrie.
Bien sûr, cela a de l’impact sur les rédactions. En 2013, 40% du trafic de CNN provenait du mobile (tablettes et téléphones). En 2014, ce sera sans doute 50% voire plus. Ce renversement est déjà entré en vigueur pour Le Monde, qui fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web, ainsi que pour The Guardian à certains moments de la journée.
Les médias ne sont pas les seuls à s’intéresser à la façon dont on pourrait distribuer et calibrer les informations sur petit écran. J’ai déjà parlé ici de News Digest, la nouvelle application de Yahoo!, développée par le jeune Nick D’Aloisio, 18 ans, millionnaire, qui résume automatiquement l’actualité deux fois par jour. Ce lundi, Facebook lance, uniquement aux Etats-Unis, une application mobile appelée “Paper” pour ses 945 millions d’utilisateurs mensuels qui se connectent au réseau social via leur smartphone ou leur tablette.
Tout cela va si vite qu’il paraît urgent de réactualiser les chiffres clés du mobile. En voici quelques uns, récupérés au cours de conférences et en surfant sur de récents rapports en ligne.
Avez-vous repéré d’autres chiffres récents? N’hésitez pas à les partager.
Alice Antheaume
lire le billetIl a beau faire froid dehors, la météo réchauffe les audiences médiatiques. Filet à internautes, attrape-téléspectateurs, elle ne connaît pas la crise que traverse la presse. Une manne pour les éditeurs qui négligent trop souvent l’apport éditorial des contenus liés au temps. Leur réserve peut se comprendre. Ils craignent sans doute de verser dans de l’information servicielle et de multiplier des contenus ras-les-pâquerettes, comme des micros-trottoirs sur le temps qu’il fait en avril.
Politique météorologique
Pourtant, la météo peut donner lieu à des traitements éditoriaux originaux. Passons sur l’art de cuisiner la neige, une recette publiée par le Guardian, ou sur cette animation interactive qui propose aux internautes de fabriquer un bonhomme de neige derrière un écran, là encore sur le Guardian. Il y a de quoi faire du sérieux, chiffres à l’appui.
Jean Abbiateci, journaliste de données indépendant, s’est amusé à compiler la pluviométrie et les températures en fonction des gouvernances des chefs de l’Etat français. Résultat, “François Hollande fait pleuvoir (+ 22%), Nicolas Sarkozy a provoqué la sécheresse (-15 %) (…) Jacques Caliente Chirac a fait monter la température (+ 11 %) tandis que François Mitterrand a bien refroidi l’ambiance (- 7%).”
Comparer la météo et la politique, c’est “totalement absurde”, juge le journaliste, même si la démarche est inspirée par la lecture d’un article du Guardian, “Is the weather worse under the Coalition?”, qui montre que “l’arrivée au pouvoir de Margaret Tatcher a entraîné une hausse de la pluie dans le Royaume tandis que, sous Gordon Brown et David Cameron, les températures ont chuté, en comparaison avec les années du bouillant Tony Blair…”
Jean Abbiateci a publié son travail le 1er avril, comme un poisson d’avril donc, pour “s’éviter la peine de recevoir des mails au premier degré comme “Mais vous croyez vraiment que les politiques sont responsables de la météo? Mais vous êtes idiot mon pauvre ami…”, m’explique-t-il. Pas si idiot, car les données de départ sont justes, elles proviennent des archives météorologiques du site Infoclimat sur la ville de Paris. Banco, donc, car ce contenu est davantage consulté que la moyenne des autres contenus diffusés sur son blog, Papier Brouillon, m’indique encore Jean Abbiateci.
La manne météo
La météo, pourvoyeuse officielle de données journalistiques? C’est ce que croit David Kenny, le président de The Weather Company, l’équivalent américain de Météo France, un producteur de contenus présent via une chaîne de télévision câblée, The Weather Channel, un site Web, weather.com, et des applications pour mobile et tablette. Il s’était exprimé à ce sujet lors du Monaco Media Forum de novembre 2012 et avait détaillé l’offre immense de son média: des prévisions météo, des analyses, mais aussi des données en temps réel, des vidéos – «toujours en live», sans replay, «car personne ne souhaite voir le temps qu’il faisait la semaine dernière», a stipulé David Kenny – sans oublier des breaking news et des tweets en continu.
Lorsque l’ouragan Sandy débarque sur la côte Est des Etats-Unis, les chiffres d’audience sont faramineux sur la seule journée du lundi 29 octobre 2012: plus de 2 millions de personnes ont regardé The Weather Channel, le site a enregistré 300 millions de pages vues, l’application mobile 110 millions de pages vues et il y a eu 9.6 millions de connections au «live».
Après coup, David Kenny s’est réjouit à mots voilés. «Sandy, c’est tragique, mais cela a été un grand moment pour nous». Et d’ajouter que le public a davantage regardé la chaîne The Weather Channel depuis tablette pendant Sandy plutôt que sur la télévision… jusqu’à ce que la batterie de la tablette soit à plat – les coupures d’électricité ont été nombreuses à ce moment-là.
Mobile toute
Les rapports l’attestent: la météo est faite pour les outils mobiles – bien plus que sur ordinateur – si ce n’est pas l’inverse. Selon l’étude Comscore intitulée “Mobile Future in Focus 2013“, 67.1 % des interrogés déclarent consulter la météo depuis leur smartphone quand 64.6% d’entre eux le font via leurs tablettes. Preuve de cet engouement, en février 2013, l’application de la chaîne Météo – appartenant au Figaro (merci Benjamin Ferran pour la correction) – figure en deuxième place pour les tablettes et en troisième place pour les téléphones du classement des applications de l’OJD.
Dernier point intéressant pour les éditeurs: la météo est l’un des sujet d’interaction préféré des internautes. Et pour cause, chacun a un avis sur la météo et est capable de prendre une photo d’un paysage sous la pluie ou au soleil. En témoigne le nombre inouï de photos déversées sur les réseaux sociaux au mois de mars, et notamment à Paris, lorsque la neige a recouvert voitures et rues. Les internautes vont même jusqu’à poser des webcams pour filmer, depuis un toit, les bourrasques ou autres événements du quotidien.
Etes-vous passionné par la météo? Considérez-vous que c’est de l’information?
Alice Antheaume
lire le billetL’année dernière, à South by South West, on ne jurait que par l’«ambient social networking», c’est-à-dire, en mauvais français, du réseautage «ambiant», lequel permettait d’être averti dès que ses amis (ou amis d’amis) étaient dans les parages. Cette année, au Woodstock des nouvelles technologies à Austin, au Texas, quelles sont les tendances 2013?
Avec l’iWatch d’Apple, une montre intelligente dont Bloomberg assure qu’elle pourrait être commercialisée dès cette année, et les lunettes «Glass» qui vous indiquent où vous êtes, envoient un message à qui vous voulez quand vous parlez, et prennent des photos quand vous le leur demandez, la mode est aux accessoires «connectés» à porter sur soi. A South by South West 2013, Google a ainsi présenté des chaussures parlantes, des baskets qui disent qu’elles s’ennuient lorsque vous êtes assis trop longtemps et vous félicitent après une bonne séance de sport. Elles sont même capables de publier des commentaires sur votre activité directement sur votre flux Google Plus.
On vient de le voir: on peut commander à un ordinateur avec sa seule main, on peut demander à des lunettes qu’elles enregistrent aussitôt la scène que l’on est en train de voir. Geste de la main, des doigts, voix, mots du quotidien: les façons dont l’homme interagit avec la machine sont désormais basées sur des gestes du quotidien, que l’on effectue des milliers de fois par jour, et non sur des manipulations qui devraient être apprises via un mode d’emploi. On remet ainsi du réel, pour ne pas dire du quotidien, dans l’environnement numérique pour donner davantage de repères aux utilisateurs. C’est ce que fait aussi Apple lorsqu’il conçoit son kiosque, où les versions numériques des revues et magazines sont rangées sur une représentation d’une étagère en bois. L’art d’insérer “un élément de design ou une structure qui ne sert aucun but dans l’objet formé mais qui était essentiel dans l’objet fait à partir du matériau original” porte même un nom en anglais: le skeuomorphisme.
Sous une tente, près de la rivière d’Austin, c’est l’effervescence. On peut y voir la technologie proposée LeapMotion, qui a fait sensation à South by South West. Sur l’écran des ordinateurs disposés ça et là, un tableau de bord d’un véhicule et une route pour faire la course comme dans un jeu vidéo. Devant l’écran, vous. Rien ne vous relie à l’écran: ni fil ni clavier ni manette ni souris. Pourtant, vous pouvez conduire la voiture, juste en tenant un volant imaginaire entre vos mains. “Ma main devient mon login et mon mot de passe”, détaille David Holz, le co-fondateur de LeapMotion, “je ne veux pas qu’on m’implante sous la peau du bras un clavier”. Autant dire que souris et clavier seront bientôt des animaux préhistoriques.
Cela va même plus loin, car “la meilleure interface, c’est pas d’interface du tout“, annonce Golden Krishna, designer chez Samsung. “On essaie de résoudre nos problèmes de la vie quotidienne avec des écrans, et résultat, nous sommes entourés d’écrans”, diagnostique-t-il, moquant notre amour des interfaces via des images de pierre tombale dotée d’une épitaphe écrite sur écran et de toilettes pour enfants pourvus d’une tablette. L’avenir serait donc à la disparition totale non seulement des souris et claviers mais aussi des écrans. “Pour ouvrir le coffre de la voiture quand vous avez les mains pleines, vous n’allez pas poser vos sacs pour ensuite pianoter un code sur un écran pour l’ouvrir”, reprend Golden Krishna, faisant l’éloge d’un système où l’on passerait son pied sous le pare-choc, signal pour dire “coffre, ouvre-toi”.
Bre Pettis, fondateur d’une start-up appelée Makerbot, quadra aux cheveux poivre et sel et lunettes foncées, est apparu comme le prophète de cette tendance, lors d’une keynote remplie à ras bord le vendredi 8 mars à Austin.”Photoshop a changé la façon de faire des images, Makerbot va changer la façon d’imprimer. La révolution sera l’impression en 3D”, s’exclame-t-il, enchanté à l’idée que, bientôt, n’importe qui pourrait dessiner une tasse ou une chaise à domicile et l’imprimer aussitôt. Et de rêver aux activités des enfants qui, dans le futur proche, joueront aux Lego autrement: “imaginez qu’ils aient une imprimante 3D au lieu d’avoir un Lego. Non seulement ils pourront fabriquer des logos mais aussi créer des objets de leur futur”. Car désormais, ce sont bien des choses qui peuvent être imprimées, alors que, jusqu’alors, seuls des fichiers pouvaient l’être. Problème: les armes peuvent elles aussi être imprimées en 3D.
On connaissait déjà Square, cet accessoire carré qui se branche sur la prise écouteurs de son smartphone ou sa tablette, et permet d’y glisser sa carte bancaire pour… payer. Aux Etats-Unis, nombreux sont les taxis qui sont équipés de la sorte pour permettre à leurs clients de régler leurs courses. A South by South West 2013, un autre système de paiement sur mobile a fait une percée remarquée: il s’agit de LevelUp, une application qui se télécharge sur son téléphone. Après avoir pris en photo sa carte bancaire, l’application fournit un “QR code” que l’on présente à la caisse, qui est scanné via un laser, et hop, c’est fini. Il en coûte 2% sur chaque transaction opérée par ce biais aux commerçants équipés de ce système.
Parmi les autres tendances observées à South by South West, figurent le “multi-éditionning” prôné pour l’information sur tablette, la suprématie des réseaux sociaux sur les blogs d’antan – j’y reviendra dans un prochain WIP -, les statistiques pour tout, tout le temps – on mesure ses pas, ses kilomètres parcourus, ses calories ingurgitées, le nombre de “likes” recueillis par ses photos postées en ligne, son nombre de retweets, etc. – et par un narcissisme grandissant en ligne.
Etiez-vous à South by South West 2013 ou avez-vous lu des articles sur le sujet? Avez-vous repéré d’autres tendances? Merci de les partager sur Twitter ou Facebook.
Alice Antheaume
lire le billetA l’occasion du World Mobile Congress 2013, le grand raout mondial sur le mobile qui se tient chaque année à Barcelone, les instituts multiplient les états des lieux sur le mobile, ses usages, et ses utilisateurs. On a épluché deux rapports, celui de Comscore intitulé “Mobile Future in Focus 2013“, et celui de Nielsen, “The Mobile Consumer, a global snapshot”. Que faut-il en retenir?
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125 millions d’Américains (sur 310 millions) et les deux tiers de la population chinoise sont maintenant équipés de smartphones, c’est-à-dire de téléphones reliés à Internet. En France, le smartphone atteint 55% de pénétration en France. A noter, plus de la moitié des Russes (51%) possèdent deux mobiles ou plus, remarque Nielsen. A ce stade, six ans après le lancement du premier iPhone en 2007, le marché du smartphone a connu une courbe de progression extraordinaire. Reste en dehors de ce marché un groupe que ComScore nomme “la majorité tardive”, encore non convertie au smartphone, généralement peu portée sur les nouvelles technologies et plus soucieuse des tarifs que la moyenne.
Alors que les téléphones d’aujourd’hui ont des écrans de plus en plus grands (32 cm en diagonale comme le Galaxie Note 8.0), les tablettes, comme l’iPad mini, rapetissent. Un néologisme anglo-saxon a même vu le jour: “phablet”, contraction entre phone (téléphone) et tablet (tablette), le “joujou des indécis”, titre Libération. “Les définitions de ce qui constitue un smartphone, une tablette ou d’autres outils mobiles vont continuer à s’effacer”, analyse le rapport de Comscore, “chaque nouvel appareil aura ses propres spécifications techniques et des dimensions qui lui sont propres”.
1/3 du temps passé en ligne ne se fait plus depuis l’ordinateur, autant dire que la connexion depuis les supports mobiles n’est plus un “accident de parcours”. Les médias, eux aussi, se préparent à voir leurs lecteurs se connecter davantage depuis un mobile que de leur ordinateur. Le téléphone s’utilise surtout dans deux configurations: en mouvement, entre deux rendez-vous, dans les transports, et aussi dans des moments plus calmes, de repos ou de détente. La tablette, elle, est privilégiée le soir, dans le canapé familial, et au moment du coucher.
Nouvelle tendance 2013, le “showrooming”. Ce mot désigne l’action de se rendre dans un magasin repérer un produit, voire l’essayer quand il s’agit par exemple d’un habit, avant de procéder à son achat via son smartphone, en ligne donc, à un tarif plus avantageux que celui observé dans le magasin. A noter, les Sud Coréens, habitants de la patrie de la marque Samsung, sont les plus actifs pour faire du shopping en ligne et utiliser des services bancaires depuis leur téléphone, détaille Nielsen.
Au travail, pour tenir ces appareils mobiles, le corps humain se plie dans tous les sens. Et au final, il y a neuf nouvelles positions au travail, listées dans une étude commandée par l’entreprise de mobilier de bureau Steelcase.
L’échange de SMS reste l’activité préférée des utilisateurs de smartphones, et ce, quelque soit le pays observé. Selon Nielsen, aux Etats-Unis, chaque mois, les utilisateurs envoient et reçoivent 764.2 SMS, passent et reçoivent en moyenne 164,5 appels et parlent dans le combiné pendant 644.1 minutes (plus de 10 heures). Après les SMS, la prise de photos est la deuxième activité la plus répandue, suivie de la consultation de ses emails et de la météo. Voilà pour les smartphones. Côté tablettes, c’est la recherche d’informations sur le Web qui constitue le premier réflexe, avant la consultation des emails, des réseaux sociaux et la pratique de jeux.
Au royaume des applications mobiles, l’application Facebook est reine avec, sur 1 milliard d’inscrits, 600 millions qui s’y connectent depuis mobile. Elle est présente sur 3 smartphones sur 4, rappelle l’étude de Comscore. En général, les utilisateurs préfèrent utiliser les applications, optimisées pour petit écran, sur lesquelles ils passent les 4/5 de leur temps de connexion, plutôt que de surfer directement sur l’Internet depuis un navigateur avec leur téléphone. Sur mobile, les applications de jeux et de réseaux sociaux sont parmi les plus populaires dans la moitié des pays du monde observés par Nielsen.
Regarder des vidéos depuis un mobile pourrait avoir de l’influence sur le temps passé devant la télévision, analyse Nielsen, du moins en Chine. Les Chinois sont les plus friands de consommation de vidéos depuis mobile puisque 17% d’entre eux en regardent au moins trois par jour par ce biais. Conséquence inédite ou simple coïncidence, les propriétaires de smartphones chinois déclarent regarder davantage la télévision traditionnelle grâce à leur mobile. Un effet de la “Social TV”?
Alice Antheaume
D’habitude, lors des grands raouts sur les nouvelles technologies, il y a, à vue d’oeil, 90% d’hommes et 10% de femmes dans le public. A la conférence DLD (Digital-Life-Design) Women, qui s’est tenue à Munich, en Allemagne, les 11 et 12 juillet, c’était l’inverse – et pour cause, c’est une déclinaison spécifique pour la gente féminine. Quels changements le numérique apporte-t-il à nos conditions de travail, à notre façon de consommer et à nos relations sociales? Eléments de réponse, avec du féminin dedans.
Comment va-t-on travailler plus tard? A quoi ressemblera le lieu de travail du futur? A ces questions, Ursula Von Der Leyen, la ministre allemande du Travail et des Affaires sociales, répond qu’en 2020, c’est sûr, on travaillera surtout dans le cloud, c’est-à-dire dans un «nuage» informatique en ligne qui stocke des documents professionnels. «Les smartphones nous donnent une grande liberté. Avec eux, nous sommes libres de travailler de là où nous voulons, sans même dire où nous sommes, et sans personne pour regarder ce que nous faisons par dessus notre épaule». L’espace de travail du futur est donc en ligne, international, fait d’une armée d’experts que les sociétés peuvent solliciter dès qu’elles ont une question à résoudre et… qui ne savent pas toujours qu’ils sont des experts.
Fini le temps où la distinction entre travailleurs permanent et temporaire avait du sens. Fini le temps où les salariés étaient plus avantagés que les prestataires de service. «Les travailleurs du cloud passeront leur vie professionnelle en compétition les uns contre les autres, à postuler pour une mission ici, un travail là», reprend Ursula Von Der Leyen.
Fini aussi le temps où l’on travaillait dans un lieu défini. «La majorité des Allemands préfèrent travailler depuis chez eux avec leurs propres outils, et les trois quarts des Allemandes aimeraient travailler quelques heures voire la journée entière depuis chez elle», poursuit René Schuster, le président de Téléfonica en Allemagne, lequel rappelle la règle de chez Google, qui prévoit qu’un jour par semaine soit dévolu aux projets personnels des salariés – après validation par leur supérieur.
Autre exemple cité: le cas du moteur de recherche Ask.com qui ne donnerait pas de seuil limité pour les vacances de ses salariés. Ceux-ci prendraient leurs congés quand ils le souhaitent et quand ils le jugent nécessaires.
Selon René Schuster, la nouvelle mode n’est donc plus aux fêtes BYOB (bring your own beer, apportez votre bière, en français) mais aux réunions BYOD (bring your own devices, apportez vos outils de travail, donc).
Qui ne le sait pas? Les smartphones sont à la fois nos journaux, nos supermarchés, nos jeux, et la télécommande de notre vie sociale. Le chiffre du jour, entendu à DLD Women, c’est que 4.2 milliards de personnes dans le monde possèdent une brosse à dents quand 4.8 milliards ont un téléphone, d’après les chiffres du cabinet Deloitte datant de mai 2012.
Aucun doute pour René Schuster: la carte bancaire sera morte dans cinq ans, remplacée par le paiement sur mobile. Il assure aussi qu’«un couple marié sur six s’est rencontré en ligne et… 48% des 13-34 ans se connectent à Facebook avant de dire bonjour le matin» via leur téléphone portable.
Dans ce monde ultra connecté, il n’y a pas que les humains qui se parlent en ligne. A terme, les objets aussi, comme le montre l’exemple de Botanicalls, cette société qui veut créer «un canal de communication entre les plantes et les hommes». En clair, on met un kit électronique sur la feuille de la plante, et lorsque celle-ci se dessèche, le kit envoie un tweet disant «j’ai soif» pour demander, par le biais de Twitter, que son propriétaire daigne l’arroser.
72h de vidéos mises en ligne chaque minute sur YouTube. 12.233 tweets par seconde cette année au moment du Superbowl, quand, en 2008, cela tournait autour de 27 tweets par seconde en cas d’actualité, d’après les chiffres donnés par Karen Wickre, de Twitter. Chaque jour sur Facebook sont publiés 300 millions de photos en moyenne et 3.2 milliard de likes et commentaires. Je ne parle pas du nombre d’emails dans les messageries qui s’agglutinent.
Comment gérer ce flux? A DLD, les intervenants interrogés ont une technique peu orthodoxe, mais qui semble partagée: ils suppriment tous leurs emails de temps à un autre, sans même les avoir lus. «Si c’est vraiment important, les gens vont réécrire leurs emails donc nous les aurons au final». Une position qui ressemble à celle que l’on applique sur Twitter: si le tweet est vraiment important, il sera retweeté par les autres, donc nul besoin de remonter sa timeline pendant des heures.
Autre conséquence de ce trop plein: l’envie, parfois, de fermer le robinet. «Nous sommes toujours présents, toujours joignables. Impossible de mettre des limites aux nouvelles technologies», constate Ursula Von Der Leyen.
«C’est l’âge d’or de l’engagement en ligne», reprend Arianna Huffington, la fondatrice du Huffington Post, dans une vidéo diffusée à DLD Women. Et c’est très vrai de la France, dont l’enquête du Reuters Institute vient de montrer que les Français sont les Européens les plus actifs dans la construction de l’information en ligne.
Dans ce contexte, il devient exceptionnel – et le luxe suprême – d’avoir des moments hors du réseau. «Défendez votre droit à être déconnecté», conseillent en choeur Ursula Von der Leyen et Arianna Huffington.
Il aura fallu moins d’une journée à DLD pour entendre les mots «émotion» et «émotionnel» revenir une bonne centaine de fois dans la bouche des intervenants. L’émotion serait en fait, selon eux, une réponse au trop plein d’informations qui nous submerge à chaque instant. Et la question reste la même pour les médias comme les annonceurs: comment se distinguer dans ce flot interrompu? Et comment faire valoir ses contenus?
Si, pour Shamim Sharif, romancière et scénariste, c’est la façon de raconter les histoires qui fait la différence, d’autres entrepreneuses ont un avis moins romantique: «les marques doivent parler à l’audience en provoquant une émotion, sinon, c’est fichu», déclare Sarah Wood, d’Unruly, une société capable de prédire le potentiel viral d’une campagne de pub en vidéo avant sa diffusion.
Sauf que l’échantillon des émotions dites efficaces est restreint. Pour que le contenu sorte du lot, il faut qu’il fasse rire, qu’il rende heureux – ou triste – ou bien qu’il «scotche» le public. Exemple de vidéo qui reste? La publicité pour la chaîne TNT qui met en scène, dans une petite ville de Belgique, une ambulance, une fusillade avec des méchants, une fille qui passe en lingerie sur une moto, sous les yeux des badauds qui ne savent plus où ils habitent.
Toujours dans le registre de l’émotion, autre tendance observée à Munich: l’émergence de sites d’e-commerce nouvelle génération, reposant sur du «emotional commerce» (commerce émotionnel, en VF), comme Fab.com et AHAlife.com. Sur ce dernier figurent des produits plutôt luxe chinés dans le monde, de la montre en bois pour hommes à des chargeurs pour téléphone en édition limitée. Ces objets sont choisis par des «sélectionneurs» – célèbres ou pas – et l’utilisateur peut lire l’histoire de chaque produit, comme si un vendeur haut de gamme lui en faisait l’article.
Que vient faire l’émotion là-dedans? C’est le concept marketing de Shauna Mei, la fondatrice de AHAlife.com, qui dit que, trempée par la pluie lors d’un voyage à Tokyo, elle cherchait en catastrophe un parapluie. En rentrant dans la première boutique, elle est tombée sur des boucles d’oreille, qu’elle a achetées. Depuis, à chaque fois qu’elle porte ces boucles d’oreille, elle repense à ce moment tokyoïte. Et elle a voulu reproduire cette «connexion» entre les acheteurs et les produits sur son site, en comptant sur le fait que les premiers allaient «chérir» les seconds.
«Il faut repenser les méthodes habituelles», dit Angela Zäh, responsable des nouveaux marchés de Facebook, et adopter la culture des hackers. Impossible, sinon, d’avancer. Et de rappeler que le réseau social, aujourd’hui doté de plus de 860 millions d’inscrits, a commencé comme simple site estudiantin. Dès son lancement, en 2004, il avait néanmoins deux objectifs: «s’étendre à l’international et connecter le monde». En toute simplicité.
«Comme il n’y avait ni équipe chargée de l’international ni équipe marketing, il a bien fallu faire autrement…». Et Angela Zäh d’énoncer trois règles pour s’efforcer de «faire autrement»:
1. Que feriez-vous si vous n’aviez peur de rien, ni du ridicule, ni de poser les mauvaises questions?
2. Bougez vite et changez les règles.
3. Le mieux est l’ennemi du bien.
Bref, mieux vaut quelque chose de fait plutôt qu’une idée de la perfection qui ne sera jamais réalisée. «Essayons et remettons en question les principes établis»… des principes en vogue dans la Silicon Valley, estime Karen Wickre, directrice éditoriale de Twitter, passée par Google.
Une philosophie que connaît bien Keren Elazari, «hackeuse professionnelle», qui travaille sur les systèmes de sécurité en Israël et a collaboré à la conférence internationale organisée par l’OTAN sur les cyber-conflits en 2011. «Il ne faut pas se mettre de barrière», argue-t-elle, fidèle à la culture du hack.
Le déclencheur de sa vocation? Angelina Jolie dans le film Hackers. Et, plus récemment, Lisbeth Salander, l’héroïne de la trilogie Millenium, une hackeuse invétérée qui accède aux données présentes dans les ordinateurs de n’importe qui. Devant une audience à très grande majorité féminine, Keren Elazari lance un appel: «Il faut qu’il y ait plus de femmes qui codent et deviennent des hackeuses, c’est très fun, je vous le garantis! Le but du jeu, c’est de manipuler le système pour qu’il fasse ce que vous voulez».
Une nouvelle forme de pouvoir, donc, et la langue vivante de demain. La conférence DLD Women de cette édition avait bien pour sous-titre «nouvelles règles, nouvelles valeurs».
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Alice Antheaume
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