7 prédictions pour le journalisme en 2016

Crédit: Flickr/CC/nicksie2008

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Nouvelle année oblige, la période est aux prophéties. Voici ce qui pourrait compter dans les rédactions en 2016. Au programme: l’impact des contenus journalistiques, la vitesse de chargement, le poids des pages, la multi-publication sur les diverses plates-formes américaines, la vague américaine des pure-players, la vidéo et… les doutes.

* L’impact

C’est le nouveau mot-clé dans l’écosystème numérique. “Nous ne construisons pas Buzzfeed pour obtenir le plus de clics, de partages, ou de temps passé possible. Nous construisons Buzzfeed pour avoir un impact positif sur la façon dont les gens vivent”, écrit son président Jonah Peretti à la fin de l’année 2015.

Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. C’est aussi vrai pour les contenus publicitaires, pour lesquels “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.

L’impact, c’est donc un mélange sophistiqué entre l’influence, la notion d’engagement des lecteurs, et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société. Pour l’instant, personne n’a encore trouvé comment le mesurer.

* La vitesse

Vous pensiez le temps de la décélération arriver? Que nenni ! Qu’il s’agisse des AMP (accelerated mobile pages) de Google ou des “instant articles” de Facebook, le mot “vitesse” est partout.

“En tirant parti de notre technologie qui permet d’afficher très vite photos et vidéos dans l’application Facebook, les articles se chargent instantanément, 10 fois plus vite que sur le Web mobile”, vante Facebook à propos de ses “instant articles”, ces contenus produits par quelque 350 médias dans le monde, dont Le Parisien et Les Echos en France, identifiés par un petit éclair en haut à droite du titre, et intégrés directement sur le réseau social lorsqu’il est consulté depuis une application mobile.

Google est sur la même ligne: “à chaque fois qu’une page prend trop de temps à charger, on perd un lecteur”.

On estime à 5 secondes le temps maximum supporté pour le chargement d’une page avant que l’internaute perde patience et fuit. C’est peu. Autant dire que la vitesse à laquelle on accède à une information est plus que clé. C’est la condition sine qua non pour que les lecteurs s’informent en 2016.

* Le light

Pour obtenir des pages en ligne qu’elles s’affichent vite, il faut qu’elles soient légères. Or le Web en général souffre d’une grave crise d’obésité.

Il y a trop d’éléments qui clignotent dans tous les sens, des lignes de code qui sont très gourmandes en bande passante, des photos qui pèsent des tonnes, sans oublier les publicités bien grassouillettes, dénonce Maciej Cegłowski, un ingénieur basé à San Francisco. “Vous avez bossé dur pour créer un beau site, optimisé pour être performant (…). Une fois cela fait, vos annonceurs vous mettent des merdes par dessus (…) dont l’objectif est de casser votre belle esthétique et d’accaparer l’attention du lecteur au détriment de ce pour quoi il était venu sur votre site”. Bientôt venu le temps du minimalisme numérique?

* La multi-publication

Fini le temps où l’on publiait ses contenus uniquement sur son site ou son application mobile. Désormais il faut “irradier” et s’incruster chez les autres.

Buzzfeed diffuse sur… 30 plates-formes extérieures à la sienne, martèle encore Jonah Peretti dans son mémo intitulé “a cross platform, global network”.

CNN produit des contenus exclusifs adaptés à des applications extérieures à la sienne, comme The List App, ou Snapchat, dont la partie informations, Snapchat Discover, a été lancée il y a un an. Promesse d’une “portée immense” auprès des jeunes, l’application mobile aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens suscite l’intérêt de multiples médias. En France, Le Monde a, a priori, remporté le pompon et est en ordre de bataille pour y publier des contenus toutes les 24h.

Sauf qu’à chaque plate-forme ses contenus, ses rythmes de publication, son écriture. Pas simple d’avoir des équipes compétentes pour chacune de ces plates-formes. Le Parisien, qui teste depuis quelques semaines les “instant articles” de Facebook, en revient. Pour l’instant, Guillaume Bournizien, directeur du marketing digital, s’est dit “déçu” lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 7 décembre 2015.

Dans la même optique, Libération a mis en place, lors des élections régionales de décembre 2015, un live d’un nouveau genre sur WhatsApp, l’une des applications de messagerie instantanée les plus populaires au monde avec 900 millions d’utilisateurs actifs chaque mois. Il s’agit d’informer sur téléphone des lecteurs “sans passer par notre application mobile ou par les réseaux sociaux traditionnels”, explique l’équipe après coup.

The Guardian s’est aussi essayé à WhatsApp en couvrant sur l’application le débat télévisuel des candidats républicains, avec l’inénarrable Donad Trump, aux Etats-Unis en décembre dernier.

Objectif: toucher des audiences qui ne sont pas dans les radars habituels des médias en allant les chercher là où elles se trouvent déjà.

* La vague américaine

Après le lancement en France de Le Huffington Post en 2012, puis Buzzfeed en 2013, d’autres médias nés aux Etats-Unis viennent s’implanter dans l’hexagone, avec des lancements prévus en 2016.

Une vraie vague américaine, dans un pays dont le nombre de pures players par habitant est plus élévé qu’ailleurs, et alors que l’un des premiers pure player français, Rue89, est englouti par sa maison mère, L’Obs. C’est le cas du Huffington Post, de Buzzfeed, de Mashable, de Business Insider et d’autres encore.

Tous, conscients du désavantage d’avoir des noms imprononçables par la majorité des Français, ont fait le choix de s’associer avec des médias déjà implantés dans l’hexagone : Le Huffington Post, avec Le Monde, Mashable, rattaché au pavillon de la chaîne internationale France 24, et Business Insider sous la houlette du groupe Prisma.

Marie-Catherine Beuth, ex-Le Figaro, va coordonner le lancement de ce pure player sur le marché français. “Business Insider, c’est un gros site aux Etats-Unis qui couvre l’actualité économique, les nouvelles technologies et la politique”, explique-t-elle au micro de l’émission L’Atelier des médias sur RFI. “ Titres malins, photos accrocheuses… L’idée, c’est d’informer de façon pertinente et efficace les nouveaux consommateurs d’informations”, ces fameux «millennials» qui délaissent les médias traditionnels, et que les annonceurs veulent à tout prix toucher.

* La vidéo

Ce n’est pas vraiment nouveau mais, en 2016, les médias traditionnels comptent mettre le turbo sur la vidéo. Au Monde, à BFM TV, à l’AFP, tout le monde veut produire des vidéos, toujours plus de vidéos en ligne. Même pour ceux dont l’image n’est pas le premier métier.

“La radio filmée n’est pas l’avenir de la radio, mais la vidéo, oui”, glisse Fabien Namias, le directeur général d’Europe 1. A Buzzfeed, 1 milliard de vidéos vues par mois, ils produisent mêmes des séries, disponibles sur l’Itunes Store. Le format vidéo est plein de promesses: facilement monétisable – quoique parfois bloqué, il peut aussi être très partagé sur les réseaux sociaux.

Reste une équation pas si facile à résoudre sur la vidéo: quels formats définir? Qu’est-ce qui marche en ligne et sur mobile? Entre les partisans des vidéos sans le son, qui peuvent se regarder sans écouteur, ceux qui pronent le format vertical, et ceux qui veulent des vidéos animées pour Snapchat, une foule de possibilités s’offre aux médias, à la fois pour raconter l’actualité chaude, et pour proposer des rendez-vous décalés.

* Les doutes

Est-ce un symptôme ou une conséquence des attentats qui ont touché la France en 2015? Alors que les journalistes ont travaillé parfois comme des automates pendant des semaines, ils ont fait face à une multiplication des théories du complot en ligne, des photos montées, ou, pire, de faux témoignages sincères. Des témoins, réellement paniqués, racontent n’importe quoi, dans les rues et sur les réseaux sociaux, croyant vraiment avoir entendu ci, vu ça. Il n’en est rien. Mais en ligne, climat de psychose oblige, la rumeur est comme la panique: irrationnelle.

Les journalistes français s’en souviendront: il leur faut aussi vérifier la véracité des paroles de tous ceux qui, ébranlés comme jamais, ont été traumatisés par ces drames.

Excellente année 2016 à tous !

Alice Antheaume

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Faux témoignages sincères: l’effet réseau

Crédit: Flickr/CC/Jean-François Gornet

Crédit: Flickr/CC/Jean-François Gornet

Sur l’antenne de RTL, dimanche soir à 19h, une auditrice affirme avoir “vu de ses yeux un homme charger son arme” à Paris. Un témoignage sincère, mais erroné, qui s’inscrit dans un contexte de psychose collective au lendemain des attentats survenus à Paris et à Saint Denis vendredi 13 novembre. “Lors de la seule soirée de dimanche dernier, plus de 7.000 tweets ont annoncé des fusillades à Paris”, fustige Jean-Marc Four, directeur de la rédaction de France Inter, lors de sa chronique sur la mécanique médiatique de vendredi matin. Des messages écrits à la va-vite indiquant des tirs, ici au Trocadéro, là place de la République ou encore aux Halles.

Résidant aux abords de la place de la République, près de la “war zone” comme la surnomment maintenant mes voisins, j’ai assisté dimanche soir au mouvement de panique de la foule. J’ai vu des jeunes courir ventre à terre se réfugier sous la porte cochère de mon immeuble. Larmes aux yeux, souffle court, ils hurlent: “on a vu les tueurs, on a entendu les tirs, cela a sifflé dans nos oreilles”. Ils sont cinq. Ils pleurent. Ils crient d’effroi. Ils répètent ces mêmes phrases à l’unisson, paniqués, sincèrement paniqués. Ce sont des témoins qui, en toute bonne foi, croient avoir VRAIMENT vu ces tueurs et avoir VRAIMENT entendu des tirs.

J’aurais pu les filmer avec mon smartphone. J’aurais pu publier leurs témoignages sur les réseaux sociaux. D’autant que j’avais moi-même entendu ce qui semblait être une explosion. En outre, j’avais là cinq témoins différents racontant la même histoire, donc l’information pouvait être ainsi recoupée.

Sauf que, quelques secondes plus tard, je recevais des SMS d’amis journalistes m’ordonnant de rester chez moi parce qu’une ampoule ou des pétards avaient claqué place de la République, que des policiers sur les dents avaient mis en joue leurs armes, déclenchant le mouvement de foule qui s’en est suivi.


Colère et grosse fatigue

Dans les rédactions, prises dans le tambour de la machine à laver depuis plusieurs jours, certains confrères s’en prennent aux réseaux sociaux. Y “circulent beaucoup plus de rumeurs infondées que d’informations vérifiées”, continue Jean-Marc Four, sur France Inter.

Je comprends bien sûr leur colère, dans la fébrilité de cette tragédie, mais je ne comprends pas pourquoi, cette fois-ci, elle porte sur les réseaux sociaux. Car, dans l’ensemble, il y a beaucoup moins d’errements en ligne, beaucoup moins de théories de complot que, par exemple, lors des attentats de Charlie Hebdo, il y a dix mois.

Leur agacement provient en fait de ces témoignages aussi sincères que faux, qu’ils craignent de relayer. Brice Dugénie, reporter à RTL, confie à l’antenne sa perplexité lors de la panique dans les rues de Paris de dimanche soir. “Je ne comprends pas exactement ce qu’il se passe (…) Je n’ai entendu aucun coup de feu, j’ai eu deux témoignages de personnes qui m’ont dit en avoir entendu”.

La rumeur est comme la panique: irrationnelle

En ligne, dans le climat de psychose actuelle, “la moindre rumeur, guettée avec avidité, a un impact immédiat et considérable”, écrit Grégoire Lemarchand, responsable des réseaux sociaux à l’AFP.

Méfiance, donc. “Dans ce genre de mouvement, la rumeur est un peu comme la panique, elle est irrationnelle, déraisonnable, tout le monde dit un peu n’importe quoi”, continue Brice Dugénie, au micro de RTL.

En France, le code pénal prévoit la condamnation des fausses informations – jusqu’à deux ans de prison et 30.000 euros d’amende lorsqu’”une destruction, une dégradation ou une détérioration dangereuse pour les personnes va être ou a été commise”. Mais seulement s’il y a une intention de manifeste de “faire croire”. Ce qui n’est pas le cas ici.

Derrière le tweet de ces citoyens, leur statut Facebook, leur SMS, ou même leur interview, nulle volonté de désinformer, mais le réflexe de protéger amis en particulier et followers en général d’éventuelles répliques au carnage qui a déjà provoqué la mort de 129 personnes.

Mécanique de psychose

Pour les journalistes, il est difficile de garder cette mesure dans la sidération, mêlée de fatigue et de chagrin après ces derniers jours. Difficile aussi de questionner la véracité des paroles de tous ces gens, ébranlés comme jamais, traumatisés par l’ampleur des attentats.

Les réseaux sociaux ne sont que le miroir d’une mécanique bien connue en cas de drame collectif. La fébrilité provoque des erreurs de perception qui provoquent des témoignages erronés qui provoquent la rumeur, laquelle est partagée comme une traînée de poudre et génère encore plus de fébrilité.

C’est ce que le professeur de sociologie Gérald Bronner appelle “l’effet Esope” dans son livre La démocratie des crédules. On alimente ses angoisses par des recherches sur le Web qui confirment “l’obsédante intuition du pire”. Résultat, le “marché cognitif est biaisé”, parce que l’on veut savoir si l’on a raison d’avoir peur en allant chercher des informations qui font peur, et parce qu’il y a une surreprésentation d’alertes au détriment des témoignages rassurants. Or, pour Gérald Bronner, ces alertes instillent un “poison d’inquiétude” qui “épuise notre capacité collective à réagir en cas de dangers avérés”.

Alice Antheaume

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Quand Eva Longoria hacke la scène

Crédit: AA

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Grumpy Cat a été la star – à quatre pattes – du festival South by South West à Austin, aux Etats-Unis. Au Web Summit, organisé à Dublin, en Irlande, du 4 au 6 novembre 2014, la tête d’affiche s’appelle Eva Longoria. Invitée à converser avec une journaliste de Vanity Fair, l’actrice de la série Desperate Housewives s’est mis dans la poche les quelque 22.000 participants venus d’abord pour «réseauter», parler nouvelles technologies et trouver des investisseurs pour lancer leur start-up.

«Je n’étais jamais venue en Irlande»

A la question «qu’est-ce qui vous amène au Web Summit?», Eva Longoria a répondu par un éclat de rire décomplexé: «je n’étais jamais venue en Irlande». Avant de préciser: «on m’a invitée à parler de mes investissements qui, dans un monde global, nécessitent différents modèles selon le pays. Une bonne façon de partager ces modèles, c’est de recourir à la technologie».

L’actrice, présentée comme productrice/entrepreneuse/philanthrope, a préféré axer son intervention sur les femmes, une denrée plutôt rare dans les conférences sur les technologies. «J’aimerais encourager toutes les femmes présentes ici à aider leurs jeunes congénères, à devenir leur mentor, à leur montrer la voie. Parce que, sans mentor, le système ne fonctionne pas.» Un discours salué par une salve nourrie d’applaudissements et les flashs des photographes agglutinés près de la grande scène.

Le tollé Kardashian

Pourtant, les geeks ne sont pas public facile. Lors d’une autre conférence dédiée au mobile qui s’est tenue en Californie le 27 octobre, la venue de Kim Kardashian a provoqué une levée de boucliers sur Twitter, avant même qu’elle ne monte sur la scène, sur le thème «que peut-elle nous apprendre sur la technologie?». «C’est une star du mobile», a justifié la journaliste qui l’a invitée, Kara Swisher, arguant que son jeu sur Iphone, Kim Kardashian: Hollywood, génère 200 millions de dollars de revenus. Bien plus, donc, que ce qu’obtiennent la plupart des créateurs de start-up, continue Techcrunch. Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle n’est pas prise au sérieux, Kim Kardashian a confié qu’elle ne le sait «pas très bien». «Peut-être parce que mon succès provient d’une télé-réalité, ce qui peut être négatif pour certains»…

Qui tire la couverture sur qui?

A qui profite la présence de telles célébrités à ces événements arpentés par des entrepreneurs du Web? A la renommée de la conférence? Ou à la star qui accède ainsi à un autre public que son terreau de fans habituels? Sans doute les deux.

Faire venir une star à une conférence numérique, c’est profiter de son influence. Une Kim Kardashian, avec plus de 25 millions d’abonnés sur Twitter, 20 millions sur Instagram, représente une chambre d’écho extraordinaire quand elle évoque un événement en ligne. Et, au delà, cela peut avoir des retombées pour l’économie locale, comme lorsqu’Eva Longoria visite les trésors du pays – le petit déjeuner irlandais, la cathédrale Saint Patrick, un bar de Dublin – dont elle parle sur les réseaux sociaux. A un jour d’intervalle, elle fait ainsi la couverture de deux journaux, le «Irish Independent» puis le «Irish Time».

Des stars qui rayonnent via le réseau

Pour les stars qui investissent dans le numérique, c’est aussi un coup de projecteur sur leurs activités. C’est le cas de Lily Cole, le mannequin au visage en forme de lune. Invitée au Web Summit, elle a présenté sa start-up, impossible.com, une plate-forme de trocs qui permet par exemple d’échanger des cours de tricot contre le design d’un site Web.

Reconversion en vue? «J’ai plus d’amis dans la technologie (dont Jimmy Walles, le co-fondateur de Wikipédia, qui a investi dans impossible.com et la conseille, ndlr) que dans la mode», a-t-elle expliqué. «Je passe un à deux mois par an à jouer des rôles et à faire du mannequinat, pour payer les factures et mettre de la lumière sur mes projets. Le reste du temps, je travaille à cette start-up avec ma petite équipe qui, comme dans toutes les start-up, analyse les data et pense à son développement».

Crédit: AA

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Le partage comme compétence

Ces stars peuvent même avoir des compétences numériques inédites. Kim Kardashian est une championne du partage en ligne. «Toute ma carrière est basée sur les réseaux sociaux», et notamment «dans un environnement mobile», a-t-elle clamé. Flairant le filon, des entreprises de technologie ont même embauché des célébrités pour profiter de leur expérience. «La chanteuse Alicia Keys a travaillé pendant un an au sein du fabricant Blackberry en tant que directrice créative. Une position qu’a également occupé la chanteuse Lady Gaga chez Polaroid», répertorie Lefigaro.fr.

Enfin, la présence d’Eva Longoria et Lily Cole féminine quelque peu le casting. Au Web Summit, seuls 15% des orateurs sont des femmes, regrette l’équipe. Quant au public, il n’est pas non plus très féminin même si l’organisation a offert des billets gratuits à des femmes triées sur le volet – pour un montant total de 250.000 euros, ce qui, si l’on se réfère au prix d’un billet à 800 euros, fait 312 billets.

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Alice Antheaume 

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Le bingo des questions les plus fréquentes sur le journalisme numérique

Crédit: Flickr/CC/Robert Banh

Crédit: Flickr/CC/Robert Banh

«Nous vivons l’âge d’or du journalisme». «La liberté de la presse est le fondement de toute démocratie». Telles sont quelques unes des phrases que deux étudiants de l’Université de Boston ont le plus entendues cette année de la bouche de journalistes professionnels venus leur parler. Pour en rire, ils ont en fait un bingo, crayonné à la va-vite. Cela m’a donné l’idée de réaliser, à mon tour, une grille de bingo avec les questions qui reviennent le plus souvent de la part des étudiants et des journalistes professionnels. Et, sous la grille, des tentatives de réponses claires.

Peut-on enquêter en restant scotché à un écran?

Ce que pense celui qui pose cette question : Enquêter en ligne, ce n’est pas de la vraie investigation journalistique.

Réponse : Oui, on peut enquêter derrière un écran. L’activité des internautes, de tous ceux qui s’expriment sur le réseau, évoquant ici des sujets professionnels ou là la situation sociale, économique ou politique de leur pays, s’observe au moins autant que la vie des citoyens dans la rue. C’est même un terrain inépuisable qui mérite bien sûr une couverture éditoriale. Derrière un écran, les journalistes peuvent aussi interroger des chiffres extraits de bases de données, comme cela a été fait avec le projet «The migrant files», qui retrace le parcours de plus de 23.000 migrants ayant trouvé la mort sur leur chemin vers l’Europe depuis 2000. Un travail titanesque. Autre exemple d’investigation faite à partir de données en ligne et publiée sur lemonde.fr: comment est répartie la réserve ministérielle? Autant dire que la qualité d’une enquête ne tient pas à la fraîcheur de l’air que le journaliste respire mais à ce travail scrupuleux, laborieux même, de décorticage d’éléments (données ou autres) en vue de trouver une information inédite.

Les journalistes numériques ne vont jamais sur le terrain, si?

Ce que pense celui qui pose cette question : Le journalisme numérique, ce n’est pas du vrai journalisme.

Réponse : Il est vrai qu’il y a quelques années, les journalistes numériques travaillant sur des sites des presse n’ont, au départ, pas été encouragés à sortir de leur rédaction, englués dans du bâtonnage de dépêche inutile. C’est heureusement de l’histoire ancienne. RTL.fr délègue la production de ses dépêches à… l’AFP. Lefigaro.fr envoie en reportage longue durée des journalistes du Web, pour couvrir des événements comme le festival de Cannes ou des courses de voile. Quatre journalistes du Monde.fr ont été envoyés au festival South by South West à Austin. Car ces sites ont maintenant compris que leur plus-value tient à leur capacité à sortir des contenus inédits, que leurs concurrents n’auront pas, publiés dans des formats adaptés à la consommation d’informations en ligne. Pour ce faire, ils ont besoin de journalistes sachant jongler entre la production en temps réel (tweets, vidéos, photos) et celle de longs formats, papiers magazines, dans une temporalité moins chaude.

Les gens vont-ils un jour payer pour de l’information en ligne?

Ce que pense celui qui pose cette question : Ce serait quand même bien qu’ils paient pour avoir accès à des informations.

Réponse : Selon le rapport Digital News Report 2014 du Reuters Institute for the Study of Journalism, une personne sur dix seulement a payé – pour un article ou pour un abonnement – pour accéder à de l’information en ligne en 2013 en Angleterre, France, Allemagne, Italie, Finlande, aux Etats-Unis et au Japon, Danemark et Brésil. Quant aux sondés ayant déclaré n’avoir pas payé pour des contenus en ligne l’année dernière, ils ne sont pas tous prêts à le faire dans le futur – en France seuls 11% seulement d’entre eux s’y disent plutôt favorables, quand, au Brésil, le pourcentage monte à 61%.

Les paywalls ne marchent pas alors?

Ce que pense celui qui pose cette question : Mais comment va-t-on s’en sortir?

Réponse : C’est l’obsession d’un nombre grandissant de rédactions françaises – Lepoint.fr, Lexpress.fr, lefigaro.fr, même si, pour l’instant, la stratégie du paywall n’a pas vraiment fait ses preuves. «On voit souvent qu’au moment de leur lancement, les paywalls et applications payantes trouvent une croissance facile pendant un temps, mais ensuite il y a un décrochage – même les lecteurs fidèles s’épuisent», analyse Nic Newman, le rapporteur du Digital News Report 2014. Pour réussir son paywall, deux conditions sont nécessaires, a déjà écrit Frédéric Filloux, auteur de la Monday Note:
1. avoir des contenus à haute valeur ajoutée qui justifient qu’ils soient payants (voilà pourquoi l’information économique et financière a plus de chance d’être monnayée que de l’information généraliste)
et 2. disposer d’un spécialiste des données et statistiques qui traque les itinéraires des utilisateurs, pour comprendre pourquoi, quand ils se heurtent au paywall, ils font machine arrière ou, à l’inverse, décident de s’abonner.

Pourquoi mon reportage n’apparaît-il pas sur la une du site?

Ce que pense celui qui pose cette question : Mais qu’est-ce qu’ils font, au service Web?

Réponse : Parce que tous les reportages n’ont pas vocation à figurer sur la une du site, surtout lorsque la temporalité ou le sujet ne s’y prête pas. Consolation ou non, les unes des sites d’information ne sont pas toujours des carrefours d’audience. Ce qui compte, c’est que le reportage soit en ligne, et qu’il puisse être partagé sur les réseaux sociaux et référencé dans les moteurs de recherche.

Pourquoi mon reportage est-il au même niveau que cette brève sur Rihanna?

Ce que pense celui qui pose cette question : Qu’est-ce que c’est que cette hiérarchie des informations?

Réponse : En ligne, on ne hiérarchise pas les informations comme on le ferait dans un journal télévisé ou sur la couverture d’un magazine. Certes, toutes les informations ne se valent pas, mais leur emplacement n’est pas le seul critère pour déterminer leur importance. Il faut compter avec l’enjeu du taux de rebond des sites d’informations. Pour éviter que les internautes s’en aillent aussi vite qu’ils sont venus, l’architecture d’une page est travaillée de telle sorte que le visiteur puisse, après avoir atterri sur un contenu, en butiner d’autres – d’où des liens omniprésents, des colonnes remplies de recommandations, etc. Chacun comprendra qu’après la lecture d’un reportage sur l’offensive à Gaza une brève sur Rihanna puisse constituer une pause appréciable pour le visiteur qui, au final, reste plus longtemps sur le média.

Pourquoi n’envoie-t-on pas de push pour mon reportage?

Ce que pense celui qui pose cette question : Mais qu’est-ce qu’ils font, au service Web?

Réponse :
Le push sur mobile est un art compliqué. Il ne faut pas s’y tromper, car les alertes sont à double tranchant : envoyées au bon moment, et sur les bons sujets, elles boostent l’audience de façon phénoménale et poussent le lecteur à ouvrir l’application, tout en «lissant» les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Mais, trop fréquentes ou mal éditées, elles peuvent provoquer l’agacement des utilisateurs. Hors de question, donc, d’envoyer 30 alertes par jour au risque de perdre ses abonnés. Il faut choisir les contenus à «pusher» et ne pas systématiser ce traitement.

Où trouver le temps d’aller – en plus du reste – sur les réseaux sociaux?

Ce que pense celui qui pose cette question : Les journées ne font que 24 heures.

Réponse : Les réseaux sociaux ne sont plus une option pour les journalistes en exercice, à la fois pour y faire de la veille, pour y trouver des témoins et pour interagir avec leurs lecteurs. Il faut donc s’organiser autrement pour trouver le temps, non seulement d’y aller, mais aussi d’y «cultiver son jardin» en mettant à jour la liste des personnes que l’on suit en fonction de l’actualité. Par ailleurs, les réseaux sociaux ne se réduisent pas à Facebook et Twitter, il y a aussi Reddit ou Pinterest, lequel apporterait maintenant à Buzzfeed plus de trafic que Twitter parmi les réseaux sociaux pourvoyeurs d’audience.

Vaut-il mieux aller vite ou vérifier?

Ce que pense celui qui pose cette question : Dites moi qu’il vaut mieux vérifier.

Réponse : Il y a une tension évidente entre, d’un côté, l’instantanéité de l’information et, de l’autre, l’impératif de vérification journalistique. Dans tous les cas, il vaut mieux prendre le temps de vérifier. Car la faute de carre, si vite arrivée en temps réel, entame durablement la crédibilité d’un journaliste qui se serait trompé. La radio américaine NPR a dû le rappeler à toutes ses troupes ce mois-ci: «tweeter ou retweeter, c’est cautionner l’info». «C’est comme si vous disiez le tweet ou le retweet à l’antenne. Donc si cela nécessite du contexte, une source, des éclaircissements ou même un démenti, donnez-le.»

Comment vérifier un tweet?

Ce que pense celui qui pose cette question : C’est mission impossible, non?

Réponse : C’est une question de méthodologie. Il y a cinq étapes, détaillées ici, pour s’assurer qu’un témoignage, publié sur un réseau social, est authentique, ou qu’une image n’est pas un photomontage ou un vieux cliché ressorti des limbes. Il faut commencer par identifier l’auteur du contenu, fournir le contexte, recouper l’information, décoder la technique et surveiller ce qu’il s’en dit sur le réseau. Dernier conseil, il faut songer à prendre des captures d’écran de tous les éléments repérés en ligne (tweets, photos, messages) et les enregistrer hors ligne (vidéos) – ils peuvent disparaître ou être modifiés à tout moment.

Pourquoi m’insulte-t-on en ligne?

Ce que pense celui qui pose cette question : Je joue le jeu de l’interaction, et c’est tout ce que j’obtiens, comme gratification?

Réponse : L’univers numérique est peuplé de trolls. «A la fin des années 90, on pensait que l’on pourrait capturer l’intelligence de l’audience. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé», déplore Nick Denton, de Gawker. En ligne, c’est vrai, une foule de commentaires toxiques ou insultants le dispute à quelques interactions pertinentes. Ne perdez pas patience, et, surtout, ne répondez pas aux insultes – allez plutôt prendre un café ou punaisez les pires saletés repérées en ligne sur le mur pour amuser la galerie, cela permet de relativiser.

Et si j’écrivais dans ma biographie «mes tweets n’engagent que moi»?

Ce que pense celui qui pose cette question : Comme ça, je me dédouane de toute responsabilité par rapport à mon employeur.

Réponse : Mauvaise idée. Quand on est journaliste, les tweets que l’on écrits, les retweets que l’on fait, engagent la rédaction pour laquelle on travaille. Même il est écrit l’inverse dans sa biographie.

Et si j’avais un compte Twitter pro et un compte Twitter perso?

Ce que pense celui qui pose cette question : Comme ça, je me dédouane de toute responsabilité par rapport à mon employeur.

Réponse : Mauvaise idée. Reuters l’a un temps préconisé en 2010 mais en est revenu depuis. L’agence préconise désormais de contextualiser les messages postés en ligne en précisant dans son guide : «vous devez vous identifier comme journalistes de Reuters et déclarer au besoin que vous parlez pour vous, pas au nom de Thomson Reuters».

Que veut-dire «engager» l’audience?

Ce que pense celui qui pose cette question : Pourrait-on utiliser un vocabulaire plus précis, s’il vous plaît?

Réponse : A chaque conférence ou table ronde sur le journalisme, le mot «engagement» est répété à l’envi. A l’origine, en anglais, il désigne des fiançailles. Dans l’univers journalistique, c’est quasi devenu un mot valise qui désigne à la fois la nouvelle relation entre journalistes et lecteurs, les types d’interactions de l’audience avec les contenus et leur mesure. Pour savoir qui l’emploie dans quel sens dans les rédactions françaises et anglo-saxonnes, par ici.

Que veut dire «diversifier ses activités» pour un média?

Ce que pense celui qui pose cette question : Je suis journaliste. Peut-on me demander d’être serveur?

Réponse : Cette expression, beaucoup utilisée en début d’année pour évoquer l’avenir de Libération, signifie trouver des revenus autrement qu’en produisant des informations. Par exemple en proposant des formations (Rue89, France24/RFI), en se tournant vers l’événementiel (Le Télégramme et l’organisation de courses de voile, Amaury, éditeur du Parisien-Aujourd’hui en France, et l’organisation du Tour de France, les forums Libé, la fête de l’Huma, le festival Le Monde en septembre prochain, etc.), ou en créant des technologies que l’on peut revendre ensuite à d’autres… L’idée, au final, c’est de suppléer les revenus moribonds autrefois générés par la publicité. Et non, un employeur ne peut pas demander à un journaliste de devenir serveur.

Qu’entendre par «il faut expérimenter des choses en ligne»?

Ce que pense celui qui pose cette question : Pourrait-on avoir une vision éditoriale plus précise, s’il vous plaît?

Réponse : On attend des journalistes numériques qu’ils testent des nouvelles interfaces, des nouveaux formats, de nouvelles formes d’interactions avec l’audience. Bref qu’ils expérimentent, avec un état d’esprit proche de la version beta permanente. L’innovation ne se décrète pas pendant une réunion, elle se construit comme dans un laboratoire, chaque jour de l’année. «L’expérimentation, ce n’est pas seulement essayer quelque chose de nouveau, c’est adopter une méthode rigoureuse, scientifique, pour éprouver des nouveautés et les tordre dans tous les sens pour les rendre les plus performantes possibles», est-il écrit dans le mémo du New York Times. Et de citer l’exemple de la page d’accueil de The Verge, qui a été redessinée 53 fois en deux ans.

Quel est, pour l’information, le modèle économique du futur?

Ce que pense celui qui pose cette question : Que devrait-on changer pour survivre?

Réponse : Personne ne le sait. Une chose est sûre, les vieux modèles ne fonctionnent plus – paywalls, modèles basés sur les revenus publicitaires, applications payantes… Si, pour David Spiegel, de Buzzfeed, le salut figure dans le «native adversiting» – 40% des 10 milliards de dollars investis dans des publicités sur les réseaux sociaux d’ici 2017 -, pour Justin Ellis, du Nieman Lab, la clé pour fonder un modèle viable, c’est de récupérer toutes les données possibles sur son audience. «Qui sont vos lecteurs? Combien de temps passent-ils avec vous? Combien dépensent-ils pour vous? Où habitent-ils? Combien gagnent-ils?» Cela signifie avoir un système d’analyse des statistiques ultra performant. «Regardez Netflix», continue Justin Ellis. «Ils savent quelle série va plaire à leur audience, car ils vous connaissent très bien. Des centaines d’ingénieurs travaillent sur l’algorithme de Netflix pour encore mieux vous cerner et savoir quel programme ils vont vous proposer – parce qu’ils sont sûrs que vous allez le regarder».

Qui embauche des journalistes aujourd’hui?

Ce que pense celui qui pose cette question : Où pourrais-je travailler?

Réponse : Difficile de répondre à cette question en quelques lignes tant le spectre des employeurs est large – télévisions, chaînes d’information en continu, boîtes de production, agences de presse, sites de presse, pure-players et même nouveaux entrants comme Buzzfeed, Circa, et bientôt Briefme, le nouvel projet de Laurent Mauriac, ex-Rue89, ou NOD: News On Demand, un service de rattrapage de l’actualité développé par Marie-Catherine Beuth, ou encore GoMet, sur l’actualité de la métropole d’Aix Marseille Provence, créé par Amandine Briand, diplômée de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, lauréate de la bourse start-up de l’information de Google, pour lequel elle vient de recruter un journaliste, Jérémy Collado, ancien de sa promotion.

Les chiffres sur les secteurs où travaillent les journalistes disposant de la carte de presse en France sont peu fiables. Selon les statistiques de 2013, le plus gros des troupes travaillerait en “presse écrite” (66%), une catégorie un peu fourre-tout qui comprend la presse quotidienne nationale, la presse quotidienne régionale, les agences de presse comme Reuters ou l’AFP, mais aussi les sites d’informations des quotidiens et magazines ainsi que les pure players. Pas étonnant, donc, que cette catégorie fasse le plein, devant la télévision (14,8%), la radio (9,5%) et la production audiovisuelle (2,5%). Quant à la véritable part du numérique dans les embauches, elle est sous-estimée car, toujours selon ces statistiques de la CCIJP, la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, ceux qui travaillent, par exemple, pour les sites de Radio France sont répertoriés dans la catégorie radio tandis que ceux qui produisent sur France TV Info figurent dans la catégorie télévision.

Pourquoi ne s’inspire-t-on pas du New York Times?

Ce que pense celui qui pose cette question : Eux ont l’air de réussir, et si on faisait pareil?

Réponse : Le New York Times est une licorne qui peuple l’imagination de nombreux responsables de rédaction, lesquels tentent de calquer leur stratégie éditoriale sur une utopie. Mais encore faudrait-il pouvoir comparer ce qui est comparable. Car qui a un service de 445 développeurs et la capacité de dédier une vingtaine de journalistes, encadrés le lauréat de deux prix Pulitzer, pour une application mobile comme celle lancée en avril, NYT Now? Malheureusement personne en France.

C’est le retour de l’infographie?

Ce que pense celui qui pose cette question : On en produisant déjà quand le numérique n’était pas encore né.

Réponse : L’infographie est en effet un format vieux comme l’imprimé. Mais elle fait florès en ligne grâce aux outils comme Datawrapper ou Infogr.am. Elle devient alors «embeddable», donc partageable… Si elle agrège des données, et les rend lisibles à grands renforts d’effets visuels, cela peut s’appeler de la data visualisation. Le pure-player Quartz en a fait l’un de ses ingrédients-clés, au point d’avoir développé en interne un outil appelé Chartbuilder pour permettre à des journalistes «dont les compétences sont limitées de créer des graphiques». «Savoir construire un graphique est une compétence requise pour faire partie des journalistes de la rédaction», estime Kevin Delaney, le rédacteur en chef de ce site dont la moitié des contenus publiés comportent des graphiques. Prochain enjeu pour l’infographie? La rendre mobile compatible.

Que veut dire «Web first»?

Ce que pense celui qui pose cette question : Que veut dire «Web first»?

Réponse : «Web first, print later» (le Web d’abord, le print ensuite), peut-on lire sur le site de la Columbia Review. C’est l’idée de publier d’abord en ligne avant de songer à ce qui sera imprimé ou diffusé à l’antenne. Cela suppose, dans les médias traditionnels, une réorganisation totale du circuit de la copie avec des conférences de rédaction qui déterminent les contenus numériques à publier avant de décider de la nature des publications pour l’imprimé, l’antenne, etc. Cela suppose aussi une révision du management avec le recrutement de profils sachant diffuser, promouvoir, susciter le partage des contenus, parler le langage des journalistes et celui des développeurs et lancer des innovations à la fois éditoriales et technologiques.

Que veut dire «mobile first»?

Ce que pense celui qui pose cette question : Que veut dire «mobile first»?

Réponse : Si «Web first» signifie «Web first, print later», alors «mobile first» devrait signifier «mobile first, desktop later» (le mobile d’abord, le site ensuite). De fait, tous les signaux sont au vert pour que 2014 soit «l’année de la mobilité», comme l’a dit Isabelle André, présidente du Monde Interactif, lors du lancement de la nouvelle application du Monde. Pour l’instant, les rédactions traditionnelles ont tendance à faire les mêmes erreurs que lorsque le Web est arrivé, c’est-à-dire qu’elles dupliquent sur mobile ce qui existe déjà sur leur site d’informations, comme elles dupliquaient sur le Web ce qu’elles produisaient déjà pour l’imprimé. Or il faudrait sans doute, pour bien faire, proposer d’autres formats, et sans doute d’autres sujets aussi, pour le mobile que ce qui est publié sur le site. Avec, en plus, une rédaction dédiée au mobile.

A quoi va ressembler notre métier dans 10 ans?

Ce que pense celui qui pose cette question : Est-ce que l’évolution de notre profession va me plaire?

Réponse : Vu l’ampleur de la mutation du journalisme ces 10 dernières années, entre 2004 et 2014, on peut sans risque anticiper des bouleversements dans les pratiques et les usages au moins aussi extraordinaires pour la prochaine décennie. Au programme: cap sur le mobile, beaucoup de data, du journalisme sécurisé et la cohabitation avec des algorithmes. Plus sans doute d’autres expériences de consommation d’information qui ne sont pas encore nées.

Si j’ai oublié des questions à ce bingo, n’hésitez pas à me les signaler, sur Twitter ou sur Facebook.

Alice Antheaume

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Vous savez que vous êtes journaliste quand…

Crédit: Flickr/CC/Lisa Padilla

Crédit: Flickr/CC/Lisa Padilla

Fin d’année scolaire oblige, une nouvelle salve d’étudiants sortent diplômés de l’Ecole de journalisme de Sciences Po et commencent leur vie professionnelle en tant que journalistes. Après deux ans de travail intense, de veille acharnée à la recherche d’informations inédites, de revues de presse, d’enregistrements de flashs, d’écriture de reportages, d’enquêtes, d’animation de “lives”, de travail d’équipe, et d’interactions avec l’audience, une foule de petits détails trahissent maintenant leur profession.

Une fois n’est pas coutume sur ce blog, voici une note humoristique pour leur faire un clin d’oeil de fin d’année.

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Alice Antheaume

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Ce que révèle le mémo interne du New York Times

Crédit: Flickr/CC/alextorrenegra

Crédit: Flickr/CC/alextorrenegra

“Le New York Times fait du bon journalisme mais ne maîtrise pas l’art de faire venir les lecteurs à son journalisme”. Le rapport interne intitulé “Innovation” du New York Times, qui a fuité sur le Net il y a quinze jours, est une saine lecture. Parce qu’il dresse un portrait sans concession de l’une des rédactions les plus prestigieuses au monde, laquelle n’a pourtant – comme beaucoup d’autres d’ailleurs – pas encore saisi l’urgence à évoluer pour survivre à l’ère numérique. Si vous avez la flemme de parcourir l’intégralité de ses quelque cent pages en anglais, voici ce qu’il faut en retenir.

A noter, le New York Times veut revoir la configuration de sa réunion réservée aux chefs et dévolue à la couverture du quotidien, la fameuse “Page One”, pour l’axer davantage sur le numérique. Cette annonce survient alors que le rapport déplorait la trop grande attention portée à cette couverture au détriment d’autres enjeux éditoriaux, et notamment le mobile, la vidéo, etc.

The Full New York Times Innovation Report

  • Avoir la (bonne) concurrence à l’oeil

Les compétiteurs du New York Times ne s’appellent ni CNN ni le Wall Street Journal, mais Buzzfeed, Circa, Flipboard, Yahoo! News, Quartz. Tous des pures-players qui, sans le carcan des organisations traditionnelles, sans le poids des traditions, se concentrent sur le développement de l’audience via des équipes chevronnées en la matière. Résultat, “The Huffington Post et Flipboard font venir une plus grosse audience sur les contenus du New York Times qu’ils agrègent que ce que nous arrivons à faire nous-mêmes”.

Un comble alors que les rédacteurs en chef du New York Times “passent beaucoup de temps à lire les productions des autres rédactions”, mais n’analysent ni leurs stratégies éditoriales sur mobile, ni leur présence sur les réseaux sociaux, quand ils n’oublient pas de regarder ce que font ces nouveaux entrants, qu’ils ont du mal à considérer comme des rivaux sérieux.

  • Abandonner la culture du “print”

Le rapport le martèle: du sol au plafond, il y a urgence à bouger et à se débarrasser de cette culture du papier qui handicape la mutation numérique du New York Times. “Cela ne suffit pas d’être une rédaction intégrée. Nous devons être une rédaction numérique, dans laquelle un petit groupe s’occupe du print”, lâche un éditeur du titre.

Car, même si les trois quart des revenus proviennent encore du papier (abonnements et publicités), les lecteurs, eux, sont en majorité présents sur le numérique (Facebook, Twitter, abonnés aux newsletters, aux alertes, lecteurs sur mobile ou ordinateur…).

Trop souvent les journalistes du New York Times considèrent que leur travail est terminé sitôt leur article publié, alors qu’en ligne, tout commence à ce moment-là. “Quand nous n’étions qu’un journal, se focaliser sur l’imprimé faisait sens. Mais nous devons maintenant jongler entre le papier, le Web, les applications, les newsletters, les alertes, les réseaux sociaux, les vidéos, une édition internationale et d’autres produits encore” comme la récente application mobile NYT Now.

  • Casser les barrières entre l’Eglise et l’Etat

Problème, dans la rédaction du New York Times, ce qui n’est pas du pur journalisme – comprendre l’écriture – paraît être un gros mot. Connaître son audience et savoir où et comment la trouver ne fait donc pas partie des priorités. En interne, il y a un vrai mur entre l’Eglise et l’Etat, entre la rédaction et les autres services, lesquels sont pourtant richement dotés (30 dans le service “Analytics” qui décortique les statistiques, 445 développeurs, 120 chefs de projet, 30 graphistes). Eux bouent de ne pas connaître les requêtes des journalistes pour remplir leur mission, et la rédaction nourrit une peur viscérale de se faire “manipuler” par des intérêts marketing quand elle n’est pas débordée par le quotidien.

“Améliorer les passerelles et les collaborations avec les ingénieurs, les graphistes, ceux qui s’occupent des statistiques et des données, et ceux qui font de la recherche et du développement, ne représente aucune menace pour nos valeurs journalistiques”, insistent les auteurs pour évangéliser leurs collègues.

  • Regarder de près les statistiques

De ce mur étanche découlent des décisions éditoriales à côté de la plaque: la majorité des contenus sont publiés le soir alors que le prime time, en ligne, a lieu le matin tôt; des informations de qualité sont mises en ligne le dimanche, un jour pourtant peu fréquenté en ligne. Grâce aux statistiques, cela serait pourtant vite corrigé.

Comment, dans ces conditions, l’audience peut-elle croître? Et, conséquence indirecte, comment le New York Times peut-il attirer des génies du numérique si la direction du titre se focalise sur le papier?

  • Revoir le recrutement 

En effet, la gestion des ressources humaines n’est pas épargnée dans ce rapport. Là encore, la culture du print a tendance à régir les recrutements. Ce qui compte pour être embauché ou promu au New York Times, c’est d’être un bon reporter. Or cette qualité, si elle était essentielle lorsque les journaux étaient hors ligne – quoique cela se discute pour les postes de rédacteurs en chefs -, ne suffit plus aujourd’hui. Connaître son audience, savoir diffuser, promouvoir, susciter le partage, et lancer des innovations à la fois éditoriales et technologiques, sont d’autres compétences nécessaires. Mieux encore, il faut trouver des profils sachant parler le langage des journalistes et celui des développeurs.

  • Comprendre les démissionnaires

D’ailleurs, la partie la plus intéressante du rapport détaille les raisons pour lesquelles des employés travaillant sur le numérique au New York Times sont partis. “Quand il te faut vingt mois pour construire quelque chose, tu progresses moins en capacité à innover qu’en capacité à naviguer au milieu d’une bureaucratie”, fustige l’un. “Je suis parti pour prendre des responsabilités plus vite ailleurs, dans un environnement moins rigide et pourvu d’une meilleure connaissance des réelles possibilités offertes par le journalisme numérique”, précise un autre. En creux, il transparaît que les compétences de ces profils numériques ne sont pas reconnues comme telles par leurs chefs.

Pire, quand ils ne sont pas journalistes, les employés travaillant au développement, au marketing, sur les données, ne comprennent pas pourquoi ils devraient rester en seconde zone. Car l’autre handicap du New York Times, c’est que les services non journalistiques ne cohabitent pas avec la rédaction. L’un des responsables de la section “Reader Experience” le regrette: “si nous ne servons pas la rédaction, nous ne pouvons pas faire notre métier”.

Un ancien d’Upworthy, Michael Wertheim, a même refusé de rejoindre le New York Times. Selon lui, la mission qui lui aurait été dévolue aurait été impossible tant que la rédaction n’acceptait pas de travailler avec le marketing pour réussir à faire décoller son audience. Quant aux développeurs de génie, très demandés par ailleurs, ils ne peuvent se satisfaire de la situation. Kevin Delaney, le rédacteur en chef de Quartz, le sait bien: “les développeurs comprennent ce qu’il faut faire quand ils impliqués dans le quotidien des journalistes. Ils ne prennent pas d’ordre” sans voir.

  • Faire de l’expérimentation une méthode

Conséquence, l’expérimentation n’est pas au niveau. Celle-ci ne se réduit pas à SnowFall, un format salué partout. “L’expérimentation, ce n’est pas seulement essayer quelque chose de nouveau, c’est adopter une méthode rigoureuse, scientifique, pour éprouver des nouveautés et les tordre dans tous les sens pour les rendre les plus performantes possibles”. Et de citer l’exemple de la page d’accueil de The Verge, qui a été redessinée 53 fois en deux ans.

  • Investir dans les technologies

“Je préfère avoir un outil pour faire des SnowFall plutôt que d’avoir un seul SnowFall”, reprend Kevin Delaney, de Quartz. Lui a un outil, appelé Chartbuilder, développé en interne, conçu pour permettre à des journalistes «dont les compétences graphiques sont limitées de créer des graphiques». Dans le même esprit, Buzzfeed a développé son propre outil de quiz.

Là aussi, les concurrents du New York Times ont une longueur d’avance. Plutôt que de s’investir dans un contenu unique comme SnowFall, ils construisent la technologie qui va leur permettre de systématiser les SnowFall en déclinant le format en fonction de l’histoire racontée. Une logique qui n’est pas celle du New York Times. Or, selon Jonah Peretti, le patron de Buzzfeed, rater la marche pour effectuer de tels investissements – dans les formats, les outils d’analyse, l’optimisation – est quasi inrattrapable.

Les auteurs du rapport enfoncent le clou en démontrant qu’il n’y a pas de réel suivi des projets au New York Times, qu’ils soient réussis ou ratés. “Notre page d’accueil dédiée à une audience internationale ne marche pas, mais nous continuons à y consacrer des ressources (…) Nous avons fermé The Booming Blog mais sa newsletter est toujours en activité.” Certes, tirer les leçons des échecs ou des semi-échecs est difficile mais c’est une pratique très usitée chez les mastodontes du Web – “Si on n’a pas de temps en temps un gros plantage, c’est qu’on ne prend pas assez de risques”, argue Larry Page, le co-fondateur du moteur de recherche Google.

  • Booster le trafic en provenance des réseaux sociaux

Au New York Times, “nous aimons laisser notre travail parler de lui-même. Nous ne sommes pas du genre à nous en vanter”, pointe encore le rapport. Autant dire que cette attitude n’est pas adaptée à l’ère des réseaux sociaux, où l’offensive est de mise. Même Pro Publica, que le rapport compare à un “ bastion de journalistes old-schools”, s’y est mis. Ils doivent soumettre, pour chaque papier, pas moins de cinq tweets. Au Huffington Post, un contenu ne sort pas sans titre SEO, sans photo, sans tweet ni post sur Facebook.

Rien de tout cela au New York Times, dont 10% seulement du trafic provient des réseaux sociaux – alors qu’à Buzzfeed, c’est 75%. D’ailleurs, c’est assez incongru pour être mentionné, ce sont des journalistes qui s’occupent du compte Twitter, mais la page Facebook du New York Times est, elle, gérée par le marketing. En la matière, les journalistes sont, précise le rapport, en manque de repères. Ils hésitent encore entre engager une conversation avec leurs lecteurs sur les réseaux sociaux ou tout couper pour produire un autre papier.

  • Faire le deuil de la page d’accueil

D’autant qu’au New York Times comme ailleurs, la mutation des usages a bouleversé la consommation d’informations qu’ont les lecteurs. “Notre page d’accueil, qui a longtemps été notre principal outil pour attirer des lecteurs, s’est fanée. Seul un tiers de nos visiteurs y passe. Et ce tiers y passe de moins en moins de temps.” Une tendance que l’on retrouve aussi sur les sites d’informations français dont la page d’accueil n’est plus un carrefour d’audience mais reste statutaire, comme ce WIP l’avait montré.

Quant aux alertes du New York Times, elles atteignent près de 13,5 millions de lecteurs, soit 12 fois plus que le nombre d’abonnés de l’imprimé. Là aussi, on connaît la force des pushs sur mobile, par exemple sur une application comme celle du Monde.

chiffresNYT

  • Discuter avec ses lecteurs

Malgré cela, l’engagement de l’audience reste faible, ce dont témoigne aussi le système de commentaires – 1% seulement des lecteurs commentent les contenus, et seuls 3% d’entre eux lisent ces commentaires. C’est d’autant plus dommage que le New York Times est lu par des lecteurs très influents qui n’ont de cesse de proposer des tribunes – environ 12 par jour qui, bien sûr, ne peuvent pas être toutes éditées dans la section “Opinions”. Pourquoi ne pas lancer des plates-formes hébergeant ces propositions écrites par des invités?, demandent les auteurs du rapport, rappelant que “beaucoup d’éditeurs en tirent une hausse d’audience”, comme Medium.

  • Communier dans un festival 

L’une des pistes avancées pour renouer avec la communauté du New York Times? Créer des événements – comme Libération et ses forums et le nouveau festival lancé par Le Monde. “On se demande pourquoi les conférences TED, dont le ticket d’entrée aux Etats-Unis coûte 7.500 dollars, n’auraient pas pu être imaginées par le New York Times”, déplorent les auteurs, citant la théorie selon laquelle l’engagement en ligne s’apparenterait à un cocktail. “Les gens ne veulent pas parler à des étrangers, ils veulent parler à leurs amis et à des personnalités importantes”. Et de conclure: “si Facebook s’occupe de la partie amis, le New York Times pourrait gérer la partie VIP” avec, par exemple, un festival payant qui aurait lieu chaque année et proposerait des tables rondes sur les informations les plus importantes de l’année, des interviews avec les reporters du New York Times, des séances vidéos et photos, etc.

  • Taguer toutes les archives

Autre lacune identifiée dans le rapport: les contenus du New York Times ne sont pas tagués correctement. Et pourtant, il y en a beaucoup – 14,7 millions de contenus, de 1851 à nos jours. De plus, chaque jour, le New York Times génère environ 300 liens supplémentaires. Une richesse inouïe d’archives qui pourraient être ressortis facilement si tant est qu’on puisse les identifier via des métadonnées associées. Or “vos archives sont remplis de trucs qui n’ont aucune valeur puisque vous ne pouvez pas les retrouver et vous ne savez pas de quoi ces trucs parlent”, juge John O’Dononvan, du Financial Times.

Sans structure organisée à la Netflix, et “même s’ils sont difficiles à trouver lorsqu’ils datent de plus d’une semaine”, les contenus arts et culture sont parmi les plus lus bien après leur publication, selon une étude effectuée sur les six derniers mois de 2013. C’est logique puisque les lecteurs ont besoin de la critique d’un film, d’un spectacle, au moment où ils souhaitent les voir – et pas forcément quand le journaliste a rendu son papier.

  • Géolocaliser les contenus

Les auteurs du rapport proposent que, lorsqu’un lecteur arrive à proximité d’un restaurant sur lequel le New York Times a écrit, il se voit proposer automatiquement sur son smartphone ce contenu – comme le fait Foursquare, qui sait dans quel coin vous êtes et peut vous proposer des commentaires de vos amis sur les lieux avoisinants. “Alors que 60% de nos lecteurs nous lisent via mobile, nous ratons l’occasion de leur servir des contenus pertinents en fonction de l’endroit où ils se trouvent, parce que nous n’avons pas tagué nos contenus avec des coordonnées GPS.”

L’exemple de Circa, l’application mobile dont j’ai déjà parlé ici, est encore plus abouti: non seulement les contenus ont chacun des métadonnées mais ils sont même séquencés en atomes qui ont, eux aussi, des métadonnées associées. Cela signifie que, plutôt que de ressortir le contenu en intégralité, on peut faire remonter seulement un paragraphe, un graphique, une vidéo du contenu en fonction de l’actualité.

  • Préparer des “bouquets” de sujets pour chaque actualité

Enfin, les auteurs estiment qu’il leur faut vite avancer les pions d’une stratégie éditoriale adaptée aux différentes temporalités du Web, en jonglant entre le temps du “breaking news”, comme cela a été le cas lorsque le joueur de football américain Michael Sam a révélé en exclusivité son homosexualité, le temps de l’opinion, en pensant à caler une tribune d’invité sur le sujet pour le jour-même, l’agrégation de tweets-réactions à la révélation du sportif, et le long format à ressortir des archives (il y en avait un datant de 2011 sur les coming out). Toutes les ressources sont déjà là, il n’y a plus qu’à…

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Alice Antheaume

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5 tendances numériques à South by Southwest 2014

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Des participants venus de 74 pays (contre 55 l’année dernière), un pavillon dédié à la «French tech», un autre à l’Allemagne, des discussions sur la surveillance, la vie privée, les adolescents et les algorithmes qui préoccupent la planète entière… L’édition 2014 de South by Southwest, qui s’est tenue du 7 au 11 mars à Austin, au Texas, était plus internationale que celle de 2013, avec ce «petit goût d’étranger» que n’a pas manqué de souligner CNN. Que retenir des quelque 800 conférences qui se sont enchaînées en quelques jours à un rythme effréné?

1. Les dissidents de la surveillance

Invité star de South by Southwest 2014, Edward Snowden, l’homme le plus traqué au monde pour avoir révélé les méthodes de surveillance de la NSA, l’agence de sécurité américaine, s’est exprimé depuis la Russie via une liaison vidéo aussi sécurisée qu’instable.

Dans le hall de l’Austin Convention Center, où ont été diffusées les images de son intervention, près de 4.000 personnes l’ont écouté dans un silence quasi religieux. Snowden, sachant qu’il s’adressait à un parterre de geeks, a comparé la NSA aux forces du mal d’Harry Potter et leur a demandé de développer des outils de chiffrement faciles à utiliser sans dextérité ni bagage technique particulier.

«La communauté d’Austin, présente à South by Southwest, peut apporter des réponses. Il y a une réponse politique qui doit être apportée, mais il y aussi une réponse technique qui doit être trouvée», insiste l’homme aux lunettes fines et au sourire discret.

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Célébré comme un héros par USA Today, Edward Snowden n’a pas convaincu ce journaliste de Gawker, qui estime que l’ex-consultant de la NSA a perdu son temps. Tenir un discours pro-vie privée à South by Southwest, un lieu où l’on va «pour voir et se faire voir», «antinomique avec l’idée que la vie privée est un bien qui doit être protégé», serait vain. Rien n’est moins sûr vu le retentissement qu’a eu son intervention, à laquelle Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, a ajouté sa pierre cette semaine, fustigeant le gouvernement américain, qui «devrait être le champion d’Internet, pas une menace» sur le réseau.

2. L’économie de la vie privée

La NSA en sait beaucoup. Elle en sait encore plus que ce qu’elle veut bien reconnaître, renseigne cette étude de Stanford, pour qui l’agence de sécurité américaine, espionnant les métadonnées de nos téléphones, accède aussi à nos problèmes de santé, nos affinités sexuelles, l’état de nos comptes bancaires et autres détails.

De ce constat naît «l’économie de la vie privée», laquelle surfe sur l’idée que nous serions prêts à payer un prix minime pour accéder à des services en ligne garantissant le contrôle de nos données.

Pile poil dans la tendance, les deux applications qui ont fait le plus de bruit à South by Southwest s’appellent Omlet et Secret. La première, Omlet, lancée par un laboratoire de l’université de Stanford, est un réseau social qui promet de ne pas vendre les données de ses utilisateurs ni de les stocker sur des serveurs.

La seconde application dont il a été beaucoup question à South by Southwest, Secret, n’a pas deux mois et vient de lever 8,6 millions de dollars. Elle propose de partager avec vos amis «ce qui vous passe par la tête sans craindre d’être jugé». Et pour cause, l’anonymat de ses utilisateurs est garanti… jusqu’à ce que leur secret obtienne 6 coeurs, et passe en mode public, mais sans être relié à leur profil. Ce qui compte, pour les créateurs de Secret (des anciens de Google et Square), ce n’est pas qui dit quoi, mais le principe même de partager des contenus.

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3. Les ados, ce mystère

Quels sont les usages des adolescents en ligne? Contre toute attente, ils sont obsédés par leur vie privée, révèle danah boyd, chercheuse chez Microsoft, qui tient à écrire ses nom et prénom sans majuscule, lors d’une conférence à South by Southwest. Son livre «It’s complicated – the social lives of networked teens» est le fruit de huit années de recherche et de 166 interviews conduites auprès de cette population adolescente.

Il en ressort que leur façon de gérer leur vie privée sur les réseaux sociaux ne répond pas à la même logique que celle des adultes. Ils ne cherchent pas forcément à verrouiller tous les paramètres de confidentialité de leurs profils, mais à échapper aux figures d’autorité (parents, enseignants). Pour ce faire, soit ils testent d’autres réseaux sociaux, surtout si ceux-ci n’ont pas encore été investis par des adultes, soit ils développent des pratiques de contournement. Comme cette ado qui, chaque jour, lorsque les adultes se connectent, supprime son compte Facebook, avant de, chaque nuit, quand les adultes dorment, le réactiver, pour le supprimer à nouveau le lendemain, et ainsi de suite.

Autre technique utilisée par les ados: échanger, au vu de tous, des messages codés que seuls leurs amis peuvent comprendre.

Si vous êtes parent, ne vous avisez de commenter l’un de ces messages chiffrés car cela prouverait:
1. que vous n’avez pas saisi le message codé de votre enfant
2. que vous commentez ce qui ne vous est pas adressé
et 3. que vous vous fichez de coller la honte à votre progéniture sur son réseau.

4. Le futur du journalisme? Les algorithmes

Je l’avais déjà écrit dans la boule de cristal du journalisme en 2014, il faudra cohabiter avec des algorithmes. A South by Southwest 2014, il y a eu plusieurs tables rondes sur ce sujet. Lors d’une discussion hilarante avec David Carr, le journaliste médias du New York Times, Eli Pariser, le président d’Upworthy, a ainsi précisé le fonctionnement de l’algorithme qui régit la plate-forme qu’il a lancée en mars 2012: «c’est une ligne éditoriale, intégrée à une équation mathématique. Un algorithme est un bout de code qui nous dit ce que l’audience veut voir, et tente de trouver les éléments qui vont maintenir les lecteurs sur un site, les encourager à cliquer sur des contenus et des publicités». Pour lui, aucun doute, «ces petits bouts de code sont bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions».

«Nous avons désormais l’habitude que les informations nous trouvent, en ligne, mais c’est toujours grâce à un algorithme», reprend Kelly McBride, de Poynter, lors d’une autre discussion sur les algorithmes, le journalisme et la démocratie. Tapez «journalism is…» dans le moteur de recherche Google et celui-ci indiquera la suite de la phrase la plus souvent cherchée, «journalisme is dead», relève-t-elle au passage.

Or les algorithmes ne sont pas neutres. «Il faut en finir avec le mythe de leur neutralité», continue Gilad Lotan, expert des données. «Lorsque les ingénieurs construisent des algorithmes, ils font des choix, basés sur leurs intuitions.» Et d’évoquer l’algorithme qui régit les trending topics de Twitter qui, selon lui, aurait été modifié afin que Justin Bieber ne remonte pas toujours en tête de ce classement. De même, reprend Kelly McBride, les vidéos proposées par Facebook pour compiler son année 2013 mettraient surtout en majesté les bébés, les annonces de type mariage, les visages souriants, et les photos en général.

Les algorithmes ont de plus en plus de pouvoir sur la distribution et la consommation d’informations, dit-elle encore. Ils «contrôlent qui voit quoi sur les plates-formes comme Facebook ou YouTube, ou même sur le New York Times avec ses listes des contenus les plus partagés ou les plus commentés, de même que sur Yahoo! News».

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5. Des métiers inédits

65% des écoliers d’aujourd’hui pratiqueront, une fois diplômés, des métiers qui n’ont même pas encore été inventés, anticipe le ministère du Travail américain. A South by Southwest, il y avait peut-être un aperçu de ces professions du futur.

Dans la même semaine, j’ai croisé Ben Lashes, l’agent de Grumpy Cat, le chat estimé à 1 million de dollars, qui se définit comme «managers de memes» – il s’était autrefois occupé de Keyboard Cat -, et Will Braden, créateur de vidéos de chats sur Internet, lors d’une table ronde sur l’économie des vidéos de chats en ligne. Il y avait aussi Gilad Lotan, «data scientist», ainsi que des chefs cuisiniers qui réalisent des recettes à partir d’ingrédients suggérés par une application de cuisine cognitive conçue par IBM…

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Alice Antheaume

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SXSW: Dans la peau d’un algorithme

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Cohabiter avec des algorithmes est inscrit dans la boule de cristal du journalisme en 2014. A South by South West 2014, à Austin, le programme n’y déroge pas. Les algorithmes rêvent-ils de contenus viraux? Tel est l’intitulé d’une discussion, entre David Carr, le journaliste médias du New York Times, et Eli Pariser, le président d’Upworthy, la plate-forme lancée en mars 2012 qui, en novembre 2013, a récolté 80 millions de visiteurs uniques. Le premier, campé dans son fauteuil, manie l’ironie à la perfection. Il joue à l’ancienne garde journalistique. Le second, quelque peu désarçonné par les questions de son interlocuteur, incarne la nouvelle école. Un échange hilarant, dont voici une retranscription partielle.

David Carr

On va parler d’algorithmes. Honnêtement, je ne sais même pas ce que sont ces foutus algorithmes. De quoi se nourrissent ces bêtes-là? Que faut-il leur donner à manger?

Eli Pariser

C’est une ligne éditoriale, intégrée à une équation mathématique. Un algorithme est un bout de code qui nous dit ce que l’audience veut voir, et tente de trouver les éléments qui vont maintenir les lecteurs sur un site, les encourager à cliquer sur des contenus et des publicités. Ces petits bouts de code sont bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions.

David Carr

Là, tout de suite, je ne suis pas d’humeur à lire un contenu évoquant un génocide. Que répondez-vous à cela?

Eli Pariser

Eli Pariser

En faisant des recherches pour mon livre, «The Filter Buble», j’ai remarqué que les contenus sur l’Afghanistan ne suscitaient guère de clics ni de partages sur les réseaux sociaux. Le New York Times les mettait pourtant en une de son site en disant aux Américains «nous sommes en guerre». Mais, en dehors du New York Times, quelle audience ces informations pouvaient-elles toucher?

David Carr

L’information sérieuse est peut-être une niche…

Eli Pariser

Lorsqu’on fait entre 50 à 60 millions de visiteurs uniques mensuels avec Upworthy, ce n’est pas une niche. Les drogués de l’information sont très bien servis. Mais selon une étude réalisée par Microsoft sur le comportement d’un million d’utilisateurs du navigateur Explorer, seulement 4% de ceux-ci voient plus de 10 informations en 3 mois. 4%! A nous de rendre les informations plus émouvantes, plus attirantes. A nous de procéder à la «gamification» de l’actualité.

David Carr

Vous ne rendez pas les informations plus intéressantes. Vous faites croire qu’elles sont plus intéressantes.

Eli Pariser

On a changé d’écosystème. Le temps où l’on se fiait aux couvertures des journaux et aux pages d’accueil des sites d’informations est terminé. Les lecteurs sont sur Facebook et Twitter, et ils attendent d’un algorithme qu’il leur indique quelles sont les informations les plus importantes pour eux. Si vous passez des semaines à écrire une formidable enquête que, à la fin, personne ne lit, cela ne colle pas avec la mission dévolue à votre enquête. Il n’y aucune pureté à produire de belles choses qui n’atteignent personne.

David Carr

A Upworthy, vous dites que vous êtes ce que vous mesurez. Que mesurez-vous?

Eli Pariser

Nous mesurons l’attention par minute plutôt que les pages vues et les visiteurs uniques. Comment savoir si les gens sont encore là à lire tel ou tel contenu ou est-ce qu’ils sont déjà partis? Les algorithmes voient la réalité à travers la réaction du public. Donc nous regardons nos contenus comme le ferait un algorithme. C’est une rupture par rapport à la hiérarchie éditoriale traditionnelle.

David Carr

Quand un journaliste dit à un autre journaliste qu’il a fait du bon travail, que c’est un bel article, ils se comprennent. Une machine peut-elle savoir si un article est de bonne qualité?

Eli Pariser

La qualité est subjective. La satisfaction des lecteurs et leur engagement (le fait qu’ils cliquent sur un contenu, qu’ils le commentent, qu’ils le partagent sur les réseaux sociaux) sont des preuves objectives qu’ils aiment ce qu’ils lisent. Il s’agit là de recommandation sociale pour savoir sur quoi les gens devraient passer du temps.

David Carr

Sérieusement? Vous pensez qu’un like est un signe objectif?

Eli Pariser

Un like, pas forcément. Mais un partage, si.

David Carr

Je suis influent sur Twitter. Mais c’est comme dire qu’un groupe de rock est important au Japon. Ce n’est pas rien, mais bon… N’est-ce pas la même chose pour Facebook et Twitter?

Eli Pariser

Il y a de nombreux réseaux sociaux, dont Twitter, Instagram, Tumblr. Mais l’algorithme de Facebook est plus important que le reste. Et pour cause, les chiffres sont un peu datés, mais un Américain moyen passe, chaque mois, 2 minutes sur Twitter et 7 heures sur Facebook.

David Carr

Comment faites-vous pour vérifier que les contenus que vous publiez ne sont pas des fakes? Pour ma part, je considère qu’Internet est un four auto-nettoyant…

Eli Pariser

Si on publie un fake, c’est une catastrophe pour nous. Car la seule chose qui compte, c’est la confiance de notre communauté.

David Carr

J’adore ceux qui disent cela et qui écrivent «nous sommes désolés» en tout petit lorsqu’ils se sont trompés.

Eli Pariser

On a une charte à Upworthy à ce sujet. Celle-ci stipule que l’on se doit de publier les corrections dans une typographie aussi grande que celle qui a servi à publier l’histoire originale. Et on doit mettre le même soin à rendre virales nos excuses que nos autres productions.

 Alice Antheaume

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Live à la BBC

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C’est la plus grande rédaction qui existe en Europe. Celle de la BBC, installée depuis un an dans la «Broadcasting House», en plein centre de Londres, dans un immeuble art déco qui a fait l’objet d’une décennie de rénovation (et plus d’un milliard de livres) avant de ré-ouvrir ses portes en janvier 2013 pour accueillir ses quelque 6.000 employés. Le pari? Réunir au même endroit, sur 80.000 mètres carrés, les équipes télé, radio, et numérique, ainsi que les studios qui vont avec. Le tout sous des téléviseurs qui diffusent BBC News, BBC World, CNN, Sky News et Al-Jazeera, et face à des écrans qui comptabilisent, minute par minute, le nombre de visiteurs sur tel ou tel contenu posté en ligne.

Côté rédaction, cela aboutit à un parterre de plusieurs centaines de personnes, départagées par une ligne imaginaire, une moitié travaillant pour le territoire britannique et l’autre pour l’international. Chacun a un poste dans cet open space géant, avec un ordinateur arrimé à un bras articulé et des écouteurs individuels. Une fourmilière? Vue du haut, comme sur la photo ci-dessus, oui. Mais lorsque l’on s’assoit à un poste, en bas donc, le niveau sonore est, contre toute attente, très raisonnable.

La tour de contrôle centrale

Au centre du parterre, des dizaines de personnes font office d’aiguilleurs du ciel. Ils commandent les contenus, calent les formats, et donnent les heures de bouclage aux 200 correspondants répartis dans le monde et autant de fuseaux horaires. Puis annoncent, sur des écrans disséminés dans toute la rédaction, les «BH arrivals», c’est-à-dire les contenus envoyés à Broadcasting House par ces mêmes correspondants. Cela ressemble au tableau des arrivées d’un aéroport, sauf qu’au lieu des avions qui atterrissent, ce sont les contenus qui y sont annoncés.

>> Ci-dessous, une coupe de la rédaction de la BBC réalisée avec Gliffy, un outil en ligne >>

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«Mon rôle, c’est d’organiser le chaos», sourit James Bryant, qui oeuvre au sein de ce service intitulé «News gathering». «Mais c’est aussi de protéger les correspondants lorsqu’ils ont besoin d’aller se coucher après des grosses journées de travail ou lorsqu’ils sont en reportage dans des lieux vraiment rudes sans électricité ni eau», comme lors du passage de l’ouragan Haiyan aux Philippines en novembre 2013.

Plus loin se trouve un homme affairé sur des dossiers et au téléphone. Devant lui, un écriteau indique «lawyer on duty». «C’est un juriste», me souffle Samantha Barry, journaliste et responsable des réseaux sociaux pour l’international, qui me guide dans les allées. «Il gère les conflits, et nous pouvons à tout instant lui demander son avis sur une phrase ou une expression qu’on compte utiliser dans un article».

Un seul clic, plein d’urgents

A ses côtés, une équipe d’une grosse douzaines personnes, capables de parler et de comprendre des dialectes rares, sont chargées de vérifier les vidéos et les commentaires, pour démonter les éventuels fakes. Mark Frankel, éditeur adjoint en charge des réseaux sociaux, fait, lui, de la veille sur les réseaux sociaux, sur Reddit, et analyse les statistiques de l’audience sur Chartbeat. Il me montre un outil développé en interne il y a quelques mois, le «breaking news tool», qui permet d’envoyer en un clic la même information urgente par email, sur Twitter – notamment sur le compte BBC Breaking News, sur les sites de la BBC, et dans les synthés pour la télévision (le «ticker»). Les informations émanant de la BBC sont d’ailleurs parmi les plus partagées sur Twitter en Angleterre, devant celles du Guardian et du Telegraph.

Côté international, les journalistes préparent des idées de sujets pour les «réunions sur canapé», des conférences de rédaction qui se tiennent sur un immense sofa en U, à côté d’une petite cafétéria. Dès 7h, c’est celle du programme «Outside source» qui a plusieurs déclinaisons en fonction des supports. Puis à 7h30 c’est au tour de l’équipe «early» de World TV. A 8h25, place aux équipes «online». A 8h50, c’est le «newswire» et ainsi de suite jusqu’à 19h, pour le débriefing sur l’Afrique.

Réunions sur canapé

Ce jour là, le mardi 25 février 2014, j’assiste à celle de 9h30, avec l’équipe matinale de World TV. Il y a là la présentatrice des titres du journal télévisé, des chefs d’édition, des rédacteurs du site BBC World News et les responsables des réseaux sociaux. Le rédacteur en chef, qui sort tout juste d’une autre réunion avec la direction éditoriale, prend la parole et énumère les sujets sur lesquels «monter». Tout en haut de la liste, l’Ukraine. C’est une semaine très importante, et nous ne sommes que mardi», commence-t-il, avant de proposer de traquer le président déchu. «Il est peu probable qu’il soit en Ukraine, mais on peut lister les pays dans lesquels il pourrait se réfugier (on sait depuis qu’il se trouvait en Russie, ndlr)». Puis viennent les chiffres de la mortalité infantile dans le monde, la révélation par un tabloïd d’une liste de 200 noms d’homosexuels en Ouganda, dans un pays où être gay est illégal, ou la campagne anti-corruption en Inde. Et la disparition annoncée du Bitcoin. «Comment peut-on penser que cette monnaie va manquer?», s’amuse l’un des journalistes, auquel le service Economie démontre, chiffres à l’appui, l’ampleur du phénomène.

«Ce qui est formidable, dans ces moments-là, c’est qu’à peine levé tu as des nouvelles du monde entier et tu y participes», s’enthousiasme Samantha Barry.

Est-ce le flegme anglais? En apparence, aucune pression n’est palpable, et pourtant, tout va très vite. Lors de ces conférences, les journalistes ne proposent pas, l’un après l’autre, les sujets qu’ils espèrent couvrir («nous n’avons pas le temps de prendre la parole chacun à notre tour», m’explique Samantha Barry), mais ils ajoutent au besoin des idées et des commentaires à ce que le rédacteur en chef énonce. Canapé oblige, l’ensemble semble informel. Même si, en réalité, aucun participant ne parle si son chef ne l’y a pas invité. Et quand les journalistes de la BBC vont trop vite à l’oral, ils se reprennent si besoin: «Elle se plaint que… Non, plutôt elle dit que, elle ne se plaint pas…».

Les valeurs de la BBC

Au dos des badges que portent les journalistes sont d’ailleurs martelées les «valeurs» de la BCC: la confiance («nous sommes indépendants, impartiaux et honnêtes»), le souci du public, la qualité, la créativité, le respect, et l’esprit de groupe («nous ne sommes qu’une BBC. De grandes choses sont accomplies lorsque nous travaillons tous ensemble»).

Au sortir de la réunion, on apprend que le procès d’Oscar Pistorius, l’athlète soupçonné d’avoir tué sa petite amie en Afrique du Sud, pourra être filmé sous conditions. Cela donne lieu à un bandeau «breaking news» en bas de l’écran télévisé de la BBC, et un «happening now» au même moment pour CNN.

Innovation à l’étage

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A l’étage est installé le laboratoire de l’innovation vidéo de la BBC, qui produit les nouveaux formats éditoriaux. Dont les fameux Instafax, ces vidéos de 15 secondes mises en ligne sur Instagram. «Produire une vidéo Instafax nécessite une heure de travail, pas plus. Nous utilisons Final Cut Pro pour monter les images et avons un template spécial» pour les textes insérés sur les images, détaille Matthew Danzico, le directeur du laboratoire. Un format né sur un réseau social à destination d’utilisateurs du mobile, et qui va sous peu être diffusé à l’antenne. «Puisque les Instafax sont d’abord des contenus adaptés au mobile, nous avons choisi de ne pas mettre de voix off car nos téléphones sont souvent en mode silencieux et n’avons pas toujours le réflexe de sortir nos écouteurs».

Instafax et BBC trending

Autre révolution dans les méthodes de la BBC: la façon d’interagir avec l’audience à propos des Instafax. «L’autre jour, un utilisateur a écrit #IloveInstafax, nous lui avons répondu #weloveyou», reprend Matthew Danzico. «C’est très différent de ce que fait la BBC d’habitude, nous sommes beaucoup plus dans le personnel. De même, nous mettons des smileys et des émoticônes dans nos réponses... Vous voyez que le ton n’est pas le même».

Outre les Instafax, l’autre format mis en place dès octobre 2013 par le laboratoire de la BBC s’appelle BBC trending. Au rythme de 3 vidéos par semaine, un programme radio hebdomadaire, et un post de blog par jour, l’objectif est de scruter les sujets les plus discutés sur les réseaux sociaux et d’expliquer pourquoi. «Ce ne sont plus vraiment des news, ce sont des social news», précise Benjamin Zand. Dans un format inspiré de la culture du Web et des selfies, le présentateur est filmé en très gros plan. «L’autre point important, c’est qu’il n’y a qu’un présentateur, pas deux. Sinon, passer de l’un à l’autre donne lieu à un montage trop compliqué qui ne fonctionne pas sur petit écran», dit encore Benjamin Zand.

Crédit: BBC

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La question est centrale au sein de la BBC: comment faire en sorte que les contenus produits s’adaptent au Web, à l’antenne, au mobile? «Il ne faut pas être esclave des formats. Un contenu de qualité marche dans tous les cas et sur toutes les plates-formes», note la journaliste Inga Thordar, en charge de la production de vidéos en ligne. «Grâce à des études réalisées auprès de nos internautes, nous avons compris que les programmes télévisés ne fonctionnaient pas bien en ligne. Nous cherchons donc à faire une télévision différente afin que ce que l’on y voit puisse marcher aussi sur les autres plates-formes».

D’autant que la télévision compte encore beaucoup dans la vie des Anglais. Même s’ils la regardent 4 heures en moyenne par jour, à peine plus que les Français (3h47), ils connaissent en revanche très bien le détail des programmes diffusés. Rappelons que c’est en Angleterre qu’a été créé Gogglebox, un programme où l’on regarde d’autres téléspectateurs regarder la télé anglaise…

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Alice Antheaume

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