3… 2… 1… Top ! Jeudi 1er septembre, à 20h, la nouvelle franceinfo est officiellement lancée sur le canal 27 de la TNT – ou 77 sur la Freebox. Depuis l’immeuble de NextRadioTV, dans le Sud de Paris, la rédaction de BFM regarde sa concurrente faire ses premiers pas. «On ne voit pas bien les titres blancs sur le fond gris», commente l’un. «Bizarre, ce plan de profil avec la table à mi-cuisses», continue une autre. «Oui, mais bon, si on revoyait le lancement de BFM, en 2005, on aurait sans doute beaucoup à dire aussi. Ils vont ajuster au fur et à mesure», défend un historique de la chaîne.
Synergies de groupe
Après plusieurs heures de visionnage, une chose est claire : il y a, dans l’offre de franceinfo, la volonté de mettre les codes du Web à la télé. Et ce n’est pas une mince affaire quand il s’agit de réunir les forces de plusieurs entités qui, si elles ont en commun d’incarner le service public, n’en ont pas moins des façons de travailler très différentes :
Radio France connaît par cœur la hiérarchie des informations et la puissance de la voix mais est néophyte en mise en images ;
France TV est maître en puissance de l’image et en rythmique entre plateaux et illustrations mais ne sait pas encore articuler des informations en continu ;
France TV Info sait calibrer des contenus pour le petit écran des mobiles mais n’a pas encore l’habitude de travailler dans un dispositif si complexe ;
France 24 est volontiers tournée vers les standards anglo-saxons pour faire de la télévision, standards qui n’ont pas encore infusé dans la société française ;
et l’INA met en valeur le patrimoine médiatique français mais n’a pas encore la connaissance de la gestion d’un flux en continu.
Au centre du dispositif, figure un totem, sur lequel est visible le «live» permanent de feu France TV Info, l’application mobile lancée en novembre 2011, qui pousse le temps réel de l’information à son paroxysme et utilise les interactions avec l’audience comme des transitions narratives. Les présentateurs de franceinfo, installés dans la newsroom de France TV, y reviennent souvent, et montrent par là que les temporalités du Web sont devenues les leurs.
Pushs, rappels de titres, reportages
Si la maison de la radio se charge des rappels de titre toutes les dix minutes, l’équipe de France TV Info se charge, elle, d’envoyer sous forme de notifications sur les téléphones les dernières informations urgentes survenues. Elle a d’ailleurs eu droit à sa première expérience de push dans ce grand dispositif dès mardi dernier, lors de la démission d’Emmanuel Macron de son poste de ministre de l’Economie.
Deux points engagez-vous
Quant aux discussions avec les internautes, elles sont, elles aussi, mises en majesté. Le nouvel habillage le martèle, avec ces fameux deux points sur lesquels on a beaucoup glosé, moi la première, mais qui sont un appel à l’interaction, à «liker, tweetez, commenter, partager».
Ces deux points, rondouillards, rappellent les petites boules qui s’affichent lorsque l’on discute par SMS ou messagerie instantanée et que l’on attend la réponse de son interlocuteur, en restant scotché à son écran, dans l’attente de la suite. Pour un peu, on n’est pas si loin du journalisme de conversation dont j’ai déjà parlé ici, à l’occasion du «chat» mobile de Quartz, inauguré en février 2016 et basé sur des outils de messagerie, un usage alors inédit pour le journalisme.
Outre ces deux points, il y a plusieurs lignes de synthés – les sous-titres, en quelque sorte – affichés en bas de l’écran :
Au niveau inférieur, les titres, rédigés de façon traditionnelle, avec la source de l’information mise entre parenthèses comme le fait l’AFP dans ses titres de dépêches.
Au niveau intermédiaire, le logo suivi de la dénomination de la rubrique diffusée (la chronique des sports, le journal du monde, l’eurozapping, un week-end très politique, etc.) ou du thème du reportage. Juste au-dessus peut aussi figurer l’icône de géolocalisation, reprise de celle de Google Maps, pour indiquer le lieu des événements.
Enfin, et c’est la section que l’on n’avait pas vue ailleurs, des bouts de phrase surlignés de jaune, de vert, de bleu, apparaissent ponctuellement, et affichent ici un commentaire, là une touche d’ironie, là encore une question sarcastique. Bref, c’est une ligne de «social TV» qui, contrairement aux autres niveaux qui comportent des informations factuelles, fait penser aux discussions, volontiers moqueuses, sur un programme postées sur Twitter ou de piques à propos de promesses politiques.
En outre, franceinfo s’appuie sur un découpage très «séquencé», comme on dit à la télévision. C’est-à-dire que les rubriques, les reportages, les chroniques se succèdent sans qu’il y ait de liaison entre elles. Cette mécanique répond bien sûr à la nécessité de faire travailler plusieurs entités (Radio France, France TV, France 24, l’INA) à une même offre, avec chacun sa patte – même si l’on peut voir, à des détails, qu’il y a une lutte de visibilité entre ces maisons, comme lors de l’émission «Questions politiques», dimanche à 12.30, où les bonnettes des micros sont celles de France Inter.
Des séquences autonomes
Ce séquençage est une réponse à l’injonction impérieuse qui prévaut en ligne : puisqu’on ne sait pas où, quand ni dans quel contexte les contenus sont vus, il faut que chaque séquence soit autonome et exportable sur les réseaux sociaux, sans lancement ni explications orales introductives. Car, en 2016, la nécessité de produire des contenus partageables sur les réseaux sociaux, pour«engager les lecteurs», concerne bien sûr aussi franceinfo, toute nouvelle qu’elle soit.
Des têtes du Web
Autre inspiration venue du Web, la narration qui veut abolir les frontières et s’adresser à d’autres audiences que celles qui, jusque là, regardent France 2 – où la moyenne d’âge est de plus de 58 ans. Cela se traduit notamment dans des séquences de type «no comment », ces reportages tout image sans voix off qui pullulent dans le newsfeed de Facebook, et se lancent en autoplay pendant que vous êtes dans les transports en commun ou au bureau, sans écouteurs. Et puis, il y a aussi les «Draw my news» (dessine moi des informations), une série de mini-dessins animés, au langage universel et donc facilement lisible par n’importe quelle audience, jeune ou moins jeune, française ou internationale.
Enfin, et c’est sans doute ce qui représente l’innovation la plus louable, il y a une vraie volonté de mettre le numérique au cœur des sujets abordés. Lorsqu’Emmanuel Macron est interrogé, il l’est certes d’abord par des journalistes qui ont fait leurs armes sur des médias traditionnels (Nicolas Demorand, Nathalie Saint-Cricq, Carine Bécard et Arnaud Leparmentier), mais il l’est ensuite par un journaliste spécialiste du numérique (Damien Leloup, du Monde.fr). Car oui, les enjeux de la surveillance, de la suprématie des mastodontes du Web américain, d’une mobilité et d’une éducation transformées par le numérique, sont des questions essentielles à poser à des responsables politiques.
Les gribouillis de Snapchat sur écran télé
De la même façon, pour évoquer les pro-Nicolas Sarkozy qui ont retourné leur veste, jeudi soir, ou les 82 candidats à la présidentielle, vendredi soir, c’est Bastien Hugues, passé par Lefigaro.fr puis par France TV Info, qui s’y colle, à l’antenne, en appuyant sur de gros boutons d’une tablette géante servant d’écran, afin de mettre les infographies à l’honneur à la télévision, sur lesquelles on peut gribouiller au doigt levé, comme sur Snapchat. De quoi implémenter à la télévision une autre culture visuelle – le chercheur André Gunthert parle de saloper l’image sacrée.
Là encore, il y a, avec ces nouvelles têtes venues du Web, méconnues du grand public, l’idée de dire que le numérique est un sujet comme un autre et qu’il a droit de cité sur une chaîne de télévision autrement que via cette obsession dépassée mais toujours vivace dans le monde audiovisuel qui veut croire que les jeux vidéo poussent à la violence et que c’était mieux avant le numérique.
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Alice Antheaume
lire le billetC’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.
Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.
Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.
Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.
D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.
Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.
“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.
Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.
Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.
A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.
“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.
Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.
Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.
Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”
(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.
Alice Antheaume
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W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Vincent Glad, journaliste, qui écrit sur Slate.fr et sur bienbienbien.net.
Huis Clos sur le Net, c’est terminé. Comme on pouvait s’y attendre, l’expérience n’a accouché d’aucune révélation fracassante sur les nouveaux médias. Je rappelle le concept: cinq journalistes francophones ont passé une semaine dans un gîte du Périgord (métaphore de l’isolement) en ne s’informant que par Facebook et Twitter (métaphores de la sur-communication).
>> A lire aussi: Huis clos trop clos?
Voici leurs conclusions sur l’expérience, recueillies sur le site officiel, leurs médias respectifs ou dans des interviews:
Nour-Eddine Zidane (France Inter)
«Sur la “twittosphère” francophone, […] la politique […] est surreprésentée par rapport à l’actualité internationale […] ou l’économie […]. Autre élément notable: la rubrique faits divers/justice est absente alors qu’elle est presqu’un produit d’appel sur les médias traditionnels les plus populaires: RTL, Le Parisien, TF1.»
Benjamin Muller (France Info)
«Le premier [enseignement] est la rapidité de relais qu’offre twitter. […] Le deuxième enseignement est que les médias traditionnels nous manquent pour comprendre et pour décrypter l’actualité qui nous parvient. […] Le troisième enseignement est la hiérarchie qui ressort de Twitter. […] Les petites polémiques franco-française (“Quoi? Michelle Alliot-Marie et Brice Hortefeux se détestent ?”) sont à la “une” de Twitter, quand sur France Info ou TF1 l’on parlera bien plus de la grève SNCF.»
Nicolas Willems (RTBF)
«Peut-être pas de véritable remise en question, mais une réflexion qui est restée la même pendant toute la semaine: nous devons toujours revenir vers les mêmes fondamentaux, vérifier l’information, la source. Il faut être très subtil, très vigilant. Ce sont des outils complémentaires à notre travail de journaliste au quotidien.»
Anne-Paule Martin (RSR)
«Les gens qui sont sur Twitter sont dans une logique de guerre, de concurrence entre les médias traditionnels et les nouveaux médias comme les réseaux sociaux.»
Janic Tremblay (Radio Canada)
«Pour le citoyen ordinaire, Twitter reste un formidable outil d’alerte. Récemment, le séisme en Haïti en a été un bon exemple. Aucun journaliste ne peut concurrencer un tel réseau. Mais sur une base quotidienne, c’est beaucoup plus facile de s’en remettre aux médias traditionnels pour savoir ce qui se passe dans le monde. Ce n’est pas une affaire de supériorité. Simplement de ressources et de temps.»
Point de postérité
Toutes ces conclusions étaient déjà connues des utilisateurs avertis des réseaux sociaux et il n’était sans doute pas nécessaire de louer un gîte dans le Périgord pour cela. L’intérêt de l’expérience aura seulement été de communiquer ces réflexions à un large public. Le dispositif (des journalistes, un Loft, le Périgord) n’était qu’une manière spectaculaire d’habiller un simple reportage “embed” sur les réseaux sociaux qu’il était possible de réaliser à Paris, Montréal ou Bruxelles.
Si la science n’en retient rien, Huis Clos sur le Net aura au moins appris quelque chose aux reclus du Périgord: la nécessaire humilité du journaliste en milieu Web.
Les premiers jours des journalistes-lofteurs ont été un véritable enfer. Sur Twitter, les internautes ont multiplié les critiques et ont essayé de les piéger en tweetant de fausses informations. Anne-Paule Martin, la journaliste suisse, a ainsi parlé de «cabale» à leur encontre. Janic Tremblay, de la radio canadienne, balaye d’un revers les critiques: «Il y a eu évidemment des gens qui sont tombés dans la vulgarité mais je ne les regardais pas vraiment passer».
Leur surprise et leur désarmement devant l’avalanche de critiques est typique du journaliste issu des médias traditionnels qui descend pour la première fois dans l’arène Internet. Le rédacteur web est lui habitué au contact direct avec ses lecteurs: en-dessous de chacun de ses articles, un espace ouvert — les commentaires — soumet son travail à un examen critique. C’est souvent impitoyable mais cela apprend l’humilité et pousse à travailler davantage, afin d’échapper à l’impayable brigade du Web 2.0.
Le métier de journaliste est un des plus critiqués de France
En radio, en télé et en presse écrite, le rapport avec le public est beaucoup moins direct. Le seul vrai lecteur ou auditeur avec qui le journaliste peut échanger est son rédacteur en chef. Pour le reste, les réactions se réduisent en général à la portion congrue: un compliment des parents ou du conjoint, un coup de fil énervé d’un attaché de presse et à l’occasion une lettre d’insultes ou une demande en mariage qui arrivent par La Poste. Une erreur dans un article est bien plus souvent relevée sur le web, et ensuite corrigée, que dans les médias traditionnels.
En tant que journaliste Web, je sais que je n’échapperai jamais lors de la rédaction d’un article politique à la critique de «sarkozysme» (une fois sur 2) ou de «gauchisme» (une fois sur 2). Les journalistes des médias traditionnels ne le savent pas puisque la barrière à l’entrée pour critiquer leur travail — un timbre ou une communication téléphonique — est trop élevé pour qu’il y ait des réactions. Pourtant, ils savent que leur travail ne plaît pas à tout le monde: le métier de journaliste est un des plus critiqués de France. D’après le baromètre de la confiance politique réalisé en décembre dernier par TNS-Sofres, seul 27% des Français font confiance aux médias… alors que les banquiers, pour qui le fond de l’air n’est vraiment pas favorable, recueillent 37 % d’opinions favorables.
Reprenons la conclusion d’Anne-Paule Martin, l’une des participantes: «Les gens qui sont sur Twitter sont dans une logique de guerre, de concurrence entre les médias traditionnels et les nouveaux médias comme les réseaux sociaux». En fait, «les gens qui sont sur Twitter» sont juste des lecteurs/auditeurs normaux. Qui ont un avis. Un avis qu’ils expriment sur Internet.
Vincent Glad
Une «Ile de la Tentation Web», peut-on lire ici. Pire, une «farce», lit-on là. L’expérience Huis clos sur le Net, lancée par les Radios francophones publiques (RFP) lundi 1er février, suscite l’incompréhension des internautes et… des journalistes Web. Qui ne les ont pas pour savoir et montrer qu’on pouvait s’informer — aussi — avec les réseaux sociaux.
Le principe? Cinq journalistes radio, «enfermés volontaires» dans une ferme du Périgord – moins enneigée qu’un chalet en Suisse et moins cher qu’une cabane au Canada – pendant cinq jours, allaient tester ce veut dire dire s’informer uniquement sur Twitter et Facebook (1). Sans autre source d’informations. Ni journaux, ni télé, ni radio, ni accès aux dépêches d’agences.
«L’idée est née collectivement lors d’une commission des Radios Francophones Publiques (RFP), en avril 2009, où il y avait notamment les directeurs de France Inter et de France Info», me raconte Françoise Dost, secrétaire générale des RFP. «On se posait plein de questions sur l’importance grandissante de ces réseaux. Y trouve-t-on la même information que dans les médias traditionnels? Quelles informations émergent plus que d’autres? Comment se construit la perception de l’actualité par les utilisateurs de Twitter et de Facebook? Alors on s’est dit que, pour avoir des réponses, il fallait organiser une vraie expérience, grandeur nature, où les participants seraient à la fois coupés de leur monde professionnel et familial.»
Le tollé
Aussitôt Huis clos sur le Net inauguré, les membres du réseau Twitter — toujours prompts à se défouler comme dans une cour de récréation — se sont amusés à écrire que Michel Sardou était mort, pour voir si la fausse information parviendrait à être crédible auprès des cobayes. Lesquels ont repéré sans mal le piège, puisque les messages parlant du soi-disant décès du chanteur était accompagné du mot-clé #huisclosnet.
Ensuite, cela a été une succession d’incompréhensions. «Est-ce que les journalistes embrigadés dans l’expérience ont le droit de cliquer sur les liens postés sur Twitter et Facebook?» A cette question, la réponse a tardé à venir. «On peut par exemple cliquer sur un article du Monde.fr si le lien est posté sur Twitter, mais une fois sur l’article, on n’a pas le droit de naviguer sur le site du Monde.fr (ni aucun autre site d’info, le temps que dure l’expérience, ndlr)», m’a expliqué l’un des participants. Une règle qui en a surpris plus d’un. S’empêcher de cliquer sur les liens est une aberration: la toile constitue avant tout une formidable machine à «contextualiser», via des liens entre des pages, entre des sites, dans un espace connecté et interconnecté en permanence. Françoise Dost reconnaît que le projet est un «labo dont les conditions ne sont pas celles de la vie». Etrange laboratoire…
Tout dépend de qui l’on suit
L’autre limite de l’exercice, c’est que la qualité des informations recueillies sur Twitter et Facebook dépend de la communauté des cinq participants sur ces deux réseaux. Autrement dit, dépend de qui sont leurs amis sur Facebook, et leurs «followings» sur Twitter. S’ils ont par exemple des amis ou des émetteurs d’infos soucieux de donner sur ces réseaux des infos utiles et variées, qui datent de moins de 24h, ils auront un aperçu de l’actualité du jour. Anticipant cet aspect, les candidats ont «défollowé» (retiré) de leur Twitter les comptes de médias avant de débuter le programme, arguant qu’il «faut bien se donner une limite». «Sur Twitter, la perception et le décodage du monde dépendent beaucoup des membres du réseau, dit Janic Tremblay, l’un des cinq journalistes. Ceux que vous suivez influencent votre compréhension du monde. C’est comme la télé. On n’est pas informé de la même façon en regardant CNN que Fox News. C’est l’avantage et l’inconvénient de Twitter. Le choix. Infini.»
Un constat qui a dérouté les utilisateurs de longue date des réseaux, habitués à utiliser les réseaux pour deux raisons au moins: 1. pour avoir des informations avant les médias traditionnels, comme lors de la mort de Michael Jackson, en juin 2009, ou plus loin, pendant les attentats de Mumbai, en Inde, en octobre 2008. 2. Pour interagir avec les autres, en fonction de centres d’intérêts communs.
«Le but de l’expérience n’est pas de prouver que l’information que l’on trouve sur les réseaux est juste ou pas, reprend l’un des participants. Mais de juger de l’importance qui est donnée à telle ou telle info sur les réseaux sociaux. Maintenant, je sais ce que les internautes plébiscitent, quand avant, je savais seulement ce que les auditeurs plébiscitaient…»
Quant à Françoise Dost, elle assure vouloir tirer «sérieusement» les leçons – sociétales, journalistiques, etc. de cette expérience ultra médiatisée. On ne sait pas si, après cela, les journalistes des Radios Francophones Publiques seront incités à détenir des comptes Twitter et Facebook pour y faire de l’information autrement, comme c’est déjà le cas dans certaines rédactions, et bientôt à l’AFP. Mais Françoise Dost le promet: «Ce n’est qu’un début». Préparez-vous à Huis clos sur le Net 2. Avec le droit d’utiliser vraiment Internet, cette fois?
Alice Antheaume
(1) Selon une récente étude de Nielsen, le temps passé sur les réseaux sociaux a augmenté de 82% entre décembre 2008 et 2009. Rien qu’en France, les internautes consacrent en moyenne 4h04 chaque mois à surfer sur ces réseaux.
Image du studio du huis clos par David Abiker
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