C’est comment qu’on freine?

Crédit: Flickr/CC/mark_devries

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Notifications en cascade sur les réseaux sociaux, alertes push envoyées sur mobile, bandeaux clignotants sur les chaînes d’informations en continu, “lives” à tous les étages, détecteur de rumeurs et de “fakes” en temps réel, contenus d’actualités qui n’auront peut-être que 24 heures de durée de vie avant de disparaître sur l’application de messages éphémères Snapchat….

L’information n’est pas un long fleuve tranquille mais un rapide à proximité des chutes du Niagara. Quant à l’urgence, elle est désormais brandie en étendard.

Tout cela est “toxique, comme le sucre”, peste cet article du Guardian, pour qui les lecteurs sont certes capables de repérer “ce qui est nouveau dans l’actualité, beaucoup moins ce qui est pertinent”. De toute façon, à quoi cela sert aux lecteurs de se noyer dans ce rapide si leur rétine n’imprime plus du tout ce qu’elle voit?

C’est aussi le diagnostic de Laurent Mauriac, ex-Libération et ex-Rue89, qui lance en France Brief.me, un email quotidien qui “explique ce qui est compliqué, résume ce qui est long, analyse ce qui est important”.

Objectif : offrir “une approche reposante de l’actualité”, pile poil dans la mouvance du Slow Web. “Nous voulons prendre le contre pied de cette logique de flux où, notamment sur les sites d’informations, tout est mis sur le même plan”, me confie-t-il. “Nous visons des gens qui ne sont pas comme nous, qui ne sur-consomment pas les médias, qui ne sont pas forcément très à l’aise avec les réseaux sociaux et ont peu de temps pour s’informer après leur journée de travail”.

Une proposition éditoriale en français, actuellement en version bêta et garantie sans algorithme, à mi chemin entre la newsletter Time to sign off (il est en temps de conclure, en VF), qui, tous les soirs, “vous dit ce que vous avez raté aujourd’hui, ce que vous ne devez pas rater demain et quoi faire si vous n’avez pas envie de dormir” avec un vrai talent dans l’écriture, et les applications permettant de digérer l’actualité comme News Digest, développé par le petit génie Nick d’Aloisio.

Les maîtres du temps 

Tous ces projets éditoriaux sont des tentatives pour maîtriser le temps – et non le ralentir. Et pour cause, le Web a jusque-là vu émerger des outils permettant de maîtriser l’espace via la géolocalisation. Quant au temps, il reste pour l’instant un élément indomptable, donnant l’impression, au choix, de courir comme un hamster dans une roue lancée à tout berzingue, ou de vivre dans le film “Un jour sans fin”.

“Un contenu devient viral et est immédiatement partagé par un très grand nombre. Tout aussi immédiatement, il disparaît, remplacé par un autre contenu”, décrit Kyra Maya Phillips, la co-fondatrice de Snail Mail, une newsletter envoyée chaque premier jeudi de chaque mois sélectionnant des contenus qui “restent” après la vague virale et sont parfois vieux de plusieurs mois voire années.

Le plus grave, selon elle? “Nous sommes moins mués par l’envie d’acquérir des connaissances que par la validation sociale des contenus que l’on partage – faire savoir aux gens que oui, nous savons ce qu’il se passe”. Or c’est vrai que les algorithmes sont paramétrés pour donner la priorité au nouveau au détriment du vieux – le fameux #old tant décrié dans les rédactions. Le nouveau l’emporte sur l’essentiel, dit encore le philosophe et écrivain Luc Ferry sur le plateau de Médias Le Mag.

ça va trop viiiiiiite…

Sonner le glas du temps réel de l’information arrangerait beaucoup de journalistes. Ce serait oublier que la demande de nouveau, de frais, de neuf, provient de l’audience qui, des centaines de milliers de fois par jour, réactualise ses applications et ses pages en espérant y découvrir des nouvelles plus récentes (nouveaux emails non lus dans la messagerie, nouveaux tweets, nouvelles actualités sur Facebook). Il y a une vraie tendance à ce que cet article du Figaro appelle le “présentisme”, cette attention portée à l’instant.

Mais il ne faut pas s’y tromper. Le vrai défi des rédactions n’est pas de se détourner du temps réel ni de le ralentir mais d’apprendre à le maîtriser. Mieux, de jongler entre des temporalités différentes, entre le temps réel et le long format. “Entre le chaud et le froid, entre le flux et le stock”, continue Ludovic Blécher, le directeur général du Fonds Google pour l’innovation numérique de la presse. “La demande de l’audience”, me glisse-t-il, c’est “cher journaliste, fais moi vivre ce que je lis sur Twitter, et vérifie-le pour moi. Si tu mets 2 heures à m’en parler, je ne vais plus avoir confiance en toi.”

“Nous voulons enrayer la défiance des lecteurs en faisant une sorte de promesse d’apaisement par rapport à l’information, la garantie qu’ils vont arrêter de stresser sur l’actualité”, reprend Laurent Mauriac qui, pendant quelques semaines, a choisi de tout tester (le prix, les contenus, l’heure d’envoi de la newsletter) sur Brief.me auprès d’une communauté de bêta-testeurs – 550 personnes y participent déjà -, pour vérifier chacune de ses intuitions.

Une chose est sûre : temps calme ou non, Laurent Mauriac compte sur l’addiction de ses futurs abonnés. “Après quinze jours d’essai, il faut qu’ils soient devenus accros à Brief.me”.

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Alice Antheaume 

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