L’immobilier, les régimes, la franc-maçonnerie font partie des marronniers les plus connus de la presse magazine. En ligne, un autre serpent de mer revient de façon cyclique: les blogs, et plus exactement, l’annonce de leur mort. Ces espaces d’expression personnels, popularisés dès 1999 avec Blogger, seraient condamnés aux oubliettes par la grande faucheuse du Net. Pourtant, on dénombre, en France, plus de 15 millions de blogs, et, aux Etats-Unis, près de 329 millions de personnes qui en consultent un au moins une fois par mois. Sans compter toutes les formes dérivées du blog, dont Twitter et Tumblr, qui font florès… Alors que Yahoo! s’appête à racheter Tumblr, une plate-forme à mi-chemin entre le blog et le réseau social, leur disparition n’est pas à l’ordre du jour. Mais, dans un futur proche, quel sort leur est-il réservé? Quel format et quels contenus va-t-on y voir? Quelle utilité les médias qui les hébergent y trouvent-ils encore?
Il y aura à l’avenir deux catégories de lecteurs de blogs, présume Mars Dorian, un consultant américain. D’une part, les lecteurs d’extraits, qui aiment les contenus minimalistes, écrits aussi vite qu’on en parle, pour une consommation de type fast-food dont la richesse nutritionnelle n’est pas avérée, et d’autre part, les lecteurs de dissertations, friands de contenus à haute valeur ajoutée et atemporels, de quasi e-books, qui pourraient devenir des contenus payants, proposés entre 99 centimes et 2 dollars la pièce.
Et pour explorer des nouveaux territoires, le blog devrait être le laboratoire de nouvelles expériences d’écriture, comme celle-ci. Le comédien et écrivain Baratunde Thurston, également collaborateur du site parodique The Onion, a écrit des chapitres de son livre «How to be black» en se prêtant à ce qu’il appelle du «live-writing». En ligne, il a partagé son écran (via l’outil join.me) avec ses lecteurs et a écrit sous leurs yeux, ratures comprises. Un rendez-vous inédit qui a le mérite de repousser les limites du «live» – mais qui nécessite une bonne dose de confiance en soi de la part de l’auteur. Baratunde Thurston a précisé qu’il ne cherchait pas à interagir avec l’audience sur ce qu’il devait écrire ou non, mais plutôt à créer une nouvelle expérience qui le forcerait à terminer son ouvrage.
Le blog «Media Decoder», alimenté par des journalistes du New York Times, a officiellement fermé ses portes le 26 avril 2013. Les contenus qu’on pouvait y lire sont désormais disponibles dans la section médias du nytimes.com.
Pourquoi ce rapatriement? 1. Une raison technique d’abord: le New York Times a un nouveau CMS, baptisé «scoop», dont la promesse est d’être aussi souple et simple que l’interface d’un blog 2. Une raison éditoriale ensuite: parfois, la même information a été traitée à la fois sur le blog et sur le site du média hébergeur, ce qui provoque des doublons et nuit au référencement des contenus en ligne. Selon Bruce Headlam, l’éditeur de la rubrique médias du New York Times, le problème est la «découvrabilité» des contenus sur le nytimes.com, un site immense sur lequel «trouver du matériel peut être ardu», surtout lorsqu’il y a «parfois deux versions de la même histoire, ce qui est source de confusion pour nos lecteurs (et pour les moteurs de recherche)».
Intégrer un blog au coeur du site qui l’héberge est possible lorsque le blogueur est un journaliste de la maison – car on ne donne pas accès au système de publication à des collaborateurs extérieurs -, lorsque le système de publication en question est refait de fond en comble pour proposer les mêmes fonctionnalités qu’un blog ou un micro-blog, et lorsque le blog couvre des sujets liés à l’actualité.
Sur lemonde.fr, les blogs les plus suivis sont Big Browser, un lieu de veille du Web géré de façon tournante par les membres de la rédaction, le blog du dessinateur Martin Vidberg, celui de l’éditorialiste Françoise Fressoz, et Passeur de sciences, écrit par un journaliste scientifique, Pierre Barthélémy. Volontiers en dehors de l’actualité, Passeur de sciences traite ici de la capture d’un astéroïde, là de la médecine regénératrice. Ce dernier permet au Monde.fr d’élargir son offre éditoriale à une thématique s’inscrivant dans une temporalité plus longue.
Même constat du côté de France TV Info: «avoir des blogs invités sert à donner la parole à des experts et à traiter des sujets au “long cours”», détaille Thibaud Vuitton, rédacteur en chef adjoint. «C’est particulièrement efficace quand le blog fédère une communauté et ce n’est pas un hasard si les cartons d’audiences sont les blogs de L’instit ou Mauvaise mère, des espaces identifiés, où de vraies communautés ont été fidélisées».
Enfin, l’utilité cachée des blogs dans une rédaction, c’est de faire prendre le virage du numérique aux journalistes traditionnels. «Quand ils tiennent un blog, ils font ainsi l’apprentissage du Web et de ses réflexes de manière très concrète. Ils voient leurs statistiques, comprennent qui clique sur quoi et quand, et observent les commentaires qu’ils récoltent», m’explique Nabil Wakim, rédacteur en chef du Monde.fr. Cette interaction, vécue in vivo, est plus efficace qu’un long discours.
Twitter permet de faire du micro-blogging, Tumblr de mettre en scène images et GIFS animés, WordPress des plus longs formats. Chaque plate-forme peut donc servir une ligne éditoriale. Bloguer sur WordPress sert à développer une idée en plus de 140 signes, estime Matt Mullenweg, de WordPress, où un post compte en moyenne 280 mots.
Avant, sur un blog hébergé par un média, on écrivait un billet, on le publiait, on envoyait le lien pour relecture à la rédaction, et on attendait que celle-ci le «remonte» sur sa page d’accueil pour obtenir des commentaires de l’audience. Désormais, la remontée d’un blog sur la page d’accueil du média hébergeur n’est plus une condition pour que l’audience y accède. Ce qui compte, c’est le référencement du blog dans les moteurs de recherche et sa recommandation sur les réseaux sociaux. «L’essentiel du trafic de mon blog provient de Facebook», m’informe Emmanuelle Defaud, journaliste et auteure de Mauvaise mère. Quant à ce blog, WIP, il obtient plus de 20% de son trafic via les réseaux sociaux et 50% via le référencement dans Google.
Pour Simone Smith, directrice du marketing de HubPages, c’est la preuve de la faiblesse du format blog, ringard parce que supplanté par les réseaux sociaux, plus puissants, plus actuels, et mieux référencés. Lors d’un discours de quinze minutes au festival South by South West 2013, cette dernière a tenté de prouver que le blog n’est rien sans béquille. «Qui blogue dans cette salle?», a-t-elle demandé. Les trois quarts des personnes présentes ont levé le doigt. «Qui ne publie que sur son blog et pas sur des réseaux sociaux?». Aucun doigt ne s’est levé.
Loin des carcans de leur média, les journalistes trouvent sur les blogs une liberté éditoriale plus grande. Leur écriture y est souvent emplie de verve, d’humeur, voire d’humour; le ton est plus éditorialisant sinon partial; les formats utilisés plus variés, et les angles aussi. «Il y a un plaisir à raconter des histoires, à communiquer avec des personnes qui ont les mêmes centres d’intérêt, à donner son avis quand personne ne me le demande et à exister, au-delà de ma famille et de mon travail», me confie Emmanuelle Defaud, du blog Mauvaise Mère. Bloguer ou micro-bloguer permet un «regard personnel», note encore Thibaud Vuitton, de France TV Info, et «une écriture différente de l’écriture journalistique»…
Etes-vous consommateur de blogs? Aimeriez-vous y voir des expériences de live-writing?
Alice Antheaume
lire le billetLe Woodstock des geeks. C’est le surnom du festival interactif South by South West, organisé chaque année à Austin, au Texas. Pendant cinq jours, s’y tient un nombre considérable de conférences sur l’avenir des technologies et médias de demain.
Le quotidien des participants? Avaler des tacos au petit déjeuner, hésiter entre cinq sessions programmées à la même heure aux quatre coins de la ville, chercher une prise pour recharger les batteries de son ordinateur/téléphone, apporter son café/cupcake/bière dans la salle où Jill Abramson parle du futur du New York Times, se demander si Mashable va être racheté ou pas par CNN, polémiquer sur les sans-abris devenus bornes de WIFI ambulantes et rater la conversation, dans une salle bondée à craquer, entre Sean Parker, le co-fondateur de Napster, et Al Gore, ex vice-président des Etats-Unis.
Que retenir de cette édition 2012 de South by South West? Résumé en huit tendances.
Cela s’appelle, en anglais, de l’«ambient social networking», c’est-à-dire, en mauvais français, du réseautage «ambiant». En clair, via une nouvelle génération d’applications mobiles comme Sonar ou Highlight, on reçoit des alertes sur son smartphone dès que ses amis (ou amis d’amis) de Facebook/Twitter sont dans les parages. Objectif: «révéler les connections cachées» que l’on raterait chaque jour, et ce, en temps réel, «dans la paume de sa main», promet le slogan de Sonar…
Fini le temps des «check in» sur Foursquare pour dire «je suis à l’Ecole de journalisme de Sciences Po en ce moment». Avec ces applications, qui tournent 24h/24, pas besoin de lancer l’interface ni de cliquer sur un bouton pour géolocaliser sa position et celle de ses amis. S’il ne devait y en avoir qu’une, c’est la tendance 2012, c’est instantané, cela use beaucoup de batterie et cela risque de faire hurler les défenseurs de la vie privée, comme le résume Pete Cashmore, le fondateur de Mashable, sur CNN.
Conséquence du point précédent: il a été question, à South by South West comme ailleurs, du côté obscur du «partage social». Le mot «peur» a même été utilisé. La peur du pouvoir que ceux qui font les réseaux ont sur les utilisateurs. «Les gens ne veulent plus être surpris», considère Amber Case, fondatrice de la plate-forme Geoloqi. «Ils veulent qu’on leur dise exactement comment leurs données vont être utilisées et pour combien de temps».
Et si la transparence à tout prix ne rendait pas plus honnête? C’est ce qui fait peur à la chercheuse Danah Boyd, dont Marie-Catherine Beuth a résumé l’intervention sur son blog. «Le sentiment d’être surveillé – et d’avoir cette peur-là – est une façon de contrôler les gens.»
Comme en 2011, en 2012, les mots curation et agrégation ont été très souvent prononcés à South by South West. Les deux désignent une sélection de contenus, la curation étant un choix fait par la main humaine alors que l’agrégation résulte d’un algorithme. Lors d’une table ronde intitulée «The curators and the curated» (les éditeurs et les édités), David Carr, journaliste au New York Times – et personnage du film A la une du New York Times, a rappelé que la curation était vieille comme le journalisme. «La une du New York Times est un acte de curation de tous les jours, et montre quelles sont les six histoires les plus importantes de la journée», explique-t-il.
Quoi de neuf sur le sujet de la curation, alors? Pour Carr, savoir partager, en ligne, des contenus de qualité est devenu une compétence journalistique à part entière, peut-être motivée par le narcissisme dans la mesure où le sélectionneur aime à afficher ses choix sur les réseaux sociaux.
Qu’importe, cette compétence a d’autant plus de valeur qu’elle s’inscrit dans un contexte où les contenus pertinents ne sont pas évidents à trouver. Ou à retrouver. Selon Maria Popova, la fondatrice de Brain Pickings, seul le plus récent serait visible en ligne, les moteurs de recherche n’étant pas pensés pour vraiment chercher des contenus vieux mais bons – ce qu’elle appelle la «newsification» du Web. «Effectuer une sélection de sujets repérés via des statistiques (avec des machines, donc, ndlr) sans faire appel à la curiosité humaine de quelqu’un, cela signe, pour moi, la fin du journalisme», assène-t-elle.
Autre nouveauté dans ce domaine: la création d’un code de la curation, aux Etats-Unis, afin de mentionner la source d’un lien, d’une idée, d’un article. «Nous essayons d’encourager tout le monde à créditer automatiquement l’auteur d’une découverte», précise Maria Popova, «et de standardiser la façon d’écrire la source de cette découverte». Et ce, avec deux symboles notamment, l’un qui concerne une source directe, et l’autre qui renvoie vers une source indirecte d’inspiration.
Est-ce que l’on ne s’intéresse qu’à des sujets que l’on verrait de toutes façons sur le Web? Ou est-ce que la sérendipité – la découverte de contenus par hasard – fonctionne vraiment? David Carr est décidément devenu un apôtre de la curation: «je ne lirai jamais de mon propre chef l’actualité internationale, mais lorsqu’un journal en fait ses titres, je la lis, parce que je fais confiance à l’avis de ce tiers».
Qui a dit que le Web était le règne du court et du bref? Jill Abramson, la directrice de la rédaction du New York Times, en est sûre: «il est faux de dire que les longs formats ne marchent pas sur Internet». Selon Max Linsky, fondateur de Longform, où figure chaque jour une sélection de longs (voire très longs) articles d’actualité, «99% de nos lecteurs vont jusqu’au bout du papier, il y a une vraie opportunité à miser sur des formats de 10.000 signes au moins».
Cela tiendrait moins de la longueur du papier à lire, que à 1. la qualité de l’histoire et 2. la quantité de contenus sélectionnés. «Nous sélectionnons actuellement trois contenus par jour, nous visons le nombre de huit par jour, reprend Linsky, «mais nous avons compris que la limite a du bon. Il faut une quantité quotidienne “digérable” par les lecteurs».
500 millions de photos sur Instagram (dont l’application iPhone a déjà été téléchargée 27 millions de fois, et une application Android se prépare), 6 milliards sur Flickr, et 250 millions sont partagées chaque jour sur Facebook. Ces chiffres continuent à grandir. Comment expliquer cet engouement?
«Ce que l’on boit, ce que l’on achète, ce que l’on photographie est bien sûr éphémère, mais il y a de la valeur dans l’éphémère», estime Verna Curtis, de la division photographie de la bibliothèque du Congrès américain, lors d’une table ronde à Austin sur le sujet. «Nouvelle vraie valeur», l’expression photographique ferait «prendre conscience des moments» de la vie, s’enthousiasme Richard Koci Hernandez, photographe professionnel, qui enseigne à l’école de journalisme de Berkeley.
«La photo est une façon de montrer le monde sans recourir aux mots», théorise à son tour Kevin Systrom, le patron d’Instagram. Pratique, dit-il, lorsque les utilisateurs ne parlent pas la même langue. Au delà de ce système de communication universel, bonne nouvelle pour le journalisme, les photos permettent de raconter des histoires comme personne. «C’est l’âge d’or du storytelling, pour les professionnels comme pour les non-professionnels», explique Koci Hernandez. A condition de pouvoir filtrer, dans ce stock de photos partagées chaque jour, ce qui est intéressant ou pas – voir le point numéro 3.
«Si 10.000 personnes prennent des photos du même endroit/de la même chose au même moment, c’est un signal, on sait alors qu’il se passe quelque chose…», commente Kevin Systrom. Ce qu’il s’est passé notamment à la mort de Steve Jobs, le 5 octobre 2011: Instragram a alors été submergé de photos hommages au créateur d’Apple.
Publier une photo sur un réseau social et n’obtenir aucun «like» ni commentaire. Qui ne l’a pas expérimenté? Même le fondateur d’Instagram confie, gêné: «si dans les premières minutes qui suivent la publication, ma photo ne récolte pas un certain nombre de likes, j’ai tendance à la supprimer».
Tyrannie du «like»? «Je ne crois pas», répond Koci Hernandez, qui se dit néanmoins inquiet que la crédibilité en ligne soit liée au nombre d’interactions générées: «En tant que créateur d’image, il ne faut pas se sentir rejeté si notre image n’est pas approuvée, par des likes ou des commentaires, autant de fois que voulu.»
Comment réaliser un carton sur YouTube? Cette question est revenue lors de plusieurs sessions à South by South West. Le concept de vidéo virale est un «mythe», déplore Mitchell Reichgut, le patron de Jun Group. «Les vidéos qui font le plus de clics sont le résultat de stratégies de communication soigneusement pensées et bien financées – pas le simple fait d’amis qui partagent des vidéos entre amis».
Pas seulement!, avance Prerna Gupta, présidente d’une start-up appelée Khush. A son actif, des vidéos postées sur YouTube ayant fait plus de 100 millions de pages vues. Sa recette tient en six éléments clés: musique, surprise, le côté dit «mignon», seins, humour et célébrité. C’est la suite de sa formule, résumée par Forbes, qui concerne les journalistes.
«On dit dans toutes les conférences que le contenu est roi», confirme Martin Rogard, directeur général de Dailymotion, lors d’une master class donnée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, «mais concernant les vidéos, le contenu ne suffit pas. Il y a aussi la façon dont la vidéo est conçue qui compte. Ainsi que sa diffusion sur toutes les plates-formes et sur tous les navigateurs.»
Pinterest, qui se présente comme un tableau de liège virtuel, l’a prouvé: c’est le retour en grâce des interfaces qui changent. Et si celles-ci sont esthétiquement belles, pour ne pas dire épatantes, c’est encore mieux, car cela donne envie aux utilisateurs d’y rester plus longtemps.
C’est le cas de Flipboard, cette application iPad (et maintenant sur iPhone) qui permet de feuilleter son compte Facebook ou Twitter (et quelques autres médias) comme si c’était un magazine de luxe: son design a été salué de façon unanime par les conférenciers d’Austin comme étant un très bon moyen de «scotcher» ses lecteurs.
Si les articles des journalistes se sont ouverts aux commentaires, il y a des années, c’était pour que des réactions pertinentes de l’audience nourrissent la matière journalistique. Pure rhétorique, dénonce Nick Denton, le directeur de publication de Gawker.
«Les trolls et les spammeurs ne sont pas le problème, on peut les gérer avec force brutalité», annonce l’introduction. «La vraie tragédie, c’est le triomphe de la médiocrité». Comment y remédier? Tentatives de réponses dans ce WIP.
Merci de partager cet article sur Twitter et Facebook!
Alice Antheaume
lire le billet