Petit mobile deviendra grand

C’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.

Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.

  • 1. Les temps de consultation

Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.

  • 2. Les alertes

Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.

D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.

Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.

  • 3. Les interactions avec l’audience

“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.

Crédit: Monaco Mediax

Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.

  • 4. L’économie du mobile

Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.

Crédit: Monaco Mediax

  • 5. Trop d’applications tuent-elles l’application?

A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.

  • 6. Interface

“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.

Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.

  • 7. A quand une rédaction mobile?

Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.

Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”

(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.

Alice Antheaume

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Bref. Canal+ a une stratégie sur Facebook.

Crédit: DR

Départ de Facebook, destination Canalplus.fr. C’est le parcours qu’emprunte presque un tiers de ceux qui se connectent au site de Canal+. «25% de leur trafic provient de Facebook», a vanté en décembre Julien Codorniou lors de la conférence Médias 2011 des Echos.

De fait, la communauté de Canal+ – sur le réseau social – toutes pages confondues – a doublé, passant de 5 millions de fans début 2011 à plus de 11 millions en 2012. Une montée en puissance qui tient certes au succès de la page de la série Bref, qui compte plus de 1,8 millions de fans, mais aussi à une équipe, au sein de Canal+, dédiée aux nouveaux contenus, qui veille. Et se prépare en ce moment-même à l’intégration de la nouvelle plate-forme sociale de Facebook, intitulée l’Open Graph 2.0, dans ses contenus.

Quelle est leur recette? Explications avec Fabienne Fourquet, directrice des nouveaux contenus pour Canal+, et Lama Serhan, éditrice de nouveaux contenus.

1. Apprendre à connaître sa communauté «facebookienne»

Première étape: se plonger dans les statistiques de Facebook pour savoir qui sont vraiment les «fans» de Canal+ sur le réseau social et quels sont leurs usages. Coup de chance pour la chaîne: sa communauté possède plus d’amis que la moyenne – 130 amis par inscrit selon Facebook, 229 amis selon Mashable – et qu’elle partage davantage de contenus.

«C’est vertueux pour nous», m’explique Fabienne Fourquet, car cela conduit à un taux de transformation «exceptionnel». Un seul contenu de Canal+ «liké» via Facebook de Canal+ génère de l’activité sur le réseau social et environ 25 clics en retour sur le site Canalplus.fr. Et ce, même si les vidéos sont lisibles directement sur Facebook en un clic – un double clic ramène vers le site originel.

Autre particularité observée sur ces utilisateurs: ils partagent volontiers des contenus de Canal+ sur leur mur. Comme si cet affichage revêtait une fonction quasi statutaire.

2. Monter une stratégie de diffusion

Septembre 2011, Canal+ décide de rendre son lecteur de vidéos exportable. Cette chaîne, basée sur un modèle payant, et donc fermé, s’ouvre enfin aux possibilités du Web – et notamment au fait que les autres sites puissent «embedder» ses vidéos. Cela n’a l’air de rien mais c’est une petite révolution. Qui s’étend vite aux réseaux sociaux.

«Nous sommes passés à une vraie logique de distribution des contenus», décrypte Fabienne Fourquet. «Plutôt que de limiter la diffusion des vidéos au site de Canal+, nous avons permis aux utilisateurs de voir la vidéo là où ils sont». Facebook y compris, donc, qui compte 23 millions de Français. C’est presque du «service», estiment les équipes nouveaux contenus, qui en appellent à la théorie selon laquelle, désormais, les «infos» nous trouvent, et non l’inverse.

3. Créer un pôle d’éditeurs

Une quinzaine de personnes travaillent, au sein de la maison mère, à la présence de Canal+ sur le Web en général, et sur les réseaux sociaux en particulier. Cette équipe est répartie en fonction des domaines-clés de Canal: 5 personnes s’occupent des documentaires, de l’information et du divertissement, 4 personnes éditent le sport, 2 le cinéma, et 2 les séries.

Pour modérer les commentaires qui affluent sur les pages Facebook de Canal+, un prestataire extérieur s’en charge, 7 jours/7, 24h/24, selon les règles en vigueur: pas de diffamation ni d’insulte, pas d’atteinte à la vie privée ni d’appel au meurtre, et, bien sûr, pas de spams.

4. Miser sur les vidéos, rien que des vidéos

«Nous ne créons pas de contenus exclusifs pour les réseaux sociaux», détaille Fabienne Fourquet. «Nous puisons dans les 500 vidéos publiées par semaine, dont 150 sont, elles, uniquement diffusées sur le site de Canal+ (pas à l’antenne, donc, ndlr).» Au besoin, des monteurs et des réalisateurs créent des contenus dédiés aux nouveaux écrans.

Une limite de durée sur les vidéos? «Il n’y a pas forcément de rapport entre audience et longueur de la vidéo», constate Lama Serhan, en donnant l’exemple des zappings, qui durent 5 minutes et sont parmi les vidéos les plus vues. Autre levier d’importance: le sous-titrage des vidéos, comme les Pépites sur le Web, sorte de zapping Internet, est un «gage de réussite» pour le public francophone.

Alors certes, il y a, sur Facebook, des contenus Canal+ autres que les vidéos, mais la stratégie de Canal, c’est de rester concentrer sur les vidéos. «Lorsque la nouvelle marionnette de Jean Dujardin a été créée pour Les Guignols de l’Info, nous avons publié la photo sur Facebook», se souvient Lama Serhan. Idem lorsque Groland a fêté ses 20 ans, en novembre dernier, et qu’un live-tweet a été organisé lors de la journée-anniversaire.

5. Rester dans le ton Canal

Quel ton est utilisé pour écrire, au nom de Canal+, sur les réseaux sociaux? «Nous n’avons pas de charte, et c’est cela qui marche», estime Fabienne Fourquet.

Sur la page Bref, tout de même, le système paraît rodé. Le titre est toujours «Bref. Titre de l’épisode.» Et bien sûr, une capture d’écran choisie avec soin qui représente l’épisode. Et appelle au clic.

Plutôt qu’une charte, «nous avons surtout déterminé de ce qu’il ne faut pas faire». A savoir bannir les phrases du style «regardez ce soir tel ou tel programme» postées sur Facebook en amont de la diffusion, car, dit encore Fabienne Fourquet, «nous ne faisons pas de “push” sur les programmes en amont, nous ne publions une news que lorsqu’elle est liée à du contenu, qu’il s’agisse de vidéos ou d’infos». Interdiction aussi de publier une information qui concerne le groupe Canal, par exemple l’acquisition par le groupe Canal+ des chaînes Bolloré, avant qu’elle n’ait été annoncée en interne. Enfin, pas de lien vers l’extérieur – on reste dans l’univers Canal+, un point c’est tout.

6. Réfléchir aux heures de publication

Il y a deux bonnes fenêtres de tir pour Canal+: entre midi et deux, et le soir. Dans l’interstice, pas d’affolement. «Nous ne publions pas plus de 3 ou 4 contenus par jour sur chaque page, pour ne pas prendre le risque de spammer nos fans». Et de les pousser à se désabonner. Résultat, le pôle d’éditeurs s’est réparti afin de couvrir les soirées, jusqu’à 22h et les week-ends.

«Nous publions en fonction des rythmes de l’antenne», ajoute Lama Serhan. Pas question de faire attendre les «fans» de Facebook lorsqu’est diffusé Le Grand Journal, de Michel Denisot, et Bref. Exemple repéré ce mardi 31 janvier 2012: moins de 10 minutes après que l’épisode de «Bref. Je suis allé aux urgences» est passé à l’antenne, le voici sur la page Facebook de la série … 15 minutes plus tard, on dénombre déjà plus de 19.000 likes et 592 commentaires.

Succès rarissime? Oui, tendent à penser les équipes de Canal+, Bref étant vu comme l’exemple d’une «alchimie incroyable» d’un format télé «qui résonne sur le Web», analysent Fabienne Fourquet et Lama Serhan. «Un format court et marrant, l’histoire d’un homme comme tout le monde (Kyan Khojandi, ndlr) donc qui parle à tout le monde, dont la qualité de production est incomparable par rapport à la durée de la séquence et qui bénéficie d’une visibilité mass média dans Le Grand Journal, doublée d’une viralisation inédite, avec une mise en ligne immédiate des épisodes et le lecteur exportable.»

Une somme d’ingrédients difficiles à réunir… et à copier.

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Alice Antheaume

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