«J’ai toujours voulu être journaliste…»

Bonjour. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous voulez devenir journaliste?

– Je veux être journaliste parce que j’aime écrire. L’écriture a toujours été quelque chose de très important dans ma vie.

(variante 1: je veux être journaliste parce que je suis curieux/

variante 2: je veux être journaliste pour voyager à l’étranger)

Vous lisez la presse?

– Oui, je «fiche» (sur du papier Bristol, ndlr) Le Monde, tous les jours.

Et la presse magazine?

Courrier International, pour le regard sur l’international. Et XXI, pour les grands reportages.

Ecoutez-vous la radio?

– Oui, j’écoute la matinale de France Inter, mon premier geste du matin. J’aime bien le ton et les interviews politiques.

Regardez-vous la télévision?

– Non, sauf le JT de France 2 parfois. Ou Le Grand Journal que je regarde après sa diffusion sur Canal+ en VOD.

Et des médias étrangers?

– Non.

Quels sont vos sites d’informations favoris?

Lemonde.fr. Je vais aussi sur Rue89 pour ses quiz qui permettent de réviser l’actualité.

Qui ou quel est votre idéal journalistique?

– Florence Aubenas.

Que connaissez-vous d’elle?

– Elle a publié un livre, Le Quai de Ouistreham.

L’avez-vous lu?

– Euh, non. Mais j’ai lu des extraits dans la presse.

Ce dialogue est fictif, mais à un ou deux mots près, il incarne sur le fond comme dans la forme ce qui a été souvent répété lors des oraux d’admission entre le jury et des candidats qui veulent intégrer l’école de journalisme de Sciences Po, à la rentrée prochaine. Après 115 entretiens individuels de 45 minutes chacun, la récurrence incessante de ces références donne une curieuse impression d’uniformité. C’est vrai, la plupart de modèles évoqués ci-dessus incarnent une certaine idée du Graal journalistique. Mais leur citation quasi systématique me laisse perplexe: est-ce qu’un étudiant oserait confier qu’il suit les matchs de foot en «live» sur lequipe.fr? Qu’il prend des gratuits dans les transports en commun? Qu’il lit Voici de temps à autre? Qu’il s’informe par les réseaux sociaux? Et au fond, qu’il butine des titres sur Google News ou Yahoo! news? Est-ce que les candidats ont vraiment la consommation de médias qu’ils prétendent avoir ou est-ce qu’ils se conforment à ce qu’ils croient qu’un jury estampillé Sciences Po veut entendre?

Crédit: DR

Crédit: DR

Image ou vérité?

C’est là tout le paradoxe, voire le malentendu, de ces oraux: la confrontation entre des étudiants qui craignent de sortir des sentiers battus et une école de journalisme à la recherche des profils singuliers qui devraient faire de futurs bons journalistes. On lit ici et là que les jeunes journalistes qui sortent d’école possèdent tous le même profil, et que ce serait l’une des causes de la crise que traverse la profession.

Je remarque surtout que l’on a parfois du mal à trouver des candidats qui se démarquent. Or le but du jeu, pour une école, c’est de constituer un groupe de personnalités éclectiques avec, certes, un intérêt sans faille pour l’actualité mais aussi des goûts journalistiques aussi variés que possible – du moment qu’ils sont argumentés. Inutile d’asséner «j’aime Libération» ou «je déteste TF1» sans dire pourquoi. Cela paraît évident à ce niveau de sélection (BAC+3), et pourtant…

Bien sûr que Florence Aubenas peut incarner un «idéal journalistique». Pourtant, une telle unanimité pose question: qu’un étudiant cite plusieurs des articles de Florence Aubenas (dans Libération ou dans Le Nouvel Obs) et parle dans les grandes largeurs de son dernier livre, Le Quai de Ouistreham (éd. de l’Olivier), pourquoi pas… Mais lorsque l’étudiant n’a pas lu l’ouvrage – sauf les bonnes feuilles parues dans la presse, permettez-moi de douter de sa réelle motivation, sinon de sa vocation.

Curieux, mais encore

Quant à expliquer ses velléités à devenir journaliste par l’envie d’écrire/de voyager/la curiosité, c’est non seulement bigrement convenu mais aussi un peu inquiétant. Car cela traduit parfois une méconnaissance totale de la réalité du métier auquel les candidats se destinent. Vous pourrez me rétorquer que nous demandons beaucoup à ces futurs étudiants: avoir un très bon niveau académique, connaître l’actualité, avoir fait des stages dans des rédactions si possible, connaître un peu l’économie et l’état du secteur, etc. Mais ces informations (coût d’un reportage à l’étranger, nombre de plans sociaux mis en œuvre dans la presse écrite française, ou du nombre de journaux américains ayant mis la clé sous la porte depuis le début de la crise financière), disponibles un peu partout désormais, sont censées faire partie du bagage du futur recruté et la base de sa curiosité supposée.

En racontant à deux professeurs de l’école de journalisme les réponses de certains candidats (pas tous, heureusement!) lors des entretiens d’admission, l’un s’est inquiété de l’uniformisation des esprits: «Pauvres futurs consommateurs de médias que nous sommes s’ils veulent tous faire du France Inter mixé à du Le Monde!». Et le second a pensé: «S’ils parlent de consommation de médias comme d’un geste du matin, et de la pause télé le soir, c’est peut-être parce qu’ils n’ont pas conscience qu’ils consomment des infos en dehors des moments “consacrés”, à tout moment de la journée sur le Net, en se connectant sur Facebook ou en cliquant sur un lien sur Google.» Encore plus inquiétant?

Alice Antheaume

Professionnels, étudiants, simple curieux, à votre tour de donner votre point de vue…

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Liens du jour #19

Et si les digital natives n’existaient pas? (blog de Charlie Beckett)

Les journaux qui font travailler des étudiants d’école de journalisme, c’est abusé (insidehighered.com)

Les 10 négociations en cours sur la vidéo en ligne, dont celle entre Lagardère et Dailymotion (Techcrunch)

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Liens du jour #12

Comment les écoles de journalisme françaises s’adaptent-elles aux mutations, et à la nécessité d’apprendre aux étudiants à faire l’info sur les réseaux sociaux? (Telerama.fr)

Les JO d’hiver de Vancouver, du pain béni pour un site d’info hyperlocal à… Vancouver (OJR: The Online Journalism Review)

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Liens du jour #9

Comment détruire votre communauté en dix leçons? (Framablog)

Une école de journalisme, pourquoi faire? Le témoignage de Cécile qui a suivi les cours de… DEUX écoles de journalisme, l’une à Sciences Po, Paris, et l’autre à la Columbia, New York (Le Médialab de Cécile)

Le “Twitter killer” de Google, une réponse aux erreurs du passé sur les réseaux sociaux (Scobleizer)

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