“J’aurais dû venir avec une bouée ou des brassards”. Hervé, cheveux blonds et bouclés, visage poupin, sac de voyage dans le dos, tente de plaisanter. Florent, un brun aux yeux clairs et à la silhouette frêle, enchaîne les cigarettes. Il dit qu’il est là parce que, à la fac où il étudie d’habitude, il “n’apprend rien”. Un autre, crête sur la tête, est venu avec son lit de camp portatif et son oreiller. A ses côtés, sa mère, venue le soutenir jusqu’à l’entrée. Plus loin, une fille en short et en chaussons en forme de lapins envoie des messages sur Snapchat depuis son smartphone.
Près de la porte de Clichy, dans le Nord de Paris, il y a la foule des grands jours devant l’Ecole 42, l’école de programmation informatique fondée par Xavier Niel, le patron de Free, et des anciens d’Epitech. Près de 800 personnes, dont des élèves de l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1), se sont inscrites pour la “piscine”, cette plongée dans des exercices intensifs de code, sans prof ni cours, “à la manière des swim qualifications des commandos de Marines”.
La queue pour commencer la piscine à l’école #42 ?
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Si nul diplôme n’est requis pour intégrer 42, la piscine tient lieu de sélection. A l’issue de cette épreuve grandeur nature, qui se déroule sur un mois, sept jours sur sept, seuls 200 jeunes obtiendront leur ticket d’entrée pour étudier autrement au sein de cette fabrique de codeurs de talent.
“Si tu n’y passes pas 15 heures par jour, tu es dead”, lâche un élève, arrivé en skate-board et bermuda, qui, après neuf mois à l’Ecole 42, vit là comme un poisson dans l’eau. Avant, il a suivi un BTS services informatiques. “En deux jours de piscine, tu auras le niveau en code que j’ai obtenu au bout d’un an de BTS”, m’encourage-t-il. La piscine, “ça passe si tu es faite pour ça”, surenchérit un autre.
Les candidats, dont certains viennent d’obtenir leur BAC, d’autres sont en décrochage scolaire ou en reconversion, ne prennent pas ces conseils à la légère. Il y a, dans les rangs, une concentration extrême et une appréhension palpable. Pour eux, l’Ecole 42 est souvent l’école de la dernière chance.
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Répartis dans trois immenses salles bardées d’ordinateurs aux fonds d’écran variés – les “clusters”, ils sont invités sans plus de cérémonie à se connecter à “l’intra”, le petit nom donné au programme pédagogique concocté par Olivier Crouzet et son équipe, réunie au sein d’un “bocal”.
En ce premier jour, il s’agit de comprendre ce qu’est une arborescence, le fonctionnement d’un terminal – aussi dénommé shell ou console – et à quoi il sert dans le système d’exploitation Unix. Onze exercices vont suivre pour actionner des commandes comme créer un répertoire, voir ce qu’il y a dedans, le déplacer, et changer les droits des utilisateurs sur un fichier.
Ça a peut-être l’air simple, écrit comme cela, mais dans “l’intra”, rien ne l’est. Des vidéos en veux-tu en voilà, où il est parlé couramment le shell, un drôle de langage (”vous allez me dire, on est dans slash, donc si je fais point point, vous restez dans slash, parce qu’il n’y a rien avant”), des fichiers pour les ressources, des PDF pour les consignes, de la documentation dans tous les sens, un forum, et une messagerie groupée sur Slack où près d’un millier de messages de panique, de problèmes, de questions, et de commentaires – parfois vulgaires -, sont échangés dans la même journée.
Et puis, il y a des éléments surprenants, comme le générique de Nicky Larson en guise de préambule, et cet exercice de “pré-requis” où il faut écrire un mail de flatterie incluant les mots “manivelle”, “autographe”, “maître du monde”, “beau” et “fort” au directeur, Kwame Yamgnane, connu pour son sens de l’humour.
“C’est une blague ou on doit vraiment le faire?”, s’interroge un élève. “Ça doit te prendre 1 minute, mais oui tu dois le faire, même si ce n’est pas noté”, répond un ancien.
Car oui, les exercices sont notés, à la fois par des élèves de 42 et par un robot dénommé “la Moulinette” qui ne fait pas dans la dentelle. “La Moulinette est très stricte dans sa notation (…) il est impossible de discuter de sa note avec elle”, est-il précisé dans les directives. Bref, c’est souvent 0.
Pour “apprendre à coder comme des grands”, il faut chercher, essayer d’être logique, expérimenter, laisser tomber ses préjugés, réfléchir, et se “nourrir de l’aide de ses camarades”, martèle Olivier Crouzet, le directeur pédagogique.
Courage @clairesnews de @edjsciencespo qui tente la piscine de 42 ?
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Car ce qui est valorisé à 42, ce n’est pas la connaissance, c’est la débrouillardise et la courbe d’apprentissage. Pas question de se contenter de regarder les vidéos pédagogiques mises à disposition, mieux vaut faire preuve d’initiative. Michael, bachelier depuis quelques heures, la mèche rebelle et le regard intelligent, est l’un des rares de mon groupe à être à l’aise : il a déjà fait 8 exercices quand j’arrive péniblement au troisième – et encore, je ne suis pas du tout sûre d’avoir bien compris les deux premiers. Michael est un malin, il a récupéré il y a plus d’un mois les exercices de la piscine – “c’est un PDF qui se balade sur le Web”, me confie-t-il – et s’y est préparé en amont, en même temps qu’il passait le BAC.
Il a eu raison d’anticiper car, au sein de l’Ecole 42, le temps passe vite, très vite, surtout quand on relit pour la douzième fois d’affilée l’exercice numéro 2 qui ressemble à du chinois, sans parler de réaliser le dit exercice ni même de le “pusher” sur un serveur, Git, pour lequel il faut trouver un ticket non périmé. Car si les travaux ne sont pas déposés dans le serveur, dans le bon dossier de surcroît, La Moulinette n’a pas prévu d’aller les chercher sur votre bureau. “Tu n’as pas encore fait add / commit / push sur Git? Mais dépêche toi!”, s’inquiète mon voisin de 18 ans.
A 42, c’est l’inversion des hiérarchies. Les “bons élèves” sont déboussolés, alors que ceux qui n’ont pas toujours eu de bonnes notes à l’école entament une deuxième vie. “Tu es super fort”, souffle un étudiant de Sciences Po à l’un de ces jeunes, qui s’arrête net. Il n’a pas souvent entendu ce type de remarques à son sujet. Puis il répond, du tac au tac, “non, je suis nul à l’école, mais ici, ce n’est pas pareil”.
“Vous verrez que nous saurons très bien déterminer si le développement informatique est fait pour vous, sans que votre scolarité antérieure n’entre en compte”, précise l’Ecole 42 sur son site.
Tout en me répétant qu’il faut chercher les solutions par moi-même, je procrastine sur mon ami Google et tombe sur le descriptif du système Unix, dont j’apprends qu’il a été créé en… 1969. A ceux qui se demandent pourquoi une école aussi à la pointe que 42 plonge en 2016 ces élèves dans un système has been, Kwame Yamgnane, l’un des fondateurs, répond que ce n’est pas l’âge du langage qui compte. “Il faut apprendre la tournure d’esprit d’une machine et adapter son cerveau à cette logique”, qui n’a rien à voir avec la structure de pensée habituellement enseignée dans les écoles.
Après une nuit à rêver en continu de “mkdir”, “touch”, “cat”, ls -l”, “ls -la” et toutes ces commandes inédites, mon cerveau a déjà basculé. Le lendemain, je reprends en 30 minutes les exercices que j’avais difficilement effectués en 8 heures la veille et, cette fois, j’ai compris ! Sauf que mon cerveau a tellement basculé qu’il a soudain des doutes sur des choses autrefois élémentaires : pour dupliquer un fichier, faut-il que je tape la commande “clone”? “Quoi, “clone”? Ben non, tu fais copié-collé”, soupire mon voisin. A force de piscine, j’ai perdu pied dans ce que les codeurs appelle l’univers “graphique”, ce monde merveilleux de Windows ou d’OS où il suffit d’un clic pour que l’ordinateur obéisse.
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A 42, il faut partir à point et… tenir la distance. Dès la deuxième journée, les élèves, têtes farcies de ligne de code, font la sieste sur un matelas gonflable dans le couloir, voire à même le sol. “Si vous avez du mal à vous acclimater, les boules quiès et la technique du tee-shirt sur les yeux ont fait leurs preuves”, conseille le staff.
La population de l’Ecole 42 a ceci de particulier qu’elle compte 60% d’élèves habitant en dehors de l’Ile de France. Lorsqu’ils arrivent, avec leurs valises, ils savent qu’il vaut mieux dormir sur place et ne pas perdre du temps dans les transports en commun. Parmi les 800 candidats de la piscine de juillet, 250 logent à 42 et se partagent les quelque… 6 douches. Il leur est pourtant rappelé, via haut parleur, qu’il “est important de se laver” et “qu’utiliser un déodorant, ce n’est pas se laver”. La question de l’hygiène est, semble-t-il, un vrai sujet de préoccupation à 42.
Allez à la douche ! 250 personnes sur 800 candidats à la piscine dorment à l’école 42
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“On cherche des gens qui ont un savoir-faire, mais aussi un savoir-être”, explique l’équipe, lors d’une réunion spéciale filles où les clichés sont enfilés comme des perles : en substance, “attention les filles à ne pas vous faire trop aider par vos congénères mâles qui vont tout faire à votre place”. Cela part pourtant d’un bon sentiment. Parmi les inscrits, seuls 10% sont des filles. 42 souhaiterait voir ce pourcentage grimper à 50% dans les années à venir.
Encore faut-il les attirer dans cet incubateur où pendent des serviettes sentant le chien mouillé le long des escaliers ! “Des cordes à linge sont disponibles sur le toit de la cafétéria avec – innovation technologique – des pinces à linge. Merci d’y mettre vos serviettes plutôt que sur les rambardes (ça fera plus propre pour tout le monde)”, écrit Charly, l’intendant en chef, dans un email collectif. Les efforts du staff pour accueillir la gente féminine sont louables – toilettes du sous-sol et dortoir réservés – mais tombent à plat lorsque l’on apprend que le dortoir des filles s’intitule le “Valhalla”, c’est-à-dire… le paradis des Vikings.
Il règne pourtant dans cette piscine, qui agit comme un mécanisme initiatique, une atmosphère bon enfant. Tutoiement de rigueur, food truck, distribution de pains au chocolat, tournoi de baby foot, portiques dans le hall qui vous disent “bonjour Alice” à l’entrée et “à bientôt Alice” à la sortie… Ici, on travaille dur, mais on apprend autant des autres que des logiciels.
Et ce n’est bien sûr pas un hasard s’il n’y a pas de professeurs à qui demander précisions ou explications. De même, l’écriture volontiers alambiquée des exercices et les changements de dernière minute poussent à l’entraide et la confraternité. Quant à Charly, qui assure l’intendance, il distribue via emails collectifs signés “votre supporter dévoué” des “bons conseils” qui non seulement sont une bouffée d’air mais visent à insuffler un esprit de groupe.
Crédit : AA
S’il n’y a pas de profs à 42, pullulent en revanche des “assistants” qui passent dans les rangs et retirent au débotté les écouteurs branchés sur la prise casque, sous prétexte que cela abîme les machines. Comment faire pour écouter les instructions en vidéo alors? “Vous vous débrouillez, il vous faut une carte son”, répondent-ils. Euh? “Chuuuuut, tais toi, tu vas te prendre des TIG”, me souffle mon voisin. Des quoi? “Des travaux d’intérêt généraux, qu’on surnomme ici des travaux d’intérêt dégradants, comme nettoyer les écrans des 700 ordinateurs disponibles, frotter avec une brosse à dents les grilles de l’entrée ou ramasser les mégots dans la cour. Pour trouver de nouvelles tâches de TIG, “notre imagination est débordante” , prévient le staff.
Autres motifs de sanction? Laisser traîner son badge d’accès ou ne pas verrouiller sa session. “J’avais le dos tourné pendant deux secondes et un assistant a changé les couleurs du terminal”, s’exclame l’un des candidats. “Du coup maintenant cela écrit noir sur noir, je n’y vois plus rien !”.
“Ce sont des sadiques”, éclate de rire un élève, passé par la piscine l’année dernière, chiffon dans une main et spray nettoyant dans l’autre. Il vient d’écoper de 8 heures de TIG après avoir “trollé une copine” lors d’un exercice de groupe. “Il n’y a pas vraiment de pédagogie mais il y a énormément de règles”, observent les nouveaux qui en profitent pour lui demander de passer un “petit coup de pschitt” sur leur écran, trop contents de faire une pause, tandis que l’élève puni découvre, amusé, sur leur console l’étendue du travail qu’il leur reste à faire. Plus que trois semaines et demi, courage !
Alice Antheaume
(1) L’Ecole de journalisme de Sciences Po et l’Ecole 42 ont noué un partenariat qui permet aux élèves de l’Ecole de journalisme de Sciences Po de passer la piscine pendant l’été, et s’ils la réussissent, de faire une année de césure au sein de 42, entre leur Master 1 et leur Master 2.
lire le billetComment devenir journaliste en 2015? Et faut-il le devenir? A ces questions, Félix Salmon, l’éditeur de Fusion, passé par Reuters, répond que “la vie n’est pas belle pour les journalistes”. Il déconseille même aux jeunes de s’orienter vers ce métier.
“Si vous aimez faire autre chose (que le journalisme, ndlr), si vous êtes bons dans un autre domaine, vous devriez sans doute songer à changer d’orientation.”
Pas d’accord, et même pas d’accord du tout – mais comme on aime les débats à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, on a invité Félix Salmon à donner la leçon inaugurale le 28 août prochain, et il a gentiment accepté. En attendant, voici 12 conseils destinés aux étudiants qui rêvent d’en faire leur profession. Et ils ont bien raison car c’est l’un des plus beaux métiers du monde.
C’est le principal avantage de cette profession. Aucune journée ne ressemble à une autre quand on est journaliste puisque c’est l’actualité qui dicte l’emploi du temps et le volume des contenus produits. Le matin, on part sur un sujet dont on ignore souvent tout et, à la fin de la journée, on a publié un (ou plusieurs) contenu(s) qui en explique les enjeux. Au passage, on a appris plein de choses. Magique!
En outre, le journalisme constitue un poste d’observation formidable des mutations sociétales. Un paradoxe, estime un chercheur américain dont je tairai le nom, qui balance.
“Ce qui est incroyable avec les journalistes, c’est qu’ils sont censés raconter les évolutions de la société dans leurs articles, mais qu’ils sont incapables de voir sous leur nez le changement de leur propre métier.”
Ne se sentant pas légitimes, beaucoup d’étudiants s’interdisent malheureusement de postuler à un stage en rédaction, voire à une école de journalisme. Or il ne faut rien s’empêcher, tout simplement pour ne rien avoir à regretter. Et si les aspirants journalistes n’ont pas obtenu de stage dans un média, même après les avoir demandés, ce n’est pas grave. L’expérience ne se résume pas au logo d’une organisation rédactionnelle posé sur un CV.
Ce qui compte, c’est d’expérimenter à sa mesure, de tester des petites choses en ligne, comme faire une photo par jour sur son compte Instagram avec une légende pertinente, monter un blog et apprendre à dialoguer avec les internautes, produire des vidéos sur Dailymotion ou YouTube en forme de zapping, apprendre le code, lancer un journal étudiant, une newsletter, monter une application, etc.
Tout cela a une valeur aux yeux des professionnels et prouve que vous avez déjà les mains dans le cambouis, et des idées en tête.
Non, ce n’est pas “bouché”. En 2014, il y a, sur 36.317 cartes de presse octroyées en France, 1.748 “premières demandes”. Dix ans plus tôt, en 2004, les “premières demandes” s’élèvent à 2.090, sur 36.520 carte de presse octroyées. Ces chiffres – qui ne prennent pas en compte les journalistes qui exercent leur métier sans carte de presse – montrent qu’il n’y a pas eu de réelle dégringolade. Le marché est donc toujours capable absorber des nouveaux entrants.
Les statistiques de l’insertion professionnelle des diplômés de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, l’une des quatorze écoles de journalisme reconnues par la profession, sont encourageantes: toutes promotions confondues, 95% des diplômés travaillent, soit en CDI (46%) soit en CDD (23%) soit en piges régulières (26%).
Félix Salmon évoque “un très grand nombre de journalistes au talent incroyable qui ont du mal à joindre les deux bouts” aux Etats-Unis. En France, le salaire moyen d’un journaliste en CDI est de 3.790 euros bruts par mois, d’un journaliste en CDD de 2.506 euros bruts par mois, d’un pigiste de 2.257 euros bruts par mois.
A noter, “un journaliste diplômé d’un cursus reconnu en CDI ou CDD gagne en moyenne 12% de plus qu’un journaliste diplômé d’un cursus non reconnu” selon le rapport de l’Observatoire des métiers de la presse.
Il est vrai qu’il y a quelques années, les journalistes travaillant sur des sites de presse n’ont, au départ, pas été encouragés à sortir de leur rédaction, englués dans du bâtonnage de dépêche inutile. C’est heureusement de l’histoire ancienne. Car ces sites ont maintenant compris que leur plus-value tient à leur capacité à sortir des contenus inédits, que leurs concurrents n’auront pas, publiés dans des formats adaptés à la consommation d’informations en ligne.
Après, cela tient aussi à la force de proposition des journalistes. La règle est simple pour sortir, soufflent les rédacteurs en chef: il suffit de ne pas rester pas bras croisés lors des conférences de rédaction, à attendre que le “flux” tombe, et de proposer des sujets percutants. Si la proposition est bonne, c’est sûr, le journaliste peut sortir faire le sujet.
Quel point commun entre un présentateur de JT, un journaliste de PQR et un journaliste travaillant pour un pure player? Le journalisme est une “profession très éclatée”, analyse Cyril Lemieux, sociologue à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po le 17 février. Une heureuse spécificité qui permet de connaître plusieurs vies professionnelles, au gré des employeurs, des réorganisations internes et, surtout, des changements de pratiques à l’ère numérique.
Guy Birenbaum, aujourd’hui à France Info, est un bon exemple: d’abord maître de conférences, il est devenu éditeur puis journaliste – sans carte de presse – et écrit toujours des livres. “Je ne suis jamais exactement ce que je suis censé être”, confie-t-il lors d’une master class. Avant d’envoyer une pique à ses confrères…
“Quand j’étais éditeur, je trouvais qu’il valait mieux déjeuner avec des journalistes que de lire leurs papiers.”
“Après 40 ans, il faut arrêter d’être journaliste”, m’avait prévenue un rédacteur en chef à mes débuts à Télérama. A l’époque, lui avait déjà la cinquantaine et, aujourd’hui, il travaille toujours.
Journaliste un jour, journaliste toujours? “Les journalistes ont le sentiment d’être liés par une culture commune et restent attachés à ce métier jusqu’à leur retraite, même s’il y a des sorties de la profession, vers la communication ou vers la politique”, observe encore Cyril Lemieux.
Et pour cause, il y a une interrogation légitime sur le rythme de vie imposé par ce métier, qui peut donner parfois le sentiment d’être comme un hamster dans une roue lancée à toute berzingue et qui peut lasser à force.
Le vrai indice du bonheur chez journalistes? Selon Cyril Lemieux, c’est lorsqu’ils sont fiers de ce qu’ils produisent collectivement. Et c’est souvent le cas dans les périodes de breaking news intenses.
Mais cela provoque en contrecoup, comme après les attentats de janvier à Paris, un épuisement général qui “laisse des traces physiquement et moralement”, reconnaît Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFM TV, lors d’une conférence à Sciences Po le 12 février.
Et Céline Pigalle, la directrice de l’information de Canal+, surenchérit…
“L’extrême fatigue de ce métier est liée à l’impossible réplication de ce que l’on a appris dans une situation antérieure. On doit remettre en jeu nos choix et nos pratiques à chaque nouvelle situation.”
“Je veux être journaliste parce que j’aime voyager”, entend-t-on parfois de la bouche des étudiants. Or aimer les voyages n’est pas un argument suffisant pour faire ce métier. Contrairement à ce que vit Tintin dans ses “aventures”, le journaliste ne fait pas de tourisme. Il peut – et doit – aller sur un terrain parce qu’il y a un enjeu et une “histoire” à raconter, non pour se faire plaisir.
“Pratiquement tout le monde peut écrire. Le fait que vous puissiez écrire ne vous aidera sans doute pas à faire la différence”, note Ezra Klein, le co-fondateur de Vox Media.
En revanche, ce qui peut faire la différence, c’est la capacité à trouver des nouveaux codes narratifs, en faisant des reportages avec son smartphone, en plongeant dans des tableurs remplis de données pour réaliser des enquêtes, en jonglant entre temps réel et long format, en créant des graphiques interactifs, en sachant dialoguer avec l’audience, en collaborant avec des robots de l’information. Voire en créant sa propre start-up d’informations.
Quelle est l’actualité du jour? Quel angle proposeriez-vous sur cette actualité? Quel sujet aimeriez-vous couvrir? Ces questions sont celles que les professionnels posent souvent aux étudiants. Une façon de vérifier, notamment lors des entretiens, leur appétence pour les informations.
Pour devenir journaliste, il faut être incollable sur l’actualité et montrer que vous la butinez sous toutes ses formes et provenant d’une multitude de sources (médias traditionnels, pure-players, réseaux sociaux, etc.) – ne vous contentez pas du traditionnel triptyque trop souvent cité par les étudiants, à savoir France Inter/Rue89/France 2.
“Un journaliste est un homme qui vit d’injures, de caricatures et de calomnies”, a prévenu Delphine de Girardin, citée par Serge July dans son Dictionnaire amoureux du journalisme.
C’est en grande partie vrai, et notamment en ligne, où les journalistes font l’objet d’invectives de toute sorte, qu’ils encouragent parfois d’ailleurs, et du harcèlement des trolls.
Corollaire ou non, les journalistes ne sont pas très aimés, déplore Eric Mettout, le directeur de la rédaction adjoint de L’Express, citant un sondage “assassin” d’Ipsos pour Le Monde et France Inter selon lequel “23% des personnes interrogées font confiance (aux journalistes), 77% se méfient, dont 27% absolument”.
Certes, “le journalisme est une profession inquiète”, comme le constate le sociologue Gérald Bronner lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po.
Et pour cause, la responsabilité des producteurs de contenus face à des dilemmes complexes est grande: faut-il par exemple parler des rumeurs, pour les démentir, au risque de leur donner de l’écho?
“Il faut vérifier les faits mais aussi se demander en toute honnêteté: quels sont ses a priori narratifs sur l’histoire que l’on s’apprête à couvrir?”, conseille Gérald Bronner.
Pas de raison de déprimer pour autant, puisque l’ère numérique permet d’explorer des voies journalistiques inédites et accélère les carrières.
“Il n’y a jamais eu autant de possibilités de grandir rapidement”, encourage Will Oremus, de Slate.com, citant les exemples de Ben Smith, le rédacteur en chef de Buzzfeed, qui, à 38 ans, vient d’interviewer Barack Obama, ou d’Ezra Klein, de Vox Media, âgé de 30 ans. “Ceux qui sont prêts, ou juste désireux de créer, doivent être jugés sur la valeur qu’ils produisent aujourd’hui plutôt que par les noms listés sur leur CV ou le nombre d’années d’expérience”.
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Alice Antheaume
lire le billetFin d’année scolaire oblige, une nouvelle salve d’étudiants sortent diplômés de l’Ecole de journalisme de Sciences Po et commencent leur vie professionnelle en tant que journalistes. Après deux ans de travail intense, de veille acharnée à la recherche d’informations inédites, de revues de presse, d’enregistrements de flashs, d’écriture de reportages, d’enquêtes, d’animation de “lives”, de travail d’équipe, et d’interactions avec l’audience, une foule de petits détails trahissent maintenant leur profession.
Une fois n’est pas coutume sur ce blog, voici une note humoristique pour leur faire un clin d’oeil de fin d’année.
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Alice Antheaume
lire le billet
14 juin 1990: le premier contenu signé Bloomberg est publié. «C’était quatre ans avant que Netscape ne fournisse Internet au monde, marquant le début de la fin des journaux comme principale façon de s’informer. Nous ne le savions pas au moment de commencer», se souvient Matthew Winkler, co-fondateur de Bloomberg News avec Michael Bloomberg, le maire de la ville de New York. «Ce que nous savions, c’est que ceux qui travaillent sur les marchés, dans la finance, les affaires, l’énergie et autres avaient besoin d’être informés en temps réel».
Invité à donner la leçon inaugurale de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, lundi 2 septembre 2013, Matthew Winkler détaille les fondamentaux de Bloomberg, à savoir la règle des 5F (first, fastest, factual, final, future) et les dix principes exposés dans The Bloomberg Way: a guide for reporters and editors (éditions Wiley), la Bible des journalistes de cette maison, un manuel de 376 pages qui «oblige les journalistes à être les agents de leurs lecteurs, et non les agents de leurs sources».
>> Voir la vidéo “pour réussir dans le journalisme” filmée à Sciences Po avec Matthew Winkler >>
1. Ce n’est pas de l’information si ce n’est pas vrai.
Notre métier, est-il rappelé dans The Bloomberg Way, c’est de publier des faits, et non des rumeurs. Spécificité de Bloomberg, «nous couvrons la spéculation, qui infléchit ce que les traders et les investisseurs achètent ou vendent. La spéculation n’est pas une rumeur. Nous savons si un prix baisse ou monte, c’est un fait. La raison de la fluctuation de ce prix – motivation des traders – peut être vraie ou fausse. La conséquence, qui est d’acheter ou vendre, est factuelle.» Au quotidien, un journaliste doit vérifier chacun des éléments suivants avant publication: noms des personnes, leurs dates de naissance, leurs fonctions, leurs descriptions physiques, les noms des sociétés, les lieux, la description de ces lieux, les chiffres (dates, statistiques, pourcentages, etc.) ainsi que les anecdotes rapportées. Cela sous-entend être capable de dire d’où tel ou tel fait sort et avoir la preuve qu’il est juste.
2. L’information n’est pas une denrée de base.
Les anecdotes prouvant que le journaliste était sur place, que personne d’autre n’a vues et ne serait susceptible de raconter, sont la preuve de la justesse de l’information et garantissent l’originalité de la couverture journalistique. «Nous avons l’obligation de donner autant de détails possibles sur ce qui a été dit ou fait», édicte The Bloomberg Way. Cela sous-entend fournir aux lecteurs des documents, des liens vers des contenus complémentaires, des citations, des données, des vidéos, sons et photos, et des graphiques…
3. Nous sommes définis par les mots que nous utilisons.
Précision et brièveté obligatoires. Mieux vaut préférer les mots courts aux mots longs, les mots communs aux mots à la mode, les mots concrets plutôt que les mots abstraits. Mieux vaut aussi utiliser la voix active plutôt que passive, et couper en deux une phrase qui nécessiterait, à la lecture, de reprendre sa respiration avant d’atteindre le point final.
4. Montrer plutôt que dire.
L’assemblage de faits et d’anecdotes suffit à prouver au lecteur que ce qu’il lit est vrai. Selon le manuel de Bloomberg, les journalistes doivent éviter à tout prix les adjectifs et adverbes, biaisés et vagues, au profit de verbes, de noms et de chiffres bien choisis. Quand on écrit des «grosses ventes», que signifie «grosses»? Est-ce une augmentation des ventes de 20%? 50%? 75%? Puisque le lecteur ne peut le savoir, un bon journaliste évite donc l’emploi de «grosses» et met le pourcentage requis à la place.
>> L’Ecole de journalisme de Sciences Po lance une mention journalisme économique >>
5. L’information est surprenante – ou n’est pas.
Selon The Bloomberg Way, un papier doit contenir a minima l’information qu’il entend délivrer, et expliquer dès les premières lignes pourquoi elle sort aujourd’hui, pourquoi c’est important, et qu’est-ce que cela a de nouveau et de surprenant par rapport au contexte. Bref, répondre à la question suivante: «que savons-nous aujourd’hui que nous ignorions hier?».
6. Les personnes font l’information.
La règle est connue, et est sans doute encore plus vraie lorsqu’il s’agit de couvrir l’actualité financière et économique, volontiers impersonnelle. Il faut veiller à incarner l’information, à la personnifier, c’est-à-dire mentionner des personnes clés, et notamment les acteurs et les victimes. «Plus les noms de ces personnes sont connus, plus l’audience sera grande».
7. Non «fait maison», et alors?
Pas question, à Bloomberg, de faire l’impasse sur une information sous prétexte qu’elle a été sortie par une rédaction concurrente. Si cela survient, The Bloomberg Way prescrit à ses journalistes de 1. donner tout de suite la dite information (et sa source) et 2. avoir de nouvelles éclairages et développements sur cette histoire. Dans le même esprit, les journalistes sont priés de trouver des liens pertinents pour enrichir leurs sujets. Il ne s’agit pas là d’insérer un lien vers le site de la société dont ils parlent sur le nom de celle-ci, ce qui serait pris pour de la publicité, mais de proposer des contenus complémentaires et susceptibles d’intéresser le lecteur.
8. Suivre le sens de l’argent.
«Suivez le sens de l’argent et vous comprendrez la politique», est-il écrit dans ce manuel, qui estime que la même approche peut être observée pour couvrir les catastrophes naturelles et les guerres. Combien cela coûte de détruire? Combien cela coûte de reconstruire? Comprendre le rôle de l’argent, sous toutes ses formes, permet d’y voir plus clair sur tous les sujets, financiers, économiques, politiques, et sociaux.
9. Des histoires pour tous et toutes.
Les clients de Bloomberg s’y connaissent en économie et en finance, mais la plupart des lecteurs ont un niveau de connaissances moindre en la matière. Or un journaliste de Bloomberg doit s’adresser tout autant aux traders qu’à ceux qui consultent le site, les vidéos de Bloomberg TV, d’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient. A lui de savoir écrire simplement.
10. Plus il y a de préparation, plus la chance nous sourira.
«Vous voulez avoir un scoop? Préparez-vous». Cela ne tombe pas du ciel. La collecte permanente de détails sur les sociétés et les décideurs économiques est essentielle car «la connaissance, c’est le pouvoir», peut-on lire dans The Bloomberg Way. Pour ce faire, les journalistes sont encouragés à dresser des listes en fonction du domaine qu’ils couvrent: les 10 sociétés les plus importantes du secteur industriel, les 10 sociétés qui sont les plus profitables, les 10 sociétés qui sont les plus endettées, les 10 acteurs clés du secteur de l’énergie (et pourquoi), les 10 experts de l’éducation, etc. Une fois ces listes effectuées, charge au journaliste de rendre visite à ces personnalités pour discuter avec elles. Un bon journaliste, reprend The Bloomberg Way, a lu tout ce qui avait été écrit sur son sujet avant de partir en reportage: rapports, expertises, audits, articles, comptes financiers, etc. Plus le journaliste engrange de connaissances, plus il peut poser des questions qui ont du sens. La rançon pour trouver un scoop dans une botte de foin.
Parmi les autres conseils trouvés dans The Bloomberg Way, en voici quelques uns:
– travailler de longues heures sans faire de pause n’est pas une vertu. Le risque est de ne plus avoir l’esprit assez frais pour repérer les bonnes informations. «Même s’il est rare de voir des gens l’emporter sans effort ni peine, il est tout aussi rare de voir des gens faire de leur mieux en étant fatigué.»
– un bon reporter ne considère pas un «non» comme une réponse.
– «les meilleurs journalistes n’ont pas besoin d’être supervisés. Ils n’attendent pas qu’on leur dise quoi faire. Ils savent quoi faire.»
>> Les commandements d’Alan Rusbridger, le rédacteur en chef du Guardian, invité de l’Ecole de journalisme de Sciences Po l’année dernière >>
Bonne rentrée!
Alice Antheaume
lire le billetMobile, audience, contenus, vidéos instantanées… En conclusion de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le lundi 10 décembre 2012 par l’Ecole de journalisme de Sciences Po, Joshua Benton, directeur du Nieman Lab, a énoncé six grandes tendances du journalisme numérique. Les voici.
>> Revivre le live réalisé lors de cette journée marathon (merci à tous les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes et tweets…) >>
1. L’ascension mobile
«Les rédactions sous-estiment l’importance du trafic provenant du mobile», juge Joshua Benton. Et c’est dommage, car la percée du mobile révolutionne de fond en comble la façon dont les lecteurs vont consommer de l’information. En outre, il y aura bientôt plus de connections depuis le mobile que depuis un ordinateur. C’est déjà le cas à certains moments de la journée sur le site du Guardian. En France, sur lemonde.fr, le changement s’est déjà opéré: il y a désormais plus de pages vues sur le mobile que sur le site Web d’informations. J’ai déjà écrit plusieurs WIP sur ce sujet, ici et là.
2. La montée des contenus «évolutifs»
Fleurissent des applications qui permettent de calibrer les contenus en fonction du support depuis lesquels on les lit. Ainsi, l’application Circa pioche à droite et à gauche les informations les plus importantes du jour et les ré-édite afin qu’elles soient lisibles sur un petit écran de smartphones, avec les faits d’un côté, les photos de l’autre, les citations. Pour ne plus avoir besoin de zoomer, de dézoomer et de scroller sur son téléphone pour espérer lire une histoire. Summly, une autre application mobile, fait des résumés des sources que l’utilisateur sélectionne, en les formatant pour une lecture mobile.
Les contenus «évolutifs» ne sont pas qu’une question de supports. Il s’agit aussi des temps de lecture: si un lecteur vient pour la première fois sur un site, il ne verra pas la même chose que celui qui est déjà venu plusieurs fois, et qui veut donc repérer d’un coup d’œil ce qui est nouveau depuis sa dernière venue, ainsi que le théorise cette start-up appelée Aware.js «Et si on pouvait proposer différents éléments d’un même contenu en fonction de ce que le lecteur sait ou ne sait pas?».
3. L’entrée par la porte arrière
L’accès direct sur les sites, et notamment par la page d’accueil, baisse au profit d’autres entrées, par les réseaux sociaux, sur Facebook et sur Twitter. «Le partage est la nouvelle méritocratie des contenus», lance Andrew Gruen, chercheur à l’Université de Cambridge et de NorthWestern, intervenant aussi à la conférence.
«A quoi sert la page d’accueil maintenant qu’elle ne sert plus comme la porte d’entrée principale?», s’interroge Joshua Benton, qui cite l’exemple de Quartz, une rédaction américaine née en 2012 et qui a d’abord conçu son application sur tablette et sur mobile avant de dessiner son interface sur le Web. Du coup, ils n’ont plus vraiment de page d’accueil, leur page d’accueil est un flux sur lequel on peut lire les articles en intégralité et les uns à la suite des autres.
Alors que l’entrée par la page d’accueil du site du Nieman Lab ne concerne que 6% de l’audience (48% pour le New York Times et 12% pour The Atlantic), Joshua Benton parie qu’il pourrait écrire des gros mots sur la page d’accueil sans que personne ne les remarque avant un bon moment. Bref, il faut exporter sa marque et ses marqueurs d’identité sur d’autres chemins d’accès que la seule page d’accueil.
A cet effet, le New York Times a créé «TimesWire», un fil d’actualités publiées de façon chronologique, avec le plus récent en haut. «Cela s’adresse aux utilisateurs du New York Times qui se fichent de lire les éditoriaux, mais qui veulent avoir la plus récente actualité en tête», reprend Joshua Benton.
4. L’essor de la vidéo en live
Qui n’a pas sa plate-forme de vidéos en direct? UStream et LiveStream sont désormais bien installés dans le paysage, YouTube a fait une percée remarquée avec la diffusion en live du saut supersonique de Félix Baumgartner, le 14 octobre dernier, et le Huffington Post a une plate-forme de live-streaming pour les vidéos. Tout.com surfe aussi sur cette tendance: cette technologie permet de produire des vidéos instantanées, d’une durée maximale de 15 secondes, téléchargeables en moins de 30 secondes, des quasi-tweets. «Ne me parlez pas, montrez moi!», lance Michael Downing, président de Tout.com, un autre intervenant de la journée, qui rappelle que, depuis 15 ans, le Web a été dessiné par la culture du papier…
5. La nouvelle garde
La nouvelle garde journalistique arrive en ligne et ne passe pas inaperçue. Le Huffington Post a obtenu cette année un prix Pulitzer pour un sujet sur des anciens combattants américains au retour d’Irak et d’Afghanistan, Buzzfeed s’est illustré avec sa couverture politique de l’élection présidentielle américaine, et la plate-forme de publication proposée par Vox Media en scotche plus d’uns… Voilà quelques exemples qui augurent d’une nouvelle génération de journalisme numérisée.
6. La poussée de la globalisation
Le Huffington Post a un seul CMS (Content Managing System) et huit déclinaisons internationales, dont l’Italie, en Espagne, en Angleterre, en Italie, etc. Al-Jazeera veut, en plus de sa version arabe et sa version chinoise, se tourner vers la Chine et vers une audience turque. Bref, un média, même national, a intérêt à se tourner vers d’autres marchés, à parler d’autres langues…
Alice Antheaume
lire le billet
La campagne américaine de 2008 a été un moment charnière pour les réseaux sociaux. Celle de 2012 devrait être celle de la vidéo, a annoncé Emily Bell, de l’Ecole de journalisme de Columbia, à New York, le 4 septembre (1). 13 jours plus tard, l’actualité lui donne raison. Lundi 17 septembre est ainsi publiée la vidéo pirate montrant Mitt Romney, candidat républicain à la présidentielle des Etats-Unis, s’en prendre aux 47% d’Américains qui “voteront pour Obama quoiqu’il arrive” parce qu’ils “dépendent du gouvernement” et “pensent qu’ils sont des victimes”…
La vidéo, dont les rushs originaux ont été filmés en mai dernier en Floride lors d’un dîner de levée de fonds privé, a été récupérée par le site Mother Jones, qui l’a contextualisée, sous-titrée et éditée. Résultat, la vidéo figure parmi les plus vues de la semaine dernière, selon Viral Video Chart, avec plus de 3 millions de clics en 7 jours, et un taux de partage exceptionnel sur les réseaux sociaux.
“Les règles de la télé ne fonctionnent pas sur le Web”
Si cette vidéo a ainsi explosé, c’est parce qu’elle est l’illustration parfaite du postulat suivant: les contenus vidéos produits par les éditeurs en ligne ne sont pas de la télévision, et doivent s’en distinguer en tout point.
“La vidéo pour le Web n’est pas celle que l’on fait pour la télévision. Il faut tout désapprendre. Les règles de la télé ne fonctionnent pas sur le Web”, considère Vivian Schiller, ex du New York Times, aujourd’hui directrice des activités numériques de NBC News.
Comment expliquer que la vidéo pirate sur Mitt Romney soit le paradigme de la bonne vidéo sur le Web? En quoi se distingue-t-elle des règles télévisuelles?
Outre le document en vidéo, les autres formats vidéo pertinents sur le Web sont :
Exemple: HuffPost Live, Ustream, Livestream
Exemple: “Patriot game”, cette vidéo qui montre l’affrontement de Mitt Romney et Barack Obama sous la forme d’un jeu vidéo (New York Times)
Exemple: Compilation des vidéos d’amateurs s’exerçant au Moonwalk (Slate V)
Exemple: la crise de l’Euro expliquée en 1 minute de vidéo
“Le but du jeu est d’aider les gens”
“Sur le Web, on ne peut pas dupliquer ce qui existe déjà sur un autre média”, reprend Josh Tyrangiel, éditeur de Bloomberg Business Week, ex de Time.com. “Le but du jeu est d’aider les gens et de leur faire gagner du temps.”
Pour “leur faire gagner du temps”, donc, un bon format vidéo doit être efficace et donner l’information tout de suite, dès les premières secondes de la séquence. Mieux, et Mother Jones y a songé: la vidéo doit être compréhensible sans le son, grâce à des synthés et des sous-titres, afin que les utilisateurs puissent la visionner depuis leur bureau en open space sans casque ni haut parleur branché, un cas plus fréquent qu’on ne croit.
La vidéo constitue bien plus qu’une tendance journalistique en 2012, c’est un environnement dans lequel les consommateurs d’informations baignent. La preuve, 72h de vidéos sont téléchargées chaque minute sur YouTube. Et même le GIF animé revient dans la course, cette fois comme outil de storytelling pour le journalisme numérique.
“Parler de vidéo est devenu l’équivalent de parler de l’Internet”, glisse Amy Webb, la présidente de Webbmedia Group, évoquant les nouvelles tendances à venir à la conférence ONA12, à San Francisco.
La vidéo est le nouveau tweet
Facebook avec Facebook Stories, Tumblr avec StoryBoard, Twitter avec Twitter Stories, Google avec sa vidéo “Parisian Love”… Les mastodontes américains de la technologie se sont tous lancés dans la production de vidéos, pour mettre en scène les histoires de leurs utilisateurs et “montrer qu’il y a quelque chose de romantique à leur algorithme”, écrit The Altlantic.
Pour les journalistes, la vidéo est en train de devenir le nouveau tweet. En témoigne la technologie Tout.com, qui permet de publier des vidéos de moins de 15 secondes de façon instantanée, et avec laquelle le Wall Street Journal vient de s’allier pour lancer sa plate-forme, WorldStream.
Quelles sont les meilleures vidéos sur le Web que vous ayez vues? Partagez-les dans les commentaires ou sur Facebook et Twitter.
Alice Antheaume
(1) L’Ecole de journalisme de Sciences Po, pour laquelle je travaille, et celle de Columbia sont partenaires avec un double diplôme en journalisme.
lire le billetPlus de développeurs et moins de journalistes. C’est ainsi que les équipes éditoriales du Guardian vont être remaniées, a annoncé le rédacteur en chef du quotidien britannique, Alan Rusbridger. Car au Guardian comme ailleurs, le futur du journalisme passe par la compréhension du code.
Pourquoi? Parce que, derrière chaque site d’informations et chaque application mobile, il y a des lignes et des lignes de signes (lettres, chiffres, ponctuation) incompréhensibles pour le quidam mais sans qui, en ligne, il n’y aurait aucun habitacle susceptible d’accueillir des contenus journalistiques.
Il serait donc temps d’apprendre à “taper” ces “lignes” de code. Ou, du moins, à en saisir la logique. D’autant que les “codeurs” incarnent la nouvelle élite, selon le Washington Post. le A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, certains étudiants estiment que c’est LA nouvelle langue à ajouter à leurs CV. L’un d’entre eux m’a indiqué, par email, l’existence de leçons, en ligne, gratuites et en anglais, pour commencer à programmer.
Ecole de code
Un clic plus tard, me voici à la Codecademy, la Star Academy du code, un site créé en août dernier par deux compères, Zach Sims and Ryan Bubinski, issus de l’Université de la Columbia, à New York. Leur pari? Faire de l’apprentissage du code une résolution de l’année 2012.
Les journalistes, étudiants ou professionnels, ne sont pas les seuls concernés. Selon ces jeunes entrepreneurs, savoir coder sera, dans les années à venir, aussi fondamental que savoir lire ou écrire. Sims et Bubinski ont déjà convaincu plus de 280.000 “élèves” de suivre leurs cours, dont le maire de New York, Michael Bloomberg. Tous sont désormais inscrits à la Codecademy comme on s’inscrirait à une salle de sport, pour se maintenir à flot. Et les apprentis codeurs tweetent leur progression, sous le hashtag #codeyear.
Au programme, donc, des leçons pour apprendre en s’amusant des langages informatiques, à commencer par Javascript. Oui, “apprendre en s’amusant”. Car la Codecademy repose sur le même principe de “gamification” que le site de géolocalisation Foursquare: chaque exercice réussi fait gagner des points. Puis des badges, dont les participants peuvent s’enorgueillir en les affichant sur les réseaux sociaux.
Scripts, commandes, etc.
En vrai, c’est ultra simple et bien pensé. Même pour des littéraires. “Tout se fait sur Internet et c’est interactif”, décrit Zach Sims, interrogé par CNN Money. “Vous n’aurez jamais besoin de lire un livre sur la programmation puis de vous exercer sur un ordinateur, vous faites juste à ce que vous montre notre programme”.
“Comment vous appelez-vous?”, interroge le programme, en indiquant qu’au moment de taper la réponse, dans un espace ressemblant à un chat de messagerie instantanée, vous devez mettre votre prénom entre guillemets – obligatoire dans Javascript pour les mots, mais pas pour les chiffres. Puis il vous demande de retaper votre prénom entre guillemets et de compléter par .length (longueur, en français) – ce qui donne, dans mon cas, “alice”.length – puis de taper “entrée”. Le programme vous indique alors combien de lettres composent votre prénom. Vous avez ainsi réalisé votre premier “script”.
Ensuite, cela se complique pour passer en revue d’autres commandes, comme envoyer un message d’alerte qui s’afficherait en pop-up depuis un navigateur, ou définir des variables qui correspondent chacun à un jour de la semaine.
26 exercices plus tard, 230 points et 3 badges obtenus au prix d’heures d’acharnement déraisonnable, j’ai arrêté de croire que cela suffirait à me transformer en développeuse accomplie. D’après les fondateurs de Codecademy, rien n’est impossible à condition de suivre le programme pendant un an, à raison d’une leçon par semaine au minimum. Pour l’instant, s’il y a une leçon à retenir, c’est qu’en tapant du code, le seul oubli d’un point virgule à la fin d’une ligne peut ruiner toute velléité de programmation.
Je l’ai déjà écrit dans un précédent WIP intitulé “Premières leçons de code”. S’initier aux rudiments du code, ça sert, pour un journaliste, à «penser» selon deux approches: la forme ET le fond, les interfaces ET les contenus.
En effet, comment, en ligne ou sur mobile, concevoir le meilleur format éditorial possible si l’on ne sait pas ce qu’il est possible de faire ou pas, techniquement parlant? Et comment, dans les rédactions, travailler avec des robots sans comprendre comment ceux-ci sont programmés?
Avez-vous testé Codecademy? N’hésitez pas à écrire vos impressions ci-dessous.
Et merci de partager cet article sur Facebook et Twitter!
Alice Antheaume
lire le billetInnovation, audience, gestion des contenus créés par des utilisateurs, vérification en temps réel, télévision connectée aux réseaux sociaux… Tels ont été les sujets abordés lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le vendredi 2 décembre par l’École de journalisme de Sciences Po, où je travaille, en partenariat avec la Graduate School of Journalism de Columbia. Résumé des interventions.
>> Revivre le live réalisé lors de cette journée marathon (merci à tous les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes et tweets. Cet article a été rédigé en s’appuyant notamment sur leur live!) >>
Emily Bell, directrice du centre de journalisme numérique à Columbia, ex-The Guardian
«L’audience n’est plus l’apanage du service marketing, elle est dans les mains des journalistes. En cours, à la Columbia, je pose la question à mes étudiants: “pour qui écrivez-vous?”. C’est une question nouvelle – avant, on ne le leur demandait pas car il y a encore ce syndrome, très ancré dans la culture journalistique traditionnelle, selon lequel il ne faudrait pas trop faire attention à ce que dit le public, car cela risquerait de contaminer la pensée des journalistes, et de leur faire croire que le public préfère lire des sujets sur Britney Spears plutôt que sur la crise de la Grèce.
Il faut donc connaître son public: qui est-il? D’où vient-il? Comment interagit-il avec les articles? On ne peut pas ignorer ce que dit l’audience, ni ce qu’elle pense, sinon on met en péril son activité journalistique. Il faut utiliser la connaissance et la mesure de l’audience pour faire du bon journalisme.»
>> Lire Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent? sur WIP >>
Dawn Williamson, de Chart Beat
«Le journalisme d’aujourd’hui ressemble à l’industrie sidérurgique d’il y a 50 ans. Avant les années 60, la sidérurgie était exploitée dans d’immenses et coûteuses usines. Jusqu’à ce qu’apparaissent d’autres exploitations, plus rapides, plus petites et moins coûteuses. Au début, les grosses usines d’acierie refusaient de travailler avec ces nouvelles petites usines, de peur qu’elles produisent de la moins bonne qualité. On peut dire qu’aujourd’hui, des sites comme le Huffington Post sont comme les mini-aciéries des années 60. Ils produisent du contenu journalistique pour moins cher que les rédactions comme le New York Times.
Au départ, pour se lancer, le Huffington Post (mais aussi Gawker et Business Insider) ne s’est pas intéressé à la qualité mais à sa plate-forme. Le Huffington Post s’est d’abord créé une place, en révolutionnant le marché, puis est monté dans la chaîne de valeur, au point d’embaucher parfois des journalistes du… New York Times.
Pour prendre des décisions éditoriales, ces nouveaux sites donnent accès, pour leurs journalistes, aux données de mesure de l’audience. Et ce, via des outils, dans le backoffice, comme ChartBeat, et NewsBeat, afin qu’ils puissent voir, en temps réel, ce qui intéresse l’audience. Exemple aux Etats-Unis, concernant la députée américaine démocrate Gabrielle Giffords, qui a reçu une balle dans la tête lors d’un meeting, en janvier 2011. Fox News a pu voir, via l’analyse des termes de recherche liés à cette fusillade sur ChartBeat, que le public cherchait à en savoir plus sur le mari de Gabrielle Giffords. Surveiller les intérêts de l’audience, ce n’est pas une course vers le bas de gamme, ni un fichier Excel à lire, c’est un environnement dans lequel les journalistes doivent vivre.»
>> Lire Accro aux statistiques sur WIP >>
Gabriel Dance, éditeur interactif pour The Guardian US, ex-directeur artistique pour The Daily, l’application iPad de Rupert Murdoch, et ex-producteur multimédia au New York Times
«Les clés pour innover? D’abord être “fan” de quelqu’un qui vous inspire, un génie que vous ne perdrez jamais de vue. Le génie que je suis de près? Adrian Holovaty, fondateur du site EveryBlock. Ensuite il s’agit de surveiller ce que font les autres rédactions. Il ne suffit pas de copier les innovations des autres, car votre audience le saura et aura l’impression d’être trompée, il faut améliorer la copie en allant plus loin, en essayent d’imaginer ce que pourrait être l’étape suivante. Etre dans la compétition, ce n’est pas négatif, ce n’est pas mettre quelqu’un à terre, c’est faire monter son propre niveau.
Pour trouver l’inspiration, il faut regarder ce qu’il se passe en dehors du journalisme, comprendre ce qui excitent les gens et pourquoi. L’interface des jeux vidéos peut être une bonne source d’inspiration. Qu’est-ce qui fait que cela marche? Et comment pourrais-je adapter cette interface pour raconter une histoire journalistique? Telles sont les questions auxquelles il faut répondre pour réussir à inventer d’autres formats.
Autre clé pour innover: connaître ses limites (taille de l’équipe, temps, technologie, concurrence). Car oui, des contraintes peuvent sortir de la créativité. Et puis, l’innovation ne vient pas en une fois. Pour ma part, je fais des dizaines et des dizaines de brouillons avant de publier quoique ce soit.»
Mike Proulx, co-auteur du livre Social TV
«Nombreux sont ceux qui ont prédit la mort de la télévision, mais en fait, on ne l’a jamais autant regardée. Aux Etats-Unis, on la regarde en moyenne moyenne 35h par semaine, selon Nielsen. En outre, la convergence entre Web et télévision a une très grande influence sur la façon dont on regarde la télévision. C’est ce que j’appelle la télévision sociale, c’est-à-dire la convergence entre réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, et télévision. On regarde un même programme sur deux écrans, le premier (l’écran télé) pour voir le programme, le deuxième (ordinateur, tablette, mobile) pour commenter et réagir au programme.
C’est la force de Twitter. Au moment où Beyoncé a montré son ventre rond lors des MTV Video Music Awards à Los Angeles en août, il y a eu un pic sur Twitter avec 8.868 tweets par seconde, tweets liés à l’annonce de sa grossesse. Un record. Twitter, qui compte 100 millions de comptes actifs, a de l’impact sur la production des informations. Et ce, sur quatre tableaux:
1. Les “breaking news” de toute sorte arrivent d’abord – et de plus en plus – sur Twitter, de l’amerrissage en catastrophe de l’avion sur l’Hudson, au tremblement de terre au Japon, en passant par la mort de Ben Laden – au point que Twitter en a fait sa publicité avec ce slogan, “Twitter plus rapide que les tremblements de terre”.
2. Pour trouver des sources. Twitter est un outil très utile pour les journalistes qui cherchent à contacter des gens qui pourraient leur raconter des histoires, comme l’a fait Jake Tapper d’ABC.
3. Pour rester connecté en permanence, et faire du journalisme tout le temps.
4. Pour intégrer des tweets à l’intérieur des programmes télévisuels, comme l’a fait l’émission 106 & Park, dans laquelle les questions venant de Twitter sont posées aux invitées pendant le show. Twitter peut vraiment être considéré comme une réponse directe de l’audience à ce que s’il se passe à la télévision. Exemple avec le débat du candidat républicain Rick Perry qui a eu un trou de mémoire au moment de citer le nom de l’agence gouvernementale que son programme prévoit de supprimer. C’est “l’effet Oups”, aussitôt répercuté sur Twitter. Jusqu’à présent, on était habitués à regarder la télévision avec votre famille et vos amis, désormais, on la regarde avec le monde entier.»
>> Lire le mariage royal de la télévision et de Twitter sur WIP >>
Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, ex-lefigaro.fr
«Le fact checking doit se faire de plus en plus rapidement, c’est une réponse à la communication politique. Le fact checking publié une semaine après n’aura pas le même impact que s’il est réalisé très vite. Au Monde.fr, notamment via le blog Les Décodeurs, nous faisons du fact checking participatif. Non seulement les lecteurs peuvent nous poser des questions, mais nous faisons aussi appel à eux pour leur demander de nous aider à trouver des chiffres, ou au moins, des pistes.
Autre moyen de faire du fact checking en temps réel: le live. Pour Fukushima ou pour des débats politiques, comme lors de la primaire socialiste. Le but est de vérifier la véracité de ce que disent les politiques sur le plateau télé. Par exemple, au deuxième débat de la primaire socialiste, 65.000 personnes étaient connectées à notre live. A la rédaction, nous étions quatre journalistes à animer ce live, dont deux uniquement sur le fact checking. Il faut vraiment se préparer en amont, avoir des fiches, des bons liens sur les sujets qui vont être abordés, et se nourrir de sites avec des chiffres comme vie-publique.fr par exemple. Le fact checking en temps réel est un vrai plus, et le sera encore davantage lorsque la télévision connectée sera installée dans les foyers.
Après, dire que l’on fait du fact checking en live, tout le temps, serait prétentieux. Parfois, cela nécessite un travail de fond que l’on ne peut pas réaliser en 3 minutes. Faire un vrai décryptage c’est ne pas se contenter de la parole politique. Mais en vrai, c’est un exercice sans filet, où le fact checking est parfois sujet à interprétation. Ce ne sont pas des maths, il y a parfois des zones grises (cf les “plutôt vrais”, “plutôt faux” du blog Les Décodeurs). Néanmoins, Nicolas Sarkozy a pu dire pendant deux ans qu’un bouclier fiscal existait en Allemagne avant que l’on vérifie et qu’on écrive que ce n’était pas le cas».
>> Lire le fact checking politique sur WIP >>
Nicola Bruno, journaliste, auteur pour le Reuters Institute Study of Journalism d’un travail de recherche intitulé “tweet first, verify later”
«Maximilian Schäfer, du journal allemand Spiegel, l’a dit: le fact checking ne concerne pas la vérification des faits, mais la fiabilité des sources. Or il est de plus en plus difficile de s’assurer de la fiabilité de ses sources, parce que l’on a moins de temps pour cela, parce que les sources sont multiples et disséminées sur les réseaux sociaux, et aussi, parce que, sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien. Enfin, si, selon Paul Bradshaw, du Guardian, qui assure qu’on laisse tant de traces sur le Net que, même si l’on ne connaît pas la source, on peut déterminer son sérieux en fonction de son empreinte numérique.
Et dans les rédactions comme la BBC, le Guardian ou CNN, les approches sont différentes. Au Guardian, ils privilégient la vitesse, donc ils publient d’abord, ils vérifient après. A CNN, qui s’appuie sur iReport, une partie du site où des amateurs peuvent partager leurs infos (environ 10.000 iReports/mois), le contenu n’est pas vérifié tant qu’il n’a pas été sélectionné par la rédaction. Côté BBC, qui reçoit environ 10.000 contributions par jour de la part des utilisateurs, la vérification des contenus venus des réseaux sociaux est beaucoup plus stricte. Une équipe surveille les réseaux sociaux 24h/24, cherche et appelle des sources éventuelles. Leur principe? Vérifier d’abord, publier après. Twitter s’est révélé une très bonne source pour la couverture du tremblement de terre à Haïti. Ça, on peut le dire aujourd’hui, mais à l’instant T, comment en être sûr?
Concernant les outils, pour vérifier les contenus générés par les utilisateurs, il y a TinEye pour les images, et Exif pour savoir avec quel appareil celles-ci ont pu être prises, mais aussi Google Maps et Street View pour les lieux. Et pour savoir si une photo a été retouchée? Le site Errorlevelanalysis.com. Il n’y a pas de secret, on utilise toujours les mêmes principes de vérification, issus du journalisme traditionnel, le tout boosté par les nouveaux outils et les réseaux sociaux.»
>> Lire la présentation sur Storify de Nicola Bruno >>
>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>
Julien Pain, journaliste à France 24, responsable du site et de l’émission les Observateurs
«Notre force, à France 24, c’est d’avoir une base de données de 20.000 personnes dans le monde, dont 3.000 sont labelisées “observateurs” parce qu’on les a jugées fiables. Tous les contenus des utilisateurs sont vérifiés avant publication, mais le plus difficile à vérifier pour nous, depuis Paris, ce sont les vidéos. Dès qu’il se passe quelque chose dans l’actualité, la rédaction à Paris passe en revue les observateurs présents dans la région concernée et les appelle.
Que peut-on demander à des amateurs? Nous “alerter” sur des choses qui se passent, “capter” des bribes d’actu et “vérifier” des éléments. Que ne peut-on pas leur demander? Fournir des papiers clés en main avec le titre le chapeau et l’information présentée de façon concise, ou de se déplacer sur commande (et gratuitement). Mon travail est d’autant plus intéressant lorsqu’il concerne des pays où il n’y a pas de journalistes, surtout lorsque les amateurs nous montrent des images que les autorités ne veulent pas que l’on voit. Le problème, c’est que les bons contenus n’arrivent pas tout seuls sur le site de France 24, il faut aller les chercher.
Quant à la vérification, elle n’est seulement le fait des journalistes. Les amateurs peuvent nous aider à vérifier des images, et leur connaissance culturelle du pays est inestimable dans cette tâche. Les contenus amateurs explosent dans les lives, et s’entremêlent aux contenus professionnels. On l’a vu à France 24, et même à Reuters qui le fait dans ses lives. L’avenir? L’image amateur diffusée en live… Et le risque de commettre des boulettes.»
>> Lire Le type du Web répond au grand reporter, la tribune de Julien Pain sur WIP >>
>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>
NB: Cette conférence a aussi été l’occasion de remettre le prix de l’innovation en journalisme Google/Sciences Po et des bourses de mérite aux étudiants. Félicitations aux lauréats!
Alice Antheaume
lire le billetUn journaliste a-t-il le droit de publier sur Twitter une photo de sa rédaction presque déserte, en visant ses collègues qui ne sont pas au travail dès potron-minet? Peu de rédactions françaises l’interdisent. Ou disons plutôt: peu de rédactions estiment qu’elles ont besoin de l’interdire tant cela leur semble évident qu’on “ne balance pas sur les horaires d’arrivée des journalistes de sa propre maison devant la terre entière”. Certes, Twitter n’est pas la terre entière, mais c’est quand même plus de 3 millions de personnes, selon une récente étude de Semiocast.
Lorsque le cas se présente, les directions se révèlent perplexes. A la rédaction du Nouvel Observateur, ce cas est survenu. “Je ne vois pas en quoi tweeter la photo du plateau, donnant l’impression que la rédaction est vide, alors qu’il y avait des journalistes qui travaillaient, aurait pu être drôle. Même au troisième degré”, me confie Aurélien Viers, rédacteur en chef du NouvelObs.com. “Cela peut être mal interprété, et a été mal interprété”. De fait, un autre journaliste du Nouvel Observateur a riposté aussitôt, également sur Twitter, en saluant la “pointeuse”. Ambiance.
“Je ne pensais pas que cela arriverait, nous n’avons jamais eu aucun souci”, reprend Aurélien Viers. “Aucun journaliste ne tweete sur son canard ou sa direction en les critiquant, c’est enfoncer des portes ouvertes, mais il fallait que cela soit précisé”. Il a alors envoyé un email à son équipe, rappelant quelques règles simples et de “bon sens” sur l’utilisation de Twitter par les journalistes, dont il s’explique dans cette tribune publiée sur WIP.
Or ce qui est le bon sens pour les uns ne l’est pas toujours pour les autres. Et c’est toute l’ambiguïté de l’appréciation de ce qui est “évident”. Alors faut-il l’expliciter via une charte, ou un “règlement intérieur”, comme l’appelle Eric Mettout, rédacteur en chef de lexpress.fr? “Comme si, parce que nous nous exprimons sur Twitter ou Facebook en notre nom, nous y oubliions notre carte de presse et les comportements qui y sont attachés et dont nous sommes abreuvés depuis l’école”, regrette-t-il. Faut-il aller jusqu’à demander aux journalistes de ne pas dénigrer leur direction en public? Lorsque Anne Lauvergeon a été annoncée à la présidence du conseil de surveillance de Libération, les journalistes de ce titre ne se sont pas privés de marquer leur désapprobation sur Twitter.
Journalisme et réseaux sociaux en ménage
Si les rédactions anglo-saxonnes ont la culture de la charte et documentent les droits et devoirs de leurs journalistes, les rédactions françaises n’ont pas ce réflexe, craignant sans doute d’entraver la liberté de ton de ses journalistes ou de devoir, pire, réactualiser les règles en permanence en fonction des cas rencontrés. Surtout, elles ne veulent pas freiner les enthousiasmes de ceux qui tweetent et participent ainsi à la visibilité de leur titre en dehors des pages et colonnes traditionnelles.
La véritable raison d’une charte sur les réseaux sociaux, c’est d’assurer le prolongement des devoirs journalistes (pas de diffamation, pas d’atteinte à la vie privée, etc.) prévalant sur les publications traditionnelles (sites Web, journaux) aux publications annexes (blogs, Twitter, Facebook, lorsque les comptes sont ouverts). Car un journaliste l’est 24h/24, quel que soit l’endroit d’où il parle.
France Télévisions a, de son côté, écrit une charte des antennes. “La charte de France Télévisions est plus subtile que ce que l’on a bien voulu en dire, détaille Bruno Patino, directeur général délégué au numérique, également directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po. Twitter n’est pas au centre de la charte. Celle-ci prend seulement en compte un fait avéré: il n’est pas possible d’avoir sur les réseaux sociaux deux identités, une privée et une professionnelle, qui soient imperméables l’une à l’autre. En clair, il ne faut pas dire des choses sur tweeter que l’on n’assumerait pas à l’antenne. Notre crédo, c’est “think before your tweet”, réfléchissez avant de tweeter.”
Le Nouvel Observateur a aussi une charte, créée en 2004, et révisée en 2010, qui concerne l’ensemble des devoirs des journalistes, et non l’utilisation spécifique des réseaux sociaux. Mais Aurélien Viers laisse la porte ouverte: “il faut l’envisager, d’autant que les 130 journalistes du titre vont davantage utiliser leurs comptes Twitter et Facebook” dans les mois à venir.
En ligne ou hors ligne, même combat
Quant à l’AFP, elle est en train d’en élaborer une, dont la première partie concerne la vérification du matériel trouvé sur les réseaux sociaux, la deuxième partie devant s’attaquer à ce que les agenciers peuvent publier, ou non, sur Twitter et Facebook. En préambule, m’explique François Bougon, journaliste à l’AFP, “on va rappeler que les journalistes sont encouragés à être présents sur les réseaux sociaux (veille, recherche d’infos, etc.) et que leur présence n’est pas différente de celle dans le monde réel et elle doit continuer à être guidée par les mêmes droits et devoirs tels qu’ils sont consignés dans des textes fondateurs comme par exemple la déclaration des droits et devoirs des journalistes, adoptée à Munich en 1971”.
De même, le SNJ, le Syndicat National des Journalistes, a également mis à jour, le 5 juillet 2011, son code de conduite et s’attaque à l’instantanéité: “la notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources.” Façon de calmer la course au premier tweet.
Enfin, à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille, nous avons écrit une charte, en vigueur depuis la rentrée scolaire 2010, pour que les étudiants suivent les mêmes règles journalistiques, qu’ils produisent des contenus pour un site Web d’infos, sur une page Facebook, sur un compte Twitter, dans un journal télévisé ou un flash radio.
Les règles des rédactions anglo-saxonnes
Pour finir sur ce sujet intarissable, voici quelques uns des mots d’ordre observés dans différentes rédactions à l’étranger.
“Le message est simple: ne soyez pas stupide”, demande Alan Murray, l’éditeur du Wall Street Journal. Si vous couvrez la politique, vous n’allez pas tweeter que vous venez de voter pour John McCain. Si vous êtes Bob Woodward et que vous allez rencontrer Gorge Profonde dans un garage, vous n’allez pas le fanfaronner sur Twitter. Le problème, dans les grosses organisations comme le Wall Street Journal, c’est qu’il y a inévitablement des gens qui font des choses stupides, et d’autres gens du titre qui estiment que, s’il y a des gens qui font des choses stupides, il faut tenter de codifier la stupidité.”
“Les journalistes du Washington Post doivent savoir que, quel que soit le contenu qui leur est associé sur les réseaux sociaux, celui-ci est considéré comme l’équivalent de ce qui peut apparaître à côté de leur signature, sur le site Web ou dans le journal.”
Dans ses règles à tenir sur les réseaux sociaux, la radio américaine NPR énumère plusieurs points, donc celui-ci: “tout ce que vous écrivez ou recevez sur un réseau social est public. Toute personne ayant accès au Web peut accéder à votre activité sur les médias sociaux. Et même si vous êtes attentif à essayer de séparer professionnel et personnel, en ligne, les deux s’imbriquent”. Et plus loin: “vous devez vous conduire en ligne en pensant à ce que votre comportement et vos commentaires (…). Autrement dit, conduisez vous en ligne comme vous le feriez en public.”
A la question “quand puis-je tweeter?”, répertoriée dans sa charte, Reuters répond: interdit aux journalistes de l’agence de poster un scoop sur Twitter. Toute information exclusive doit d’abord être publiée dans le fil de dépêches. Logique, puisque Reuters a un modèle économique qui repose notamment sur l’achat d’informations par des clients, lesquels verraient d’un mauvais oeil le scoop publié sur une plate-forme accessible à tous, sans abonnement. En revanche, il est possible de retweeter un scoop quand c’est celui de quelqu’un d’autre, reprend Reuters, dans son manuel.
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Alice Antheaume
lire le billetComment utiliser Facebook pour (mieux) distribuer ses contenus? Comment augmenter l’audience de son site d’infos en utilisant la viralité de Facebook? Faut-il avoir sa «fan page»? Que faire du bouton «like»?
Ce sont quelques unes des questions auxquelles Justin Osofsky, directeur de la division média de Facebook, et Julien Codorniou, directeur des partenariats pour la France, invités par l’Ecole de journalisme de Sciences Po, ont tenté de répondre lors d’une formation spéciale, donnée ce 28 juin à Sciences Po aux étudiants en journalisme et à des journalistes professionnels. Résumé des points clés de leur intervention.
>> Pour savoir quand et comment publier des contenus sur Facebook, relisez ce WIP sur «les critères d’un contenu facebookable» >>
Pour l’instant, et selon les chiffres publiés par le Pew Research Center, Facebook apporte 8% du trafic du Huffington Post, 7% à CNN. Mais pour le site du Daily Mail, Facebook représente 24%, ajoute Julien Codorniou. En France, lorsque RMC a publié sur Facebook une information exclusive sur «l’alibi de DSK», cela lui a apporté 36% de son audience lors de cette journée de publication, le 16 mai. Objectif de Facebook: parvenir à fournir 30% du trafic des sites d’infos. Un objectif qui paraît plausible vu la courbe de progression spectaculaire du poids de Facebook sur l’audience de sites médias (+300%).
Pourquoi parler d’apport de trafic «qualifié»? Parce que, assure Facebook, l’audience provenant du réseau social de Mark Zuckerberg serait «engagée» sur les sites d’infos. En témoignent, dit Justin Osofsky, les chiffres du Huffington Post. Les utilisateurs de Facebook qui cliquent sur l’agrégateur américain resteraient en moyenne 8 minutes de plus que les autres visiteurs – non passés par Facebook, et consulteraient 22% de pages vues en plus.
Certains éditeurs craignent de revivre la même chose qu’avec Google News en 2006, à savoir de voir leurs contenus produits par des journalistes professionnels «canibalisés» par Facebook, et «monétisés» par Facebook. Sur la canibalisation, la réponse de Facebook est simple: «Facebook sert à découvrir des contenus, pas à consommer des contenus. Donc un titre avec trois lignes, cela suffit, pas besoin d’en mettre plus». Sur la monétisation, Facebook s’avère lapidaire: pas de partage de revenus.
«Il faut implémenter le bouton like sur vos sites», répètent à l’envi les dirigeants de Facebook, pour qui c’est la clé de voûte du partage d’infos. Mais le bouton «like» – présent sur ⅓ des 1.000 sites Web les plus populaires, selon une récente étude réalisée par le Wall Street Journal – ne fait pas tout, c’est une mécanique de recommandation sociale, pas une stratégie.
Même si 50 millions de liens sont «likés» chaque jour, il ne s’agit pas de mettre le bouton «like» n’importe comment, assure Facebook. 98% des boutons «like» seraient «mal codés» en France. Soit parce qu’ils ne sont pas disposés à un endroit stratégique sur la page – je comprends que cela veut dire sous le titre de l’article, avant le corps du texte, ou bien sous l’article. Soit parce que les développeurs ont oublié d’accoler au bouton «like» la photo des profils des utilisateurs qui «likent», ce qui démultiplie l’impact de ce clic sur le nombre de visiteurs sur ce même contenu. «Pour Dailymotion, 1 like = 8 visiteurs; pour Elle.fr, 1 like = 10 visiteurs», détaille Julien Codorniou. «Le meilleur est la matière, en France, c’est la chaîne Game One qui obtient le barème 1 like = 40 visiteurs.»
A ceux qui se demandent encore quelle est la pertinence du terme «like» sur un contenu dramatique, Facebook assène que 1. «le bouton like témoigne d’une interaction, pas d’une appréciation d’un contenu», et 2. il suffit de rentrer dans le code pour changer le mot «like» en «recommander».
Le vrai problème de Facebook, c’est son bouton «share», qui a été développé il y a un moment mais que le réseau social veut «tuer», non sans humour. «C’est comme Microsoft avec Internet Explorer 6, ils ne le supportent plus mais ont du mal à s’en débarrasser», sourit Julien Codorniou.
Alors que Rockville Central, un média local américain, a décidé de se délocaliser sur Facebook, des commentaires aux contenus, nombreux sont les sites d’informations qui font face à des systèmes de commentaires parallèles. Certains internautes réagissent sur le site, directement sous les contenus, dans la partie «commentaires». D’autres commentent sur le réseau social les infos (souvent les mêmes que sur le site originel) publiées par le média sur sa page Facebook. Résultat, il y a deux fils de discussions parallèles avec parfois les mêmes arguments, mais dans deux espaces différents.
Pour résoudre ce point, qui occasionne des doublons et une logique pas très «user friendly», Facebook a conçu une «comment box», une boîte à commentaires, qui se greffe directement sur les pages d’un site Web. Quand un internaute commente sous un article, il est identifié avec son profil Facebook et, s’il laisse la case «publier sur Facebook» cochée, son commentaire apparaît à la fois sur le site d’infos et sur le mur du profil Facebook de l’utilisateur, avec le lien vers l’article commenté. En France, peu de sites ont franchi le pas, mis à part le Journal du Net et Minute Buzz.
Pourtant, sur Facebook, un média n’est pas responsable devant la loi des commentaires de ses internautes sur sa page, quand bien même ceux-ci seraient diffamants. Ce qui n’est pas le cas sur son site, où l’éditeur est tenu responsable et doit veiller à la bonne marche de la discussion. Dans la pratique, même si la loi n’impose rien, les éditeurs modèrent les réactions laissées sur leur page Facebook, leur objectif éditorial étant d’obtenir un débat qui apporte des idées et infos complémentaires, sans insulte donc.
Tandis que les éditeurs rétorquent dans la salle qu’ils n’ont pas attendu Facebook pour faire du participatif, Julien Codorniou estime que le rôle des journalistes, «c’est de se concentrer sur la production d’informations de qualité», tandis que «Facebook s’occupe de la viralité.»
«Qui a une page publique sur Facebook en tant que journaliste?», demandent les dirigeants de Facebook aux présents pour la formation à Sciences Po. Dans l’amphithéâtre, personne ne lève la main.
Pour Justin Osofsky, l’idéal, quand on est journaliste, est d’avoir sur Facebook un profil personnel, limité à 5.000 amis, et une page publique (c’est-à-dire une page fan), que les utilisateurs, en nombre illimité, choisissent de «liker» sans avoir besoin de demander l’autorisation. «Votre profil perso, c’est pour vos amis; votre page, c’est pour vos lecteurs», résume le directeur de la division média de Facebook. De toutes façons, «au-delà de 5.000 amis, cela ne peut pas être vos vrais amis», ajoute son collègue Julien Codorniou.
Pour Vadim Lavrusik, ex-journaliste sur le site Mashable qui a rejoint Facebook à Palo Alto, en Californie, «cela sépare plus clairement vos vies professionnelle et privée (…) et évite le problème éthique d’accepter ou pas d’être ami avec une source – et les sources peuvent aussi se sentir gênées de faire ami-ami avec un journaliste.»
Sur le Huffington Post, par exemple, les articles peuvent bien sûr être «likés», et les auteurs des articles aussi. Ce qui participe de cette fameuse notoriété dévolue aux journalistes – le «personal branding», parfois indépendamment du média pour lequel ils travaillent.
>> Voir ou revoir la présentation de Justin Osofsky, de Facebook >>
>> Voir ou revoir la présentation d’Antoine Gounel, d’Opengraphy >>
AA
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