Leçons de journalisme en banlieues

Crédit: Flickr/CC/fral-torqui

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Les médias maltraitent-ils les banlieues? Les journalistes sont ils trop blancs et/ou trop bourgeois pour couvrir les périphéries des villes? David Dieudonné, journaliste à l’AFP, invité à donner une master class à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, a listé 12 leçons de journalisme apprises en banlieue. «Grâce à» la banlieue, corrige-t-il, alors qu’il vient de finir, en tant que journaliste professionnel, un Master of Arts à Columbia University, à New York, pour confronter son expérience de la banlieue parisienne – dont il a coordonné la couverture à l’AFP de 2010 à 2012 – au modèle américain de lutte contre les discriminations.

Leçon numéro 1: éviter la tentation du faits divers

«Quand les journalistes sont en banlieue, parce que c’est un territoire où il n’y pas de calendrier, où les événements ne sont pas prévus ni anticipés, ils sont à la merci d’un événement brutal, du fait divers, du crime», commence David Dieudonné. Conséquence, «l’actualité de la zone est préemptée par l’événement tragique». Et c’est une tendance générale, le traitement du fait divers est en hausse dans les médias. Pour ne pas se faire aspirer par le fait divers, il faut s’astreindre à prévoir des sujets sociétaux, économiques, sportifs ou autres en banlieue.

Leçon numéro 2: savoir que ce n’est ni noir ni rose

Il existe un traitement intermédiaire entre l’excès de tragique et l’excès d’enthousiasme, reprend David Dieudonné qui observe que, trop souvent, les journalistes «paient leur dette à la banlieue en faisant une “successful story” sur un type qui lance sa start-up et réussit». Or «on ne fait pas son travail» quand on est «dans le pire ou dans le meilleur».

Leçon numéro 3: privilégier le terrain et le temps

Il faut «être sur le terrain et y revenir, et y rester longtemps, pour pouvoir s’y enfoncer», continue David Dieudonné qui recommande même de ne prendre aucun fixeur. Cela suppose que la rédaction à laquelle les journalistes appartiennent soit solide, ait pu les contractualiser et leur laisse une grande latitude. «Il ne faut pas que la précarité couvre la précarité», tranche l’invité de la master class.

Leçon numéro 4: pratiquer la diversification des sources

L’apport des nouvelles technologies et des réseaux sociaux est considérable pour la couverture journalistique des banlieues. Cela évite de se laisser influencer uniquement par des sources policières et judiciaires puisque, sur le réseau, on trouve aussi des témoignages de personnes qui vivent sur place. La difficulté, temporise David Dieudonné, c’est de savoir «naviguer dans tous ces messages diffusés et d’effectuer le travail de “curation” nécessaire pour quadriller» l’ensemble. Faire une bonne veille en ligne sur le sujet couvert, donc.

Leçon numéro 5: se méfier de la discrimination passive

Partir à l’étranger aide à voir son pays avec un regard neuf. David Dieudonné, qui est retourné étudier à New York, dans un système qui n’était pas le sien, a soudain mieux appréhendé ce qui ne marche pas en France. Aux Etats-Unis, «ceux qui fument de l’herbe sont des blancs, mais ceux qui sont en prison sont avant tout des Afro-Américains», explique-t-il. «J’ai mieux saisi le cliché du jeune banlieusard musulman en France en voyant le prototype du jeune noir aux Etats-Unis».

Leçon numéro 6: chercher ailleurs la clé

La question de la laïcité est souvent la clé pour expliquer la situation en banlieues dans les journaux. Trop facile, juge David Dieudonné qui martèle qu’il n’y a pas forcément d’opposition entre la République et les religions.

Leçon numéro 7: montrer de l’empathie

C’est la leçon tirée de la lecture de l’ouvrage Covering Islam co-écrit par Edward Said. Celui-ci appelle à l’empathie les journalistes amenés à couvrir cette religion qu’ils méconnaissent.

Leçon numéro 8: lire, lire, et encore lire

Le conseil vaut pour tous les champs journalistiques: il faut lire des livres, chaque nuit, chaque jour, lire beaucoup. «Les bons papiers sont comme des bibliothèques» remplies de références et d’idées extraites des lectures du journaliste.

Leçon numéro 9: ne pas ressembler à ses collègues

La diversité de l’équipe journalistique est essentielle. Il faut des gens de tous les bords, de toutes les communautés, pour couvrir au mieux les banlieues,. Et ce travail n’est pas l’apanage de journalistes qui en sont eux-mêmes issus. Autre point essentiel: partir en binôme, homme/femme. La parité facilite les contacts, de même que la diversité blanc/noir.

Leçon numéro 10: considérer une source comme une aide

Laura et Chris Amico sont jeunes et mariés, ils vivent à Washington DC. Elle est journaliste, lui est développeur. Ensemble, ils ont lancé Homicide Watch, un site qui passe en revue l’histoire de ceux qui sont tués dans la capitale de la politique fédérale américaine. Profils des victimes, photos, fiches sur les suspects, cartographie du lieu du meurtre, suivi de l’enquête judiciaire et des procès qui s’ensuivent, tout y est… Y compris un espace mémoriel en ligne où peuvent s’exprimer ceux qui connaissaient la victime. A les lire, «on comprend mieux ce qu’est une communauté», s’exclame David Dieudonné, regrettant de ne pas eu l’idée de faire la même chose lors des émeutes de Villiers-Le-Bel, en 2007… «Nos sources sont nos collègues, pas nos concurrents», continue-t-il.

Leçon numéro 11: y revenir

Il faut revenir inlassablement au sujet que l’on travaille et sur lequel on a développé une expertise. Autant dire que les banlieues s’appellent «reviens»…

Leçon numéro 12: innover

Couvrir les banlieues à l’ère des réseaux sociaux constitue le plus grand terrain de jeu qui existe. Pas question, donc, de ne pas utiliser les nouvelles technologies pour ce faire.

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Où sont passées les communautés des sites d’infos?

Crédit: Flickr/CC/Gerlos

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Une heure après la diffusion de l’émission Les Effroyables Imposteurs, mardi 9 février sur Arte, on trouvait seulement 9 commentaires d’internautes sur le site de la chaîne. Sur Twitter et Facebook, au même moment, une centaine de messages parlant de l’émission affluaient.

En ligne, il n’y a plus, figée dans un seul et même endroit, ce que l’on appelait autrefois une «communauté». Celle-ci, éparse, se dilue ailleurs, sur les réseaux sociaux et sur d’autres sites que le seul site émetteur de l’information / émission commentée. Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. Quand, en mai 2009, est publié l’article «Les forçats de l’info», sur la condition des journalistes Web, il fait l’objet d’une pluie de réactions de la part des intéressés. Mais pas dans l’espace prévu à cet effet sous l’article publié sur lemonde.fr — neuf mois après, il n’y a que 23 commentaires. Non, ce sont sur les blogs, sur Twitter, sur Facebook, que le débat s’est créé. Et même sur des médias concurrents, qui ont voulu donner à leur tour leur version du sujet.

Dilemme

La question en turlupine plus d’un: comment faire du participatif sur son site si celui-ci ne détient plus de communauté circonscrite? Comment pister les réactions des internautes si celles-ci sont délocalisées sur le réseau?

C’est tout l’enjeu de l’initiative menée par Europe 1. Alors que Jean-Pierre Elkabbach interviewe François Fillon à l’antenne, mercredi 4 février, une petite vingtaine d’internautes triés sur le volet commentent l’interview en simultané sur Twitter. «J’avais suivi l’émission Paroles de Français, sur TF1, avec Nicolas Sarkozy, à la fois devant ma télé et devant Twitter, me raconte Patrice Thomas, chef du service reportages à Europe 1. C’était une expérience très riche, comme si j’avais des copains sur mon canapé qui commentaient en temps réel ce que je voyais. Quasiment une télé en 3D dans l’esprit». «On a voulu tenter l’expérience sur Europe1.fr, faire naître une grande conversation que l’on suit en ligne si l’on veut. Une autre antenne, en quelque sorte. Mais si certains préfèrent, ils peuvent écouter seulement la radio.»

Sauf qu’Europe 1 n’est pas allé chercher ses copains parmi ses auditeurs: «Le but du jeu, c’est d’enrichir l’interview qui se déroule en faisant appel à des experts», reprend Patrice Thomas. Le rôle de ce panel – une vingtaine de personnes repérés sur le Net et gros utilisateurs des réseaux sociaux, dont Thomas Bronnec, rédacteur en chef adjoint de lexpansion.com, Maître Eolas, blogueur spécialiste du judiciaire, Emile Josselin, responsable des contenus Web du PS, Vinvin, blogueur et auteur de contenus vidéos en ligne: faire du «fact checking» en temps réel, c’est-à-dire de la vérification d’informations. «Un journaliste qui interviewe un membre du gouvernement en quelques minutes en direct est en speed total. Difficile pour lui de percuter immédiatement quand son invité lâche une énormité», m’explique Emile Josselin, l’un des participants. «Du coup, avoir des personnes qui questionnent le discours en temps réel, cela peut être d’un certain secours.»

Des commentaires de faits plutôt que des faits

Les contributions des «experts», ainsi triés sur le volet et sélectionnés à l’extérieur, sonnent-elles le glas de celles apportées par les lecteurs du site? Les internautes d’Europe 1 ne sont-ils pas à même de faire ce «fact checking»? La difficulté, répondent les éditeurs, est double: dans l’idéal, il faudrait que les internautes soient à la fois très réactifs ET capables de produire du contenu de qualité. Ce qui, pour l’instant, n’est pas le cas en France, même si, aux Etats-Unis, le Washington Post vient de lancer Story Lab, pour que journalistes et internautes travaillent ensemble à trouver des sujets, et se partagent des sources.

Coïncidence ou pas, tandis qu’Europe 1 se déplace vers un réseau social, en l’occurrence Twitter, pour sélectionner des «experts», quelques jours plus tard, lemonde.fr et lefigaro.fr – les deux plus gros sites d’infos français – mettaient en place un système inverse. A savoir créer une sorte de réseau social à l’intérieur de leur site. Ils ne sont pas les premiers à avoir eu l’idée: avant eux, le New York Times et le Guardian ont installé un «mini Facebook» dans leurs pages.

Labyrinthe d’identifiants

Avoir un réseau intégré permet de booster le temps passé par les internautes sur ledit site, une donnée qui peut avoir de l’importance pour les annonceurs. Le problème, c’est la masse de commentaires à modérer. Chaque mois, environ 100.000 commentaires sont postés sur 20minutes.fr, et près de 300.000 sur lefigaro.fr. «Avec notre nouveau système, il faut désormais être obligatoirement inscrit pour pouvoir commenter», détaille Luc de Barochez, le directeur de la rédaction du figaro.fr. «Le but? Avoir peut-être moins de commentaires mais de meilleure qualité pour animer ce que l’on appelle la «une plus» (la page d’accueil participative) du site». Que les internautes puissent relater des faits, Luc de Barochez n’y croit pas trop. «On ne compte pas remplacer les journalistes par les internautes. On est davantage dans l’idée d’avoir, de la part des contributeurs, des discussions autour de l’information, des témoignages, des réactions qui viennent des tripes, voire des analyses.» «Les gens adorent commenter l’actualité, alors autant qu’ils le fassent sur lefigaro.fr», ajoute Antoine Daccord, responsable du participatif sur le site.

Mais ce n’est pas si simple. Surtout pour l’internaute, avec ses identifiants multiples — et autant de mots de passe à gérer. Les internautes, dont on sait que la lecture est fragmentée, lisant ici un blog, là Slate.fr, plus loin nouvelobs.com et Liberation.fr, jonglent entre leurs inscriptions sur ces différents sites s’ils veulent commenter. Ce qui explique en partie pourquoi les réactions à l’actualité se font sur les réseaux sociaux, là où ils passent de plus en plus de temps, filtrent leurs lectures, et où ils possèdent déjà un profil avec un mot de passe dont ils se souviennent.

La solution serait de pouvoir réunir tous les commentaires, sur quelque site d’info qu’ils soient, dans un seul endroit. Google y a déjà pensé. Et lancé, en septembre 2009, Sidewiki, un plugin intégré à sa barre de navigateur, qui permet de laisser des commentaires sur n’importe quel site, le tout étant agrégé de façon universelle. De quoi faire définitivement voler en éclat la notion de communauté d’un site d’info? «Le community management externe, c’est indéniablement le prochain travail à faire en 2010», sourit Antoine Daccord.

Alice Antheaume

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Liens du jour #9

Comment détruire votre communauté en dix leçons? (Framablog)

Une école de journalisme, pourquoi faire? Le témoignage de Cécile qui a suivi les cours de… DEUX écoles de journalisme, l’une à Sciences Po, Paris, et l’autre à la Columbia, New York (Le Médialab de Cécile)

Le “Twitter killer” de Google, une réponse aux erreurs du passé sur les réseaux sociaux (Scobleizer)

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Le poids de la France dans la Twittersphère

Cela fait relativiser. Sur les 40 millions d’utilisateurs dans le monde que compte Twitter, seuls 25.000 sont français. Selon un rapport publié le 14 janvier 2010 par la société Sysomos, l’Hexagone ne constitue que 0,98% de la communauté de Twitter, quand les Etats-Unis sont leaders en y participant à hauteur de… 50,88%.

La France se situe, d’après ce classement, au 13e rang mondial, derrière le Brésil, numéro 2 avec 8.79% de la communauté mondiale de Twitter, le Royaume-Uni, numéro 3 avec 7.20%, et le Canada, numéro 4 avec 4.35%.

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