L’UMP m’a cliqué

Crédit: Flickr/CC/Zimpenfish

Ras-le-bol de l’UMP? A entendre ce qui se dit dans les couloirs des rédactions françaises et à lire les réactions sur les réseaux sociaux, oui, l’usure se fait sentir – et ce n’est pas Olivier Mazerolle, fatigué de «commenter des inepties» sur le plateau de BFM-TV, qui dira le contraire. Pourtant, sur le Net, ce fiasco politique suscite des clics comme jamais. Si les journalistes, eux, se lassent, l’audience, elle, en redemande, encore et encore.

Au Plus du Nouvel Observateur, le sujet cartonne depuis le début de la crise, le dimanche 18 novembre, jour du vote pour élire le nouveau président de l’UMP. A cette date, on ne savait pas encore que ce serait le début d’une coda sans fin. «Depuis lors, dans notre top 20 des articles les plus lus figurent 9 articles sur l’UMP», me confie Aude Baron, rédactrice en chef du Plus. A Slate.fr – plate-forme sur laquelle ce blog est hébergé, l’article qui caracole en tête des statistiques depuis dix jours décrit le «feuilleton tragi-comique de l’UMP en GIFS animés».

Au même niveau que les affaires DSK et Mohamed Merah

Sur Lefigaro.fr, le live consacré aux rebondissements de la crise de l’UMP fait, en moyenne, 300.000 visites par jour. «C’est moins que le live pour l’élection présidentielle mais plus que celui pour la keynote Apple», évalue Thomas Doduik, éditeur au Figaro.fr. Le soir-même du vote, les contenus sur l’UMP ont même eu plus de succès que la rupture annoncée entre la journaliste Audrey Pulvar et du ministre Arnaud de Montebourg, ou l’agression des membres du mouvement féministe Femen en marge d’une manifestation contre le mariage homosexuel à Paris.

«Nous avons senti un réflexe “que dit Le Figaro sur l’UMP?”», poursuit Thomas Doduik. «Entre la semaine du 12 novembre et celle du 19 novembre, la rubrique politique (où sont tagués les sujets sur l’UMP, ndlr) a fait un bond de +126%». Le Figaro qui dézingue l’UMP, c’est rare, en effet, et cela suscite d’autant plus d’interêt. L’édito du directeur de la rédaction Alexis Brézet, “à rire et à pleurer”, qui crie à la “honte” et au “gâchis pour la droite”, a été mis exceptionnellement en libre accès quand, d’ordinaire, les éditoriaux du Figaro sont réservés à la zone payante.

Les ingrédients de la recette

Mais il n’y a pas que l’avis du Figaro qui explique l’appétence de l’audience pour ce sujet. Parmi les ingrédients-clés de la recette, citons:

  • le feuilleton que constitue cette histoire, avec, chaque jour, un voire plusieurs nouveaux épisodes,
  • un sujet très incarné avec des personnages connus et bien ancrés dans la vie politique française, Jean-François Copé et François Fillon, et la figure tutélaire de Nicolas Sarkozy, ancien président de la République,
  • et, bien sûr, le côté Dallas de l’histoire avec trahisons, discordes et linge sale lavé en public.

Pour la plupart des rédactions en ligne, la crise de l’UMP se situe au même niveau que les affaires DSK ou Mohamed Merah. C’est-à-dire sur le podium des sujets très “clikables”, comme on dit dans le jargon. Autres indices relevés sur Le Figaro: l’UMP réalise de très bons scores aussi sur l’application iPhone (dans le top 5 des sujets les plus vus depuis le lancement de l’application) et sur l’iPad (LE sujet le plus vu).

La difficulté éditoriale sur un tel sujet? Suivre le rythme sans être suiviste. En clair, ne pas se contenter de retranscrire l’échange de piques entre Jean-François Copé et François Fillon. Pour Aude Baron, «ce qui marche sur notre site, ce sont les avis tranchés, les vrais points de vue, ou bien les articles très pédagogiques» comme l’analyse des types de recours judiciaires auxquels peut aspirer François Fillon. Il y a ainsi une vraie prime aux articles très anglés et qui s’éloignent parfois de la politique. «Si on écrit un article juste pour dire que c’est le bazar à l’UMP, merci bien, mais pas la peine, l’audience avait compris!».

Suivez-vous toujours la crise UMP en ligne? Ou en avez-vous assez?

Alice Antheaume

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L’union entre télévision et deuxième écran en question


«Il va y avoir de nouvelles interactions entre les écrans», prédit Cédric Mangaud, d’HTC, lors de la conférence UbiQ, organisée à Paris les 18 et 19 juin 2012. Une conséquence de l’émergence de la télévision sociale (Social TV en VO), qui consiste à voir un programme sur un premier écran (l’écran télé) et à utiliser un deuxième écran (ordinateur, tablette, mobile) pour réagir à ce même programme en allant le commenter sur les réseaux sociaux ou en cherchant, sur le Web, des informations complémentaires à l’émission visionnée.

Tandis qu’aux Etats-Unis, 52% du temps qu’un utilisateur passe sur mobile ou sur tablette se déroule pendant que cet utilisateur regarde la télévision, et qu’en France, les trois quart des internautes utilisent «au moins occasionnellement» un deuxième écran lorsqu’ils consomment des programmes télé, les questions affluent sur la connectivité de ces deux – ou plus – écrans.

Qui télécommande l’autre?

Comment relier ces écrans? Comment faire passer des contenus de la télévision au téléphone à la tablette – et vice et versa – en simultané? Qui, de la télé, du mobile ou de la tablette, télécommandera l’autre? Quelle série télévisée permettra au spectateur de faire pause pendant le visionnage sur le premier écran pour déterminer, sur le deuxième écran, la suite de l’histoire parmi plusieurs options, à la façon de ces petits «livres dont vous êtes le héros» d’antan?

Avant d’aller plus loin, observons ce que font au juste sur ce deuxième écran les utilisateurs quand ils regardent aussi un programme télé. La majorité (58%) d’entre eux se sert de ce deuxième écran (tablette ou téléphone) pour commenter, lire ou chercher des informations en rapport avec le programme devant lequel ils sont assis, selon une récente étude de l’Observatoire de la TV connectée.

Quant aux restants, ils s’adonnent à de toutes autres activités, comme lire leurs emails, en écrire, faire un tour sur Facebook et Twitter, regarder des photos ou des vidéos, ou encore faire des recherches qui n’ont rien à voir avec le sujet du programme.

Interactions entre le téléphone et la télévision

Et pourquoi l’utilisateur n’aurait pas soudain envie d’interrompre l’émission vue sur le premier écran pour y insérer une photo qu’il vient de retrouver sur son portable? Un scénario sur lequel travaillent nombre de fabricants de téléphonie, dont HTC, pour qui il suffit d’un geste de la main partant du téléphone en direction de la télévision pour y projeter un contenu issu de son mobile.

Autre option possible: le «grab magic» (l’attrapeur magique) imaginé par Aral Balkan, lauréat 2012 du TV Hack Day au Marché International des Programmes de Cannes. Avec ce système, il est possible de prendre avec sa main une capture d’écran de la télévision et la faire apparaître sur son écran de téléphone portable en une seconde.

 

Quel geste, avec les doigts ou avec la main, inventer qui ferait désormais référence? Pas si sûr, d’ailleurs, que cela soit un geste et non un clic ou encore la voix qui contrôlerait tous les contenus, option privilégiée par Apple pour sa télévision et décrite par Pete Cahsmore, de Mashable, comme étant une hypothèse «incontournable» en 2012.

Pour le reste, les hypothèses actuelles d’interaction entre les écrans prévoient que le mobile soit le centre nerveux de l’univers de contenus d’un particulier. Logique, reprend Ammar Bakkar, de MBC group, un autre intervenant présent à la conférence UbiQ. «Le taux de pénétration des smartphones dans le monde est actuellement de 30%. D’ici 2016, il sera de 60%».

La télé est morte, vive la télé!

Dans ce monde envahi d’écrans de toute sortes, la consommation de contenus audiovisuels continue d’augmenter. Ainsi, les Français regardent la télévision en moyenne 3h47 chaque jour, selon Médiamétrie. C’est plus que l’année précédente: 3h32 en 2010.

Ce qui a changé? «On consomme toujours des programmes télé, mais on les consomme quand et où on le veut, et on les consomme sciemment. En d’autres termes, on ne s’avachit plus devant sa télévision pour regarder “ce qui passe”», analyse cet article de Business Insider.

Hormis des moments d’actualité brûlante et quelques rendez-vous sportifs, le flux serait donc condamné au profit d’une consommation de programmes exponentielle sur tous les écrans (ordinateur, tablette, téléphone, téléviseur). Et Business Insider de rappeler que, d’après une étude Nielsen, le pourcentage d’Américains qui regardent des vidéos sur un ordinateur au moins une fois par mois (84%) est maintenant plus élevé que le pourcentage de ceux qui regardent la télévision.

Alice Antheaume

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Nouvelles pratiques du journalisme: “Nous vivons un âge d’or”

Que retenir de la journée spéciale dédiée aux nouvelles pratiques du journalisme, organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po et la Graduate school of Journalism de Columbia, le 10 décembre?

Voici les points clés de chaque intervention, d’Ariane Bernard, du nytimes.com, à Antoine Nazaret, de Dailymotion, en passant par Masha Rigin, du Dailybeast.com, Sarah Hinman Ryan, de Times Union, Nicolas Enault, du Monde.fr, Nicolas Kayser-Brill, d’Owni.fr, Michael Shapiro et David Klatell, de la Columbia, et Jean-François Fogel et Bruno Patino, de l’Ecole de journalisme de Sciences Po…

pdf Cliquez ici pour la lire synthèse de la journée en français

pdf Cliquez ici pour lire la synthèse de la journée en anglais

[Merci à tous les éditeurs de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes, live stream et tweets pendant cette journée marathon. Cet article a été rédigé d’après leurs notes et le “live”]

Ariane Bernard, home page producer, nytimes.com

Ariane Bernard, du NYT.com, le 10 décembre 2O10

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

  • 60 journalistes travaillent sur le site du nytimes.com, et 8 personnes (dont Ariane Bernard) s’occupent à plein temps de deux pages d’accueil, l’une internationale, et l’autre nationale. Hiérarchiser les informations, repérer des “urgents”, trouver le meilleur titre possible, sont quelques unes des tâches qui incombent au “home page producer”. Son terrain journalistique? Quelques pixels seulement, mais un vrai enjeu
  • Chaque mois, 33 millions de visiteurs uniques se rendent sur le site du New York Times
  • L’outil le plus utilisé en interne au nytimes.com? La messagerie instantanée, pour se coordonner, dit Ariane Bernard, en montrant à quoi ressemble son écran d’ordinateur à la fin de sa journée de travail. Un écran truffé de fenêtres de “chat” qui clignotent
  • Un conseil, dit Ariane Bernard, “gardez toujours un oeil sur la concurrence”. Ses collègues et elle-même surveillent ainsi, toutes les heures, les infos publiées sur la page d’accueil des sites concurrents
  • Plus une information devient importante, et aura des rebondissements, plus “vous cherchez à faire savoir à vos lecteurs que vous allez continuer à développer cette information”. Et qu’ils peuvent donc rester connectés
  • Difficile de savoir si une secousse sismique doit faire l’objet d’une “alerte”, confie Ariane Bernard. “Je ne suis pas géologue, il est complexe de savoir, dans la minute où il se produit, s’il s’agit d’un tremblement de terre important ou pas”. Pour Haïti, en l’occurrence, c’était d’une importance majeure, comme en témoigne le résultat en ligne

Masha Rigin, spécialiste du référencement (SEO), thedailybeast.com

Masha Rigin, de thedailybeast, le 10 décembre 2010

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

  • Le rôle de Masha Rigin? Rendre plus visibles les contenus des journalistes de thedailybeast.com sur les moteurs de recherche. Cela s’appelle du SEO (Search Engine Optimization) ou référencement en français. “C’est du marketing très spécifique”, précise Masha Rigin
  • En tant que journaliste, il faut “anticiper ce que les utilisateurs vont chercher sur Google, et avec quels termes ils vont faire leurs requêtes, afin d’utiliser ces termes dans le titre de votre article”, conseille-t-elle. Précision: “nul besoin de faire de titres drôles ni spirituels”
  • Pour identifier les mots-clés les plus populaires, Masha Rigin préconise d’utiliser Google Trends
  • Dans le vocabulaire d’une spécialiste du référencement, figure cette drôle d’expression, “la densité des mots-clés”, ou “keyword density”. C’est-à-dire le nombre de fois qu’un mot-clé est mentionné dans l’article, comparé au nombre de mots constituant cet article. Conseil de Masha Rigin: “utilisez un mot-clé au moins une fois par paragraphe, et si possible, de façon rapprochée”. Cf ce W.I.P. Comment le SEO impacte-t-il l’écriture journalistique?
  • Les journalistes du numérique le savent bien: les articles doivent être truffés de liens, suppléments d’informations offerts aux lecteurs. A la fois de liens vers l’intérieur (vers d’autres articles du même média) et vers l’extérieur (vers des contenus de médias concurrents, vers des blogs, ou des vidéos, etc.) “La haute densité de liens, disposés sur des mots-clés ou des portions de phrases importantes, augmente le ranking de votre article”
  • Quant aux vidéos et aux photos, elles doivent être nommées une par une, avec le crédit et la légende (Qui est sur la photo/vidéo? Quand? Où? En quelles circonstances? Qui a saisi la scène?). “Sinon, elles n’existent pas pour Google. Et ce serait dommage car elles représentent une source de trafic de plus en plus importante”
  • “Le journalisme change sans cesse puisque l’algorithme de Google change sans cesse”

Nicolas Enault, coordinateur de l’audience, lemonde.fr

Nicolas Enault, du Monde.fr, le 10 décembre 2O1O
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
  • Pour Nicolas Enault, la journée de travail commence par de la “veille” sur ce que fait l’audience sur le site du Monde.fr. De la veille à la fois quantitative (volume et statistiques) et qualitative (qu’est-ce que les abonnés du Monde.fr disent?). Et c’est par ces sujets que s’ouvre, chaque jour, la conférence de rédaction de l’équipe Web
  • Environ 5.000 expressions d’abonnés par jour
  • 110.000 abonnés au Monde.fr
  • 1.300 commentaires par jour sous les articles du Monde.fr
  • La typologie des commentaires des abonnés? Il y a quatre catégories: 1. Les opinions, qui constituent la majorité des réactions 2. Les corrections des lecteurs (factuelles et orthographiques) 3. Les questions (sur le traitement de l’information et sur des points non compris) 4. Les travaux d’investigation des lecteurs
  • 8.000 blogs hébergés par lemonde.fr, dont 50 “stars” qui ont été démarchées par la rédaction Web et produisent le plus de trafic
  • Au quotidien, Nicolas Enault est aussi en liaison avec des journalistes du Monde imprimé. Ceux-ci ont parfois du mal à comprendre (ou accepter) que leurs articles cohabitent avec des chroniques produites par les abonnés, lesquelles ne devraient pas, selon eux, être confondues avec des contenus journalistiques
  • Parmi les questions les plus souvent posées par les journalistes du journal du soir à Nicolas Enault, celle-ci: comment fait la distinction entre Facebook et un blog?
  • Nicolas Enault livre un exemple d’interaction entre les abonnés et l’actualité via la création d’un livre d’or recensant les mots de soutien des internautes à Ingrid Betancourt après sa libération, le 3 juillet 2008. En tout, lemonde.fr a récolté plus de 7.000 mots. Et n’en a gardé que 2.500 après modération

Michael Shapiro, professeur de journalisme, cours de «city newsroom», Graduate School of journalism, Columbia

Michael Shapiro, professeur de journalisme de la Columbia, le 10 décembre 2O1O
Crédit photo: DR/Alexandre Marchand
  • “L’irruption du Web est une révolution, mais une révolution positive”, commence Michael Shapiro. Car de nouveaux postes sont créés sur le Web et aussi sur l’imprimé – Newsday, par exemple, est en train de recruter 33 journalistes. La presse ne doit pas être complètement morte”
  • Le nombre de journalistes continue de grandir aux Etats-Unis. “Or plus on embauche, plus la compétition entre journalistes a lieu. Or plus la compétition a lieu, meilleurs les journalistes sont”
  • Il faut apprendre à s’adapter, dit Michael Shapiro. Et surtout à s’adapter aux nouvelles technologies
  • Dans son cours de “city newsroom”, Michael Shapiro aide les étudiants de la Columbia à créer du contenu sur le blog Brooklyn Ink. Il s’agit d’y raconter des histoires de différentes façons, “c’est une plate-forme d’expérimentation journalistique”
  • Deux étudiants se chargent de l’édition de ce site, ils en sont responsables et doivent s’assurer que ce qui y est produit est bien publiable. Depuis trois ans que ce site existe, il n’y a eu aucune plainte pour diffamation, assure Michael Shapiro
  • Brooklyn Ink récolte 10.000 visiteurs uniques par semaine
  • “Nous vivons un âge d’or du journalisme. Mon métier, c’est de dire aux étudiants allez-y, expérimentez, mais ne faites pas d’erreur. Soyez professionnels et responsables de ce que vous faites”
  • Crédit vidéo: Daphnée Denis

David Klatell, professeur de journalisme, responsable de l’international, Graduate School of journalism, Columbia

  • Le journalisme a-t-il besoin d’innovation? Peut-être, mais David Klatell, professeur de journalisme à la Columbia, n’en est pas convaincu. Selon lui, “toutes les rédactions du monde se ressemblent: des journalistes, des écrans, des téléphones, des ordinateurs. Mais ils fabriquent tous un produit différent”
  • Et si l’innovation journalistique n’était qu’une réponse à la crise? “L’Argentine et le Brésil, par exemple, n’ont pas eu à faire face à la crise, donc ils n’ont pas cherché à y apporter de réponse. Alors que le Brésil souffre d’un système de distribution de journaux insatisfaisant, c’est à se demander s’il faut une crise pour innover”
  • L’innovation journalistique n’est-elle qu’une préoccupation occidentale? “Ici, c’est facile pour vous, reprend David Klatell. Il suffit d’un ordinateur portable, de la 3G, et vous êtes opérationnels. Dans d’autres pays, les jeunes générations doivent trouver d’autres solutions pour consommer (voire produire) des informations”

Crédit: DR/Hugo Passarello Luna

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

Sarah J. Hinman Ryan, directrice du pôle investigations et recherche d’informations, Times Union

  • A Times Union, un journal situé à Albany, à côté de New York, Sarah Hinman Ryan dirige le pôle de recherches et d’investigations. En clair, elle vérifie toutes les données et les faits avant publication
  • Non, son quotidien ne ressemble pas à celui d’une documentaliste. Elle fait du “fact checking” à grande échelle. Au bureau, elle travaille sur trois écrans à la fois: l’un pour Google, le deuxième pour Facebook, et le troisième pour “tout le reste”, y compris les bases de données américaines comme Nexis. Chercheuse d’infos, oui, journaliste, non
  • “Pour trouver et vérifier des données sur des personnes, je me sers des réseaux sociaux. C’est fou tout ce que les gens mettent en ligne sur eux-mêmes!” Mais ce serait trop simple. Pour bien enquêter sur des humains, “il faut comprendre leur façon de penser (et donc, d’avoir disséminer des infos, ndlr), c’est presque de la psychologie”, reprend Sarah Hinman Ryan
  • “Plus le nombre de sources et d’informations disponible augmente, plus celles-ci deviennent compliquées à traiter, et plus le besoin de faire des recherches et de vérifier les infos se fait sentir”, dit Sarah Hinman Ryan, pour qui l’algorithme de Google devrait créer des emplois: “Plus on a Google dans la vie, plus on a besoin de professionnels pour fact checker. Car on doit toujours douter de ce que l’on trouve en ligne. En outre, Google ne suffit pas car vous ne trouverez pas les 1.000 années d’histoire de France en un clic”
  • “Si vous ne trouvez pas une information sur le Web, ce n’est pas qu’elle n’existe pas, c’est que vous ne la voyez pas”
  • “S’il n’y avait ni crime ni meurtre, il n’y aurait pas (ou peu) besoin d’investigation”, insiste Sarah Hinman Ryan
  • Récemment, elle a contribué au projet Dead by mistake (mort par erreur en VF), et a notamment élaboré une base de données pour connaître le niveau de fiabilité de l’hôpital le plus proche de chez vous. Un résultat récompensé par le prix de la meilleure enquête, attribué par la Société américaine des journalistes professionnels (SPJ)

Madhav Chinnappa, directeur stratégique des partenariats, Google News, ex BBC News

  • Madhav Chinnappa est désormais “le visage de Google News en Europe” depuis 4 mois, après avoir passé 9 ans à BBC, et quelques années aussi chez Associated Press. “Quand je travaillais à la BBC, je négociais avec Google News, maintenant, je suis de l’autre côté. Je comprends mieux.”
  • Google News a été créé en 2001 par des ingénieurs qui trouvaient qu’à l’époque “c’était trop dur de trouver des informations sur le Web en temps réel”
  • Google News rassemble plus de 50.000 sources et son algorithme repose sur plus de 100 critères
  • “Avant, nous ne parlions que de contenus. Maintenant, il s’agit de contenus + audience + technologie”, reprend Madhav Chinnappa
  • Comment Google peut-il inclure la sérendipité (les heureux hasards qui font que l’on trouve des pépites sur le Web) dans son algorithme? “Nous travaillons dessus”, assure Madhav Chinnappa. En effet, Google News est en train d’évoluer vers de nouvelles façons (humaines) de sélectionner des informations. Ainsi, pour l’application Fast Flip, qui présente une série d’articles sous forme d’une page de magazine et permet de les feuilleter comme sur un journal papier. En outre, aux Etats-Unis, Google a fait appel aux éditeurs de Slate.com pour choisir les informations susceptibles d’intéresser l’audience de Google News
  • L’industrie du journalisme n’a pas un problème de journalisme, mais un problème de modèle économique”, diagnostique Madhav Chinnappa. “Les journalistes ne doivent pas avoir peur de Google. Nous essayons d’être une force positive et voulons travailler avec les éditeurs pour essayer de résoudre les problèmes économiques des médias”

Nicolas Kayser Brill, journaliste de données, statisticien, Owni.fr

nkbCrédit photo: DR/Hannah Olivennes

  • Un journaliste de données (ou data journalist), c’est quoi? Au quotidien, Nicolas Kayser Brill tente de regrouper des données, souvent détenues par les collectivités locales – qui ne savent pas toujours comment ni pourquoi les partager – et les mettre en scène de la meilleure façon possible, afin que le résultat puisse être lu par le public
  • Pourtant, sur Owni, pas de pression liée aux statistiques: “Nous cherchons à diffuser nos projets (c’est-à-dire à vendre des applications créées par l’équipe d’Owni à d’autres médias) plutôt qu’à accroître notre audience sur notre propre site”
  • Parmi les autres fonctions quotidiennes de Nicolas Kayser Brill, figure l’aspect “évangélisation” des potentiels “clients”. Via des déjeuners et rendez-vous, il promeut la transparence des données (sur la population de telle ou telle localité, sur l’activité des députés, etc.) auprès d’hommes politiques et d’activistes. C’est la partie “lobbying” de son travail. “Ceux qui détiennent les données ont besoin d’être formés”
  • Et l’indépendance d’Owni? Y a-t-il conflit d’intérêts entre l’éditorial d’un côté et la réponse aux commandes des clients de l’autre (créations de sites Web, d’applications, etc.)? A cette question, Nicolas Kayser Brill répond qu’Owni est plus indépendant que les autres car il n’accueille aucune publicité, donc n’a pas besoin de répondre aux demandes des annonceurs. Et il est détaché de l’impératif de faire l’audience. Un autre poids en moins. Quant au partenariat entre Owni et Wikileaks, c’est un échange “non commercial”, rappelle Nicolas Kayser Brill
  • Owni veut toujours être le “ProPublica” à la française – cf ce W.I.P. intitulé Tentative d’identification d’Owni


Crédit vidéo: Diane Jeantet

Antoine Nazaret, éditeur des contenus vidéos «news», Dailymotion

  • “Personne n’a de carte de presse chez Dailymotion” et pourtant, la plate-forme française de vidéos a un service édition de contenus comme décrit dans ce W.I.P., un rédacteur en chef et même des conférences de rédaction hebdomadaires pour décider de quelle vidéo mettre en avant. Cependant, “les conférences de rédaction sont plus consensuelles à Dailymotion que dans un média”
  • La page d’accueil de Dailymotion repose sur une éditorialisation faite à la main. “Nous avons pris de le parti d’une intervention humaine pour sélectionner les contenus”. Pourquoi? Antoine Nazareth donne trois raisons: 1. Pour montrer la diversité des contenus présents sur le site 2. Pour ajouter de la valeur au site par une sélection humaine 3. Pour se différencier des concurrents (YouTube repose sur un algorithme automatique)
  • “Nous nous sommes beaucoup battus pour affirmer notre droit à une action éditoriale”, reprend Antoine Nazaret. Reste que Dailymotion n’est pas producteur de contenus. “Vous ne trouverez aucune caméra chez nous”
  • La page des vidéos “news” (actualités et politique) de Dailymotion est la deuxième chaîne la plus regardée du site, avec près de 3 millions de visites mensuels (chiffre Nielsen) – relire le compte-rendu de la master class de Martin Rogard, directeur de Dailymotion, fait par les étudiants de l’Ecole de journalisme
  • 500 vidéos de la chaîne “news” sont envoyées chaque jour par les internautes sur Dailymotion
  • L’éditing des vidéos compte: “Ce que l’on doit vraiment soigner dès le début, c’est la preview (image d’appel, ndlr) de la vidéo ainsi que son titre et sa description”, prévient Antoine Nazaret. La “preview”, c’est le “premier critère de clic” pour un internaute
  • L’audience, même sur Dailymotion, demande des rendez-vous réguliers sur les contenus. “Nous avons recréé une quasi grille de programmes”, dit Antoine Nazaret
  • A la question “quelle différence fait Dailymotion entre un média et un homme politique, qui envoient tous les deux du contenu sur Dailymotion?, Antoine Nazaret ne fait pas dans la dentelle: “Aucune différence, l’homme politique est un diffuseur de contenu comme un autre”

Jean-François Fogel, professeur associé à l’Ecole de journalisme de Sciences Po

  • “Nous vivons à une époque formidable. Toutes les générations de journalistes n’ont pas la chance de voir naître un média, le Web, et le journalisme qui y est associé”
  • Les mêmes tâches journalistiques sont là (chercher une information, la trouver, la vérifier, la publier), mais tout a été métamorphosé, à la fois dans les outils et dans les pratiques

Bruno Patino, directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po

  • “Nous réfléchissons au futur du journalisme, mais au présent aussi, pour mieux adapter notre formation aux étudiants”
  • Au final, “le journalisme s’adapte plus vite que l’industrie des médias”

AA

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Suite101.fr, la logique du clic

«Plus de 90% de notre trafic provient de Google, seuls 3% de nos visiteurs passent par notre page d’accueil». Suite101.fr, qui se présente comme «un magazine en ligne», est un site «Google-dépendant». C’est-à-dire un site qui a bâti son modèle sur les publicités contextuelles de Google, les Google Adsenses, et dont l’édition est pensée pour assurer le référencement dans Google.

Lancé en septembre 2009, Suite101.fr est une déclinaison d’un concept né au Canada, sur un site «grand frère» en .com (30 millions de visiteurs uniques mensuels). L’idée est d’encourager un très grand nombre d’internautes à produire des contenus en ligne. Actuellement, 1.400 auteurs francophones ont franchi les étapes de sélection (orthographe, qualités d’écriture, légitimité, et régularité de leur production), et 500 d’entre eux sont actifs – c’est-à-dire qu’ils ont publié un article dans les 90 derniers jours.

Crédit: DR

Crédit: DR

Bureaux à domicile

Dans les bureaux français de ce site, situés à quelques centaines de mètres de la gare du Nord, à Paris, nulle trace de cette pléthore d’auteurs. «Freelance, ils travaillent chez eux et sont relus par des éditeurs (10 au total, ndlr), également à demeure», m’explique Jérémy Reboul, le rédacteur en chef. Sur place, les locaux sont ceux d’un bureau «vitrine»: un très grand studio, doté de trois bureaux, et de deux canapés autour d’une table basse.

A raison de 50 articles mis en ligne chaque jour, l’effervescence de la rédaction n’est pourtant pas tangible. «Nous essayons de reconstituer l’ambiance et la salle de rédaction en ligne, via des forums internes et des échanges de mails», répond Reboul. Avec son adjoint, il dit passer la majorité de son temps à «donner des idées aux contributeurs, répondre à leurs questions, à créer un lien». Un lien qui a cependant des limites. «Vu l’ampleur de la communauté, nous évitons de donner nos numéros de téléphone, ajoute le rédacteur en chef. Si un auteur produit vraiment beaucoup d’articles, nous lui passons un coup de fil pour le féliciter.»

Rémunération au bout du clic

Ces «auteurs» ne sont pas payés à la pige, ils sont rémunérés en fonction du nombre de clics effectués sur les publicités contextuelles de leurs articles. Ce qui ne fait pour l’instant pas lourd sur leur compte en banque: en moyenne 0,5 euro par article. Le record sur le site français étant 211 euros au mois de juin pour la même rédactrice, qui a produit 350 articles.

Comment ça marche? C’est assez simple: un auteur publie un article, par exemple sur le gagnant de la finale du jeu de télé-réalité Dilemme. Près de l’article viennent s’afficher automatiquement des publicités contextuelles qui ont été vendues par Google, en l’occurrence un lien pour «découvrir en live sur le Web plus de 50 chaînes de CanalSat». A chaque fois qu’un lecteur clique sur ce lien, Google touche de l’argent, et reverse 68% de ce montant à l’éditeur de contenus, lequel attribue le pourcentage qu’il veut de ces 68% à son auteur en lui versant sa part chaque mois via Paypall. Les comptes sont tenus par Google Adsense qui envoie tous les jours à Suite101.fr «un rapport par email listant chaque clic généré sur une publicité contextuelle», détaille Jérémy Reboul, le rédacteur en chef. Ce qui suscite une petite polémique sur le site Categorynet, où échangent des journalistes professionnels, sur le thème «faut-il se brader?».

Certains sujets sont plus rémunérateurs que d’autres. En tête de gondole, la mode, l’automobile, les nouvelles technologies, les voyages, la beauté, le bien être et l’économie – du moins celle du quotidien, reprend le rédacteur en chef, citant des articles expliquant la composition d’une facture EDF, ou le fonctionnement de la déclaration d’impôts en ligne, des tickets restaurants, etc. Bref, tous les sujets sur lesquels il est facile de mettre des pubs ciblées. Sans surprise, à l’inverse, les sujets sur la poésie ou la philosophie ne font pas le plein de pubs contextuelles.

Les dirigeants de Suite101 le martèlent: dans cette optique, un article d’actualité, même très lu, n’est pas rentable. En ligne, les 670.000 visiteurs uniques au mois de juin (chiffres fournis par le site) trouveront certes une rubrique «politique», mêlée à des médias et de la société, dans laquelle on trouve un article sur «le copinage, sport national en France» et sur les «origines des jours fériés français». Nicolas Sarkozy? Il n’existe quasiment pas ici. Son gouvernement et ses réformes non plus.

«Nos auteurs écrivent sur ce qu’ils veulent». Pour Jéméry Reboul, il ne faut surtout pas confondre Suite101 avec une ferme de contenus, telle qu’Associated Content. «Là-bas, les rédacteurs n’ont pas le choix: ils n’écrivent que sur les sujets repérés par les algorithmes des moteurs de recherche. Quant aux contenus ne rapportant pas d’argent, ils sont éliminés. Pas chez nous».

Le nombre de lecteurs n’est pas égal au nombre d’euros sur le compte de l’auteur

Sur Suite101.fr, qui vise 1,5 million de VU d’ici décembre et l’équilibre financier d’ici deux ans, cet article annonçant le programme du défilé du 14 juillet, publié la veille et référencé sur Google News, a fait 20.000 visites en deux jours, «ce qui est énorme pour nous», précise Jérémy Reboul. «Sur ce genre de sujet, périssable très vite, il y a peu de publicités contextuelles disponibles, exceptées pour l’Armée de terre ou les feux d’artifice.» En clair, les articles les plus lus ne sont pas forcément les plus «payants» pour leurs auteurs. Contrairement aux sites Web d’informations, qui fournissent des articles d’actu à longueur de journée, Suite101.fr prône l’article non daté. «L’actualité n’offre une viabilité que de 24 heures, alors qu’un sujet intemporel, ou saisonnier, comme les prénoms originaux des bébés, va certes attirer un nombre relatif de lecteurs tous les jours, mais au bout de trois ans à ce rythme, cela finit par faire beaucoup, dit encore Jérémy Reboul. Nous surfons sur le phénomène de longue traîne

En ligne, est-ce vraiment de l’information? Pas vraiment, du moins pas de l’information telle qu’on l’entend dans une rédaction Web composée de journalistes professionnels. C’est plutôt des articles pratiques. «Où devons-nous mettre la barre de qualité? C’est une question que nous nous posons tous les jours, argumente Jérémy Reboul. Devons-nous être plus sévère sur l’orthographe? Sur la vérification des informations? Sur la construction des phrases?». Parmi la communauté, certains auteurs ont constitué une quasi «police interne qui s’émeut parfois que nous publions des articles sur la télé-réalité, des sujets qu’ils ne jugent pas assez nobles», s’amuse Reboul.

Actuellement, la relecture des articles est assurée par des éditeurs, payés 200 euros mensuels la gestion d’une rubrique + 1,5 euro par article corrigé. Ceux-ci doivent veiller à ce que les papiers fassent entre 400 et 1.000 mots chacun, aient des paragraphes courts entrecoupés d’intertitres, détiennent des informations «sourcées», possèdent des liens internes et externes, soient promus sur les réseaux sociaux et soit doté d’un chapeau et d’un titre avec des mots-clés facilement repérables par… Google. Toujours Google.

Que pensez-vous de la rémunération au clic sur la publicité contextuelle? Cela vous paraît-il viable pour l’information? Donnez votre avis dans les commentaires ci-dessous…

Alice Antheaume

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Record de clics sur Bit.ly

Selon John Borthwick, directeur exécutif de bit.ly, un service qui permet de raccourcir les adresses url, “de plus en plus d’internautes cliquent chaque mois sur des url raccourcies depuis les réseaux sociaux et depuis leurs emails”. La semaine dernière, soit la semaine du 11 au 17 janvier 2010, le site bit.ly a enregistré 599.100.000 clics, son record depuis la mise en route du service en juillet 2008.

>> Lu sur le blog Bits du New York Times


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