La recette de Quartz en 8 ingrédients

Crédit: Quartz

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A quoi aurait ressemblé The Economist s’il avait été lancé en 2013 plutôt qu’en 1843? Répondre à cette question a donné naissance à Quartz, le 24 septembre 2012. Ce pure-player aux allures de start-up, installé dans un modeste immeuble de New York, raconte le monde des entreprises à ses lecteurs, porte une attention particulière à l’économie des nouvelles technologies et recourt – presque systématiquement – aux graphiques. Un an (et trois mois) et 21 millions de visiteurs plus tard, Kevin Delaney, le rédacteur en chef, transfuge du Wall Street Journal, détaille la recette de Quartz. Il était l’un des speakers de la conférence annuelle sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 3 décembre.

1. Le mobile d’abord

«Nous voulions que Quartz soit à la fois mobile first, digital et journalistique», explique Kevin Delaney. C’est pourquoi Quartz est d’abord né sur tablette, puis sur smartphone avant que son design ne soit ensuite adapté à l’interface d’un ordinateur.

2. Un design épuré

Quartz a mis un point d’honneur à radicaliser son design pour ne surtout pas ressembler à ses concurrents. «Nous voulions nettoyer tout ce que les sites d’informations avaient empilé au fur et à mesure», continue Kevin Delaney. «Nous sommes partis d’une page blanche, et nous avons mis la pub au centre de cette page, sachant que personne ne regarde les bannières de la colonne de droite». Résultat, la home page n’est plus. «Les home pages sur lesquelles il y a 250 liens, cela représente trop de choix pour le lecteur». A la place, une page avec deux colonnes seulement. Une colonne centrale et une colonne de menu à gauche. Point.

3. Les réseaux sociaux comme porte d’entrée

60% de son trafic provient des réseaux sociaux, 10% seulement se fait par un accès direct à quartz.com. Quant au 30% restants, ils proviennent de Google et de liens «amis». «Il faut produire du contenu unique pour les réseaux sociaux, pour des lecteurs dont l’écran est déjà truffé d’informations», reprend Kevin Delaney. «Quand on écrit un contenu, il faut partir de l’idée que personne ne le lira si son titre ne retient pas l’attention sur Twitter.»

Crédit: AA

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4. Le pouvoir des graphiques

A Quartz, les infographies sont reines. Et pour les fabriquer, la rédaction utilise un outil appelé Chartbuilder, développé en interne par l’un de ses journalistes, David Yanofsky. Open source, cet outil est disponible sur la plate-forme d’hébergement des projets Github et est, désormais, aussi utilisé aussi par la rédaction de NPR, le réseau de radios américaines. A l’origine, Chartbuilder a été conçu pour permettre à des journalistes «dont les compétences graphiques sont limitées de créer des graphiques», selon les mots de son concepteur.

Un vrai enjeu pour Quartz alors que la moitié des contenus publiés sur Quartz contiennent des graphiques. Dont celui-ci, excellent, montrant «le graphique que Tim Cook ne veut pas montrer» sur l’évolution des ventes d’iPhones. Ou celui-là, préconisant de ne pas détester le lundi puisque c’est le meilleur jour pour postuler à un nouveau travail.

«Savoir construire un graphique est une compétence requise pour faire partie des journalistes de la rédaction», estime Kevin Delaney. D’ailleurs, il n’y a pas de service dédié à l’infographie à Quartz – même s’il existe un «département des choses», traduction approximative de l’équipe «Quartz Things», qui créé des de la visualisation intégrant des données et du code.

Quartz le fait savoir sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, les journalistes sont priés d’ajouter à leurs liens pointant vers leurs contenus une capture d’écran du graphique associé.

5. La longueur des contenus… Ni trop peu ni pas assez…

Puisque tous les sites d’informations publient en masse des contenus entre 500 et 800 mots, Quartz préconise de produire soit des contenus courts de moins de 500 mots soit des contenus longs de plus de 800 mots.

6. Une audience qualifiée

En moyenne, Quartz a 3,3 millions de lecteurs par mois, dont 60% se connectent depuis les Etats-Unis. Mieux, 61% d’entre eux sont des cadres et dirigeants, et 15% travaillent dans les médias ou sur le Web, selon les données récoltées par les équipes de Quartz. Une audience qui est attirée par le triptyque tech/business et design.

7. Des commentaires autrement

Pas de commentaires sous les articles de Quartz. A la place des annotations sur un paragraphe d’un article disposés sur le côté, comme si l’on commentait un document sur Google Drive. «Nous avons commencé seulement il y a quelques mois, nous n’avons pas encore beaucoup d’annotations, mais celles que nous avons sont de très bonne qualité».

8. Un business model sans mur payant

Quartz est financé par les conférences, sponsorisées par des marques, et de la publicité. Adieu vieux modèles, 37 annonceurs se partagent l’espace, via des campagnes de contenus sponsorisés et de «native advertising», des formats publicitaires qui «paient bien plus» que les bannières traditionnelles, confie Kevin Delaney, sans donner de chiffres. «En partant de zéro, on n’avait aucune chance de survivre en installant un mur payant ou un système d’enregistrement en ligne». D’ici 2015, Quartz espère être profitable.

Alice Antheaume

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La vie des Américains en images

L’engouement pour l’image, à l’ère numérique, ne faiblit pas. Bien au contraire. Selon une récente étude du Pew Research Center, auprès d’un échantillon représentatif de 1005 Américains, 46% d’entre eux ont déjà posté en ligne des photos et des vidéos qu’ils avaient eux-mêmes créées, tandis que 41% partagent sur le réseau photos et vidéos qu’ils ont trouvées en ligne et qui sont produites par d’autres.

En outre, si 32% des sondés multiplient les activités (partager en ligne leurs productions ET celles des autres), 56% font l’un ou l’autre.

Crédit: Pew Research Center

Qui sont ces Américains qui partagent ainsi des images fixes et animées sur le réseau? Ceux qui postent leurs propres photos sont en majorité âgés de 18 à 29 ans, suivis des 30-49 ans. «Plus l’utilisateur est âgé, moins il a tendance à partager ses photos personnelles», observe le site Search Engine Watch.

Qui sont ceux qui sélectionnent des images produites par d’autres dans le but de les partager? Des femmes en majorité et de la catégorie des 18-29 ans.

Autres précisions sur les revenus de ces «créateurs» et «sélectionneurs»: ceux qui produisent eux-mêmes leurs vidéos gagnent en majorité entre 30.000 dollars (23.100 euros) et 49.000 dollars (37.700 euros) par an. Enfin, ceux qui gagnent plus de 75.000 dollars (57.700 euros) par an sont a priori moins portés sur le partage de contenus produits par les autres.

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Les 10 commandements d’Alan Rusbridger

Crédit photo: Raphaëlle Marcadal

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions, et enseignant du cours de journalisme entrepreneur à l’Ecole de journalisme de Sciences Po. Il raconte la leçon inaugurale qu’a donné Alan Rusbridger, directeur de la publication du Guardian, à la nouvelle promotion d’étudiants.

Aujourd’hui, c’est comme si nous étions “deux jours après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, tout est expérimental”, a répété plusieurs fois vendredi 7 septembre 2014, à Paris, Alan Rusbridger, le patron des rédactions des journaux du Guardian, pour décrire l’actuel bouleversement dans le travail des journalistes.

Invité à donner la leçon inaugurale de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, il a prévenu les nouveaux étudiants: “depuis cinq ans, les changements dans le journalisme sont profonds. Au 21ème siècle tout le monde est devenu un média mais beaucoup de journalistes ne veulent pas le reconnaître”.


Les points-clés de la leçon inaugurale d'Alan… par ecoledejournalisme

The Guardian, lui, a décidé de profiter de cette nouvelle concurrence, jouant à fond la carte de l’ouverture, de la collaboration et de l’engagement avec ses lecteurs.

Même si pour l’instant les pertes du groupe de presse britannique continuent de se creuser, ses résultats sont impressionnants en terme d’audience, de production de nouveaux contenus et de participation massive du public. Avec une audience en hausse de 23% par an, le Guardian touche chaque jour 3,4 millions de personnes (pour une diffusion imprimée de 220.000 exemplaires). Chaque mois plus de 30 millions de visiteurs uniques se rendent sur ses sites (sans compter les visites sur mobile) et y restent en moyenne 8,5 minutes.

Un tiers de cette audience vient des Etats-Unis, deux tiers hors de Grande Bretagne. Si on excepte le Mail Online, très people et faits divers, le Guardian est le 2ème site de presse mondial derrière le New York Times. Au Royaume Uni, 9ème pour la diffusion papier, il est 1er en ligne.

La participation des lecteurs touche toutes les rubriques ou presque, de la musique au sport, en passant par l’environnement.

  • Musique: production doublée! En 2011, le journal a publié 1.500 critiques réalisées par ses journalistes et 1.600 par ses lecteurs.
  • Voyages, tourisme: “nous sommes devenus un réseau de sites sur les voyages, une plateforme pour les contenus des autres”.
  • TV & radio: “le frontière entre articles et commentaires est en train de s’estomper”. Idem pour la section des livres pour enfants.
  • Environnement: 6 journalistes (contre 2 au New York Times et 1 au Telegraph), plus 29 spécialistes blogueurs sur 4 continents “font que cette section bénéficie de la meilleure couverture du monde”.
  • Science: 13 blogueurs experts aident à la couverture.
  • Education: cette section regroupe une communauté de 100.000 professeurs, qui ont posté l’an dernier plus de 7.000 plans de cours et deviennent des sources pour les articles.
  • Photographie: 10.000 photographes ont posté des images sur cette partie du site.
  • Visualisation de données: 70% est réalisée par les lecteurs.
  • Cricket: 50% de la couverture ce sport pratiqué dans le Common Wealth est assuré par les lecteurs.

Au final, 70 lecteurs sont devenus des auteurs confirmés du journal, qui reçoit chaque mois 500.000 commentaires (contre 8.000 lettres adressées au courrier des lecteurs précédemment).

Toutes ces communautés (gérées par 8 community managers et une douzaine d’autres personnes) sont susceptibles d’être monétisées auprès des annonceurs, indique Rusbridger sans vouloir développer davantage les aspects business.

Crédit photo: Raphaëlle Mercadal

Les 10 commandements

La rédaction est évidemment fortement encouragée à utiliser les réseaux sociaux. “Sur les écrans des ordinateurs des journalistes, Tweetdeck est désormais aussi présent que les fils d’agences de presse”. Twitter est aussi utilisé pour des appels à témoins, par les envoyés spéciaux sur des terrains inconnus. Reditt est également un outil important des journalistes. Le live blogging, que le Guardian se targue d’avoir inventé, est systématique. Mais les formats longs continuent aussi d’être encouragés.

Grâce à l’ouverture des API, les contenus sont distribués sur un maximum d’autres plates-formes: Facebook, Google Current, etc. Quant à Flipboard, il apporte à lui seul un million de personnes en plus par mois.

“Notre état d’esprit est Digital First (le web d’abord, ndlr) (…) Nous sommes devenus un site web géant avec, à côté, une petite équipe print”.

A l’occasion de cette leçon inaugurale, Alan Rusbridger a dressé les 10 commandements de l'”open journalism”, le journalisme ouvert:
  1. Encourage le public à participer
  2. Bannis toute forme de publication qui ferait croire que l’on s’adresse du peuple de haut (de “nous” à “eux”) et ne publie jamais un contenu auquel le public ne peut pas répondre
  3. Implique des tiers dans le processus de pré-publication
  4. Cherche l’aide de communautés qui ont un intérêt commun
  5. Ouvre toi au Web: publie des liens vers l’extérieur et participe au réseau
  6. Agrège, trie et sélectionne le travail des autres
  7. Reconnais que les journalistes ne sont pas les seules voix d’autorité
  8. Tente de refléter la diversité
  9. N’oublie pas que la publication n’est que le début du processus journalistique, pas la fin
  10. Sois transparent et intègre corrections et clarifications.


Les 10 principes du journalisme ouvert, par Alan… par ecoledejournalisme

Interrogé sur les compétences recherchées aujourd’hui pour ses rédactions, le directeur du Guardian a lâché: “nous voulons des gens qui vivent et respirent ce monde numérique et que cette époque enthousiasme”. Un exemple ? “Des journalistes comprenant les données et sachant les exploiter”. Des données qui ne cessent de se multiplier…

“Et nous n’en sommes que deux jours après Gutenberg”, a encore répété Alan Rusbridger.

Eric Scherer

Cet article a été publié à l’origine sur le blog d’Eric Scherer, meta-media.fr.

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Etude Orange et Terra fémina: comment les réseaux sociaux bousculent l’info

Le temps où l’info sur le Web était réservé aux happy few est loin. Plus de 7 Français sur 10 consultent des informations sur Internet, via les portails d’actualité (Google Actualités, Yahoo! Actualités, etc.) ou les sites des grands médias (lemonde.fr, nouvelobs.com, lefigaro.fr,…), révèle une étude réalisée sur 1.005 personnes âgées de 18 ans et plus par l’Observatoire Orange et Terra Femina et intitulée de «20h à Twitter: les réseaux sociaux bousculent l’info».

Dans ce cadre, l’affaire DSK a été un cas d’école pour les médias, partant d’un tweet d’un étudiant amateur en mai et aboutissant à l’interview de l’ex-patron du FMI dans le JT de Claire Chazal en septembre.

Résumé des chiffres tirés de cette étude (pour laquelle j’ai été témoin, ce mardi 11 octobre 2011, lorsque ses résultats ont été dévoilés).

Crédit: Orange et Terra Femina

  • Le besoin de temps réel

La première des raisons invoquées pour consulter un site d’infos? «Accéder à l’information le plus vite possible» pour 32% des interrogés. Avoir toutes les informations disponibles au moment où l’on se connecte est une nécessité pour les utilisateurs, habitués à réactualiser leurs pages des centaines et des centaines de fois par jour.

  • Les accélérateurs de temps réel

Deux facteurs accélèrent la consultation en temps réel, insiste l’étude de l’Observatoire Orange et Terra Femina :

1. l’inscription aux réseaux sociaux – selon l’étude, le fait de se connecter plusieurs fois par jour sur Internet est corrélé à la possession de comptes sur Facebook et /ou Twitter…

2. la possession d’un téléphone mobile. Avec qui l’on dort, que l’on consulte avant de se coucher, et au moment du lever. Sur lequel on veut consulter, donc, des contenus adaptés à cette consommation. Pour rappel, selon une étude réalisée par Ericsson en mai 2011, 35 % des possesseurs de smartphones aux Etats-Unis se connectent sur une application de leur mobile, avant même d’être sortis de leur lit.

  • Le besoin de contexte

Quel est le reproche fait aux médias numériques? Qu’ils offrent le «risque de diffuser des informations non vérifiées» pour 59% des sondés et qu’ils «manquent d’analyse de l’information» pour 30% d’entre eux. Une bonne raison pour les journalistes d’offrir du fact checking en temps réel?

  • La poussée des réseaux sociaux

Toujours selon l’enquête «20h à Twitter: les réseaux sociaux bousculent l’info», 53% des Français interrogés possèdent un compte sur Facebook, le réseau social aux 800 millions d’inscrits dans le monde qui vient de sortir sa nouvelle mouture. Quant à Twitter, il est peu moins populaire: seuls 8% des internautes français y sont inscrits. Néanmoins, pas besoin d’y avoir un compte pour suivre ce qu’il s’y passe, comme en témoigne ce chiffre: 15% des internautes déclarent «suivre le compte Twitter d’un proche ou d’une personnalité».

  • Le besoin de partage

D’après l’étude, 37% de personnes diffusent, souvent ou de temps en temps, un lien vers un article, une vidéo ou une image sur un réseau social. Et si les réseaux sociaux les intéressent, c’est parce qu’ils leur permettent de «partager des informations» pour 66% d’entre eux. Reste à savoir quel type d’informations et à quelle fréquence

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De l’usage journalistique des sondages

«A la radio, faire de l’analyse de chiffres (issus de sondages, ndlr), à l’oral, c’est quasi impossible. A la télévision, l’exercice se résume à une infographie dotée d’une flèche qui monte et une autre qui descend», lance Gérard Courtois, directeur éditorial du Monde, lors d’une conférence organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po et le Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po. Pour lui, «les sondages relèvent d’un usage étriqué et pauvre des médias».

Alors comment utiliser les sondages journalistiquement – et correctement? Combien cela coûte-t-il? Comment lire les chiffres? Petite revue de conseils, issus de la table ronde intitulée «de l’usage journalistique des sondages».

Crédit: Flickr/CC/Steve Mac

Crédit: Flickr/CC/Steve Mac

Savoir combien coûte un sondage

Une question, dans le cadre d’une enquête nationale sur un échantillon représentatif de 1.000 personnes, vaut 1.000 euros, détaille Brice Teinturier, directeur général délégué d’IPSOS, qui confie passer 20% de son temps professionnel à trouver des financements. Donc un sondage de cinq questions se facture 5.000 euros. Une somme pour les rédactions. «Je peux entendre que c’est beaucoup d’argent, répond Brice Teinturier, mais pas que c’est trop cher.»

Douter

Le journaliste doit vivre dans le doute. Comme le sondeur, signale Bruno Cautres, chercheur au Cevipof. Et l’un et l’autre sont supposés «s’interroger sur ce qu’ils auraient pu trouver si le temps de l’enquête avait été plus long, si l’échantillon avait été plus large.» Bref, la photographie exposée par le sondage est-elle bien révélatrice de ce que vit la population dans son ensemble? Une question fondamentale, et que le journaliste doit garder en tête avant de publier son article. Pour mieux décrypter les statistiques issues des sondages, Tom Siegried, rédacteur en chef de Science News, conseille aux journalistes de se poser deux questions – et de savoir y répondre, lors d’une autre conférence organisée en novembre à l’Université de Yale:

1. Est-ce la première fois que ce chiffre ou ce sujet fait l’objet d’un sondage/enquête?

2. Ce que les chiffres révèlent est-il contraire à une croyance commune?

Lire la méthodologie

Avant même de s’attaquer aux chiffres, le journaliste doit lire la méthode employée pour faire le sondage. Savoir combien de personnes, de quel âge, y ont répondu, selon quelle procédure (téléphonique, email, etc.), sur combien de temps, et depuis quelle partie du monde.

Faire attention à la lecture des chiffres

Comment peut-on savoir que 9/10 ne veut pas vraiment dire 9/10?, sourit Bruno Cautres. Sans surprise, décrypter les données d’un sondage n’est pas simple. «Par exemple, lors des sondages sur les intentions de vote avant les élections présidentielles de 2007, quand Nicolas Sarkozy affichait +2 et Ségolène Royal – 2, cela ne veut pas dire que les +2 du premier sont retirés du second», met en garde Gérard Courtois.

Moralité: il n’y a pas de circulation exacte entre une colonne et l’autre, les chiffres sont plus complexes que cela. Bruno Cautres invoque à ce propos l’ouvrage De la formation de l’esprit scientifique, dans lequel Bachelard dit qu’on est souvent plus sûrs des chiffres après la virgule que des chiffres avant la virgule. Façon d’insister sur le fait de manipuler les données avec des gants. «Le journaliste doit traduire les statistiques dans un langage accessible à tous, mais attention à ne pas sur simplifier les données ni en tirer des conclusions inexactes», reprend Tim Siegried.

Connaître le financeur de l’enquête

Pas trop difficile a priori, car les instituts de sondage veillent à l’indiquer, qu’il s’agisse de l’Unicef sur les droits des ados et enfants, ou du magazine Le Point pour ce baromètre politique. «Il faut introduire le plus de clarté possible», dit Brice Teinturier. Car l’interrogation «quel institut de sondage roule pour qui?» surgit toujours dans l’esprit collectif. Cependant, jure Brice Teinturier, «nous n’avons vraiment pas intérêt à faire des questions orientées en faveur de tel ou tel homme politique. Tout simplement parce que cela se voit. Et que cela atteint le capital marque de l’institut de sondage.»

Lutter contre la tentation du baromètre

«La trop grande majorité des sondages se résume désormais à la popularité des membres d’un gouvernement et aux intentions de vote», regrette Gérard Courtois. Cela sert de baromètre pour définir si l’action/la parole d’un gouvernement est «une bonne ou une mauvaise opération, si c’est Sarko +2 ou Sarko -3». Or il existe beaucoup d’autres sondages qui permettent d’en savoir plus sur la population française, par exemple en observant la répartition géographique et sociale des votes aux élections, les mutations de la consommation culturelle, ou le rapport des Français avec les écrans.

Ne pas servir la soupe au gouvernement

Certains sondages, plutôt baromètres que vraies enquêtes, «deviennent des outils de mise en scène extraordinaire de la puissance d’un gouvernement», prévient Gérard Courtois, qui ne mâche pas ses mots: «le président de la République actuel a une conception exclusive voire narcissique des sondages». Conséquence: «tout sondage concernant Nicolas Sarkozy prend d’autant plus de relief que celui-ci s’est mis en première ligne par rapport à ses prédécesseurs.» Sur ce point, Brice Teinturier est plus prudent: «il n’y a pas de manipulateur». Au journaliste de mettre de tels sondages en parallèle avec d’autres études, d’autres baromètres, de déjouer les pièges et de mettre le tout en perspective, sans oublier d’interroger un chargé d’études spécialisé ou un statisticien.

Ne pas confondre sondage et questionnaire

Un sondage, auquel répond un échantillon représentatif de la population française, ne saurait être confondu avec un questionnaire, comme le pratiquent les sites d’infos généralistes et les chaînes de télévision nationales, en s’adressant à leur communauté d’utilisateurs. «Les questionnaire fait par les médias n’est pas un sondage, mais une interrogation ouverte, une consultation aléatoire, non balisée, destinée à faire du buzz», dénigre l’un des intervenants de la conférence. Et Brice Teinturier d’enchérir: «J’en pense du mal. Cela entretient de la confusion et la fausse information». Un conseil, donc: si un journaliste rédige un questionnaire en ligne sur un site Web d’info, mieux vaut ne pas l’appeler «sondage». En outre, il faut préciser que les votants ne sont pas «les Français», mais bien les lecteurs/internautes/téléspectateurs/auditeurs de tel ou tel média.

Se servir des réseaux sociaux

Un journaliste peut-il utiliser les outils disponibles sur les réseaux sociaux pour se faire une idée de l’opinion publique? La réponse n’est pas tranchée. «Il y a de la matière à analyser, selon Brice Teinturier, même si l’on ne sait pas encore ce que va donner l’examen de ces outils». Reste que, selon lui, «ce n’est pas la masse (550 millions d’inscrits sur Facebook, dont 20 millions de Français) qui fait la qualité de l’échantillon». Pourtant, selon cette étude (en PDF) réalisée par Cision et l’Université George Washington, 56% des 371 journalistes américains (print et Web) interrogés disent que les réseaux sociaux sont «importants» ou «assez importants» pour produire des informations, par exemple en y faisant des recherches, pour trouver le commentaire d’un expert, des citations, des idées de sujets, et des données, commente Don Bates, le co-auteur de l’étude.

Ne pas sous-estimer la difficulté de l’exercice

L’opinion publique sondagière (qui s’exprime via des sondages, ndlr) n’est pas l’opinion publique manifestante (qui s’exprime via des manifestations, des petitions, des groupes de pression en ligne, etc.). Et Pascal Perrineau, politologue au Cevipof, de rappeler que le décryptage de sondages est un exercice de haute voltige: même les chercheurs, «malgré leur bagage méthodologique a priori plus conséquent, décryptent parfois aussi mal les sondages que les journalistes.»

Alice Antheaume

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Le pouvoir de recommander des infos sur les réseaux sociaux (étude Pownar)

POWNAR. Ce n’est pas le nom d’un nouveau jeu pour enfants, mais l’acronyme de The Power of News And Recommandation, une étude sur les informations diffusées sur les réseaux sociaux réalisée par CNN sur 2.300 sondés habitants dans 11 pays différents. Voici les chiffres clés de cette étude.

– Seuls 27% des utilisateurs (du panel?) partagent des informations. Sont comptés dans ces 27% ceux qui partagent plus de 6 contenus par semaine. Mais à eux seuls, ils diffusent 87% des informations partagées sur les réseaux sociaux. Là encore s’applique la loi de Pareto, autrement dit la loi du 80/20, selon laquelle environ 20 % des moyens permettent d’atteindre 80% des objectifs.

– 43% des informations partagées le sont par le biais des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, MySpace), 30% des infos le sont par email, 15% par SMS, et 12% par messagerie instantanée.

– En moyenne, un utilisateur partage 13 liens par semaine, et en reçoit 26, par recommandation sur les réseaux sociaux ou par email.

– Les contenus issus des rubriques «business», «international» et «technologie» sont ceux qui sont les plus partagés sur les réseaux sociaux.

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Abcisse et ordonnée, les repères du journalisme de données

Crédit: DR

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«L’information vous saute aux yeux». C’est la phrase mise en exergue d’Actuvisu.fr, un nouveau site de «visualisation de l’actualité» qui a été lancé il y a quelques jours, «fruit d’un projet de fin d’études mené par trois étudiantes de Sciences Po Rennes et sept étudiants de l’HETIC (l’école des Hautes Etudes des Technologies de l’Information et de la Communication)», décrit le communiqué.

En ligne, sur ce site, un graphique bien pensé sur la «puissance» des cyclistes du Tour de France, puissance rapportée au poids de l’athlète et au temps de montée, le tout examiné sur 135 cyclistes, 88 cols et six ans de Tour de France. On y apprend que le Tour de France 2005 a connu des records de puissance sur la durée, avec celle de Lance Armstrong, établie à 5.95 W/kg sur une montée à Courchevel de 50 minutes, à égalité avec Mancebo Francisco, sur la même montée.

Filtre d’informations

Dans le jargon, on appelle cela le «journalisme de données» («data journalism» en VO). Un journalisme qui serait capable de mettre en scène des chiffres pour qu’ils racontent une histoire. Parmi les exemples notables, listons les notes de frais des parlementaires britanniques agrégées en ligne par le Daily Telegraph, les films les plus loués dans des ciné-clubs américains en 2009, et les mandats cumulés (ou pas) par les 576 députés français, classés par lepost.fr et lemonde.fr.

«Face au déluge d’informations (c’était le titre d’une couverture de The Economist, cet hiver, ndlr), nous avons besoin de filtres et d’outils», plaide Caroline Goulard, l’une des étudiantes qui a fondé Actuvisu.fr. Et d’argumenter que le journalisme de données, en mettant sous forme d’images et de graphiques des chiffres, se révèle beaucoup plus efficace pour faire comprendre le message à son lecteur: «Une image, un graphique, vaut 1.000 mots; les médias doivent arrêter de ne faire que du storytelling», argue-t-elle, citant le journaliste et développeur américain Adrian Holovaty, fondateur du site d’information locale EveryBlock («newspapers need to stop the story-centric worldview», ndlr)

Elle n’est pas la seule à le dire. «Dans un monde d’hyper commentaires, mais aussi de grande puissance de compilation et calcul, la véritable médiation avec la réalité se fait par la donnée, écrivait le consultant et blogueur Nicolas Vanbremeersch il y a un an, dans un plaidoyer pour le journalisme de données. Au lieu de tribunes de chroniqueurs, si brillants soient-ils, au lieu de blogs ou Twitter, on ne peut qu’espérer que les médiateurs de l’information s’en emparent.»

Equipe

Mais il ne suffit pas de le vouloir…

1. Il faut d’abord trouver des données à exploiter, rappelle Eric Scherer, directeur de la stratégie de l’AFP – en France, la ville de Rennes est en train de mettre en ligne ses données, notamment sur son réseau de transport en commun

2. Un journaliste ne peut, seul, produire ce genre d’informations. «Il faut réunir une équipe avec un développeur, un statisticien, un graphiste», reconnaît Caroline Goulard. Conséquence – logique: le journalisme de données est de ce fait plus cher à produire qu’un simple article. Mais se périme moins vite, reprennent les évangélistes du journalisme de données. «Les contenus restent valables tout le temps, il suffit de rentrer les derniers chiffres disponibles et cela prolonge le travail».

Pour donner une idée du circuit de production de ce type de contenus, Caroline Goulard et son comparse Benoît Vidal, architecte de l’information, ont balisé le processus sous la forme suivante:

ANGLE JOURNALISTIQUE >> COLLECTE DES DONNEES >> NETTOYAGE ET TRAITEMENT DES DONNEES >> ANALYSE DES DONNEES >> NARRATION >> VISUALISATION (>> Story board >> Design >> Développement >>)

NB: Un «atelier de production numérique de données» est prévu à la rentrée scolaire prochaine pour les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po.

Avez-vous vu des exemples réussis de journalisme de données? Donnez-les dans les commentaires ci-dessous…

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