Révolutionnaire pour les uns, inutile pour les autres, la mue opérée par Facebook, que l’on voit arriver cette semaine en France, a et aura de l’impact sur la vie des rédactions. Après l’apparition du bouton «like», voici venu le temps du réseau dans le réseau, d’un Facebook qui veut devenir l’Internet. Un lieu de vie, donc, où l’on partagerait tout, on discuterait avec ses amis, posterait des photos, écouterait de la musique, lirait des informations, commenterait les publications des autres, etc. Revue des nouveaux éléments de Facebook qui pourraient (encore) changer la donne pour les éditeurs et les journalistes.
«Sur Facebook, nous sommes tous des objets», avaient prévenu Justin Osofsky, directeur de la division média de Facebook, et Julien Codorniou, directeur des partenariats pour la France, lors de la première formation donnée en France par Facebook aux journalistes, en juin, à Sciences Po. Par «objets», ils entendaient des éléments avec lesquels les inscrits de Facebook peuvent interagir (en cliquant dessus, en commentant dessous, en likant l’objet, en le partageant, etc.).
Désormais, n’importe quel profil peut devenir un flux RSS auquel les membres peut s’abonner. Ainsi, «vous pouvez suivre directement des personnes – comme des journalistes, des artistes ou des personnalités politiques – qui vous intéressent mais que vous ne connaissez pas personnellement (et avec qui vous n’êtes pas amis, ndlr)», explique Zach Rait, ingénieur de Facebook. A la condition, bien sûr, que le journaliste, l’artiste, le politique (ou n’importe qui d’autre) ait accepté de transformer son profil en flux RSS en donnant son accord ici (cliquer sur «allow subscribers»). Une fois cela fait, le propriétaire du flux RSS n’aura plus la main sur qui s’abonne à lui – mais il pourra toujours déterminer ce qu’il rend public (donc envoyé, via le flux RSS, à ses abonnés) ou non. Une nouvelle fonctionnalité très proche du système d’abonnements de Twitter et qui permet aux profils Facebook, jusque là limités à 5.000 amis, d’avoir un nombre infini d’abonnés.
Le tout devrait se faire au détriment des «pages» (qui ne sont pas des profils, si vous avez bien suivi), dont celles des médias. Lexpress.fr a pris les devants, en publiant jeudi matin sur Facebook le message suivant:
De quoi tenter de mieux cibler la demande des lecteurs qui, selon un chiffre rendu public début septembre, n’étaient que 7.5% à voir chaque jour un post publié par la page dont ils étaient fans. Est-ce que le nouveau Facebook fera mieux? C’est encore à voir.
Le newsfeed – ou fil d’actualités –, l’entrée numéro 1 pour accéder aux contenus, est désormais composé de deux parties. Dans la partie inférieure, on a accès aux informations les plus récentes (recent stories). Dans la partie supérieure, on observe un tri des informations et éléments qui devraient être les «plus importants» pour l’utilisateur (top stories), un choix opéré par l’algorithme de Facebook, le edge rank, dont j’ai déjà parlé ici. En clair, plus un élément (statut, photo, lien, etc.) est commenté et «liké», plus il a de chances d’apparaître dans le fil d’actualités. De même, s’il provient d’un utilisateur avec qui on est souvent en contact, il peut figurer en tête de file.
Pour un journaliste, cela va être la lutte pour être visible dans le newsfeed. Deux options s’offrent à lui 1. comme avant, poster des contenus qui puissent être appréciés (selon des critères sur lesquels le journaliste n’a pas la main) par l’algorithme du réseau social, afin qu’ils remontent dans la partie haute (top stories). Vous l’aurez compris, mieux vaut le faire avec son profil personnel plutôt qu’avec la page de son média. 2. publier des infos de dernière minute, pour apparaître dans le newsfeed, rayon «recent stories», mais pas que (voir point suivant)…
Là aussi, les équipes de Facebook avaient annoncé la couleur depuis des mois: ils souhaitaient que les journalistes publient davantage de «breaking news», d’informations de dernière minute, sur le réseau social. Jusque là, il n’était pas sûr que cela soit très visible, et donc payant. Faille comblée? Non seulement un «urgent» peut être vu dans la partie inférieure du newsfeed, mais surtout dans une nouvelle boîte appelée «ticker», en colonne de droite, à côté du newsfeed. Cette nouvelle fonctionnalité montre les dernières informations publiées, et, en passant le pointeur dessus, cela ouvre une pop-up à gauche pour découvrir l’histoire en plus grand, et pouvoir la commenter et la partager. «Parce que le ticker est en temps réel, les rédactions devraient sans doute reconsidérer la fréquence de leur publication» sur Facebook, veut rassurer Vadim Lavrusik.
Pour l’instant, l’impact du ticker sur le trafic des contenus n’a pas encore été mesuré, et selon les premières impressions, il est surtout perçu comme quelque chose de distrayant, dont on ne peut se débarrasser. En outre, cela pose des questions éditoriales. «Qu’est-ce qui fait qu’une info est nouvelle?, s’interroge Emily Bell, de l’école de journalisme de la Columbia. Le fait qu’elle soit dans une boîte tout en haut à droite? Ou autre chose?».
A terme, Facebook a d’autre tours dans son chapeau pour l’exploitation de ce ticker, notamment y glisser des «histoires sponsorisées». Dont les revenus reviendraient à Facebook, pas aux médias.
Sur les 800 millions d’inscrits à Facebook, 1 sur 2 s’y connecte tous les jours, selon les statistiques fournies par le réseau social. Aux Etats-Unis, le réseau de Mark Zuckerberg aspire même 16% du temps passé en ligne. Autant dire que l’activité facebookienne est intense. La question, pour un média, c’est: que faire pour attirer les lecteurs alors qu’ils passent de plus en plus de temps sur Facebook? A priori, le temps n’étant pas incompressible, rien ne permet de penser qu’un utilisateur sacrifiera ses minutes de Facebook pour aller sur un site d’informations généralistes à la place.
Pour le Wall Street Journal, la solution est «simple»: «il faut rendre nos contenus disponibles là où les gens se trouvent», estime Alisa Bowen, du WSJ Digital Network. Sur Facebook, donc. Dans cette optique, ils ont lancé une application spéciale pour Facebook, qui permet aux utilisateurs, en restant sur le réseau de Zuckerberg, de consommer des informations du Wall Street Journal, recommandées par leurs amis, et… de voir des publicités dont les revenus reviennent au Wall Street Journal – et non pas à Facebook.
Du gagnant-gagnant? C’est ce que veut croire Jeff Bercovici, de Forbes: d’un côté, les utilisateurs consomment des informations à l’intérieur de Facebook, et de l’autre, Facebook permet au Wall Street Journal de vendre ses propres pubs à l’intérieur de l’application. Malgré tout, ce sont et cela restera les règles de Facebook, quand bien même l’éditeur y développera sa propre application.
Mark Zuckerberg l’a dit lors de la dernière conférence F8: l’avenir est aux applications. Et si les médias devenaient uniquement des applications sur Facebook, sans site Web associé? Pour Jeff Sonderman, du Poynter Institute, ce n’est pas de la science fiction, c’est juste «une question de temps». Son argument tient à l’évolution de Facebook: «Si le médium est le message, que se passe-t-il lorsque Facebook devient le médium? Le message (le contenu) va commencer à devenir un peu différent.»
Le Wall Street Journal, le Guardian et le Washington Post ont tous développé des applications qui permettent aux inscrits de Facebook de consommer des informations de ces médias sans quitter Facebook, et d’y voir l’activité (ce qu’ils lisent, ce qu’ils recommandent, ce qu’ils commentent) de leurs amis. A terme, cela sera-t-il la routine? L’avantage des applications, c’est qu’elles peuvent être sponsorisées par des marques, rappelle Emily Bell, qui cite l’exemple de l’application sur iPad du Guardian, EyesWitness, une sélection quotidienne de photos légendées, montée en quelques jours, grâce au soutien financier de Canon.
Avec la refonte du réseau social, les profils Facebook se présentent maintenant sous la forme d’une frise chronologique plongeant dans le passé. Pour Vadim Lavrusik, qui travaille pour le réseau social, c’est un outil de «contextualisation» pour les journalistes. La chronologie permet, écrit-il, de voir comment l’empreinte numérique d’un utilisateur a été «moulée dans le temps, grâce à des expériences de vie, des intérêts personnels, des gens avec qui nous partageons notre vie, et avec lesquels nous n’avons pas peur de révéler notre vraie identité».
Sauf que, à y regarder de plus près, l’utilisateur peut éditer chaque élément présent sur sa timeline: soit en le «featurant» (en le mettant en valeur), soit en supprimant, soit… en modifiant sa date – cette dernière option n’est plus visible au moment où j’écris cet article. Cela rend l’exercice journalistique particulier: certes la timeline d’un homme politique est intéressante, elle peut dévoiler des particularités d’un parcours que l’on n’aurait pas repérées sans cela, mais ces éléments sont à prendre avec des pincettes, dans la mesure où l’élément peut être «manipulé». Du fact checking d’empreinte numérique en perspective…
Au final, s’il est encore difficile d’apprécier l’impact du nouveau Facebook sur l’activité des éditeurs d’infos, il y a au moins trois questions auxquelles les rédactions peuvent d’ores et déjà réfléchir:
1. Quelles sont les informations ayant vocation à être partagées sur Facebook et qui auraient de la visibilité dans le newsfeed?
2. Les journalistes professionnels doivent-ils faire vivre les productions de leur média sur leur profil Facebook, éventuellement transformé en flux RSS?
3. Cela vaut-il vraiment la peine de développer des applications dédiées, sur le modèle du Wall Street Journal, pour trouver un public déjà présent sur Facebook et monétiser les contenus par ce biais?
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Alice Antheaume
lire le billetCrédit: DR
«Il y a 20 ans, il n’y avait pas de Web. Il y a 15 ans, Google n’existait pas. Il y a 10 ans, nous n’avions pas de compte Facebook. Et il y a 5 ans, pas de Twitter», énumère Adam Croizer, le président de la société britannique de télévision ITV, lors du Changing Media Summit, la conférence organisée par le Guardian à Londres, ces 23 et 24 mars. La révolution numérique du journalisme est maintenant derrière nous. Cependant, certains éditeurs n’en reviennent toujours pas, mi-fascinés mi-effrayés, d’apprendre à vivre avec ce tsunami digital.
Depuis le début de l’année 2011, se multiplient les signes de cette nouvelle ère. Autant de preuves que le monde, privé et professionnel, journalistique et technologique, continue à changer. En guise d’introduction à la conférence, Rory Cellan Jones, journaliste spécialisé en nouvelles technologies pour la BBC, égrène la liste des événements qui poussent les journalistes à reconsidérer leur rôle et… leur influence.
Les révoltes en Tunisie, puis en Egypte, sacrent la chaîne Al Jazeera english, très active pour couvrir ces événements. Les journalistes de la chaîne, dotés d’un réseau efficace, et apprenant en marchant, honorent avec succès la demande d’un public avide d’un flot ininterrompu d’informations, y compris d’infos pouvant sembler insignifiantes. C’est à ce moment-là que s’installent, sur nombre de sites d’informations généralistes dans le monde, des «lives» longue durée, composés de texte, de photos, de vidéos, de commentaires, de messages issus des réseaux sociaux, d’informations brutes et d’analyse journalistique. Des lives qui racontent, minute par minute, sept jours sur sept, les dernières avancées des soulèvements.
Créé par Rupert Murdoch, qui détient également The Sun et The Wall Street Journal, ce magazine payant n’est disponible que sur iPad. Son prix: 99 cents la semaine, 39.99 dollars l’année. The Daily «n’est pas qu’une application, c’est une nouvelle voix», peut-on lire sur leur présentation.
L’éditeur d’Angry Birds, ce jeu sur mobile qui consiste à lancer des oiseaux, considéré comme le Super Mario des années 2010, lève 42 millions de dollars. Et continue à se développer, revendiquant 40 millions de «joueurs» actifs mensuels. Une mine qui donne des idées au journalisme. En effet, les mécaniques de jeu, qui jouent «sur nos motivations personnelles», poussent les utilisateurs «à agir», rappelle Marie-Catherine Beuth sur son blog Etreintes digitales. Et donc à consommer des contenus.
Et c’est peu de le dire. En effet, le système mis en place regorge d’exceptions: si vous consommez moins de 20 contenus par mois, c’est gratuit. Sinon, il faut payer 15 dollars par mois pour lire les informations sur ordinateur et téléphone mobile, mais 20 dollars mensuels pour les lire sur l’ordinateur et une tablette et… 35 dollars pour disposer de ces contenus sur tous les supports. Logique ou pas, les contenus restent gratuits si vous y accédez depuis les réseaux sociaux.
Le réseau social de San Francisco franchit les étapes d’une start-up qui réussit, et compte désormais 200 millions d’inscrits dans le monde, dont 2,4 millions en France. A côté des 500 millions d’utilisateurs de Facebook, dont 20 millions de Français, le chiffre semble dérisoire. Et pourtant, Twitter constitue un outil de compétition pour les journalistes. La photo de l’avion qui a amerri en catastrophe sur l’Hudson, à New York, c’est sur Twitter qu’elle est apparue en premier, créant un «breaking news» historique. Et ce n’est pas la seule photo publiée sur Twitter à avoir compté en tant qu’information, comme en témoigne ce diaporama des neufs photos qui ont fait entrer le réseau dans l’univers des médias.
Une interview «exclusive» d’une durée d’1h11 avec public, applaudissements, et questions des internautes, dans laquelle la chanteuse se dit «très honorée» d’être chez Google, se souvenant qu’au lycée, ses amies rêvaient de travailler pour le moteur de recherche américain, et qu’elle rêvait, elle, d’être le mot «que celles-ci cherchaient». Cela va sans dire, la vidéo de la rencontre entre Lady Gaga et Marissa Meyer, vice présidente de Google, a été publiée sur YouTube, la plate-forme du géant américain.
A cette liste, il faudrait ajouter le rachat du site Huffington Post par AOL pour 315 millions de dollars, et le lancement par Google d’un magazine en Angleterre, intitulé Think Quaterly…
Alice Antheaume
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