Qui es-tu, consommateur d’informations français?

Crédit: Flickr/CC/gothopotam

L’année dernière, les Français étaient très actifs pour commenter les informations en ligne et répondre à des sondages portant sur l’actualité. Cette année, ils ne participent plus autant. Ils disent préférer s’informer par les médias traditionnels, tout en ne boudant pas leur plaisir lorsqu’il s’agit de suivre un “live”, ce format qui permet de raconter en ligne, au fur et à mesure, via texte, son, vidéo, image et interaction avec l’audience, un événement.

C’est ce que révèle la nouvelle étude intitulée “digital news report” publiée par le Reuters Institute for the Study of Journalism ce 20 juin 2013. En comparant les usages des consommateurs d’informations en France, en Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie, Danemark, aux Etats-Unis, au Brésil et au Japon, elle dégage les spécificités des consommateurs d’informations en fonction de leur pays d’appartenance. Et donne à voir un portrait réactualisé du consommateur d’informations en France.

  • Le Français reste attaché à la télévision

Le Français, donc, se fie volontiers aux médias traditionnels pour accéder aux actualités, et notamment à la télévision, alors que le pays bénéficie d’un taux de pénétration d’Internet important (80%) et d’un nombre de pure-players exceptionnel. Paraxodal? La France est le seul pays étudié où même les moins de 34 ans conservent une forme de “loyauté envers la télévision”, note le rapport, et ce, alors que, partout ailleurs, Internet est la principale source d’informations pour les moins de 45 ans.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

L’attachement aux médias traditionnels se retrouve en Allemagne où les habitants, bien que très connectés (83% de taux de pénétration d’Internet), restent fidèles à la télévision et continuent à lire des journaux imprimés chaque semaine. Pour s’informer, les Japonais et les Américains, eux, utilisent plutôt des pure-players et des agrégateurs en ligne tandis que les Brésiliens – l’échantillon porte sur ceux qui vivent en ville – se tournent en majorité vers les réseaux sociaux.

  • Le Français participe moins à l’actualité en ligne depuis que l’élection présidentielle est terminée

L’engouement pour l’élection présidentielle étant passé, la verve française serait retombée alors que la France était en 2012 le pays européen “le plus engagé” en ligne, participant à la construction de l’information et répondant à qui mieux mieux à des sondages sur l’actualité. Un engagement qui, d’après l’étude, s’est effondré en 2013. Autant dire que ni l’affaire Cahuzac ni le débat sur le mariage pour tous n’ont suffi à re-mobiliser les commentaires des internautes.

Cette année, pour discuter de l’actualité, le Français en parle avec sa famille et ses amis, en envoyant l’information qu’il a repérée par email ou, encore, en la recommandant sur un réseau social. Sur le créneau de la participation, les Français se font donc distancer par les Américains et les Espagnols, les plus actifs dans le partage de liens, et par les Brésiliens, les plus gros commentateurs d’articles sur les sites d’informations.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

  • Le Français aime les listes et les “lives”

Les Français apprécient avant tout les articles de type “liste” – vous êtes vous-même en train d’en consulter un exemple ici -, les blogs, les vidéos et les sons, et, spécificité hexagonale, les “lives” qui privilégient l’instantanéité et sont réactualisés en temps réel pour raconter un événement inopiné ou un match sportif. Sur ce point, ils talonnent les Japonais, très friands de ce type de format. A l’opposé, les Danois et les Allemands se tournent plus volontiers vers des contenus plus longs.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

  • Le Français lit des informations nationales

Le Français aime la politique, les actualités qui concernent son pays, les informations internationales, mais il aime beaucoup moins les informations locales, notamment sur sa ville, les informations people ou l’“entertainment”, ainsi que les informations sur la bourse et la finance. En outre, exception culturelle française ou pas, il ne semble pas non plus se ruer sur les informations concernant l’art et la culture.

  • Le Français accède à l’actualité via des moteurs de recherche

Pour trouver des informations en ligne, les Français passent par les moteurs de recherche, un chemin d’accès majoritaire – un Français effectue en moyenne 134 recherches en ligne par mois -, bien loin devant la recommandation sociale et les agrégateurs. Au Japon, à l’inverse, ce sont en majorité les agrégateurs qui permettent d’accéder aux informations, quand, au Brésil, ce sont les réseaux sociaux qui y mènent.

  • Le Français préfère toujours son ordinateur fixe pour s’informer

Ordinateur? Tablette? Smartphone? Tout à la fois? Dans tous les pays sondés, de plus en plus d’utilisateurs s’informent via une combinaison de plusieurs outils. Un tiers des répondants utilisent au moins deux supports, et c’est le plus souvent l’ordinateur et le smartphone. Est aussi en vigueur l’alliance de l’ordinateur et la tablette, voire l’utilisation des trois (ordinateur, téléphone et tablette) en même temps. Tandis que les Danois dégainent par réflexe leur smartphone pour accéder aux informations, les Français sont toujours, pour la majorité d’entre eux, des usagers fidèles de l’ordinateur, avant le smartphone, et avant la tablette.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

  • Le Français prêt à payer pour de l’information en ligne s’il a entre 25 et 34 ans et gagne plus de 50.000 euros par an

En 2012, seuls 8% des Français sondés avaient payé pour accéder à des informations en ligne, selon la précédente étude du Reuters Institute. En 2013, ils seraient désormais 13% à avoir franchi le cap. Fait notable, les utilisateurs les plus enclins à passer à l’acte ont entre 25 et 34 ans. Et ils le font davantage depuis une tablette, ainsi que depuis un smartphone, plutôt que via un ordinateur fixe.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

En France et Allemagne, relève l’étude, il y a une corrélation entre le montant des revenus et l’acte d’achat: les foyers gagnant plus de 50.000 euros par an sont deux fois plus prêts à acheter de l’info en ligne que ceux qui gagnent moins de 30.000 euros par an. Enfin, en France, l’achat d’une application constitue l’acte de paiement le plus fréquent pour accéder à des infos en ligne, alors que s’abonner aux sites d’informations prévaut aux Etats-Unis et au Danemark.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

Alice Antheaume

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A la conférence du Guardian, le mur payant est (encore) là

Crédit: AA

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Peut-on faire payer les contenus des sites d’informations? Vrai serpent de mer, cette question a été posée des milliards des fois. Et pour cause: elle n’a pas reçu de réponse claire. Ou alors une réponse – oui, tout doit être gratuit en ligne, sauf les informations très spécialisées à destination de professionnels – qui ne satisfait pas les éditeurs. Résultat, aucune conférence sur les médias ne se tient sans échapper à cette discussion. Et le Changing Media Summit, le colloque organisé par le Guardian, les 23 et 24 mars à Londres, ne déroge pas à la règle. Plusieurs interventions et tables rondes y étaient consacrées.

>> Lire aussi: Pourquoi le journalisme continue à muter en 2011? >>

Alors que le New York Times vient de lancer un mur payant «incroyablement complexe», selon les mots d’un journaliste de la BBC, que le rapport annuel du Pew Research annonce qu’aux Etats Unis, seul 1% des utilisateurs paient pour accéder des informations en ligne, et qu’Associated Press serait en train de regarder de près le système de paiement «One Pass» de Google, qu’en pensent les intervenants de la conférence londonienne? Eléments de réflexion.

Rob Grimshaw, Financial Times

«Avoir un mur payant ou pas, ce n’est plus un débat pour le Financial Times. Car la discussion a été tranchée: notre paywall marche. Il marche même très bien. Nous avons 210.000 inscrits payants en ligne, ce qui représente la moitié de notre circulation payante. De plus, près de 15% de nos utilisateurs souscrivent leur abonnement au FT.com via leur mobile. Alors pourquoi aurions-nous encore un débat sur les paywalls? Non, en revanche, ce qui nous occupe au Financial Times, c’est le mobile. Comment faire grandir notre audience sur ce support? D’après les chiffres dont nous disposons, 90% des internautes britanniques accèdent déjà au Web par le mobile et 45% de nos lecteurs accèdent à des contenus du FT via leur téléphone.»

Alan Rusbridger, The Guardian

«Le modèle du Financial Times ne peut pas marcher pour le Telegraph ou le Guardian. Quel type de journalisme peut susciter l’achat? Je ne sais pas. Pour l’instant, je ne suis pas sûr d’avoir vu des preuves que l’on peut faire payer pour des informations généralistes. Si le New York Times réussit son expérience de mur payant, je regarderais de plus près. Mais encore faudrait-il que les médias soient transparents sur leurs chiffres, afin que l’on puisse tirer les leçons de leurs expériences. Actuellement, sur le site du Guardian, 4 millions de personnes viennent chaque jour cliquer sur des contenus… gratuits.»

Arianna Huffington, Huffington Post

«Y aura-t-il un jour un mur payant sur le Huffington Post? A priori non, même si nous sommes tous dans une phase d’expérimentation. Je vois que le New York Times a finalement lancé son mur payant avec une très grande hésitation, en le testant d’abord au… Canada, c’est dire. Au fond, ils ne misent pas vraiment sur ce mur payant, ce que je comprends, car il paraît très difficile de le faire sur les informations générales et les opinions.»

Christian Hernandez, Facebook

«Pour les contenus, il faut distinguer les denrées de base, les informations généralistes, et celles qui ont de la valeur, le journalisme. Les murs payants n’ont de sens que pour les contenus qui ont du sens. De la valeur, si vous préférez.»

Paul Bascobert, Bloomberg Business Week

«Il n’y a pas de modèle valable à part celui qui permet de découvrir ce qui a de la valeur pour l’éditeur et le client. Oui, nous ferons un jour payer nos contenus en ligne. Quand? Dans le futur…»

Stevie Spring, Future

«Je déplore la naïveté des éditeurs qui assènent que ce contenu coûte tant, donc maintenant, chers lecteurs, il faut payer. Entre la “capacité” à payer, et l’acte de payer, il y a une grosse différence. La plupart du temps, les gens estiment qu’une fois qu’ils ont payé leur fournisseur d’accès à Internet, c’est bon, ils peuvent naviguer tranquillement sur leur navigateur et sur leur mobile, et consommer ce qui leur plaît.»

Paul Hayes, News International

«Le plus intéressant, en ce moment, c’est de voir comment les éditeurs évaluent la valeur de leur contenu. Par exemple, sur l’application iPhone du Guardian, on peut estimer qu’un contenu vaut un penny (10 centimes d’euros, ndlr). En réalité, cela coûte beaucoup plus cher que cela à produire. Les éditeurs ont passé trop de temps à se plaindre. Ils ont d’abord dit que Google leur volait leurs contenus, et maintenant, ils regrettent qu’Apple leur pique leurs revenus. Pendant ce temps, Facebook, Google, et Apple construisent la suite.»

Au final, lors de ces deux jours au Changing Media Summit, le mot «valeur» était sur toutes les lèvres. Mais de quelle valeur parle-t-on? La prix que coûte la production d’un article? Sa valeur journalistique aux yeux d’un directeur de la rédaction? La valeur que lui donne les internautes? Nul ne le sait tout à fait. Une chose est sûre, et c’est ce qu’annonçait l’état des lieux annuel sur les médias américains, Apple, Google et Facebook se sont assis autour de la table, et ont d’ores et déjà installé leurs péages. En un clic.

Alice Antheaume

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