DLD Women 2012: Plaidoyer pour hacker et… se déconnecter

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D’habitude, lors des grands raouts sur les nouvelles technologies, il y a, à vue d’oeil, 90% d’hommes et 10% de femmes dans le public. A la conférence DLD (Digital-Life-Design) Women, qui s’est tenue à Munich, en Allemagne, les 11 et 12 juillet, c’était l’inverse – et pour cause, c’est une déclinaison spécifique pour la gente féminine. Quels changements le numérique apporte-t-il à nos conditions de travail, à notre façon de consommer et à nos relations sociales? Eléments de réponse, avec du féminin dedans.

  • L’espace de travail de demain

Comment va-t-on travailler plus tard? A quoi ressemblera le lieu de travail du futur? A ces questions, Ursula Von Der Leyen, la ministre allemande du Travail et des Affaires sociales, répond qu’en 2020, c’est sûr, on travaillera surtout dans le cloud, c’est-à-dire dans un «nuage» informatique en ligne qui stocke des documents professionnels. «Les smartphones nous donnent une grande liberté. Avec eux, nous sommes libres de travailler de là où nous voulons, sans même dire où nous sommes, et sans personne pour regarder ce que nous faisons par dessus notre épaule». L’espace de travail du futur est donc en ligne, international, fait d’une armée d’experts que les sociétés peuvent solliciter dès qu’elles ont une question à résoudre et… qui ne savent pas toujours qu’ils sont des experts.

Fini le temps où la distinction entre travailleurs permanent et temporaire avait du sens. Fini le temps où les salariés étaient plus avantagés que les prestataires de service. «Les travailleurs du cloud passeront leur vie professionnelle en compétition les uns contre les autres, à postuler pour une mission ici, un travail là», reprend Ursula Von Der Leyen.

Fini aussi le temps où l’on travaillait dans un lieu défini. «La majorité des Allemands préfèrent travailler depuis chez eux avec leurs propres outils, et les trois quarts des Allemandes aimeraient travailler quelques heures voire la journée entière depuis chez elle», poursuit René Schuster, le président de Téléfonica en Allemagne, lequel rappelle la règle de chez Google, qui prévoit qu’un jour par semaine soit dévolu aux projets personnels des salariés – après validation par leur supérieur.

Autre exemple cité: le cas du moteur de recherche Ask.com qui ne donnerait pas de seuil limité pour les vacances de ses salariés. Ceux-ci prendraient leurs congés quand ils le souhaitent et quand ils le jugent nécessaires.

Selon René Schuster, la nouvelle mode n’est donc plus aux fêtes BYOB (bring your own beer, apportez votre bière, en français) mais aux réunions BYOD (bring your own devices, apportez vos outils de travail, donc).

  • L’ultra-connectivité

Qui ne le sait pas? Les smartphones sont à la fois nos journaux, nos supermarchés, nos jeux, et la télécommande de notre vie sociale. Le chiffre du jour, entendu à DLD Women, c’est que 4.2 milliards de personnes dans le monde possèdent une brosse à dents quand 4.8 milliards ont un téléphone, d’après les chiffres du cabinet Deloitte datant de mai 2012.

Crédit: Deloitte, mai 2012

Aucun doute pour René Schuster: la carte bancaire sera morte dans cinq ans, remplacée par le paiement sur mobile. Il assure aussi qu’«un couple marié sur six s’est rencontré en ligne et… 48% des 13-34 ans se connectent à Facebook avant de dire bonjour le matin» via leur téléphone portable.

Dans ce monde ultra connecté, il n’y a pas que les humains qui se parlent en ligne. A terme, les objets aussi, comme le montre l’exemple de Botanicalls, cette société qui veut créer «un canal de communication entre les plantes et les hommes». En clair, on met un kit électronique sur la feuille de la plante, et lorsque celle-ci se dessèche, le kit envoie un tweet disant «j’ai soif» pour demander, par le biais de Twitter, que son propriétaire daigne l’arroser.

  • Le trop plein

72h de vidéos mises en ligne chaque minute sur YouTube. 12.233 tweets par seconde cette année au moment du Superbowl, quand, en 2008, cela tournait autour de 27 tweets par seconde en cas d’actualité, d’après les chiffres donnés par Karen Wickre, de Twitter. Chaque jour sur Facebook sont publiés 300 millions de photos en moyenne et 3.2 milliard de likes et commentaires. Je ne parle pas du nombre d’emails dans les messageries qui s’agglutinent.

Comment gérer ce flux? A DLD, les intervenants interrogés ont une technique peu orthodoxe, mais qui semble partagée: ils suppriment tous leurs emails de temps à un autre, sans même les avoir lus. «Si c’est vraiment important, les gens vont réécrire leurs emails donc nous les aurons au final». Une position qui ressemble à celle que l’on applique sur Twitter: si le tweet est vraiment important, il sera retweeté par les autres, donc nul besoin de remonter sa timeline pendant des heures.

Autre conséquence de ce trop plein: l’envie, parfois, de fermer le robinet. «Nous sommes toujours présents, toujours joignables. Impossible de mettre des limites aux nouvelles technologies», constate Ursula Von Der Leyen.


«C’est l’âge d’or de l’engagement en ligne», reprend Arianna Huffington, la fondatrice du Huffington Post, dans une vidéo diffusée à DLD Women. Et c’est très vrai de la France, dont l’enquête du Reuters Institute vient de montrer que les Français sont les Européens les plus actifs dans la construction de l’information en ligne.

Dans ce contexte, il devient exceptionnel – et le luxe suprême – d’avoir des moments hors du réseau. «Défendez votre droit à être déconnecté», conseillent en choeur Ursula Von der Leyen et Arianna Huffington.

  • L’émotionnel

Il aura fallu moins d’une journée à DLD pour entendre les mots «émotion» et «émotionnel» revenir une bonne centaine de fois dans la bouche des intervenants. L’émotion serait en fait, selon eux, une réponse au trop plein d’informations qui nous submerge à chaque instant. Et la question reste la même pour les médias comme les annonceurs: comment se distinguer dans ce flot interrompu? Et comment faire valoir ses contenus?

Si, pour Shamim Sharif, romancière et scénariste, c’est la façon de raconter les histoires qui fait la différence, d’autres entrepreneuses ont un avis moins romantique: «les marques doivent parler à l’audience en provoquant une émotion, sinon, c’est fichu», déclare Sarah Wood, d’Unruly, une société capable de prédire le potentiel viral d’une campagne de pub en vidéo avant sa diffusion.

Sauf que l’échantillon des émotions dites efficaces est restreint. Pour que le contenu sorte du lot, il faut qu’il fasse rire, qu’il rende heureux – ou triste – ou bien qu’il «scotche» le public. Exemple de vidéo qui reste? La publicité pour la chaîne TNT qui met en scène, dans une petite ville de Belgique, une ambulance, une fusillade avec des méchants, une fille qui passe en lingerie sur une moto, sous les yeux des badauds qui ne savent plus où ils habitent.

Toujours dans le registre de l’émotion, autre tendance observée à Munich: l’émergence de sites d’e-commerce nouvelle génération, reposant sur du «emotional commerce» (commerce émotionnel, en VF), comme Fab.com et AHAlife.com. Sur ce dernier figurent des produits plutôt luxe chinés dans le monde, de la montre en bois pour hommes à des chargeurs pour téléphone en édition limitée. Ces objets sont choisis par des «sélectionneurs» – célèbres ou pas – et l’utilisateur peut lire l’histoire de chaque produit, comme si un vendeur haut de gamme lui en faisait l’article.

Que vient faire l’émotion là-dedans? C’est le concept marketing de Shauna Mei, la fondatrice de AHAlife.com, qui dit que, trempée par la pluie lors d’un voyage à Tokyo, elle cherchait en catastrophe un parapluie. En rentrant dans la première boutique, elle est tombée sur des boucles d’oreille, qu’elle a achetées. Depuis, à chaque fois qu’elle porte ces boucles d’oreille, elle repense à ce moment tokyoïte. Et elle a voulu reproduire cette «connexion» entre les acheteurs et les produits sur son site, en comptant sur le fait que les premiers allaient «chérir» les seconds.

  • La culture du hack

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«Il faut repenser les méthodes habituelles», dit Angela Zäh, responsable des nouveaux marchés de Facebook, et adopter la culture des hackers. Impossible, sinon, d’avancer. Et de rappeler que le réseau social, aujourd’hui doté de plus de 860 millions d’inscrits, a commencé comme simple site estudiantin. Dès son lancement, en 2004, il avait néanmoins deux objectifs: «s’étendre à l’international et connecter le monde». En toute simplicité.

«Comme il n’y avait ni équipe chargée de l’international ni équipe marketing, il a bien fallu faire autrement…». Et Angela Zäh d’énoncer trois règles pour s’efforcer de «faire autrement»:

1. Que feriez-vous si vous n’aviez peur de rien, ni du ridicule, ni de poser les mauvaises questions?
2. Bougez vite et changez les règles.
3. Le mieux est l’ennemi du bien.

Bref, mieux vaut quelque chose de fait plutôt qu’une idée de la perfection qui ne sera jamais réalisée. «Essayons et remettons en question les principes établis»… des principes en vogue dans la Silicon Valley, estime Karen Wickre, directrice éditoriale de Twitter, passée par Google.

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Une philosophie que connaît bien Keren Elazari, «hackeuse professionnelle», qui travaille sur les systèmes de sécurité en Israël et a collaboré à la conférence internationale organisée par l’OTAN sur les cyber-conflits en 2011. «Il ne faut pas se mettre de barrière», argue-t-elle, fidèle à la culture du hack.

Le déclencheur de sa vocation? Angelina Jolie dans le film Hackers. Et, plus récemment, Lisbeth Salander, l’héroïne de la trilogie Millenium, une hackeuse invétérée qui accède aux données présentes dans les ordinateurs de n’importe qui. Devant une audience à très grande majorité féminine, Keren Elazari lance un appel: «Il faut qu’il y ait plus de femmes qui codent et deviennent des hackeuses, c’est très fun, je vous le garantis! Le but du jeu, c’est de manipuler le système pour qu’il fasse ce que vous voulez».

Une nouvelle forme de pouvoir, donc, et la langue vivante de demain. La conférence DLD Women de cette édition avait bien pour sous-titre «nouvelles règles, nouvelles valeurs».

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Alice Antheaume

3 commentaires pour “DLD Women 2012: Plaidoyer pour hacker et… se déconnecter”

  1. chouette ! Un monde totalement connecté H24 (le droit à être déconnecté ? laissez moi rire: oui, tu as le droit… de crever seul dans ton coin) , ou tout le monde est en concurrence avec ses collègues pour des boulots instables, et sans vie sociale réelle vu qu’on reste chez soi…
    Le tout orchestré par une informatique de Cloud et des smarthpones/tablettes, représentant une consommation d’énergie et de matières premières rares colossale.
    Y a-t-il vraiment des gens qui rêvent du monde de demain présenté dans le début de l’article ? Voire qui envisagent de ne pas lutter contre ? *bang…*
    Sinon la comparaison entre nombre de brosses à dents et smartphones est flatteuse, et rappelle la proportion de nos congénères qui n’ont même pas accès à des choses aussi fondamentales que l’hygiène de base…

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