Web Summit 2014: l’Irlande, les robots et la réalité virtuelle sont dans la place

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Si vous n’étiez pas au Web Summit, la conférence sur les nouvelles technologies qui s’est tenue à Dublin, en Irlande, du 4 au 6 novembre 2014, voici un rattrapage en 7 points et autant de tendances en vigueur dans la sphère numérique.

L’Irlande est dans la place

Signe du dynamisme de la place irlandaise dans le monde numérique, le Web Summit, créé il y a quatre ans par Paddy Cosgrave, un trentenaire irlandais, a réuni 22.000 participants, 614 speakers et 1.324 journalistes à Dublin. Autant dire une foule impressionnante. Oubliez la Silicon Valley, regardez l’Irlande, clament les entrepreneurs présents au Web Summit.

“Il n’y a pas de pays plus favorable aux entreprises en Europe”, prétend le premier ministre irlandais Enda Kenny, en s’offrant le luxe de sonner la cloche à l’ouverture du Nasdaq à New York. C’est aussi en Irlande que se situent les plus importants bureaux en Europe de Google et Facebook, qui révèle vouloir passer de 500 à 1.000 employés à Dublin.

La politique du “double irish”, cette technique d’optimisation fiscale qui permet à des entreprises d’échapper au fisc europeén en profitant d’une dérogation, n’y est pas pour rien. Même si le gouvernement irlandais a présenté un projet de loi qui veut y mettre un terme, Twitter, qui emploie 200 personnes à Dublin, assure que cela ne remet pas en question ses projets d’expansion en Irlande. Les panélistes du Web Summit l’ont martelé: le dynamisme irlandais en matière de numérique n’est pas qu’affaire de fiscalité, c’est aussi une question de talents.

Le pari de la réalité virtuelle

Quelle sera la prochaine grande révolution numérique? Bien malin qui peut le savoir. Brendan Iribe, le patron d’Oculus Rift, la société rachetée 2 milliards de dollars par Facebook en mars, parie sur la réalité virtuelle pour métamorphoser la façon dont on communique. “La plupart des gens voyagent, prennent l’avion ou la voiture, pour rencontrer leurs interlocuteurs. Imaginez que l’on puisse, dans le futur, mettre des lunettes de soleil pour rencontrer les gens en ayant l’impression d’être dans la même pièce, en pouvant regarder de près leurs yeux, voir bouger leur bouche, cela aurait un énorme impact” sur nos vies à long terme.

En attendant, le casque de réalité virtuelle d’Oculus, qui a fait l’événement à Austin, lors du festival South by South West, sera commercialisé dans quelques mois, sans que Brendan Iribe ne donne de date précise. “Nous sommes très impatients. Nous sommes très très près du but. C’est une histoire de mois, pas d’année. Mais de plusieurs mois quand même”.

Les stars hackent la scène

Eva Longoria, Lily Cole, Bono… Ils ont tous défilé au Web Summit. A qui profite leur venue? A la conférence d’abord qui voit son influence et son rayonnement démultipliés lorsque ces célébrités promeuvent l’événement – l’intervention d’Eva Longoria est celle qui a recueilli le plus de tweets (plus de 3.000) à l’occasion du Web Summit, loin devant celle de Tony Fadell, le président de Nest, cette entreprise de thermostats intelligents rachetée par Google 3,2 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros) en janvier. Pour ces stars, c’est une formidable opportunité aussi. Car elles investissent désormais dans des projets numériques et/ou des fondations. Or accéder au Web Summit à un public d’investisseurs de cette trempe peut leur permettre de lever des fonds.

L’ombre de Steve Jobs

Steve Jobs est mort il y a trois ans, et pourtant, son nom a été cité par pas moins de trois intervenants du Web Summit. D’abord par John Sculley, ex-patron d’Apple, responsable de l’éviction de Jobs en 1985 avant que ce dernier ne revienne en fanfare en 1997. Sculley est «célèbre par association», remarque Techcrunch, et «c’est une étrange dynamique».

«Tout le monde veut savoir comment était Steve Jobs, et dans quelle mesure Sculley l’a poussé au départ. 30 ans après, nous voulons toujours en parler, disséquer les tenants et les aboutissants de la situation d’alors, en demandant à Sculley ce qu’il s’est passé.» On ne saura rien ou si peu des activités de Sculley en dehors d’Apple, qu’il a quitté en 1993.

Le patron de Dropbox, Drew Houston, qui n’a rencontré Steve Jobs qu’une fois en 2009, a aussi été interrogé sur la personnalité du gourou d’Apple. Même chose lorsque le chanteur Bono est arrivé au Web Summit, lui qui s’est autrefois ému auprès de Steve Jobs du look immonde d’iTunes, indigne d’un esthète du design comme il l’a été. Autant d’occurrences qui prouvent que l’ex-patron d’Apple garde une influence remarquable sur le monde de la technologie, même en 2014, même si, parmi d’autres figures titulaires ont été mentionnées lors des interventions du Web Summit, notamment Larry Page, de Google, et Mark Zuckerberg, de Facebook.

John Collison, la jeune pousse

A la conférence DLD 2014 à Munich, en Allemagne, était apparu, célébré comme un prodige, Nick d’Aloisio, 18 ans, venu présenter son bébé, l’application News Digest.

Au Web Summit, au rayon jeunes pousses prometteuses et déjà riches, figure John Collison, un Irlandais de 24 ans qui a co-fondé Stripe, une start-up de paiement en ligne basée à San Francisco et estimée à… 1,5 milliard d’euros. Sur la grande scène, le jeune homme aux visage encore joufflu, en chemise jean brut et chausses bateaux, rappelle qu’aujourd’hui “la plupart de nos achats s’effectuent hors ligne mais cela va s’inverser au profit des paiements en ligne, un marché immense”. Stripe teste un bouton “buy now” sur Twitter. Quant à l’Apple Pay, c’est aussi signé Stripe.

“Plus l’interface pour payer est simple, et intégrée, plus vous allez acheter des choses en ligne”, prévoit John Collison, plus à l’aise pour parler de sa société que de lui-même. “Quel genre de parents vous laissent lancer votre start-up alors que vous n’aviez pas fini vos études?”, interroge le journaliste David Rowan, de Wired, après avoir présenté Collison comme une “icône”. “C’est vrai que j’ai un parcours peu commun. Mes parents ont tous les deux lancé leur business, et comme on était à la campagne, l’Internet était très lent, ils ont donc pris une connexion par satellite”, répond John Collison qui, à l’époque, était en train d’apprendre la programmation informatique.

Les assistants robots

Autre star remarquée du Web Summit, Nao, un robot de 58 centimètre. Il a beau avoir été créé en 2006, il a fait une sortie remarquée à Dublin, à la fois sur la grande scène, et sur le stand, où se sont agglutinées les équipes de télévision, dont Médias Le Mag et CNN International.

“Il peut parler, danser – il fait partie d’une chorégraphie de Blanca Li, ndlr -, éviter les objets, sentir quand vous le touchez sur ses capteurs, et vous aider à apprendre”, m’explique Laura Bokobza, la directrice marketing d’Aldebaran, la société française qui a, cocorico, conçu cet humanoïde pour qu’il “accompagne des élèves dans leur apprentissage”, par exemple lors de cours dans des universités. Il peut même tweeter.

Nao, alias Jean-Mi, participe chaque semaine à l’émission Salut les Terriens avec Thierry Ardisson. Profitant du boom des robots de l’information, va-t-il remplacer les journalistes? Non, répond Laura Bokobza: “il n’est pas là pour remplacer les gens mais les assister”.

D’ailleurs, il a besoin de la programmation d’un technicien ad hoc avant de pouvoir réagir à ce qu’il se passe. Le temps réel de l’information est une donnée qui lui est difficile, pour ne pas dire impossible, à intégrer pour le moment.

A noter: il n’est pas encore à vendre pour les particuliers, même si Laura Bokobza pense qu’il pourrait être bientôt commercialisé au prix de 4.500 euros avec un an de maintenance garantie.

Streaming toute

Le futur est au streaming, pas au téléchargement. La preuve, le succès de Spotify, une start-up suédoise créée en 2008, avec 12,5 millions d’abonnés payants, dont les revenus titillent ceux diTunes au dernier trimestre en Europe. Une étape importante pour l’avancée streaming, se félicite Willart Ahdritz, de la société Kobalt. Pas de surprise, puisqu’en 2012, Sean Parker le fondateur de Napster a prédit que les revenus de Spotify dépasseraient ceux d’iTunes d’ici deux ans, rappelle The Independent.

L’expansion de Netflix en Europe va dans le même sens même si aucun chiffre officiel n’a été communiqué depuis son arrivée en France.

Transports numérisés

 

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Comment embarquer la technologie à bord des moyens de transport? C’est l’une des questions sur laquelle planchent de nombreuses marques, de Google avec ses voitures connectées à Audi qui prévoit un tableau de bord incluant Google Earth et Google Maps ainsi qu’une sorte de Siri permettant aux conducteurs de garder les mains sur le volant et les yeux sur la route tout en dictant leurs SMS à voix haute – un système qui ne serait pas sans danger, selon cette étude réalisée par l’Université d’Utah.

Aer Lingus, la compagnie aérienne irlandaise, a même installé sa nouvelle classe affaires avec écrans HD au milieu des stands dédiés aux start-up du Web Summit. C’est pourtant bien moins impressionnant que l’avion sans hublot que propose le Centre for Process Innovation (CPI), et dont la vidéo de démonstration a beaucoup circulé en ligne ces dernières semaines. Dans 10 ans, l’habitacle de la cabine serait alors recouvert intégralement d’écrans sur lesquels les voyageurs pourront voir des films, une vue panoramique du ciel, consulter leurs emails ou surfer sur Internet.

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Alice Antheaume

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DLD Women 2012: Plaidoyer pour hacker et… se déconnecter

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D’habitude, lors des grands raouts sur les nouvelles technologies, il y a, à vue d’oeil, 90% d’hommes et 10% de femmes dans le public. A la conférence DLD (Digital-Life-Design) Women, qui s’est tenue à Munich, en Allemagne, les 11 et 12 juillet, c’était l’inverse – et pour cause, c’est une déclinaison spécifique pour la gente féminine. Quels changements le numérique apporte-t-il à nos conditions de travail, à notre façon de consommer et à nos relations sociales? Eléments de réponse, avec du féminin dedans.

  • L’espace de travail de demain

Comment va-t-on travailler plus tard? A quoi ressemblera le lieu de travail du futur? A ces questions, Ursula Von Der Leyen, la ministre allemande du Travail et des Affaires sociales, répond qu’en 2020, c’est sûr, on travaillera surtout dans le cloud, c’est-à-dire dans un «nuage» informatique en ligne qui stocke des documents professionnels. «Les smartphones nous donnent une grande liberté. Avec eux, nous sommes libres de travailler de là où nous voulons, sans même dire où nous sommes, et sans personne pour regarder ce que nous faisons par dessus notre épaule». L’espace de travail du futur est donc en ligne, international, fait d’une armée d’experts que les sociétés peuvent solliciter dès qu’elles ont une question à résoudre et… qui ne savent pas toujours qu’ils sont des experts.

Fini le temps où la distinction entre travailleurs permanent et temporaire avait du sens. Fini le temps où les salariés étaient plus avantagés que les prestataires de service. «Les travailleurs du cloud passeront leur vie professionnelle en compétition les uns contre les autres, à postuler pour une mission ici, un travail là», reprend Ursula Von Der Leyen.

Fini aussi le temps où l’on travaillait dans un lieu défini. «La majorité des Allemands préfèrent travailler depuis chez eux avec leurs propres outils, et les trois quarts des Allemandes aimeraient travailler quelques heures voire la journée entière depuis chez elle», poursuit René Schuster, le président de Téléfonica en Allemagne, lequel rappelle la règle de chez Google, qui prévoit qu’un jour par semaine soit dévolu aux projets personnels des salariés – après validation par leur supérieur.

Autre exemple cité: le cas du moteur de recherche Ask.com qui ne donnerait pas de seuil limité pour les vacances de ses salariés. Ceux-ci prendraient leurs congés quand ils le souhaitent et quand ils le jugent nécessaires.

Selon René Schuster, la nouvelle mode n’est donc plus aux fêtes BYOB (bring your own beer, apportez votre bière, en français) mais aux réunions BYOD (bring your own devices, apportez vos outils de travail, donc).

  • L’ultra-connectivité

Qui ne le sait pas? Les smartphones sont à la fois nos journaux, nos supermarchés, nos jeux, et la télécommande de notre vie sociale. Le chiffre du jour, entendu à DLD Women, c’est que 4.2 milliards de personnes dans le monde possèdent une brosse à dents quand 4.8 milliards ont un téléphone, d’après les chiffres du cabinet Deloitte datant de mai 2012.

Crédit: Deloitte, mai 2012

Aucun doute pour René Schuster: la carte bancaire sera morte dans cinq ans, remplacée par le paiement sur mobile. Il assure aussi qu’«un couple marié sur six s’est rencontré en ligne et… 48% des 13-34 ans se connectent à Facebook avant de dire bonjour le matin» via leur téléphone portable.

Dans ce monde ultra connecté, il n’y a pas que les humains qui se parlent en ligne. A terme, les objets aussi, comme le montre l’exemple de Botanicalls, cette société qui veut créer «un canal de communication entre les plantes et les hommes». En clair, on met un kit électronique sur la feuille de la plante, et lorsque celle-ci se dessèche, le kit envoie un tweet disant «j’ai soif» pour demander, par le biais de Twitter, que son propriétaire daigne l’arroser.

  • Le trop plein

72h de vidéos mises en ligne chaque minute sur YouTube. 12.233 tweets par seconde cette année au moment du Superbowl, quand, en 2008, cela tournait autour de 27 tweets par seconde en cas d’actualité, d’après les chiffres donnés par Karen Wickre, de Twitter. Chaque jour sur Facebook sont publiés 300 millions de photos en moyenne et 3.2 milliard de likes et commentaires. Je ne parle pas du nombre d’emails dans les messageries qui s’agglutinent.

Comment gérer ce flux? A DLD, les intervenants interrogés ont une technique peu orthodoxe, mais qui semble partagée: ils suppriment tous leurs emails de temps à un autre, sans même les avoir lus. «Si c’est vraiment important, les gens vont réécrire leurs emails donc nous les aurons au final». Une position qui ressemble à celle que l’on applique sur Twitter: si le tweet est vraiment important, il sera retweeté par les autres, donc nul besoin de remonter sa timeline pendant des heures.

Autre conséquence de ce trop plein: l’envie, parfois, de fermer le robinet. «Nous sommes toujours présents, toujours joignables. Impossible de mettre des limites aux nouvelles technologies», constate Ursula Von Der Leyen.


«C’est l’âge d’or de l’engagement en ligne», reprend Arianna Huffington, la fondatrice du Huffington Post, dans une vidéo diffusée à DLD Women. Et c’est très vrai de la France, dont l’enquête du Reuters Institute vient de montrer que les Français sont les Européens les plus actifs dans la construction de l’information en ligne.

Dans ce contexte, il devient exceptionnel – et le luxe suprême – d’avoir des moments hors du réseau. «Défendez votre droit à être déconnecté», conseillent en choeur Ursula Von der Leyen et Arianna Huffington.

  • L’émotionnel

Il aura fallu moins d’une journée à DLD pour entendre les mots «émotion» et «émotionnel» revenir une bonne centaine de fois dans la bouche des intervenants. L’émotion serait en fait, selon eux, une réponse au trop plein d’informations qui nous submerge à chaque instant. Et la question reste la même pour les médias comme les annonceurs: comment se distinguer dans ce flot interrompu? Et comment faire valoir ses contenus?

Si, pour Shamim Sharif, romancière et scénariste, c’est la façon de raconter les histoires qui fait la différence, d’autres entrepreneuses ont un avis moins romantique: «les marques doivent parler à l’audience en provoquant une émotion, sinon, c’est fichu», déclare Sarah Wood, d’Unruly, une société capable de prédire le potentiel viral d’une campagne de pub en vidéo avant sa diffusion.

Sauf que l’échantillon des émotions dites efficaces est restreint. Pour que le contenu sorte du lot, il faut qu’il fasse rire, qu’il rende heureux – ou triste – ou bien qu’il «scotche» le public. Exemple de vidéo qui reste? La publicité pour la chaîne TNT qui met en scène, dans une petite ville de Belgique, une ambulance, une fusillade avec des méchants, une fille qui passe en lingerie sur une moto, sous les yeux des badauds qui ne savent plus où ils habitent.

Toujours dans le registre de l’émotion, autre tendance observée à Munich: l’émergence de sites d’e-commerce nouvelle génération, reposant sur du «emotional commerce» (commerce émotionnel, en VF), comme Fab.com et AHAlife.com. Sur ce dernier figurent des produits plutôt luxe chinés dans le monde, de la montre en bois pour hommes à des chargeurs pour téléphone en édition limitée. Ces objets sont choisis par des «sélectionneurs» – célèbres ou pas – et l’utilisateur peut lire l’histoire de chaque produit, comme si un vendeur haut de gamme lui en faisait l’article.

Que vient faire l’émotion là-dedans? C’est le concept marketing de Shauna Mei, la fondatrice de AHAlife.com, qui dit que, trempée par la pluie lors d’un voyage à Tokyo, elle cherchait en catastrophe un parapluie. En rentrant dans la première boutique, elle est tombée sur des boucles d’oreille, qu’elle a achetées. Depuis, à chaque fois qu’elle porte ces boucles d’oreille, elle repense à ce moment tokyoïte. Et elle a voulu reproduire cette «connexion» entre les acheteurs et les produits sur son site, en comptant sur le fait que les premiers allaient «chérir» les seconds.

  • La culture du hack

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«Il faut repenser les méthodes habituelles», dit Angela Zäh, responsable des nouveaux marchés de Facebook, et adopter la culture des hackers. Impossible, sinon, d’avancer. Et de rappeler que le réseau social, aujourd’hui doté de plus de 860 millions d’inscrits, a commencé comme simple site estudiantin. Dès son lancement, en 2004, il avait néanmoins deux objectifs: «s’étendre à l’international et connecter le monde». En toute simplicité.

«Comme il n’y avait ni équipe chargée de l’international ni équipe marketing, il a bien fallu faire autrement…». Et Angela Zäh d’énoncer trois règles pour s’efforcer de «faire autrement»:

1. Que feriez-vous si vous n’aviez peur de rien, ni du ridicule, ni de poser les mauvaises questions?
2. Bougez vite et changez les règles.
3. Le mieux est l’ennemi du bien.

Bref, mieux vaut quelque chose de fait plutôt qu’une idée de la perfection qui ne sera jamais réalisée. «Essayons et remettons en question les principes établis»… des principes en vogue dans la Silicon Valley, estime Karen Wickre, directrice éditoriale de Twitter, passée par Google.

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Une philosophie que connaît bien Keren Elazari, «hackeuse professionnelle», qui travaille sur les systèmes de sécurité en Israël et a collaboré à la conférence internationale organisée par l’OTAN sur les cyber-conflits en 2011. «Il ne faut pas se mettre de barrière», argue-t-elle, fidèle à la culture du hack.

Le déclencheur de sa vocation? Angelina Jolie dans le film Hackers. Et, plus récemment, Lisbeth Salander, l’héroïne de la trilogie Millenium, une hackeuse invétérée qui accède aux données présentes dans les ordinateurs de n’importe qui. Devant une audience à très grande majorité féminine, Keren Elazari lance un appel: «Il faut qu’il y ait plus de femmes qui codent et deviennent des hackeuses, c’est très fun, je vous le garantis! Le but du jeu, c’est de manipuler le système pour qu’il fasse ce que vous voulez».

Une nouvelle forme de pouvoir, donc, et la langue vivante de demain. La conférence DLD Women de cette édition avait bien pour sous-titre «nouvelles règles, nouvelles valeurs».

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Alice Antheaume

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Le futur du journaliste? Apprendre à entreprendre

Journaliste et entrepreneur. Deux mots qui, jusqu’alors, n’allaient pas ensemble. Pourtant, mutation du métier de journaliste aidant, volonté aussi de redonner de la valeur économique à cette profession, nombreux sont ceux qui veulent se lancer dans la création d’une entreprise, au sens premier du terme, journalistique. Or trouver une idée inédite, monter le business plan qui va avec, lever des fonds, et embaucher ses premiers salariés, cela ne s’improvise pas.

Comme l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1), et comme l’Université de Stanford, la CUNY (The City University of New York) a lancé cette année son programme de journalisme entrepreneurial, sous la tutelle de Jeff Jarvis, qui tient le blog BuzzMachine. Mieux, elle a monté un master spécial journaliste entrepreneur et un centre de recherches attenant pour trouver des «nouveaux modèles économiques pour les news», avec un site dédié, baptisé news innovation. Le tout financé notamment par des fondations, à hauteur de 6 millions de dollars. Intérêt pour la CUNY: servir d’incubateur à de nouvelles start-up susceptibles de donner un second souffle au journalisme.

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Dans la salle de cours de la CUNY, située à quelques mètres de l’immeuble du New York Times, se trouve une douzaine d’étudiants – pas une seule fille au bataillon. Parmi eux, des étudiants de niveau master, des journalistes de 30 à 50 ans ayant déjà travaillé et voulant maintenant monter leur propre affaire, et d’autres professionnels, techniciens, développeurs, qui cherchent à se reconvertir.

«Ils doivent être capables de repérer des opportunités, concevoir et planifier leur business, voir si cela colle avec des clients, et présenter l’idée à des investisseurs, explique Jeff Jarvis. Il leur faut aussi comprendre ce que cela implique de tenir les rênes d’un business et d’un média, par exemple savoir comment la publicité fonctionne, et être capables de travailler avec différents corps de métiers (commerciaux, techniciens, partenaires) et manager l’ensemble.»

Ce lundi de fin septembre, la séance à laquelle j’assiste est la troisième séance du programme, qui se déroule sur quatre semestres. C’est encore le tout début des projets – dont certains ne verront pas le jour. Autour de la table, chaque étudiant a en tête une idée de business, liée à des contenus, mais pas forcément que journalistiques. Impossible de les dévoiler ici, les futurs entrepreneurs m’en voudraient. Reste que, si certaines paraissent fantasques ou inabouties, d’autres s’avèrent déjà séduisantes. Cela tient beaucoup à la capacité qu’ont les étudiants de formuler en termes intelligibles leur idée de start-up.

Jeff Jarvis le sait bien. Pour le faire comprendre aux étudiants, il laisse place, pendant la séance, à une succession d’invités, dont Rafat Ali, le fondateur de Paidcontent, lui-même journaliste et entrepreneur, et Lilia Ziamou, professeur associée en marketing. Et l’un et l’autre ont demandé aux étudiants de présenter, chacun à leur tour, leur idée. Objectif: convaincre. Résumé des premiers conseils reçus.

  • Conseil numéro 1: «Votre idée de business doit être unique»

Pas la peine de refaire ce qui existe déjà. C’est une évidence, mais encore faut-il avoir passer du temps à observer le marché. Et savoir, même si certaines sociétés n’ont pas pignon sur rue, qu’elles ont peut-être déjà exploité ce que l’on croit être un «filon». «Lorsque vous expliquez votre idée de business à quelqu’un faisant partie de la cible potentielle de ce business, il faut que les yeux de celui-ci se mettent à clignoter», insiste Lilia Ziamou. Bref, qu’il comprenne qu’il a intérêt à voir cette idée se développer. Et qu’il ne l’a pas vue naître ailleurs.

  • Conseil numéro 2: «Exprimez votre idée en une phrase»

Une phrase qui ressemblerait à un slogan. «Il s’agit de montrer à vos futurs clients la valeur de votre produit en moins d’une minute. Avant de trouver la meilleure phrase pour exprimer votre idée, vous allez faire des centaines de tentatives», prévient Lilia Ziamou. Lorsque l’un des étudiants commence son argumentaire par «je veux créer une plate-forme de…», elle le stoppe aussitôt: «quel utilisateur sait ce qu’est une plate-forme? Vous ne pouvez pas utiliser ce mot». Et les étudiants de s’évertuer à trouver des termes aussi précis qu’accrocheurs. Tant et si bien qu’ils finissent par formuler le slogan idéal («un moteur de recherche en ligne pour trouver ce que l’on vous cache»), mais sans l’idée derrière.

  • Conseil numéro 3: «Faites la différence entre fonctionnalité et interface»

La fonctionnalité = pourquoi l’utilisateur utilise le produit. L’interface = ce qui permet à l’utilisateur de se servir du produit. Lilia Ziamou prend l’exemple d’un ordinateur connecté au réseau. Sa fonctionnalité? Surfer sur le Web. Son interface? La souris, l’écran, le clavier, etc. «Votre idée doit être pensée et exprimée pour l’utilisateur. Lequel n’a aucune envie de savoir quelle technologie vous allez utiliser, ni comment est fabriquée le packaging d’une bouteille d’eau. Il veut juste savoir pourquoi le produit va le rendre heureux», reprend Lilia Ziamou.

  • Conseil numéro 4: «Trouvez une bonne raison pour fidéliser votre cible»

Rafat Ali met en garde les étudiants: «Il ne sert à rien d’avoir un site sur lequel on ne se rendra qu’une fois par an. Et qui ne pourra donc pas avoir d’audience ni vendre de publicités.» Or trouver un moyen de faire revenir l’audience de façon régulière, chaque jour voire plusieurs fois par jour, alors que cela ne répond pas à un besoin vital, c’est un… défi.

  • Conseil numéro 5: «Sachez ce que le Web/le mobile/le print apporte à votre business»

«Il faut que vous sachiez pourquoi votre produit est en ligne. Ou pas. Qu’apporte le support à votre idée?», demande Lilia Ziamou. Dans la salle, la plupart des étudiants ont déjà pensé à plusieurs déclinaisons possibles de leur concept (application mobile, comptes sur les réseaux sociaux, site Web, etc.). Mais pour leurs conseillers, c’est aller trop vite en besogne. Il faut déjà avoir imaginer un concept signifiant sur un support. Lequel, reprend Lilia Ziamou? Silence dans les rangs.

  • Conseil numéro 6: «Ne considérez pas le business plan comme la Bible»

«Je n’ai jamais trop cru aux business plans», soupire Rafat Ali, alors que Jeff Jarvis fronce les sourcils, lui qui vient de passer les premières séances à scander auprès de ses étudiants l’importance d’une structure financière solide. «Certes, cela confère une valeur à l’entreprise, tempère Rafat Ali. Mais une valeur qui va évoluer très vite puisque les outils du Web changent à la vitesse de la lumière. Ne l’oubliez pas. Sachez vous adapter.»

«L’enseignement que nous donnons à nos étudiants n’est qu’un début, explique le directeur de la CUNY, Stephen B. Shepard. Nous avons besoin de chercher des modèles économiques capables de remplacer ceux qui ne fonctionnent plus, et d’inventer des nouveaux services/produits qui s’adresseront autrement à de nouvelles audiences.»

  • Conseil numéro 7: «Sachez où vous dépenserez le prochain dollar gagné»

Trop souvent selon Jeff Jarvis, les étudiants en journalisme entrepreneur se risquent à avancer, sans y avoir songé plus avant, «je pense que j’aurais besoin de, hum, six personnes». Jarvis est implacable: «Vous n’avez qu’un dollar, où le mettez-vous?». Et Rafat Ali d’aller dans son sens, en évoquant son aventure à Paidcontent.org: «Chaque dollar était exploité. A chaque fois que nous gagnions un peu d’argent, nous savions si nous embaucherions quelqu’un. Ou bien si nous organiserions un événement.»

«Certains puristes considèrent qu’il ne faut pas mélanger les genres entre l’Eglise (le journalisme) et l’Etat (la partie business), analyse Dorian Benkoil, sur le site Mediashift. Il est plutôt sain que les reporters et les éditeurs soient maintenant convaincus de l’intérêt de savoir qu’est ce qui met de l’argent sur les feuilles de paie»

  • Conseil numéro 8: «N’ayez pas peur de demander de l’argent»

C’est le problème des journalistes. Ils savent poser des questions, mais pour demander de l’argent, il n’y a plus personne, déplore Rafat Ali. Lui-même journaliste, diplômé de l’Ecole de journalisme de l’Université d’Indiana, il confie qu’il a parfois eu du mal à se défaire de sa vision de fabricant d’infos, au détriment d’une vision plus «business». Notamment quand le Guardian a offert de racheter Paidcontent. «Journalistiquement, c’était tellement un rêve, le Guardian, cela me fascinait. Résultat, je n’ai pas cherché ailleurs d’autres acquéreurs.»

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  • Conseil numéro 9: «Sachez qui embaucher»

«Embaucher son premier salarié, c’est peut-être cela le plus stressant, relève Rafat Ali. Car c’est une responsabilité énorme que d’avoir quelqu’un qui dépend de vous et de la qualité de votre business.» Pire: déterminer si l’on embauche un journaliste ou un commercial, reprend Rafat Ali.  L’un produit du contenu, l’autre le vend. Les deux sont nécessaires. «C’est un dilemme insoluble», dit-il.

  • Conseil numéro 10: «Montrez à quoi ressemble votre business»

C’est du pur bon sens, mais cela va mieux en le disant, concluent les invités. Mieux vaut présenter à des investisseurs potentiels un projet qui a une apparence visible, une maquette, un graphisme, même si ceux-ci ne sont pas définitifs. Aucune excuse à ne pas le faire, conclut Jeff Jarvis, reprenant l’une de ses constats fétiches: «produire, c’est gratuit.»

(1) L’Ecole de journalisme de Sciences Po a conçu, pour les deuxième année de master, un nouveau cours, animé par Eric Scherer, pour préparer les futurs journalistes au nouvel environnement économique et technologique de la presse. Objectifs: analyser les dynamiques en vigueur dans les médias et découvrir les méthodes et outils utiles dans la création d’un nouveau média. Une série de six séances, communes à tous les élèves de la promotion, traite du nouvel écosystème des médias et des mutations dans l’environnement technologique des médias en réseaux. Puis le cours se prolonge, pour les étudiants qui le souhaitent, via un travail pratique d’approfondissement. Ceux qui ont fait le choix de suivre cette seconde étape pourront bâtir un projet de création d’entreprise de presse. La meilleure idée, choisie par un jury, fera l’objet d’une aide financière à la création et d’un accompagnement par des tuteurs.

Journalistes, avez-vous envie de devenir entrepreneurs? Pour quoi faire? Dites-le dans les commentaires ci-dessous…

Alice Antheaume

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