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«Un proche» ; «un visiteur du soir» ; «un intime» ; «un ami» ; «un fidèle» ; «une ex-ministre»… Dans cet article sur un meeting de soutien à François Hollande, publié lundi dans Libération, figurent pas moins de onze sources anonymes sur 6.700 signes.
Le lendemain, dans un article paru dans Le Parisien évoquant comment Emmanuel Macron vole la vedette à Manuel Valls, il y a cinq sources non identifiées sur 2.300 signes.
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Derrière ces sources, des responsables politiques, élus ou non, qui veulent bien commenter mais pas être cités au grand jour. Or, sans mention de leur nom ni de leur fonction, impossible pour le lecteur de savoir qui parle et d’où. Impossible en outre d’être certain que ces multiples sources n’en seraient pas en fait qu’une seule. Exemple: «à l’Elysée», «un proche du président» et «un conseiller» peuvent renvoyer à la même et unique personne.
Sources verrouillées
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Dans le papier de Libération de lundi, il y aurait en réalité 5-6 sources différentes, m’assure Grégoire Biseau, rédacteur en chef adjoint du quotidien, en charge de la politique. Il reconnaît que «la profusion de off est désastreuse» et plaide pour «un juste dosage» entre les citations anonymes et celles qui sont identifiées.
Pression présidentielle
Signe des temps? Si la question des sources synonymes est un vieux serpent de mer, elle n’en est que plus vivace à l’aube d’une campagne présidentielle, où le jeu politique semble très verrouillé. D’un côté, la parole officielle, cadrée, institutionnelle, souvent relue avant publication. De l’autre, des citations qui ont le mérite de mettre de la vie dans un récit, en évitant au journaliste le style indirect lourdingue, mais qui ne sont pas toujours assumées par leurs locuteurs.
Recourir ainsi aux sources anonymes est une solution de facilité, rétorque Gérard Leclerc, journaliste politique et ancien directeur de la chaîne LCP. «Cela participe d’une dé-responsabilisation à la fois des journalistes et des politiques! Qui me dit que c’est vrai? On assiste à un théâtre d’ombres du débat politique…»
Au New York Times, une récente charte interdit l’usage de sources anonymes, sauf pour quelques rares sujets liés à la sécurité du pays. A l’AFP, ce «doit être l’exception, et non la règle». Et d’insister: «avant d’accorder l’anonymat à une source, il faut se demander quelles sont ses motivations, et si une manipulation est possible».
Comment vérifier ces citations non sourcées?
Car ce sont bien là les risques: non seulement les propos relatés sont invérifiables, mais une langue bien pendue peut balancer n’importe quoi incognito et instrumentaliser le journaliste à qui elle confie ses commentaires en off. Pas forcément, modère Grégoire Biseau, qui rappelle que cela peut aussi «montrer autre chose que la parole officielle: une pointe d’ironie, un commentaire décalé, un élément éloquent au service de la non instrumentalisation».
Pour Gérard Leclerc, au contraire, on assiste ainsi au règne du politiquement correct. Un paradoxe à l’ère numérique. «Alors que tout se sait, tout se dit, qu’officiellement il n’y a plus de off, en réalité, il y en a partout», observe-t-il.
Un rapport de forces inégal
N’est-ce pas aussi la responsabilité d’un journaliste que de convaincre sa source qu’elle peut parler en «on»? Un combat perdu d’avance, regrette Grégoire Biseau. «On peut éventuellement négocier avec les députés mais il y a une sphère de pouvoir qui est inaccessible, à l’Elysée et à Matignon, où tout est ultra codifié». Le rapport de forces n’est pas en faveur des journalistes, continue-t-il. «Tu peux travailler une source pendant cinq ans et la perdre en une seconde pour avoir grillé une citation». La sanction est immédiate, puisque celle-ci, s’estimant trahie, peut «ne plus te parler pendant des mois et te mettre à la diète médiatique», raconte encore Grégoire Biseau. Or sans source, pas d’information qui vaille.
La politique du New York Times qui veut bannir les sources anonymes serait sans doute inapplicable au Royaume Uni, concède Roy Gleenslade, du Guardian. Ici, «pas d’anonymat garanti pour une source signifie pas d’article (…) C’est une malédiction et une bénédiction à la fois. A nous décider ce qui est quoi.» En France, même topo. Et, malheureusement, cela ne risque pas de changer avant la présidentielle de 2017.
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Alice Antheaume
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