Tout le monde se lève pour… Snapchat

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James Bond y fait sa publicité. Le président de la République y ouvre son compte en novembre. Et si Snapchat, l’application aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens, devenait un acteur incontournable dans le paysage médiatique sur mobile? Les contenus qu’y produit CNN “font des millions de vus chaque jour”, me soufflent les équipes de CNN. Même réaction du côté de Buzzfeed, qui évoque une “plate-forme incroyablement intéressante avec une portée immense”.

On n’en saura pas plus. Ni Buzzfeed, ni CNN, ni Fusion, ni Vice, qui figurent parmi les partenaires actuels de Snapchat Discover, la page dédiée aux informations, n’ont souhaité révéler de chiffres plus précis. Il faut donc se contenter de chiffres globaux. Lancé en janvier dernier, Snapchat Discover délivre chaque jour environ 160 sujets éphémères, d’une durée de vie de 24 heures. Des contenus vus par 60 millions de personnes chaque mois.

Les médias français dans les starting-blocks

“Snapchat est un réseau encore très jeune, qui a grandi extrêmement vite en très peu de temps”, excuse Ashley Codianni, responsable des publications de CNN sur les réseaux sociaux. Résultat, la plate-forme ne dispose pas encore d’outils de suivi de l’audience. “Je n’ai pas de données démographiques en temps réel, je ne sais pas si ceux qui nous lisent sont des hommes, des femmes, s’ils vivent en ville, ni quel âge ils ont”, reprend Ashley Codianni.

Pourtant, les éditeurs français rêvent d’en être. Lorsqu’Evan Spiegel, le patron de Snapchat, est venu en France il y a quelques semaines, il a rendu visite aux équipes du Monde dans l’idée de voir sur qui compter pour la suite. A priori, il n’y aura pas de page Discover pour la France, mais peut-être l’ouverture d’une “chaîne” auprès d’un média français, comme cela a été fait avec le britannique Daily Mail. A cette différence près que le Daily Mail rédige, comme les autres partenaires actuels de Discover, en anglais.

Dans les starting blocks pour cette éventuelle place française, que Snapchat ne confirme ni n’informe, Le Monde, Le Parisien et BFM TV sont très intéressés. Sauf qu’un nouvel entrant dans le cercle égale un sortant. Car la page est composée de 15 places, pas davantage, dont l’une peut être dédiée à une chaîne temporaire de contenus publicitaires – James Bond, Halloween, etc.

Enfin des jeunes !

Ce qui attire les candidats français, c’est que l’audience de Snapchat se connecte, pour la moitié d’entre elle, depuis un autre pays que les Etats-Unis. Surtout, ils espèrent y chasser une audience plus jeune que celle qu’ils touchent d’ordinaire – aux Etats-Unis, un tiers des jeunes de 18 à 34 ans possèdent un compte Snapchat. Une nouvelle lucarne pour ces éditeurs qui non seulement ne sont pas dans le périmètre des jeunes, mais ne sont même pas identifiés comme une source d’informations par ceux-ci.

“Ce qui est sûr, c’est que les utilisateurs n’ont aucune idée de ce qu’était CNN” avant de le découvrir sur Snapchat, selon Ashley Codianni. Cela fait la blague auprès des concurrents qui, dans le petit monde médiatique new yorkais, rient à l’idée que CNN détienne plus de spectateurs sur Discover que sur sa chaîne de télévision.

Julien Mielcarek, de BFM TV, l’a bien compris: “nous avons fait part à Snapchat de notre souhait de pouvoir travailler sur Discover si le service se lance auprès de médias francophones. L’enjeu est multiple, avec l’objectif évident de parler à un public plus jeune qui a moins l’habitude de regarder la télévision.”

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Le temps de consommation

Autre donnée, très regardée par les éditeurs: le temps de consultation, et donc le fameux “engagement” des lecteurs. D’après Snapchat, les meilleurs chaînes d’informations de Discover parviennent à scotcher leurs lecteurs de 6 à 7 minutes par jour, en moyenne.

“Notre audience passe de plus en plus de temps sur mobile et sur les plates-formes sociales. Snapchat est devenu un élément clé pour nous puisque nous savons qu’elle est utilisée par une audience jeune, diversifiée, qui y consacre une grande partie de son temps”, me confie Daniel Eilemberg, de Fusion.

Retour à la sélection humaine

Sauf que Snapchat n’est pas un réseau social comme les autres. Hors de question de se contenter d’y diffuser des contenus existants comme sur les réseaux sociaux, disent en substance les équipes de l’application. “Les (autres, ndlr) réseaux sociaux nous disent quoi lire en fonction de ce qui est le plus récent et le plus populaire. Nous voyons les choses différemment. Nous comptons sur les éditeurs et les artistes, pas sur les clics et les taux de partage, pour déterminer ce qui est important”. En clair, chez Snapchat, haro sur les algorithmes et vive l’humain. Mais l’humain coûte cher.

Côté éditeurs, c’est un investissement humain pharaonique. Pour produire sur Snapchat, Refinery29, un site de “style”, s’appuie sur une équipe de 10 personnes. Chez Fusion, 8 personnes sont missionnées pour ce faire. A CNN, 4 personnes y travaillent à temps plein. “La production sur Snapchat est très très chronophage”, souligne Ashley Codianni, arguant qu’aucun autre réseau social ne bénéficie de telles ressources dans ses équipes.

Or la production de contenus sur Snapchat requiert des compétences en graphisme et en animation qui ne sont pas l’apanage de tous les journalistes. En clair, il ne suffit pas de distribuer les liens en l’éditant avec un bon titre et une photo comme on le fait sur Facebook et Twitter. Il faut “construire un format qui met la narration en exergue”, tente d’expliquer Snapchat. Sachant que chaque éditeur produit entre 10 et 20 sujets originaux par jour sur Snapchat Discover, on comprend vite l’ampleur du travail.

Snapchat se considère comme un éditeur

D’autant que Snapchat a sa petite idée sur qui, parmi ses partenaires médias, peut produire quoi. Au début, par exemple, CNN produisait des sujets plutôt magazines, avant d’être encouragé à se concentrer sur le “breaking news”, pour donner aux utilisateurs la liste des 10 sujets importants du jour. Bref, ce qu’ils doivent savoir. Le présupposé de Snapchat est clair: a priori, les snapchatters ne consomment pas d’informations ailleurs. Néanmoins, l’un des utilisateurs de Snapchat Discover, interrogé par Business Insider, n’est pas dupe: “de ce que je peux en dire, la plupart des actualités et des vidéos sont juste du recyclage de ce que l’on peut trouver en ligne sur Vice ou ESPN”.

A Fusion, on évite le recyclage et on mise sur du contenu original fait “exclusivement” pour Snapchat, comme la série appelée “Outpost”, composée de mini-documentaires en vidéo d’1 minute chacun, sur des territoires inexplorés, ou la série “Vergaland” réalisée en format vertical, sur la carrière du mannequin et vedette Sofia Vergara, vue par les yeux de son fils.

“Il est impératif que nous nous adressions à l’audience de Snapchat avec du contenu attrayant, fait sur mesure, pour chaque plate-forme”, explique Daniel Eilemberg, de Fusion. Même stratégie du côté de CNN qui, en plus des contenus sur Snapchat, publie des listes sur une application en vogue aux Etats-Unis, The List App.

Nouvelles narrations à étudier

Le Monde, de son côté, reste prudent et réfléchit à ce nouveau type d’écriture avant d’annoncer quoique ce soit. Chez BFM TV, l’inspiration de CNN est évidente. “Si on se lance un jour sur Discover, on retrouvera évidemment ce qu’est BFM TV et son ADN, le direct, mais aussi des aussi des thématiques et des angles qui ne sont pas traités à l’antenne, comme les coulisses de la fabrique de l’information”, développe Julien Mielcarek. “Il y a un vrai enjeu sur la forme, comme c’est notable avec CNN sur Discover: on retrouve de l’information évidemment mais dans une navigation et des codes graphiques très éloignés de ce qu’est habituellement CNN, avec un environnement carrément pop”.

Reste une équation à deux inconnues à résoudre:

1. le temps passé sur Snapchat s’additionne-t-il au temps passé sur les réseaux sociaux? Est-ce du temps exclusif?

2. faut-il investir en temps et en ressources humaines sur Snapchat, une plate-forme dont les retombées économiques sont encore inconnues?

Si les publicités insérées sur Discover sont très chères payées par les annonceurs, faisant de cette page un spot “très désiré” selon Fortune, les revenus générés sont partagés entre le média et Snapchat: si c’est Snapchat qui vend la pub, en insérant entre les contenus de l’éditeur une page d’une seconde, c’est 50% pour Snapchat, et 50% pour le média. Si c’est l’éditeur qui commercialise la pub, c’est 70% dans sa poche et 30% pour Snapchat.

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Alice Antheaume

3 commentaires pour “Tout le monde se lève pour… Snapchat”

  1. […] Un certain François Hollande vient d’y ouvrir un compte et y côtoie le fameux agent 007 qui y fait sa promo… Il est clair que l’on entend de plus en plus parler de Snapchat ces derniers temps quand on en vient à évoquer les réseaux sociaux. Mais, pourquoi cet engouement si soudain ? Snapchat, c’est déjà 100 millions de comptes utilisateurs actifs, et cela en un temps record pour cette startup lancée en septembre 2011.  CNN se vante d’y avoir des millions d’auditeurs quotidiens, Buzzfeed parle d’une plateforme avec une immense portée… Et pour ma part, je vous propose d’en lire d’avantage sur le phénomène SnapChat via cet article paru sur Slate. […]

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