Tout le monde se lève pour… Snapchat

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James Bond y fait sa publicité. Le président de la République y ouvre son compte en novembre. Et si Snapchat, l’application aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens, devenait un acteur incontournable dans le paysage médiatique sur mobile? Les contenus qu’y produit CNN “font des millions de vus chaque jour”, me soufflent les équipes de CNN. Même réaction du côté de Buzzfeed, qui évoque une “plate-forme incroyablement intéressante avec une portée immense”.

On n’en saura pas plus. Ni Buzzfeed, ni CNN, ni Fusion, ni Vice, qui figurent parmi les partenaires actuels de Snapchat Discover, la page dédiée aux informations, n’ont souhaité révéler de chiffres plus précis. Il faut donc se contenter de chiffres globaux. Lancé en janvier dernier, Snapchat Discover délivre chaque jour environ 160 sujets éphémères, d’une durée de vie de 24 heures. Des contenus vus par 60 millions de personnes chaque mois.

Les médias français dans les starting-blocks

“Snapchat est un réseau encore très jeune, qui a grandi extrêmement vite en très peu de temps”, excuse Ashley Codianni, responsable des publications de CNN sur les réseaux sociaux. Résultat, la plate-forme ne dispose pas encore d’outils de suivi de l’audience. “Je n’ai pas de données démographiques en temps réel, je ne sais pas si ceux qui nous lisent sont des hommes, des femmes, s’ils vivent en ville, ni quel âge ils ont”, reprend Ashley Codianni.

Pourtant, les éditeurs français rêvent d’en être. Lorsqu’Evan Spiegel, le patron de Snapchat, est venu en France il y a quelques semaines, il a rendu visite aux équipes du Monde dans l’idée de voir sur qui compter pour la suite. A priori, il n’y aura pas de page Discover pour la France, mais peut-être l’ouverture d’une “chaîne” auprès d’un média français, comme cela a été fait avec le britannique Daily Mail. A cette différence près que le Daily Mail rédige, comme les autres partenaires actuels de Discover, en anglais.

Dans les starting blocks pour cette éventuelle place française, que Snapchat ne confirme ni n’informe, Le Monde, Le Parisien et BFM TV sont très intéressés. Sauf qu’un nouvel entrant dans le cercle égale un sortant. Car la page est composée de 15 places, pas davantage, dont l’une peut être dédiée à une chaîne temporaire de contenus publicitaires – James Bond, Halloween, etc.

Enfin des jeunes !

Ce qui attire les candidats français, c’est que l’audience de Snapchat se connecte, pour la moitié d’entre elle, depuis un autre pays que les Etats-Unis. Surtout, ils espèrent y chasser une audience plus jeune que celle qu’ils touchent d’ordinaire – aux Etats-Unis, un tiers des jeunes de 18 à 34 ans possèdent un compte Snapchat. Une nouvelle lucarne pour ces éditeurs qui non seulement ne sont pas dans le périmètre des jeunes, mais ne sont même pas identifiés comme une source d’informations par ceux-ci.

“Ce qui est sûr, c’est que les utilisateurs n’ont aucune idée de ce qu’était CNN” avant de le découvrir sur Snapchat, selon Ashley Codianni. Cela fait la blague auprès des concurrents qui, dans le petit monde médiatique new yorkais, rient à l’idée que CNN détienne plus de spectateurs sur Discover que sur sa chaîne de télévision.

Julien Mielcarek, de BFM TV, l’a bien compris: “nous avons fait part à Snapchat de notre souhait de pouvoir travailler sur Discover si le service se lance auprès de médias francophones. L’enjeu est multiple, avec l’objectif évident de parler à un public plus jeune qui a moins l’habitude de regarder la télévision.”

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Le temps de consommation

Autre donnée, très regardée par les éditeurs: le temps de consultation, et donc le fameux “engagement” des lecteurs. D’après Snapchat, les meilleurs chaînes d’informations de Discover parviennent à scotcher leurs lecteurs de 6 à 7 minutes par jour, en moyenne.

“Notre audience passe de plus en plus de temps sur mobile et sur les plates-formes sociales. Snapchat est devenu un élément clé pour nous puisque nous savons qu’elle est utilisée par une audience jeune, diversifiée, qui y consacre une grande partie de son temps”, me confie Daniel Eilemberg, de Fusion.

Retour à la sélection humaine

Sauf que Snapchat n’est pas un réseau social comme les autres. Hors de question de se contenter d’y diffuser des contenus existants comme sur les réseaux sociaux, disent en substance les équipes de l’application. “Les (autres, ndlr) réseaux sociaux nous disent quoi lire en fonction de ce qui est le plus récent et le plus populaire. Nous voyons les choses différemment. Nous comptons sur les éditeurs et les artistes, pas sur les clics et les taux de partage, pour déterminer ce qui est important”. En clair, chez Snapchat, haro sur les algorithmes et vive l’humain. Mais l’humain coûte cher.

Côté éditeurs, c’est un investissement humain pharaonique. Pour produire sur Snapchat, Refinery29, un site de “style”, s’appuie sur une équipe de 10 personnes. Chez Fusion, 8 personnes sont missionnées pour ce faire. A CNN, 4 personnes y travaillent à temps plein. “La production sur Snapchat est très très chronophage”, souligne Ashley Codianni, arguant qu’aucun autre réseau social ne bénéficie de telles ressources dans ses équipes.

Or la production de contenus sur Snapchat requiert des compétences en graphisme et en animation qui ne sont pas l’apanage de tous les journalistes. En clair, il ne suffit pas de distribuer les liens en l’éditant avec un bon titre et une photo comme on le fait sur Facebook et Twitter. Il faut “construire un format qui met la narration en exergue”, tente d’expliquer Snapchat. Sachant que chaque éditeur produit entre 10 et 20 sujets originaux par jour sur Snapchat Discover, on comprend vite l’ampleur du travail.

Snapchat se considère comme un éditeur

D’autant que Snapchat a sa petite idée sur qui, parmi ses partenaires médias, peut produire quoi. Au début, par exemple, CNN produisait des sujets plutôt magazines, avant d’être encouragé à se concentrer sur le “breaking news”, pour donner aux utilisateurs la liste des 10 sujets importants du jour. Bref, ce qu’ils doivent savoir. Le présupposé de Snapchat est clair: a priori, les snapchatters ne consomment pas d’informations ailleurs. Néanmoins, l’un des utilisateurs de Snapchat Discover, interrogé par Business Insider, n’est pas dupe: “de ce que je peux en dire, la plupart des actualités et des vidéos sont juste du recyclage de ce que l’on peut trouver en ligne sur Vice ou ESPN”.

A Fusion, on évite le recyclage et on mise sur du contenu original fait “exclusivement” pour Snapchat, comme la série appelée “Outpost”, composée de mini-documentaires en vidéo d’1 minute chacun, sur des territoires inexplorés, ou la série “Vergaland” réalisée en format vertical, sur la carrière du mannequin et vedette Sofia Vergara, vue par les yeux de son fils.

“Il est impératif que nous nous adressions à l’audience de Snapchat avec du contenu attrayant, fait sur mesure, pour chaque plate-forme”, explique Daniel Eilemberg, de Fusion. Même stratégie du côté de CNN qui, en plus des contenus sur Snapchat, publie des listes sur une application en vogue aux Etats-Unis, The List App.

Nouvelles narrations à étudier

Le Monde, de son côté, reste prudent et réfléchit à ce nouveau type d’écriture avant d’annoncer quoique ce soit. Chez BFM TV, l’inspiration de CNN est évidente. “Si on se lance un jour sur Discover, on retrouvera évidemment ce qu’est BFM TV et son ADN, le direct, mais aussi des aussi des thématiques et des angles qui ne sont pas traités à l’antenne, comme les coulisses de la fabrique de l’information”, développe Julien Mielcarek. “Il y a un vrai enjeu sur la forme, comme c’est notable avec CNN sur Discover: on retrouve de l’information évidemment mais dans une navigation et des codes graphiques très éloignés de ce qu’est habituellement CNN, avec un environnement carrément pop”.

Reste une équation à deux inconnues à résoudre:

1. le temps passé sur Snapchat s’additionne-t-il au temps passé sur les réseaux sociaux? Est-ce du temps exclusif?

2. faut-il investir en temps et en ressources humaines sur Snapchat, une plate-forme dont les retombées économiques sont encore inconnues?

Si les publicités insérées sur Discover sont très chères payées par les annonceurs, faisant de cette page un spot “très désiré” selon Fortune, les revenus générés sont partagés entre le média et Snapchat: si c’est Snapchat qui vend la pub, en insérant entre les contenus de l’éditeur une page d’une seconde, c’est 50% pour Snapchat, et 50% pour le média. Si c’est l’éditeur qui commercialise la pub, c’est 70% dans sa poche et 30% pour Snapchat.

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Alice Antheaume

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Le grand flou autour du native advertising sur les médias en ligne

Crédit: NYT

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Regardez ce contenu sur la préparation physique des danseuses du corps de ballet de New York publié sur le site du New York Times. Ce “reportage”, dont le format ressemble à s’y méprendre à celui de Snowfall, faisant la part belle à l’écriture, aux photos, dessins et aux vidéos, n’est pas une commande de la rédaction du New York Times, mais d’une marque de chaussures, Cole Hann. Même chose pour ce long format sur l’incarcération des femmes dans les prisons, avec des témoignages d’anciennes détenues en vidéo, des chiffres mis en scène dans des graphiques: il a été payé par Netflix pour la série “Orange is the new black”.

Ces deux exemples sont ce que l’on appelle du “native advertising”, une publicité qui reprend les codes journalistiques du média qui l’héberge. Le New York Times, Buzzfeed, Forbes, The Guardian US – qui vient de remodeler son design pour y intégrer des “native advertisings” – mais aussi lemonde.fr, Le Huffington Post, Lexpress.fr… Aux Etats-Unis comme en France, ces médias accueillent ces publicités d’un nouveau genre. Pourquoi font-elles saliver les éditeurs de presse? Quels revenus promettent-elles? Comment brouillent-elles la frontière entre contenu éditorial et contenu publicitaire?

Crédit: NYT

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Critères

Les “native advertisings” sont protéiformes, si protéiformes qu’un oeil non aguerri peut avoir du mal à les discerner. Rubrique sponsorisée comme “Le Rendez-Vous IT” de la marque HP sur lexpress.fr, infographie réalisée par Suez sur la page d’accueil du Huffington Post, encart intégré dans le déroulé d’un article comme sur lemonde.fr… Plusieurs critères aident à les distinguer d’une publicité classique, détaille le rapport rédigé par l’IAB (International Advertising Bureau) en France.

1. les “native advertisings” entrent “en adéquation avec la ligne éditoriale du site”

2. elles n’occupent pas d’emplacement publicitaires traditionnels – comme la têtière ou la colonne de droite – mais s’invitent dans les pages du média

3. elles ne clament pas “achetez tel ou tel produit, vous vous sentirez mieux après” mais offrent un discours divertissant ou informatif sur des valeurs correspondant à l’univers de la marque.

Crédit: IAB

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Il faut croire que cela marche. Je l’avoue: non seulement j’ai passé de longues minutes à lire les “native advertisings” du New York Times, mais j’ai en plus appris des choses sur le sujet traité. Pourtant, je savais, pour avoir repéré dans l’URL la mention “paidpost.nytimes.com” et la signature de la marque mise en tête de gondole, que j’étais en train de consommer une publicité. Or c’est exactement ce que cherche une “native advertising”: à susciter l’engagement du lecteur, via un temps de consultation rallongé, ou des recommandations sur les réseaux sociaux.

Plus de qualité, plus d’engagement

L’année dernière déjà, 74% des sondés interrogés par une étude Ifop/Adyoulike estimaient qu’en ligne, une publicité doit d’abord être informative et 73% plaidaient pour que le contenu affiché soit de qualité.

“Les annonceurs veulent être associés à des contenus de qualité, parfois signés par des journalistes, pour qu’un lecteur puisse y trouver son compte”, m’explique Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express. Sacrilège pour Le Monde, qui vient de mettre à jour sa charte publicitaire pour y préciser que les journalistes permanents ne peuvent pas écrire, directement ou indirectement, sous pseudonyme ou non, pour des marques, ni même participer à la diffusion ni la mise en ligne de publicités. “Il y a déjà une immense défiance du lectorat vis-à-vis de la presse, ce n’est pas la peine d’en rajouter” en amenuisant la frontière entre information et communication, me confie Alexandre Léchenet, journaliste et président de la société des rédacteurs du Monde.fr.

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Au New York Times, c’est le T Brand studio, un pôle composé de neuf personnes, journalistes, graphistes, photographes, qui produit des “native advertisings” sur mesure pour les annonceurs. Chez Buzzfeed, c’est la “creative team”, installée au même étage que la rédaction dans les bureaux new yorkais, qui s’y colle. Quant au site américain Gawker, il a aussi son studio ad hoc. Une organisation qui fait rêver Eric Mettout, lequel aimerait que son groupe se dote d’une agence de production de publicités avec des rédacteurs et non des journalistes. Pour l’instant, il reconnaît qu’il a parfois recours à des pigistes de L’Express pour ce faire.

Identifier les publicités

Sauf que le flou provient de là. Les régies et les annonceurs plaident pour de plus en plus d’intégration, pour pallier la baisse du display, tandis que les rédactions ont le poil qui se hérissent de voir leur identité éditoriale ainsi cannibalisée. Pour Alexandre Léchenet, du Monde.fr, il est crucial de :

> préciser si le contenu est écrit par la rédaction ou “conçu et proposé” par une marque

> nommer la marque plutôt que de se contenter d’écrire “contenu de marque”

> éviter que les publicités s’installent dans des formats éditoriaux clairement identifiés comme étant ceux qui ont fait la crédibilité journalistique du média – dans le cas du Monde.fr, ce sont les portfolios, les posts de blogs, les chats

> ne pas préciser de date de publication, un code qui relève de l’information, et non des publicités

> utiliser un fond de couleur différent, voire une police différente, pour une publicité de celle usitée pour les informations

Si le changement de police rassure les rédactions, il n’est sans doute pas identifiable par les lecteurs. Mais “dans la course à la publicité, il faut que les médias se différencient des monstres (Google, Facebook, etc.) donc on leur vend plus aux annonceurs un espace publicitaire, on leur vend un environnement”, continue Eric Mettout. Mieux, “on leur vend un service”, surenchérit Christine Turk, directrice commerciale de la régie mobile Ad Moove qui alimente en publicités géo-localisées les applications du Monde, du Figaro, de l’Equipe et de 20 Minutes.

Tarifs

A savoir la production de contenus, à laquelle se greffe la facturation de frais techniques ou frais de développement – en général on facture à l’annonceur jusqu’à 10 fois le prix réel de la fabrication. Les prix circulent sous le manteau et varient d’un média à l’autre, d’un annonceur à l’autre, d’un “package à l’autre”. Mais il faut compter environ 50.000 à 100.000 euros pour avoir du native advertising pendant cinq jours sur un média généraliste en ligne. Le phénomène promet de s’étendre même s’il ne représente pour l’instant qu’une partie des revenus publicitaires des médias.

“Les annonceurs deviennent des médias à leur tour et s’inquiètent d’avoir de l’audience sur leurs contenus”, dit encore Christine Turk. La distribution et la mesure de l’impact sont désormais des éléments clés du “native advertising”. Aux Etats-Unis, Quartz utilise son système de publication pour y produire des publicités et traquer les visites, les likes, les vidéos vues, et le temps passé sur chaque contenu, des données qui sont ensuite données aux annonceurs. Dans le même esprit se prépare à L’Express une plate-forme de gestion de données (data management platform) qui “permettra de qualifier notre lectorat et savoir qui va voir quoi et quand, tant sur les publicités que sur les informations, afin de mesurer l’impact de toutes les productions”, détaille Eric Mettout.

De quoi améliorer les “performances” des contenus auprès de cibles choisies par les annonceurs. Sur Elle.fr et l’application mobile de ELLE, on peut lire “A quelle tribu mode appartenez-vous?”, écrit par la rédaction de ELLE mais sponsorisé par Peugeot pour le lancement de sa voiture Peugeot 108. Même si le taux de partage de l’article est faible (6 partages sur Facebook, 10 tweets), les équipes de Peugeot, citées par le rapport de l’IAB, se disent satisfaites d’avoir obtenu 27.600 visites sur la page article en cinq jours.

La reine distribution

“Le contenu est roi, mais la distribution est reine”, rappelle Anthony Demaio, directeur associé de Slate.com.

A Buzzfeed, par exemple, les “native advertisings” ne sont pas partagées sur le compte Twitter @buzzfeed mais sur @buzzfeedpartner. L’idée, c’est que le contenu soit suffisamment bon pour être partagé par les internautes sans que la rédaction les diffuse. Au New York Times, idem, même si rien n’est encore gravé dans le marbre. “On ne dit pas qu’on ne diffusera jamais des contenus sponsorisés via les comptes du New York Times sur les réseaux sociaux”, prévient Sebastian Tomich, co-fondateur du T Brand Studio.

Ce contenu n’est pas du native advertising. N’hésitez pas à le partager sur Twitter et Facebook.

Alice Antheaume

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Chers éditeurs, voici les questions que vous devriez vous poser

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Quelles questions devrait se poser un éditeur en 2013 ? Il y a en a dix et il serait temps de s’y intéresser, a lâché Matt Kelly, ancien responsable des publications numériques du Daily Mirror, à Londres, aujourd’hui co-directeur de l’agence Sol 361, lors du sommet organisé par le GEN (Global Editors Network) sous les dorures de l’Hôtel de ville à Paris, le 20 juin 2013. Un réquisitoire sévère pour dénoncer l’”attentisme” de quelques acteurs reclus, selon Matt Kelly, dans des mécaniques qui n’ont plus lieu d’être à l’ère numérique.

1. Connaissez-vous vraiment votre audience?

Sous-titre : si vous la connaissiez vraiment, “vous devriez savoir qu’à Londres, à partir de 74°F (soit 23-24 degrés), l’audience achète des barbecues”, explique-t-il. Aux éditeurs britanniques, donc, de savoir quand placer des publicités pour les barbecues en fonction de la météo pour générer des revenus.

2. Pourriez-vous imaginer des flux sur mobile qui soient encore plus mal conçus?

Sous-titre : la plupart des contenus proposés sur mobile sont des copiés-collés de ceux publiés sur les sites Web d’informations. Une aberration qui ne tient pas compte des usages observés auprès des consommateurs d’infos sur mobile.

3. Combien de vidéos votre audience peut-elle vraiment digérer?

Sous-titre : pas besoin de faire autant de volume avec des vidéos mal fagotées et peu adaptées à l’audience visée.

4. Quand était-ce, la dernière fois que vous avez créé une marque?

Sous-titre : regardez Buzzfeed, créé en 2006, et Flipboard, lancé à la fin de l’année 2010, qui agrège aujourd’hui 6 milliards de contenus par mois. Ces nouveaux noms ont réussi à se faire une place au soleil dans le paysage médiatique.

5. Comprenez-vous où se joue la compétition aujourd’hui?

Sous-titre : pas besoin d’être un éditeur de presse pour produire du contenu. Le club de foot de Liverpool, pour ne citer qu’un exemple, a “quinze journalistes dans son équipe! Quinze journalistes pour un seul club”, répète Matt Kelly. Quinze producteurs de contenus, donc, qui font exactement ce que ferait un journaliste sportif: des infograghies avec des statistiques sur les actions des joueurs pendant les matchs, font des reportages dans les coulisses, des interviews en vidéo, créent des sondages en ligne pour les fans, etc.

6. Savez-vous regarder au-delà de l’actualité?

Sous-titre : “vous êtes obsédé par la production de news”, diagnostique Matt Kelly, or il faut se sortir la tête du guidon pour observer les habitudes de son audience, adapter sa stratégie, et innover sur l’interface et le rôle d’un média dans le contexte actuel.

7. Pourquoi ne construisez-vous pas l’audience avant le produit?

Sous-titre : mieux vaudrait s’inspirer de ce qu’a fait Mollie Makes qui, avant de créér son magazine, a d’abord lancé une page Facebook. Objectif: comprendre ce que sa future audience peut attendre d’un média et capitaliser sur ces utilisateurs dégotés via un réseau social.

8. Ne serait-ce pas le moment de se ruer sur la technologie?

Sous-titre : la plupart des éditeurs sont trop souvent focalisés sur les aspects journalistiques et pas assez sur le développement. Pourtant, il devient urgent de réfléchir à l’interface des applications sur mobile, de lancer des éditions multiples sur tablette, et de mieux plonger dans les “templates”, le code, et autres éléments indispensables aujourd’hui pour survivre sur le réseau.

9. Est-ce que vous monétisez chaque centimètre d’espace?

Sous-titre : ne vous contentez pas des bannières classiques ni des seuls pre-rolls dans les vidéos. Pour augmenter vos revenus, continue Matt Kelly, intéressez-vous aux propositions de Kalooga, qui insère automatiquement des diaporamas de photos en fin d’articles, ce qui augmente le temps passé sur chaque page et peut promettre des revenus supplémentaires, ou aux suggestions de liens d’Outbrain – comme ci-dessous.

10. Etes-vous êtes prêt à cliquer sur le bouton?

Sous-titre : une bonne stratégie numérique est à la portée de celui qui saura oublier ses vieux réflexes pour embrasser les questions énoncées ci-dessus, conclut Matt Kelly.

Alice Antheaume

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Grand beau sur les informations météo

Crédit: Flickr/CC/carbonnyc

Il a beau faire froid dehors, la météo réchauffe les audiences médiatiques. Filet à internautes, attrape-téléspectateurs, elle ne connaît pas la crise que traverse la presse. Une manne pour les éditeurs qui négligent trop souvent l’apport éditorial des contenus liés au temps. Leur réserve peut se comprendre. Ils craignent sans doute de verser dans de l’information servicielle et de multiplier des contenus ras-les-pâquerettes, comme des micros-trottoirs sur le temps qu’il fait en avril.

Politique météorologique

Pourtant, la météo peut donner lieu à des traitements éditoriaux originaux. Passons sur l’art de cuisiner la neige, une recette publiée par le Guardian, ou sur cette animation interactive qui propose aux internautes de fabriquer un bonhomme de neige derrière un écran, là encore sur le Guardian. Il y a de quoi faire du sérieux, chiffres à l’appui.

Jean Abbiateci, journaliste de données indépendant, s’est amusé à compiler la pluviométrie et les températures en fonction des gouvernances des chefs de l’Etat français. Résultat, “François Hollande fait pleuvoir (+ 22%), Nicolas Sarkozy a provoqué la sécheresse (-15 %) (…) Jacques Caliente Chirac a fait monter la température (+ 11 %) tandis que François Mitterrand a bien refroidi l’ambiance (- 7%).”

Crédit: Jean Abbiateci

Comparer la météo et la politique, c’est “totalement absurde”, juge le journaliste, même si la démarche est inspirée par la lecture d’un article du Guardian, “Is the weather worse under the Coalition?”, qui montre que “l’arrivée au pouvoir de Margaret Tatcher a entraîné une hausse de la pluie dans le Royaume tandis que, sous Gordon Brown et David Cameron, les températures ont chuté, en comparaison avec les années du bouillant Tony Blair…”

Jean Abbiateci a publié son travail le 1er avril, comme un poisson d’avril donc, pour “s’éviter la peine de recevoir des mails au premier degré comme “Mais vous croyez vraiment que les politiques sont responsables de la météo? Mais vous êtes idiot mon pauvre ami…”, m’explique-t-il. Pas si idiot, car les données de départ sont justes, elles proviennent des archives météorologiques du site Infoclimat sur la ville de Paris. Banco, donc, car ce contenu est davantage consulté que la moyenne des autres contenus diffusés sur son blog, Papier Brouillon, m’indique encore Jean Abbiateci.

La manne météo

La météo, pourvoyeuse officielle de données journalistiques? C’est ce que croit David Kenny, le président de The Weather Company, l’équivalent américain de Météo France, un producteur de contenus présent via une chaîne de télévision câblée, The Weather Channel, un site Web, weather.com, et des applications pour mobile et tablette. Il s’était exprimé à ce sujet lors du Monaco Media Forum de novembre 2012 et avait détaillé l’offre immense de son média: des prévisions météo, des analyses, mais aussi des données en temps réel, des vidéos – «toujours en live», sans replay, «car personne ne souhaite voir le temps qu’il faisait la semaine dernière», a stipulé David Kenny – sans oublier des breaking news et des tweets en continu.

Lorsque l’ouragan Sandy débarque sur la côte Est des Etats-Unis, les chiffres d’audience sont faramineux sur la seule journée du lundi 29 octobre 2012: plus de 2 millions de personnes ont regardé The Weather Channel, le site a enregistré 300 millions de pages vues, l’application mobile 110 millions de pages vues et il y a eu 9.6 millions de connections au «live».

Après coup, David Kenny s’est réjouit à mots voilés. «Sandy, c’est tragique, mais cela a été un grand moment pour nous». Et d’ajouter que le public a davantage regardé la chaîne The Weather Channel depuis tablette pendant Sandy plutôt que sur la télévision… jusqu’à ce que la batterie de la tablette soit à plat – les coupures d’électricité ont été nombreuses à ce moment-là.

Mobile toute

Les rapports l’attestent: la météo est faite pour les outils mobiles – bien plus que sur ordinateur – si ce n’est pas l’inverse. Selon l’étude Comscore intitulée “Mobile Future in Focus 2013“, 67.1 % des interrogés déclarent consulter la météo depuis leur smartphone quand 64.6% d’entre eux le font via leurs tablettes. Preuve de cet engouement, en février 2013, l’application de la chaîne Météo – appartenant au Figaro (merci Benjamin Ferran pour la correction) – figure en deuxième place pour les tablettes et en troisième place pour les téléphones du classement des applications de l’OJD.

Dernier point intéressant pour les éditeurs: la météo est l’un des sujet d’interaction préféré des internautes. Et pour cause, chacun a un avis sur la météo et est capable de prendre une photo d’un paysage sous la pluie ou au soleil. En témoigne le nombre inouï de photos déversées sur les réseaux sociaux au mois de mars, et notamment à Paris, lorsque la neige a recouvert voitures et rues. Les internautes vont même jusqu’à poser des webcams pour filmer, depuis un toit, les bourrasques ou autres événements du quotidien.

Etes-vous passionné par la météo? Considérez-vous que c’est de l’information?

Alice Antheaume

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Buzzfeed au pays des merveilleux contenus sociaux

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A l’entrée de Buzzfeed, au 11ème étage d’un immeuble new-yorkais à la façade non ostentatoire, trône un immense badge jaune vif sur lequel est écrit en lettres noires «LOL». C’est ce même macaron qui orne le site, ainsi qu’une ribambelle d’autres, tels que OMG (Oh My God), geeky, cute, fail, etc. Ces badges au look très années 80 sont un moyen de classer les contenus en fonction des émotions de l’audience: alors que les lecteurs peuvent «badger» une vidéo, une liste, une image ou un lien avec l’une des catégories proposées, un algorithme répartit ensuite les contenus dans telle ou telle section.

Bienvenue dans les entrailles d’un drôle de site qui se considère moins comme une rédaction que comme une société de nouvelles technologies. A sa tête, Jonah Peretti, une star de la viralité et du mobile, et Scott Lamb, le directeur de la rédaction, à l’origine du compte Twitter moquant la jambe de grenouille d’Angelina Jolie lors des Oscars, et invité de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée lundi 10 décembre 2012 par l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1).

Tout est fait maison

Ni l’un ni l’autre ne prétendent faire du journalisme, mais du «contenu social», oui. Pour alimenter la machine, une cinquantaine de producteurs de contenus, les «buzzfeeders», appelés aussi des éditeurs – «même si on se déteste de ne pas avoir trouvé de meilleur qualificatif», confie Ben Smith, le rédacteur en chef – plus une trentaine de développeurs, la «plus grosse équipe de dév’ qui existe sur le marché» de l’information en ligne, et, enfin, une équipe intitulée «Growth» dédiée à la croissance de l’audience. Celle-ci, dirigée depuis un mois par Dao Nguyen, une ancienne du Monde.fr, veut travailler davantage sur des ressorts technologiques que sur du marketing ou du SEO (search engine optimization, ou référencement) pour analyser le trafic et le «booster».

Car, à Buzzfeed, tout est fait maison, rien n’échoie à des prestataires de services. Les serveurs leur appartiennent, le CMS est développé en interne, les formats et applications aussi, et même les pubs…

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«Les rédactions traditionnelles sont un peu ennuyeuses», soupire Ben Smith, qui a pourtant travaillé pendant des années au New York Observer, au New York Daily News puis à Politico, et, à chaque fois, pour y couvrir la politique américaine. Depuis qu’il a rejoint Buzzfeed en janvier 2012, il semble ne pas avoir encore posé ses valises. Dans le bureau en verre qu’il occupe, attenant à la rédaction, rien n’est encore installé, à l’image du média qu’il dirige. Des cartons non déballés stagnent dans un coin, et les fauteuils ont encore leurs étiquettes.

Après son arrivée, il a monté la section politique du site, présidentielle américaine oblige. S’il n’y a pas (encore) de section économie ni finance sur Buzzfeed, la culture Web y règne en maître, avec des «verticaux» pour la cuisine, la technologie, lifestyle, la musique, les animaux, et des intitulés inédits, comme «rewind» (en gros, des agrégats de souvenirs) et LGBT, l’acronyme de « lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres».

Avec des bureaux à New York, Washington DC et Los Angeles, Buzzfeed s’attache les services de journalistes habitués à faire du terrain, dont Richard Rushfield et Kate Aurthur, venus du Los Angeles Times. De quoi étoffer les équipes centrées jusque-là sur l’agrégation de perles repérées sur le réseau, sur l’édition de listes, très prisées sur le Web, et la création de GIFS animés.

Participer aux conversations

La ligne éditoriale de Buzzfeed? S’incruster dans les conversations sur les réseaux sociaux, voire créer de quoi y susciter le débat. Pour cela, cap sur des contenus qui valent la peine d’être partagés sur le Web. «On ne vient pas sur Buzzfeed pour lire, on y vient pour partager des contenus», martèle Ben Smith. Lorsque, dans des rédactions ordinaires, on surveille l’actualité avant de définir un angle, à Buzzfeed, on regarde 200 posts sur Tumblr chaque matin avant de trouver un sujet. «Le social est notre point de départ», reprend Ben Smith, qui estime que le contenu fonctionne d’autant mieux s’il est de la toute dernière fraîcheur.

«Créer un phénomène viral, ce n’est pas seulement faire en sorte que les gens cliquent sur des contenus. On veut les emmener plus loin et faire en sorte qu’ils partagent ces contenus sur les réseaux sociaux ou par email», explique Matt Stopera, l’un des éditeurs de Buzzfeed. Quant aux utilisateurs, ils sont encouragés à signaler tout élément intéressant à la rédaction via un formulaire assez strict. «Les lecteurs sont des auteurs et nous sommes l’agence de ces auteurs», dit encore Ben Smith.

Outre les histoires de chats et d’humour potache, Buzzfeed veut publier des longs formats, comme l’histoire du jeu vidéo Pong, créé en 1972, un format dont le site PaidContent se demande s’il ne devrait pas inspirer les magazines.

Pour l’instant, tout fonctionne comme sur des roulettes: le modèle Buzzfeed, avec ses 30 millions de visiteurs uniques par mois, fait l’objet de convoitises et embauche à tour de bras.

Autre spécificité notable: Buzzfeed n’a pas de scrupule à mettre les annonceurs en majesté et à mélanger publicité et rédactionnel – ce que les Américains surnomment «advertorial». Dans des rédactions ordinaires, la publicité est vue par la rédaction comme une quasi salissure. Chez Buzzfeed, parmi les informations mises en ligne, on trouve des contenus créés par des utilisateurs, par des éditeurs de Buzzfeed, et… par des marques, signalées par la mention «proposé par (nom de l’annonceur)», mais en réalité assez proches des autres productions de Buzzfeed, dont ces listes de Virgin Mobile. Alors que, sur d’autres sites, les espaces publicitaires sont bien définis, avec, par exemple, des bannières publiées en colonne de droite, Buzzfeed ne s’embarrasse pas de tant de cérémonie. Le site est allé jusqu’à altérer son nom et son logo (Buzzfaux) pour les besoins d’une campagne de publicité de Campbell Soup.

Alice Antheaume

(1) Je travaille à l’Ecole de journalisme de Sciences Po et, de ce fait, à l’organisation de la conférence du 10 décembre 2012.

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Petit mobile deviendra grand

C’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.

Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.

  • 1. Les temps de consultation

Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.

  • 2. Les alertes

Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.

D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.

Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.

  • 3. Les interactions avec l’audience

“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.

Crédit: Monaco Mediax

Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.

  • 4. L’économie du mobile

Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.

Crédit: Monaco Mediax

  • 5. Trop d’applications tuent-elles l’application?

A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.

  • 6. Interface

“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.

Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.

  • 7. A quand une rédaction mobile?

Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.

Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”

(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.

Alice Antheaume

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Sur la piste du mobile à Washington

Crédit: AA

Octobre 2012: pour la première fois, le trafic sur Internet depuis mobile (téléphone et tablette) franchit le seuil des 10% quand les connexions depuis ordinateur récoltent encore 90% du trafic global dans le monde, selon NetMarketShare. Pas étonnant quand on sait qu’il y aurait plus de smartphones sur la planète que de brosses à dents.

10%, c’est aussi le pourcentage de développeurs, au Washington Post, dédiés aux activités mobile du titre – sur une centaine de développeurs, 11 se consacrent au mobile. Côté journalistes, en revanche, il n’y a pas foule. 2 éditeurs seulement tournent sur les contenus mobiles dans la rédaction washingtonienne. Ce qui n’est pas suffisant pour avoir une rotation 7 jours sur 7. D’autant que le Washington Post n’a pas ménagé ses efforts sur le mobile: il est en effet visible sur un site mobile, une application Android, une application Iphone, une application iPad. Voilà pour les informations généralistes. En outre, le Washington Post dispose d’une batterie d’applications annexes. L’une, pour iPhone, pour suivre l’équipe de football américain de Washington DC, les Redskins («The Insider») ; une autre – également pour iPhone – sur le trafic du métro de Washington («DC Rider») ; une autre sur les adresses et sorties de la ville («Going out Guide»), une autre encore pour faire du tourisme dans la cité («Explore DC») ; et, enfin, une application iPad sur la politique, présidentielle américaine oblige.

Une unique appli ou plein d’applis?

En France, les éditeurs rechignent à multiplier les entrées de la sorte. En général, chaque site d’informations a son application et son site mobile, mais pas d’applications consacrées à des thématiques spécifiques. Le dilemme reste entier: faut-il mettre tous ses contenus dans une seule et même application ou créer diverses applications en fonction des sujets? Julia Baizer, responsable de la stratégie mobile du Washington Post, ne veut pas s’interdire de produire, pour mobile, ce qu’elle appelle du journalisme de «niche»: «notre application foot n’attire quasiment aucun lecteur, c’est vrai. Mais l’application iPad sur la politique séduit une petite audience très engagée, des geeks de la politique.»

Comme souvent, les grands moments de l’actualité sont des moteurs d’innovation éditoriale. L’élection présidentielle américaine a permis au Washington Post de calibrer ses contenus pour mobile et même d’imaginer de nouvelles interfaces. En témoigne The Grid, dont j’ai déjà parlé ici, qui veut «permettre aux utilisateurs de garder en mémoire les moments forts qui ont fait l’élection» sur toutes les plates-formes et «dans tous les temps». Le lecteur multi-tâches peut, sans effort, regarder la télévision, faire pause, retourner en arrière ou avancer, voir en même temps le flux de tweets, les photos sur Instagram, lire les articles des autres sites d’informations.Tout cela sans avoir l’impression d’être dans un format de «live-blogging».

Innovations mobiles à venir

«Comme toutes les innovations, The Grid est né d’un problème. Comment faire pour raconter pendant toute la journée des débats, et sans nouvelle information particulière, que Mitt Romney et Barack Obama vont bientôt s’affronter à la télévision?». Et c’est ainsi qu’est née cette drôle de grille, que consulte une audience qui, à hauteur de 20%, combine deux écrans pour regarder les débats présidentiels, la télévision et un téléphone par exemple. A venir, promet Julia Beize, d’autres surprises pour l’inauguration day, le jour de la prise de fonction du 45e président des Etats-Unis, dont on a pu comprendre qu’elles seraient basées sur deux piliers: le mobile et le social.

Banco probable quand on voit les chiffres de Facebook cités par Reuters: 14% de ses revenus proviennent maintenant de publicités sur le mobile, et, sur son milliard d’inscrits, 604 millions sont des utilisateurs de l’application sur téléphone ou tablette.

Ne pas dupliquer la structure du site Web sur mobile

Les rédactions commencent à comprendre que les applications mobiles et les sites mobiles ne sont pas forcément des containers d’articles publiés tels que sur le site Web d’informations. «Il ne faut pas recréer le site dans une application», expose Fiona Spruill, l’éditrice des plates-formes du New York Times.

«Avant, nous aussi on faisait juste un flux d’articles sur mobile», se souvient Julia Beizer. Un temps désormais révolu. «On a procédé à une modification qui n’a l’air de rien, mais qui a été une décision difficile à prendre: mettre tous les articles sur une seule page» pour que les utilisateurs n’aient pas besoin de cliquer sur les pages numérotées suivantes pour lire la suite, ce qui fait moins de pages vues mais davantage de temps de consultation (dans le cas du Washington Post, 10 minutes en moyenne sur iPad). La faute à l’absence de réseau téléphonique dans le métro de la capitale politique américaine qui complique la navigation.

De fait, le principal défi, sur le mobile, c’est la versatilité de l’utilisateur, qui consulte les informations pendant qu’il fait autre chose – prendre les transports en commun, marcher, attendre son tour à la caisse du supermarché, etc. En même temps, s’il n’a plus accès au réseau via son téléphone, c’est panique à bord.

Les sujets éditoriaux les plus plébiscités sur mobile? Les histoires de nouvelles technologies, les informations locales, météo comprise, les photos, et… les longs formats journalistiques. Pas si étonnant lorsque l’on doit souvent jongler, sur son téléphone, avec un réseau qui rame, et qui oblige parfois à rester sur le contenu déjà visible sur l’écran.

Alice Antheaume

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Les caractères de journaliste

Crédit photo: Flickr/CC/petitshoo

Les rédactions sont truffées de journalistes qui ne se ressemblent pas. Il y a ceux qui font des captures d’écran à tout va, ceux qui traquent les nouvelles tendances, ceux qui comptent les occurrences des mots dans les discours des politiques, ceux qui vérifient chaque chiffre et ceux qui ne vivent plus que pour le journalisme de données. Leur point commun? Ne pas pouvoir travailler sans outil numérique. Passage en revue de huit profils journalistiques (1).

  • Le dénicheur de tendances

Profil
Utilisateur forcené des réseaux sociaux, ce journaliste ne «suit» pas l’actualité prévue dans les agendas institutionnels. Ses sujets, il les renifle en observant l’activité des internautes sur le Web. Ainsi, il a déjà écrit sur le planking, l’art de se prendre en photo en faisant la planche, le tebowing, l’histoire de cette prière faite par le quarterback américain Tim Tebow, le scarlettjohanssoning, après la publication de clichés de l’actrice nue, le noynoying pour fustiger la passivité du président philippin Benino Aquino III, surnommé «Noynoy», et… le draping, du nom de Don Draper, le héros de la série Mad Men.

Signes distinctifs
Publie des articles sur les mèmes, ces éléments (images, citations, vidéos) qui se partagent, en ligne, à la vitesse de l’éclair et entrent dans la mémoire collective, comme cela a été le cas de la jambe d’Angelina Jolie, exposée lors de la cérémonie des Césars Oscars (merci @Bere94) et devenue un élément autonome sur le Web, copiée-collée sur d’autres photos.

Outils de travail
Trendic Topics, les sujets les plus discutés sur Twitter; Google Trends sur les mots-clés les plus tapés dans Google en fonction des pays et Google Insight for Search pour repérer les tendances de volume de recherche par région, catégorie, période; Video Viral Chart qui répertorie les vidéos les plus partagées (sur Facebook, sur les blogs, etc.) et trace leur «itinéraire» via un graphique; Know your Meme, une base de données sur les mèmes.

  • Le dico-journaliste

Profil
De la «bravitude» de Ségolène Royal en 2007 à la «méprisance» de Nicolas Sarkozy en 2012, ce journaliste traque les néologismes créés par les personnalités politiques, les petites phrases échangées entre candidats à la présidentielle et leurs références littéraires (François Hollande se comparant à Sisyphe et Jean-Luc Mélenchon citant Victor Hugo). Il peut aussi analyser le vocabulaire d’un parti sur un événement, comme le PS sur l’affaire Dominique Strauss-Kahn. Pour ce faire, il aime compter les occurrences d’un mot dans les discours politiques et les pronoms personnels pour en tirer des enseignements sur le message véhiculé. Au final, ses articles flirtent avec l’exercice du commentaire composé.

Signes distinctifs
Cite souvent le blog du linguiste Jean Veronis, peut glisser dans ses articles une définition trouvée dans le Littré, voire créer un quiz à partir des figures de style utilisées par des hommes et femmes politiques.

Outils de travail
L’INA, pour revoir les archives de discours politiques et d’interventions télévisées; Wordle, pour mettre en valeur, à partir d’un discours politique, les mots qui reviennent le plus souvent.

  • Le journaliste mobile

Profil
Journaliste en reportage, pour couvrir un procès, suivre un candidat en campagne électorale, relater un événement international, il se retrouve loin de ses collègues, avec son smartphone comme seul compagnon. «Il me permet de m’informer, de photographier, de tweeter et de rester en contact avec ma rédaction», décrit Soren Seelow, journaliste du Monde, envoyé spécial à Toulouse au moment de l’opération du Raid dans l’affaire Mohamed Merah, qui raconte le marathon médiatique de l’intérieur. Ses deux soucis principaux? 1. La recharge de son téléphone, qui se vide à la vitesse que l’on sait 2. La disponibilité du réseau téléphonique ou de la connexion Internet, sans qui aucune information ne peut être publiée.

Signes distinctifs
Dans le feu de l’action, peut faire quelques coquilles et ne répond pas aussitôt aux questions de l’audience pour préserver sa batterie. Il rêve d’une application mobile comme celle de Tumblr ou de la BBC pour pouvoir intégrer ses photos, ses sons, ses vidéos et ses informations dans le système de publication de sa rédaction, sans passer par la case ordinateur.

Outils de travail
Des recharges (portables) de téléphone; l’application Ustream pour mobile, pour diffuser en ligne les vidéos filmées sur son téléphone en temps réel, ou Bambuser; l’application Photoshop Express pour recadrer ses photos en deux secondes; et l’application de montage vidéo Reeldirector (pour iPhone).

  • Le pointilleux de l’édition

Profil
Les règles d’orthographe, de grammaire et de ponctuation, il les connaît par coeur. Le système de publication de sa rédaction (appelé aussi CMS, comme content management system) aussi. Ainsi, il sait combien de signes maximum peut contenir un titre pour rester sur une seule ligne. Il a lui-même rédigé la charte de règles typographiques de sa rédaction, et pense qu’il faudrait l’offrir comme cadeau de Noël à tous les rédacteurs de son équipe. Car il se bat pour uniformiser l’écriture des articles, par exemple en demandant à ce qu’al-Qaida soit écrit en français plutôt qu’en anglais (Al-Qaeda) et en retirant les tirets qui n’auraient pas lieu d’être à Sciences Po (et non Sciences-Po) ou Nations unies (et non Nations-Unies). Excellent titreur, il a aussi appris quelques règles de SEO et leur impact sur l’écriture journalistique. D’ailleurs, il se demande toujours si ajouter un point d’exclamation ou d’interrogation à un titre fait «davantage remonter l’article dans Google News».

Signes distinctifs
Répète sans relâche qu’une citation s’écrit avec des guillemets doubles français (« ») et qu’une expression à l’intérieur d’une citation s’écrit avec des guillemets anglais (” “). Réédite parfois en cachette les articles de ses collègues pour corriger des «coquilles» malheureuses mais s’empêche de reprendre les fautes d’orthographe repérées dans les commentaires des internautes. Sa drogue? L’espace insécable, que l’on insère pour que deux mots ne soient pas séparés par un retour à la ligne automatique (CTRL + maj + espace dans Word, Alt + espace sur MAC).

Outils de travail
Le blog Langue sauce piquante des correcteurs du Monde; les raccourcis du clavier; les chartes des différentes rédactions existantes, de Reuters à Sud Ouest en passant par Médiapart; les conseils de Google pour le référencement

  • Le journaliste de données

Profil
Issu de la mouvance Owni, il estime que la principale plus-value du journaliste numérique repose sur le journalisme de données. Capable de lire des chiffres et des statistiques, de jongler avec des formules dans Excel, il fait montre de compétences scientifiques indéniables. Amateur de cartes –sur la France carcérale ou la disposition des caméras de surveillance par exemple, de graphiques et d’infographies animées, il peut utiliser différents outils de visualisation pour en tirer une information. Son modèle? The Guardian et sa capacité à raconter des histoires dont on oublie qu’elles trouvent leur source dans des données indigestes, sur les gares ferroviaires les plus bondées d’Angleterre ou sur les excès des notes de frais de ses parlementaires.

Signes distinctifs
A vu au moins une fois dans sa vie à quoi ressemblent les fichiers révélés par Wikileaks, tels que les câbles diplomatiques américains ou les rapports de l’armée sur la guerre en Irak. Le journaliste de données travaille en groupe, avec un développeur et un graphiste, avec qui il parle avec des termes barbares –tableur, feuille, donnée brute, donnée pertinente, donnée non pertinente, data, valeur.

Outils de travail
Excel; Open Data, la plateforme de données publiques lancée par le gouvernement; Google Chart ou Many Eyes pour créer des graphiques, des courbes et des camemberts; Document Cloud pour transformer des documents en données; Google Fusion Table pour visualiser sur des cartes et des chronologies les données agglomérées; Google Maps; OutWit Hub, un moteur de recherche qui repère sur le Web infos et documents concernant un champ de recherche donné (le foot comme les concerts, le budget de l’Etat français comme la crise de la zone euro).

  • Le journaliste de «live»

Profil
Journaliste généraliste, il a une connaissance inégalée de l’actualité. Ultra réactif, branché sur les chaînes d’informations en continu, un oeil sur les sites concurrents, l’autre sur Twitter, il sait voir la différence entre la dépêche de 12h11 et celle de 12h12 à la virgule près. Les termes «batônnage» et «enrichissement» n’ont aucun secret pour lui. Le sens du mot «old», qu’il lance à ses collègues avec dextérité, non plus. Car pour les besoins du «live» sous toutes ses formes, il filtre toute information qui daterait de plus d’une heure.

Signes distinctifs
Travaille en temps réel mais en horaires décalés, donc présent sur les réseaux sociaux aux aurores ou bien très tard. Dans la frénésie de l’actualité, peut se démener pour publier un urgent de l’AFP sur Twitter, en faisant un copié-collé de l’alerte qu’il vient de recevoir.

Outils de travail
Twitter; agences de presse; Google Reader et/ou Netvibes pour faire de la veille; Cover It Live, Scribble Live, ou P2 (pour WordPress) pour couvrir un événement en direct.

  • Le journaliste virtuel

Profil
Impossible de le déceler à la lecture de ses articles, mais ce journaliste ne rencontre pas physiquement les personnes qu’il interviewe. Comment se déroulent ses interviews alors? Par email, par messagerie instantanée ou par Skype. Le journaliste de cette catégorie vit en ligne et, en toute bonne foi, ne voit pas ce que cela changerait de rencontrer les gens en vrai pour leur poser des questions, à part perdre du temps –car aller au rendez-vous, en revenir, puis retranscrire l’interview sont autant d’étapes supplémentaires.

Signes distinctifs
Capable de mener plusieurs conversations en ligne à la fois, ce journaliste jongle avec de multiples fenêtres de conversation qui s’ouvrent de façon simultanée sur son ordinateur, ainsi que sur son smartphone.

Outils de travail
Messageries instantanées de Gmail et Facebook; messageries électroniques classiques; Skype et Hang Out pour des visioconférences; applications WhatsApp pour envoyer des SMS à volonté et IMO pour «chatter» sur toutes les plates-formes.

  • Le vérificateur

Profil
Depuis la primaire socialiste, à l’automne dernier, ce journaliste s’est fait une spécialité: vérifier la crédibilité de la parole politique. Alors il épluche les sites des candidats à la présidentielle, leurs programmes et leurs promesses. Devenu un représentant du fact checking, il passe au crible le chiffrage –ou l’absence de chiffrage– de chaque proposition. Et oppose d’autres chiffres, d’autres promesses, retrouvés dans les limbes du Web. Trouver les métadonnées d’une affiche de campagne pour découvrir d’où provient l’arrière plan de celle-ci fait partie de ses compétences. En dehors de la présidentielle, il sait s’assurer de l’authenticité de contenus provenant du Web, comme le tweet publié par un étudiant annonçant l’arrestation de Dominique Strauss-Khan, en mai 2011, ou la photo de Mouammar Kadhafi mort, en octobre 2011.

Signes distinctifs
Son arme? La capture d’écran. Conscient de la versatilité des contenus publiés sur le Web, il mitraille tout ce qu’il voit et enregistre dans la mémoire de son ordinateur ou de son téléphone des dizaines de captures d’écran, qu’il ressort en guise de preuve dans ses articles. Autre signe notable: sur Twitter, il peut se livrer à une discussion sans fin sur les diverses interprétations possibles d’un même chiffre.

Outils de travail
Pomme + Maj + 4 pour une capture d’écran sur un MAC; bouton central et bouton du haut à droit pressés en même temps pour une capture d’écran sur iPhone; Tineye, un moteur de recherche qui retrouve l’itinéraire d’un cliché; le module Exif Viewer (pour Firefox et Chrome) pour découvrir les informations sur la prise de vue d’une image…

(1) Cette classification n’est ni exhaustive ni issue d’un travail scientifique.

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Alice Antheaume

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Nouvelles pratiques du journalisme: “Nous vivons un âge d’or”

Que retenir de la journée spéciale dédiée aux nouvelles pratiques du journalisme, organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po et la Graduate school of Journalism de Columbia, le 10 décembre?

Voici les points clés de chaque intervention, d’Ariane Bernard, du nytimes.com, à Antoine Nazaret, de Dailymotion, en passant par Masha Rigin, du Dailybeast.com, Sarah Hinman Ryan, de Times Union, Nicolas Enault, du Monde.fr, Nicolas Kayser-Brill, d’Owni.fr, Michael Shapiro et David Klatell, de la Columbia, et Jean-François Fogel et Bruno Patino, de l’Ecole de journalisme de Sciences Po…

pdf Cliquez ici pour la lire synthèse de la journée en français

pdf Cliquez ici pour lire la synthèse de la journée en anglais

[Merci à tous les éditeurs de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes, live stream et tweets pendant cette journée marathon. Cet article a été rédigé d’après leurs notes et le “live”]

Ariane Bernard, home page producer, nytimes.com

Ariane Bernard, du NYT.com, le 10 décembre 2O10

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

  • 60 journalistes travaillent sur le site du nytimes.com, et 8 personnes (dont Ariane Bernard) s’occupent à plein temps de deux pages d’accueil, l’une internationale, et l’autre nationale. Hiérarchiser les informations, repérer des “urgents”, trouver le meilleur titre possible, sont quelques unes des tâches qui incombent au “home page producer”. Son terrain journalistique? Quelques pixels seulement, mais un vrai enjeu
  • Chaque mois, 33 millions de visiteurs uniques se rendent sur le site du New York Times
  • L’outil le plus utilisé en interne au nytimes.com? La messagerie instantanée, pour se coordonner, dit Ariane Bernard, en montrant à quoi ressemble son écran d’ordinateur à la fin de sa journée de travail. Un écran truffé de fenêtres de “chat” qui clignotent
  • Un conseil, dit Ariane Bernard, “gardez toujours un oeil sur la concurrence”. Ses collègues et elle-même surveillent ainsi, toutes les heures, les infos publiées sur la page d’accueil des sites concurrents
  • Plus une information devient importante, et aura des rebondissements, plus “vous cherchez à faire savoir à vos lecteurs que vous allez continuer à développer cette information”. Et qu’ils peuvent donc rester connectés
  • Difficile de savoir si une secousse sismique doit faire l’objet d’une “alerte”, confie Ariane Bernard. “Je ne suis pas géologue, il est complexe de savoir, dans la minute où il se produit, s’il s’agit d’un tremblement de terre important ou pas”. Pour Haïti, en l’occurrence, c’était d’une importance majeure, comme en témoigne le résultat en ligne

Masha Rigin, spécialiste du référencement (SEO), thedailybeast.com

Masha Rigin, de thedailybeast, le 10 décembre 2010

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

  • Le rôle de Masha Rigin? Rendre plus visibles les contenus des journalistes de thedailybeast.com sur les moteurs de recherche. Cela s’appelle du SEO (Search Engine Optimization) ou référencement en français. “C’est du marketing très spécifique”, précise Masha Rigin
  • En tant que journaliste, il faut “anticiper ce que les utilisateurs vont chercher sur Google, et avec quels termes ils vont faire leurs requêtes, afin d’utiliser ces termes dans le titre de votre article”, conseille-t-elle. Précision: “nul besoin de faire de titres drôles ni spirituels”
  • Pour identifier les mots-clés les plus populaires, Masha Rigin préconise d’utiliser Google Trends
  • Dans le vocabulaire d’une spécialiste du référencement, figure cette drôle d’expression, “la densité des mots-clés”, ou “keyword density”. C’est-à-dire le nombre de fois qu’un mot-clé est mentionné dans l’article, comparé au nombre de mots constituant cet article. Conseil de Masha Rigin: “utilisez un mot-clé au moins une fois par paragraphe, et si possible, de façon rapprochée”. Cf ce W.I.P. Comment le SEO impacte-t-il l’écriture journalistique?
  • Les journalistes du numérique le savent bien: les articles doivent être truffés de liens, suppléments d’informations offerts aux lecteurs. A la fois de liens vers l’intérieur (vers d’autres articles du même média) et vers l’extérieur (vers des contenus de médias concurrents, vers des blogs, ou des vidéos, etc.) “La haute densité de liens, disposés sur des mots-clés ou des portions de phrases importantes, augmente le ranking de votre article”
  • Quant aux vidéos et aux photos, elles doivent être nommées une par une, avec le crédit et la légende (Qui est sur la photo/vidéo? Quand? Où? En quelles circonstances? Qui a saisi la scène?). “Sinon, elles n’existent pas pour Google. Et ce serait dommage car elles représentent une source de trafic de plus en plus importante”
  • “Le journalisme change sans cesse puisque l’algorithme de Google change sans cesse”

Nicolas Enault, coordinateur de l’audience, lemonde.fr

Nicolas Enault, du Monde.fr, le 10 décembre 2O1O
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
  • Pour Nicolas Enault, la journée de travail commence par de la “veille” sur ce que fait l’audience sur le site du Monde.fr. De la veille à la fois quantitative (volume et statistiques) et qualitative (qu’est-ce que les abonnés du Monde.fr disent?). Et c’est par ces sujets que s’ouvre, chaque jour, la conférence de rédaction de l’équipe Web
  • Environ 5.000 expressions d’abonnés par jour
  • 110.000 abonnés au Monde.fr
  • 1.300 commentaires par jour sous les articles du Monde.fr
  • La typologie des commentaires des abonnés? Il y a quatre catégories: 1. Les opinions, qui constituent la majorité des réactions 2. Les corrections des lecteurs (factuelles et orthographiques) 3. Les questions (sur le traitement de l’information et sur des points non compris) 4. Les travaux d’investigation des lecteurs
  • 8.000 blogs hébergés par lemonde.fr, dont 50 “stars” qui ont été démarchées par la rédaction Web et produisent le plus de trafic
  • Au quotidien, Nicolas Enault est aussi en liaison avec des journalistes du Monde imprimé. Ceux-ci ont parfois du mal à comprendre (ou accepter) que leurs articles cohabitent avec des chroniques produites par les abonnés, lesquelles ne devraient pas, selon eux, être confondues avec des contenus journalistiques
  • Parmi les questions les plus souvent posées par les journalistes du journal du soir à Nicolas Enault, celle-ci: comment fait la distinction entre Facebook et un blog?
  • Nicolas Enault livre un exemple d’interaction entre les abonnés et l’actualité via la création d’un livre d’or recensant les mots de soutien des internautes à Ingrid Betancourt après sa libération, le 3 juillet 2008. En tout, lemonde.fr a récolté plus de 7.000 mots. Et n’en a gardé que 2.500 après modération

Michael Shapiro, professeur de journalisme, cours de «city newsroom», Graduate School of journalism, Columbia

Michael Shapiro, professeur de journalisme de la Columbia, le 10 décembre 2O1O
Crédit photo: DR/Alexandre Marchand
  • “L’irruption du Web est une révolution, mais une révolution positive”, commence Michael Shapiro. Car de nouveaux postes sont créés sur le Web et aussi sur l’imprimé – Newsday, par exemple, est en train de recruter 33 journalistes. La presse ne doit pas être complètement morte”
  • Le nombre de journalistes continue de grandir aux Etats-Unis. “Or plus on embauche, plus la compétition entre journalistes a lieu. Or plus la compétition a lieu, meilleurs les journalistes sont”
  • Il faut apprendre à s’adapter, dit Michael Shapiro. Et surtout à s’adapter aux nouvelles technologies
  • Dans son cours de “city newsroom”, Michael Shapiro aide les étudiants de la Columbia à créer du contenu sur le blog Brooklyn Ink. Il s’agit d’y raconter des histoires de différentes façons, “c’est une plate-forme d’expérimentation journalistique”
  • Deux étudiants se chargent de l’édition de ce site, ils en sont responsables et doivent s’assurer que ce qui y est produit est bien publiable. Depuis trois ans que ce site existe, il n’y a eu aucune plainte pour diffamation, assure Michael Shapiro
  • Brooklyn Ink récolte 10.000 visiteurs uniques par semaine
  • “Nous vivons un âge d’or du journalisme. Mon métier, c’est de dire aux étudiants allez-y, expérimentez, mais ne faites pas d’erreur. Soyez professionnels et responsables de ce que vous faites”
  • Crédit vidéo: Daphnée Denis

David Klatell, professeur de journalisme, responsable de l’international, Graduate School of journalism, Columbia

  • Le journalisme a-t-il besoin d’innovation? Peut-être, mais David Klatell, professeur de journalisme à la Columbia, n’en est pas convaincu. Selon lui, “toutes les rédactions du monde se ressemblent: des journalistes, des écrans, des téléphones, des ordinateurs. Mais ils fabriquent tous un produit différent”
  • Et si l’innovation journalistique n’était qu’une réponse à la crise? “L’Argentine et le Brésil, par exemple, n’ont pas eu à faire face à la crise, donc ils n’ont pas cherché à y apporter de réponse. Alors que le Brésil souffre d’un système de distribution de journaux insatisfaisant, c’est à se demander s’il faut une crise pour innover”
  • L’innovation journalistique n’est-elle qu’une préoccupation occidentale? “Ici, c’est facile pour vous, reprend David Klatell. Il suffit d’un ordinateur portable, de la 3G, et vous êtes opérationnels. Dans d’autres pays, les jeunes générations doivent trouver d’autres solutions pour consommer (voire produire) des informations”

Crédit: DR/Hugo Passarello Luna

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

Sarah J. Hinman Ryan, directrice du pôle investigations et recherche d’informations, Times Union

  • A Times Union, un journal situé à Albany, à côté de New York, Sarah Hinman Ryan dirige le pôle de recherches et d’investigations. En clair, elle vérifie toutes les données et les faits avant publication
  • Non, son quotidien ne ressemble pas à celui d’une documentaliste. Elle fait du “fact checking” à grande échelle. Au bureau, elle travaille sur trois écrans à la fois: l’un pour Google, le deuxième pour Facebook, et le troisième pour “tout le reste”, y compris les bases de données américaines comme Nexis. Chercheuse d’infos, oui, journaliste, non
  • “Pour trouver et vérifier des données sur des personnes, je me sers des réseaux sociaux. C’est fou tout ce que les gens mettent en ligne sur eux-mêmes!” Mais ce serait trop simple. Pour bien enquêter sur des humains, “il faut comprendre leur façon de penser (et donc, d’avoir disséminer des infos, ndlr), c’est presque de la psychologie”, reprend Sarah Hinman Ryan
  • “Plus le nombre de sources et d’informations disponible augmente, plus celles-ci deviennent compliquées à traiter, et plus le besoin de faire des recherches et de vérifier les infos se fait sentir”, dit Sarah Hinman Ryan, pour qui l’algorithme de Google devrait créer des emplois: “Plus on a Google dans la vie, plus on a besoin de professionnels pour fact checker. Car on doit toujours douter de ce que l’on trouve en ligne. En outre, Google ne suffit pas car vous ne trouverez pas les 1.000 années d’histoire de France en un clic”
  • “Si vous ne trouvez pas une information sur le Web, ce n’est pas qu’elle n’existe pas, c’est que vous ne la voyez pas”
  • “S’il n’y avait ni crime ni meurtre, il n’y aurait pas (ou peu) besoin d’investigation”, insiste Sarah Hinman Ryan
  • Récemment, elle a contribué au projet Dead by mistake (mort par erreur en VF), et a notamment élaboré une base de données pour connaître le niveau de fiabilité de l’hôpital le plus proche de chez vous. Un résultat récompensé par le prix de la meilleure enquête, attribué par la Société américaine des journalistes professionnels (SPJ)

Madhav Chinnappa, directeur stratégique des partenariats, Google News, ex BBC News

  • Madhav Chinnappa est désormais “le visage de Google News en Europe” depuis 4 mois, après avoir passé 9 ans à BBC, et quelques années aussi chez Associated Press. “Quand je travaillais à la BBC, je négociais avec Google News, maintenant, je suis de l’autre côté. Je comprends mieux.”
  • Google News a été créé en 2001 par des ingénieurs qui trouvaient qu’à l’époque “c’était trop dur de trouver des informations sur le Web en temps réel”
  • Google News rassemble plus de 50.000 sources et son algorithme repose sur plus de 100 critères
  • “Avant, nous ne parlions que de contenus. Maintenant, il s’agit de contenus + audience + technologie”, reprend Madhav Chinnappa
  • Comment Google peut-il inclure la sérendipité (les heureux hasards qui font que l’on trouve des pépites sur le Web) dans son algorithme? “Nous travaillons dessus”, assure Madhav Chinnappa. En effet, Google News est en train d’évoluer vers de nouvelles façons (humaines) de sélectionner des informations. Ainsi, pour l’application Fast Flip, qui présente une série d’articles sous forme d’une page de magazine et permet de les feuilleter comme sur un journal papier. En outre, aux Etats-Unis, Google a fait appel aux éditeurs de Slate.com pour choisir les informations susceptibles d’intéresser l’audience de Google News
  • L’industrie du journalisme n’a pas un problème de journalisme, mais un problème de modèle économique”, diagnostique Madhav Chinnappa. “Les journalistes ne doivent pas avoir peur de Google. Nous essayons d’être une force positive et voulons travailler avec les éditeurs pour essayer de résoudre les problèmes économiques des médias”

Nicolas Kayser Brill, journaliste de données, statisticien, Owni.fr

nkbCrédit photo: DR/Hannah Olivennes

  • Un journaliste de données (ou data journalist), c’est quoi? Au quotidien, Nicolas Kayser Brill tente de regrouper des données, souvent détenues par les collectivités locales – qui ne savent pas toujours comment ni pourquoi les partager – et les mettre en scène de la meilleure façon possible, afin que le résultat puisse être lu par le public
  • Pourtant, sur Owni, pas de pression liée aux statistiques: “Nous cherchons à diffuser nos projets (c’est-à-dire à vendre des applications créées par l’équipe d’Owni à d’autres médias) plutôt qu’à accroître notre audience sur notre propre site”
  • Parmi les autres fonctions quotidiennes de Nicolas Kayser Brill, figure l’aspect “évangélisation” des potentiels “clients”. Via des déjeuners et rendez-vous, il promeut la transparence des données (sur la population de telle ou telle localité, sur l’activité des députés, etc.) auprès d’hommes politiques et d’activistes. C’est la partie “lobbying” de son travail. “Ceux qui détiennent les données ont besoin d’être formés”
  • Et l’indépendance d’Owni? Y a-t-il conflit d’intérêts entre l’éditorial d’un côté et la réponse aux commandes des clients de l’autre (créations de sites Web, d’applications, etc.)? A cette question, Nicolas Kayser Brill répond qu’Owni est plus indépendant que les autres car il n’accueille aucune publicité, donc n’a pas besoin de répondre aux demandes des annonceurs. Et il est détaché de l’impératif de faire l’audience. Un autre poids en moins. Quant au partenariat entre Owni et Wikileaks, c’est un échange “non commercial”, rappelle Nicolas Kayser Brill
  • Owni veut toujours être le “ProPublica” à la française – cf ce W.I.P. intitulé Tentative d’identification d’Owni


Crédit vidéo: Diane Jeantet

Antoine Nazaret, éditeur des contenus vidéos «news», Dailymotion

  • “Personne n’a de carte de presse chez Dailymotion” et pourtant, la plate-forme française de vidéos a un service édition de contenus comme décrit dans ce W.I.P., un rédacteur en chef et même des conférences de rédaction hebdomadaires pour décider de quelle vidéo mettre en avant. Cependant, “les conférences de rédaction sont plus consensuelles à Dailymotion que dans un média”
  • La page d’accueil de Dailymotion repose sur une éditorialisation faite à la main. “Nous avons pris de le parti d’une intervention humaine pour sélectionner les contenus”. Pourquoi? Antoine Nazareth donne trois raisons: 1. Pour montrer la diversité des contenus présents sur le site 2. Pour ajouter de la valeur au site par une sélection humaine 3. Pour se différencier des concurrents (YouTube repose sur un algorithme automatique)
  • “Nous nous sommes beaucoup battus pour affirmer notre droit à une action éditoriale”, reprend Antoine Nazaret. Reste que Dailymotion n’est pas producteur de contenus. “Vous ne trouverez aucune caméra chez nous”
  • La page des vidéos “news” (actualités et politique) de Dailymotion est la deuxième chaîne la plus regardée du site, avec près de 3 millions de visites mensuels (chiffre Nielsen) – relire le compte-rendu de la master class de Martin Rogard, directeur de Dailymotion, fait par les étudiants de l’Ecole de journalisme
  • 500 vidéos de la chaîne “news” sont envoyées chaque jour par les internautes sur Dailymotion
  • L’éditing des vidéos compte: “Ce que l’on doit vraiment soigner dès le début, c’est la preview (image d’appel, ndlr) de la vidéo ainsi que son titre et sa description”, prévient Antoine Nazaret. La “preview”, c’est le “premier critère de clic” pour un internaute
  • L’audience, même sur Dailymotion, demande des rendez-vous réguliers sur les contenus. “Nous avons recréé une quasi grille de programmes”, dit Antoine Nazaret
  • A la question “quelle différence fait Dailymotion entre un média et un homme politique, qui envoient tous les deux du contenu sur Dailymotion?, Antoine Nazaret ne fait pas dans la dentelle: “Aucune différence, l’homme politique est un diffuseur de contenu comme un autre”

Jean-François Fogel, professeur associé à l’Ecole de journalisme de Sciences Po

  • “Nous vivons à une époque formidable. Toutes les générations de journalistes n’ont pas la chance de voir naître un média, le Web, et le journalisme qui y est associé”
  • Les mêmes tâches journalistiques sont là (chercher une information, la trouver, la vérifier, la publier), mais tout a été métamorphosé, à la fois dans les outils et dans les pratiques

Bruno Patino, directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po

  • “Nous réfléchissons au futur du journalisme, mais au présent aussi, pour mieux adapter notre formation aux étudiants”
  • Au final, “le journalisme s’adapte plus vite que l’industrie des médias”

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Facebook, votre site d’informations

Et si Facebook devenait un gigantesque site d’informations? A la vue de la courbe de progression du réseau social sur les catégories «news» dans le monde — une source de trafic trois fois plus importante que Google News pour les sites de médias — l’hypothèse est plausible. Même si aujourd’hui 40% — en moyenne — du trafic des 12 principaux sites d’infos français provient de Google, et seulement 1,3% de Facebook, selon l’étude réalisée par AT Internet en septembre 2010.

Crédit: Flickr/CC/escapedtowisconsin

Crédit: Flickr/CC/escapedtowisconsin

«Tout ce que vous faites sur un site Web, vous pouvez le faire sur Facebook», assure Michael Lazerow qui a fait la démonstration, sur la scène du Monaco Media Forum, de Buddy Media, une société qui construit des pages Facebook pour d’autres. «Le Web est une plate-forme, Facebook est une autre plate-forme. Donc c’est une plate-forme dans une autre plate-forme», décrit à son tour, également sur la scène du Monaco Media Forum, Yuri Milner, l’homme d’affaires russe qui détient environ 10% de parts de Facebook. «Tous les 12 ou 18 mois, la quantité d’informations partagées par les utilisateurs double. Cela veut dire que vous avez une croissance sans précédent de l’information accumulée» sur le réseau social, qui compte plus de 500 millions de membres.

Transfert

Imaginons que les pages d’accueil des sites d’informations telles qu’on les connaît aujourd’hui disparaissent. Que les contenus du monde.fr, liberation.fr, lefigaro.fr et des autres soient alors diffusés dans le newsfeed (le flux d’infos, en VF) de Facebook, et que les commentaires se fassent directement sur le réseau construit par Mark Zuckerberg. Quant aux développeurs des sites d’infos, ils travailleraient à déployer la page Facebook de leur média, plutôt qu’un site Web à part.

Crédit: AA

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Objection? Si Facebook voulait vraiment devenir un géant de l’info, ses équipes auraient davantage optimisé les options offertes par les «pages» et par la création d’«articles» directement sur le réseau social, pourrions-nous rétorquer. En effet, Facebook travaille surtout sur les outils de sociabilité, les boutons de partage, les «like» et les messages. Mais guère sur l’éditeur de texte, présent depuis les débuts du site, qui ne permet pas d’intégrer au texte des vidéos, par exemple, ou d’autres objets embedables (seuls existent un champ titre, un champ texte, un champ photo, un champ d’identification des autres membres, et des paramètres de confidentialité pour définir qui peut voir cet article).

Crédit: AA

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Un «réseau» d’actualités

En réalité, il est d’ores et déjà possible de se servir du réseau social comme un «réseau» d’actu. Et certains outils ont été pensés pour faciliter cette tâche, en permettant notamment de classer ses amis dans une catégorie «infos» (1). Et le newsfeed du réseau social ne cesse d’être remanié. Pour ressembler de plus en plus à un «fil» d’actu personnalisé. Ou, disons, un «navigateur» dans l’actu.

Même chez Yahoo!, on reconnaît que la roue a tourné. «Cela veut dire quoi, être un portail d’infos?», s’interroge Dev Patel, lors d’une table ronde du Monaco Media Forum intitulée «où est l’argent?». Pour lui, aucun doute: les portails – si tant est que le mot «portail» soit encore valable – changent et se conforment à la nouvelle façon qu’a l’audience de «consommer des informations et de l’actualité, via Twitter et le newsfeed de Facebook».

Nos amis les filtres

«L’information est plus que jamais omniprésente et le taux de consommation et de partage des infos n’a jamais été aussi rapide, analyse Malorie Lucich, qui travaille pour Facebook. Vos amis sur Facebook vous aident à faire le tri dans le flux afin que vous puissiez lire ce qui est le plus pertinent pour vous, découvrir de nouveaux sujets, et participer à des conversations approfondies.» Les contenus remontent ainsi en fonction des pages médias que l’on suit, comme CNN, Le Monde, The Guardian, Slate.fr, des comptes des journalistes, mais encore en fonction des recommandations de sa communauté d’amis, sachant que chaque inscrit possède en moyenne 130 amis.

«Il devient de plus en plus nécessaire, pour la nouvelle génération, de choisir les filtres qui vont réguler ses expérience en ligne, dit cette vidéo produite par Box 1821, une agence brésilienne qui travaille sur les nouvelles tendances. Ils développent ainsi une façon non linéaire de penser, qui reflète le langage du Web, où une infinité de sujets peuvent être suivis en même temps».

Temps de cerveau disponible

Textes, vidéos, photos, liens, tous les contenus ou presque sont publiables sur Facebook via des liens. D’après les statistiques de Facebook, plus de 30 milliards d’objets, dont des articles, des liens, des vidéos, des billets de blogs, sont partagés chaque mois par les membres du réseau social. Lesquels y passent bien plus de temps que sur n’importe quel site d’information. En moyenne, 23 heures par mois. Voire plus. A titre de comparaison, au mois d’octobre, la durée moyenne d’une visite sur le site de L’Equipe est de 24… minutes (chiffre Médiamétrie). Sur Google News, l’équivalent chiffré n’est pas disponible.

Au regard de la durée astronomique passée sur le réseau social, les éditeurs auraient tout intérêt à s’exporter sur Facebook. Et ce, pour deux raisons: pour la valorisation financière des espaces auprès des annonceurs (plus les internautes restent longtemps sur un site, plus les pages de pub se vendent chères), mais aussi pour l’attention que portent les internautes à un contenu, intégré dans un site où ils ont l’habitude de naviguer, des heures durant.

Alors oui, Facebook pourrait devenir un nouveau Google News. Avec la recommandation sociale en plus. Sur Facebook, «les informations viennent à toi, c’est quelqu’un qui te connaît, qui partage les mêmes centres d’intérêt que toi, qui te les recommande», note un professeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po. A l’inverse, c’est l’internaute qui se rend de son propre chef sur Google News, pour y chercher des contenus d’actualité, non personnalisés, sélectionnés via un algorithme complexe, dont j’ai déjà parlé dans un article sur le référencement. Les deux géants américains ont néanmoins en commun l’organisation, selon des systèmes différents, des informations en temps réel. Deux systèmes qui exacerbent une tendance déjà amorcée: l’inutilité grandissante des pages d’accueil des sites d’infos au profil d’entrées directement via des pages de contenus, comme déjà décrit dans ce W.I.P.

Interactions multipliées

En termes de relations avec l’audience, la plupart des médias sont dithyrambiques sur la facilité d’interaction que permet leur présence sur Facebook. Même si, au vu des expériences réalisées, plus de 99% des commentaires des membres de Facebook sont postés depuis le newsfeed et non depuis les murs des pages concernées. Comprendre, par extension, que les inscrits se rendent rarement sur les pages Facebook de leurs médias, mais réagissent aux contenus de ceux-ci quand ils apparaissent dans le newsfeed du réseau social.

A l’idée de perdre leur territoire initial (leur page d’accueil, leur mainmise sur la hiérarchisation de l’info), pour se fondre dans un réseau/navigateur dont la valeur est estimée à plus de 41 milliards de dollars d’après Bloomberg, le vertige se fait sentir chez les éditeurs.

Et, avec, une foule d’interrogations: A qui appartiendraient les contenus? Comment les médias pourraient-ils les monétiser avec Facebook? Pourraient-ils partager avec Facebook les revenus générés par la publicité, sachant que, selon cette étude de Comscore, Facebook est la poule aux œufs d’or en France sur le marché de la publicité en ligne, en arrivant en tête du classement des sites supports de publicité en septembre avec 10,3% de part de marché, 6,4 milliards de publicités display diffusées et 18,2 millions d’internautes exposés. Et enfin, quelle dépendance technologique cela engendrerait entre le réseau social et les fournisseurs de contenus d’actu?

Vertige des éditeurs

«Je ne vois pas pourquoi on dirait aux internautes “ça fait trois ans que vous commentez nos sites, et maintenant, on transfère tout sur Facebook”, s’exclame Yann Guégan, community manager sur Rue89. Je ne crois pas que cela soit un bon message à leur envoyer, et je ne pense pas davantage que tout puisse se jouer sur Facebook». Selon lui, le système de commentaires de Facebook est moins rodé que la plupart des systèmes de commentaires internes aux sites d’information. «Sur Facebook, on est encore “à l’ancienne” sur les pages, on ne peut que répondre sous le statut mais on ne peut répondre à un commentaire, pris individuellement dans la discussion, alors que, dans le système de modération des commentaires de Rue89, c’est possible».

Avantage sur Facebook: la nécessité de réguler les commentaires est moindre que sur un site d’infos généraliste puisque, a priori, chaque membre a choisi, avec plus ou moins de rigueur, sa communauté d’amis, sacrés «tiers de confiance» pour trier le flot d’informations disponibles.

Alice Antheaume

(1) Pour ce faire, une fois connecté à Facebook, allez dans «compte» (en haut à droite de votre page), cliquez sur «gérer la liste d’amis», puis sur «créer une liste». Appelez la «infos» et glissez-y vos «amis» (médias, journalistes, particuliers) fournisseurs d’informations. Ensuite, revenez sur la page d’accueil, et dans la colonne de droite, vous pouvez désormais, sous «amis», accéder à la catégorie «infos» que vous venez de créer, et voir défiler vos flux d’information personnalisé – et personnalisable à tout moment.

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