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Un immense hangar fait de taule et de marbre noir, une pub pour un soda sur le parking attendant, trois studios de télévision à l’intérieur, des «doughnuts» de toutes les couleurs dans le couloir, et un plateau pour y loger plusieurs pôles de journalistes. Me voici au coeur de l’une des rédactions locales de Fox News, à Dallas. Celle-ci produit chaque matin sur la télé Fox 4 une matinale, «Good Day Dallas», des informations sur la région, et un site Web pas comme les autres.
Le site Web de cette filiale de Fox News n’a pas l’ampleur ni l’influence de son grand frère (le site de Fox News attire 25 millions de visiteurs par mois, moitié moins que CNN.com, et a plus d’1 million de fans sur Facebook). Et pourtant, il s’appuie sur des formats éditoriaux et une organisation du travail efficaces. Pour l’équipe, réduite, c’est malheureusement le résultat des coupes budgétaires: «On nous a demandé de faire plus avec moins».
Une sorte de Ustream sur le site
La spécificité de ce site? Diffuser un (ou des) flux vidéo en live, montrant, au choix, le trafic sur les routes du coin, la météo, l’émission télé du moment et/ou – et c’est le plus fascinant – des images filmées à bord de l’hélicoptère dont Fox News partage les coûts avec d’autres rédactions comme NBC via un système appelé «local news service», pour faire des économies. Les Français ont découvert ce type d’images en 1994, lors de l’affaire OJ Simpson, un ex joueur de football américain souçonné d’avoir tué son ex-femme et son ami, et qui a tenté de fuir à bord d’une voiture blanche, suivi par la police. Une course filmée par un hélicoptère, puis deux, puis dix, pour une couverture médiatique d’anthologie.
«Nous avons des caméras partout, il suffit de regarder là où il se passe quelque chose», m’explique Alice Wolke, productrice pour le Web, qui dispose devant son bureau d’un moniteur avec plusieurs boutons, chaque bouton correspondant à une caméra. Pour changer de flux vidéo, il lui suffit de presser l’un des boutons. Comme dans la cellule sécurité de la RATP. Soudain, sur son écran de contrôle, des policiers, filmés par l’hélicoptère, s’attroupent autour d’une maison du coin. Ils en font sortir un individu, qu’ils menottent et font marcher jusqu’à leur voiture.
Un homme qui tire des coups de feu, à l’instant T
«Cet homme tirait des coups de feu tout seul, et apparemment, ce n’est pas sa première fois», me glisse immédiatement Alice Wolke. Comment sait-elle cela au moment où se passe l’action, alors qu’il n’y a ni commentaires dans la vidéo ni sous-titres?
Le responsable du site Web, Kevin Boie, me montre, d’un signe de tête, une estrade à quelques mètres de là, sur laquelle figurent trois personnes pendues au téléphone. «C’est le pôle “assignment desk” (que l’on pourrait traduire par le bureau des rapports, ndlr). Ils sont chargés d’écouter toutes les communications de la police, et de prendre tous les appels de nos reporters. Le pôle Web s’est installé juste à côté d’eux pour être à une distance audible et pouvoir entendre ce qu’il se passe en temps réel.»
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Le bureau des rapports
L’«assignment desk», centre nerveux du dispositif, est opérationnel 24h/24. Et pour ne pas perdre une miette des communications, quelles qu’elles soient, les membres de ce pôle notent toutes les informations recueillies lors des coups de téléphone sur un fichier intitulé «today’s file» (le dossier du jour). Ce fichier est partagé sur un serveur commun et accessible à tous. Et surtout par les rédacteurs du site Web qui disposent ainsi de tous les éléments factuels (où, quand, quoi, qui, comment) pour rédiger les contenus le plus vite possible sur le Web.
Et, comme tout ce qui est live, cela marche: les internautes regardent ces «images qui bougent» parce que c’est… en direct. Bref, du miel pour les abeilles. Afin de parfaire leur dispositif, Fox News a installé sur son site un espace de chat en ligne lié au flux vidéo, où les internautes peuvent poser toutes les questions qu’ils souhaitent sur ce qu’ils voient dans le live. Et la rédaction Web de Fox News y répond, en temps réel aussi, à partir des informations disposées dans… le «today’s file». «Si les mêmes questions reviennent, on laisse nos internautes présents depuis le début du chat répondre à ceux qui arrivent en cours de route, cela nous fait gagner du temps.»
Dans le reste de la rédaction, des bureaux individuels pour les présentateurs des émissions, des lignes de bureau pour les éditeurs, les rédacteurs et reporters, et surtout, deux journalistes d’investigation qui, même s’il y a ce flux d’infos permanent, se concentrent sur des histoires longues, qu’ils mettent parfois des mois à sortir.
De la vidéo, oui, mais écrite de préférence
Kevin Boie le sait: il a beau travailler pour le site Web d’une télé, accusée en outre de faire de la désinformation, les pratiques et usages des internautes ne sont pas du tout les mêmes que ceux des téléspectateurs. D’abord parce que «nos visiteurs se connectent lors de leur journée de travail», entre autres pour faire des pauses. La moitié d’entre eux viendraient plusieurs fois dans la journée sur la page d’accueil, et via Facebook («dès que l’on pousse une histoire sur Facebook, l’info monte immédiatement dans les contenus les plus lus du jour»). Pas étonnant, alors, que les contenus les plus populaires soient les crimes et toutes les atrocités possibles, comme l’histoire de cette femme, Rebecca Wells, morte dans son bureau à Los Angeles sans que personne ne s’en aperçoive.
Et ensuite parce que la plupart de ces internautes «lisent les contenus mais ne regardent pas tant que cela de vidéos en ligne» car ils n’ont pas toujours la possibilité de mettre leurs casques sur leurs oreilles, avec un patron pas loin, pour écouter le son d’une vidéo. Même si l’équipe de Kevin Boie peut éditer en temps réel les vidéos dont elle dispose (celles des programmes au moment où ils sont diffusés et d’autres reportages effectués dans la journée), elle préfère le plus souvent se contenter d’une capture d’écran de la vidéo et en retranscrire les phrases-clés dans un texte publié en ligne.
Sur le site Web de NPR, la plus grande radio des Etats-Unis, c’est la même chanson, sauf que cela concerne l’audio. Il faut avant tout tirer du script radio une version texte publiable en ligne. «Nous éditons plutôt les vidéos le soir, pour en faire des séquences de moins de trois minutes, lorsque le pic de connexion quotidien est retombé».
Pour Kevin Boie, pas simple de jongler entre les deux écritures: «à la télé, cela ressemble à une conversation, orale donc, alors que sur le Web, c’est vraiment de l’écrit.» Paradoxal?
Aimeriez-vous voir des lives en vidéo, comme Ustream, sur un site d’infos? Dites le dans les commentaires ci-dessous…
Alice Antheaume
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Lancé en 2006, Twitter a atteint 200 millions d’inscrits. En coulisses, ça turbine: le réseau social aux 140 caractères est passé, en un an, de 90 à 400 employés, installés dans des bureaux situés en plein centre de San Francisco. «A chaque multiple, il nous faut changer de façon de travailler», m’explique Ohtman Laraki, le directeur de la géolocalisation et de la recherche sur Twitter.
Dans les locaux de la société à l’oiseau, la déco est étudiée, mais sans prétention: entre un coussin «howe tweet home», une affichette hornée du slogan «google before you tweet» (fais une recherche avant de tweeter) en guise de «think before you speak» (réfléchis avant de parler), un frigo rempli de sodas vitaminés, un piano et une biche grandeur nature, peinte en verte dans le hall, les salariés passent d’une pièce à l’autre, avec leur ordinateur portable sous le bras.
Othman Laraki est, lui, passé par Google, en tant qu’ingénieur, et a quitté le moteur de recherche américain pour monter sa start-up, geoAPI.com, rachetée ensuite… par Twitter. Le monde des start-up, il connaît. Et les différentes phases de ces sociétés qui grandissent à la vitesse de la lumière, aussi. La vie d’une start-up en 5 étapes? En voici le résumé.
Etape 1: «Tu as une idée, tu es seul, mais tu es entrepreneur. Tu cherches tes futurs collègues, il te faut les convaincre de travailler avec toi, sur un nouveau projet.»
Etape 2: «Tu as réussi à convaincre tes collègues, le projet est monté, le produit est créé. Mais tout le monde s’en fiche, personne ne sait que cela existe.»
Etape 3: «Ton projet intéresse les gens, ils viennent se connecter en masse. Mais tu dois faire face: comment les serveurs vont-ils survivre au volume?»
Etape 4: «Les serveurs tiennent. Tu peux te consacrer à d’autres fonctionnalités. Alors tu lances une nouvelle amélioration de ton produit chaque mois», comme l’a fait Facebook en 2010, avec de nouvelles pages profils pour les utilisateurs, l’apparition du bouton «like», des modifications dans le flux d’actualités, un système de visionnage de photos différent, et bientôt, un téléphone?
Etape 5: «Tu passes à 5.000 employés et là, il te faut lutter contre la bureaucratie, qui paralyse la capacité à décider, et t’empêche de faire évoluer ton produit aussi vite qu’à ses débuts.»
Pour Othman Laraki, aucun doute, Twitter en est à la phase numéro 3. Facebook à la fin de l’étape 4. Et Google à la fin de l’étape 5. «Google a créé des équipes à part pour Google Chrome, YouTube, et Android, pour les maintenir en mode start up.»
>> Lire aussi : Twitter, Google, Facebook, Yahoo!… Leçons d’innovation aux médias >>
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Jeudi 10 février 2011, 11h. Dans les locaux de Politico, à Washington D.C., la rédaction paraît calme. En fait, ses journalistes cravatés sont à la fois au four et au moulin. Les uns couvrent simultanément sur le site, sur les réseaux sociaux, et via une newsletter, un «breaking news» annonçant que le sénateur de l’Arizona, John Kyl, ne se représentera pas pour un prochain mandat, ouvrant la voie aux spéculations sur le nom de son successeur.
Les autres lancent ce jour-même un site annexe, Pro Politico, «notre première expérience de payant» sur «les politiques de santé, de technologie, et d’énergie», annonce Bill Nichols, le directeur de la rédaction. Pour alimenter ce site, 40 personnes ont été recrutées. Cible visée: un public «habitué à payer des informations spécifiques», comme les juristes et les lobbyistes, présents en nombre à Capitol Hill, le quartier résidentiel près du Capitole.
«Notre ambition est de sortir du marasme qui bouleverse le journalisme pour devenir la seule publication faisant autorité sur la façon dont Washington et le gouvernement américain dirigent les Etats-Unis», lance Jim VandeHei, qui dirige Pro Politico.
Une ligne éditoriale adaptée aux quartiers
C’est là le double génie de Politico, lancé en janvier 2007:
1. s’être installé dans une ville, Washington D.C., siège de toutes les décisions et polémiques fédérales.
2. s’être fixé une ligne éditoriale adaptée à sa localisation: «en un mot, nous couvrons ce qui a de l’impact sur la vie politique américaine. C’est-à-dire les lobbyistes, les chambres haute et basse, le Congrès et la Maison Blanche», résume Bill Nichols.
En France, l’équivalent n’existe pas. Et si un Politico à la française devait se lancer, il lui faudrait s’installer dans une zone délimitée par la place Beauvau/l’Elysée, l’Assemblée nationale, le Sénat et la rue de Grenelle.
Si le site est connu, récoltant entre 500.000 et 700.000 visiteurs uniques par jour, son support imprimé l’est moins, voire pas, du moins en France. Gratuit, ce journal est distribué à 60.000 exemplaires, et porté directement dans les institutions gouvernementales de Washington D.C., dont le Congrès américain, la Maison Blanche, le Sénat. Et ce, 5 jours par semaine, les jours ouvrés. De quoi construire son aire d’influence. Et rafler une grande partie du marché publicitaire, qui «à Washington D.C., est très en demande de supports imprimés», confirme le directeur de la rédaction, assurant que «Washington D.C. est une ville faite pour les journaux», socle du modèle économique de Politico. Politico n’est pas un pure player. «Politico, c’est un site qui a un journal, pas l’inverse», dit Bill Nichols.
Sur Politico.com, ce jour-là, point de développement en temps réel de la situation en Egypte, mais «toutes les déclarations des hommes politiques américains sur les événements au Caire, et l’analyse des enjeux». Parmi les contenus disponibles, cette vidéo de Robert Gibbs, le porte-parole de Barack Obama, évitant non sans humour toute question sur l’Egypte.
MISE A JOUR: vendredi, jour de la démission officielle d’Hosni Moubarak, Politico s’est centré sur les déclarations de Barack Obama, assurant que le départ de l’ex-président égyptien «n’était pas la fin de la transition, mais le début».
La politique, coeur de l’info
Couvrir la politique, seulement la politique, c’est palpitant, mais parfois frustrant. Bill Nichols, qui a travaillé comme journaliste pendant 20 ans pour USA Today, un quotidien généraliste et un des rares quotidiens nationaux, se souvient du jour de la mort de Michael Jackson, le 25 juin 2009. «USA Today en a fait sa une, évidemment, mais pour Politico, c’était impossible. Nous n’avons rien écrit, j’en étais retourné. Jusqu’à ce qu’un journaliste de Politico réalise un diaporama de Michael Jackson posant avec d’anciens présidents américains, sans doute pour calmer mes nerfs.» A Politico, ce seul critère est roi: est-ce que l’info concerne ou impacte la vie politique américaine? Si oui, c’est un sujet pour Politico. Si non, passe ton chemin.
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Une rédaction, des lecteurs fanatiques
Au lancement de Politico, «nous étions une petite cinquantaine dans la rédaction, maintenant nous sommes près de 200», ajoute Bill Nichols. «Dès le début, nous avons fait attention à ne pas installer deux rédactions, l’une qui travaillerait pour le Web, et l’autre pour le print. Avoir deux catégories de personnel, c’est une idée désormais obsolète aux Etats-Unis, car ce n’est économiquement pas viable». Au final, l’équipe de Politico est mixte, composée à la fois de «créatures issues du du Web» et de journalistes politiques «old school», s’amuse le directeur de la rédaction. Sans oublier ceux qui s’occupent des réseaux sociaux, et du SEO. Part du trafic apporté par les réseaux sociaux sur Politico? Entre 10 et 15%. «Nos lecteurs sont des fanatiques, sourit Bill Nichols, conscient de son avantage. Ils viennent entre 5 et 12 fois par jour sur la page d’accueil pour y chercher du nouveau.»
C’est la rançon de leur «excellente couverture de la politique en temps réel», analyse Stephen Engelberg, directeur de la rédaction de ProPublica, un site indépendant, basé à New York, qui ne veut produire que de l’investigation. Alors le directeur de la rédaction de Politico ne lâche rien, surtout pas le matin, un moment aussi crucial pour les sites d’infos que le «prime time» à la télévision: «Si nous avons la main sur une information dès le matin, nous la garderons toute la journée», avec les développements successifs publiés à l’heure (et l’audience qui va avec).
Stephen Engelberg se souvient: «A ses débuts, Politico.com était meilleur sur les informations minute par minute que sur les analyses, laissant celles-ci au Washington Post (également basé à Washington DC, et connu pour ses révélations sur le “Watergate”, ndlr) mais ils s’améliorent maintenant sur ce deuxième point». Le Washington Post (1) n’est pas un bleu en la matière: fondé en 1877, il est le 5e plus gros journal des Etats-Unis, avec une diffusion de 545.345 exemplaires en semaine, 764.666 le dimanche. Il vient en outre d’annoncer qu’il allait investir entre 5 et 10 millions de dollars pour lancer une plate-forme, gratuite, d’agrégation d’infos sur le Web.
Alice Antheaume
Aimeriez-vous voir naître un Politico version française? Dites-le dans les commentaires ci-dessous…
(1) Le Washington Post est actionnaire de Slate.com, lui même actionnaire de Slate.fr
lire le billetCrédit: REUTERS/Dylan Martinez
Sur les JT des grandes chaînes d’information nationales françaises, les événements en Egypte ont été vite expédiés en début de semaine, démontre ce zapping. Une couverture éditoriale réduite, à l’opposée de celle adoptée par les sites Web d’infos français. Ceux-ci ont, au contraire, mis le paquet et couvrent, depuis le début de la crise, chaque minute du soulèvement égyptien.
Faux procès dressé contre les JT? TF1 a finalement mis en place, en fin de semaine, une édition spéciale sur l’Egypte, lors du 20 heures du 3 février. Certes, ce n’est qu’un «one shot», pas un suivi en continu, mais la promesse de TF1 n’est pas non de faire du CNN.
Les efforts de TF1 ne paient pas
Malgré ces efforts louables, le poisson ne mord pas. Seuls 6,9 millions de téléspectateurs ont suivi le journal consacré à l’Egypte de Laurence Ferrari, dont le créneau fait en moyenne 7,4 millions de téléspectateurs en janvier et est monté jusqu’à 8,9 millions le 8 décembre 2010, au moment des épisodes de neige en France. Un «petit score», donc, selon le site spécialisé Ozap, qui rappelle que «traditionnellement, le JT de TF1 est faible lorsque l’actualité internationale est forte». «Le fait que les sujets de proximité soient, à la télévision, davantage fédérateurs que les grands événements internationaux n’est pas nouveau, écrit Franck Nouchi, cité par Arrêt sur Images. “La Corrèze plutôt que le Zambèze”, avait théorisé il y a bien longtemps le journaliste Raymond Cartier.»
Plus grave, les téléspectateurs de TF1 auraient envoyé pléthore de messages «racistes» à la chaîne sur le thème «on s’en fiche des sujets sur les Arabes, on veut d’autres sujets». C’était lors de la «révolution tunisienne», détaille lepoint.fr, qui révèle l’histoire.
Catherine Nayl, la directrice de l’information de TF1, s’en est expliqué dans l’émission Médias Le Mag, sur France 5: «Non, on ne reçoit pas de nombreux emails racistes» et oui, «la vie, pour un téléspectateur, ce n’est pas que l’actualité». Elle concède que, «pour un journaliste, les efforts que nous pouvons faire sur le terrain sont peu chèrement payés par nos téléspectateurs. Ils s’intéressent à l’actualité internationale, mais leurs préoccupations sont davantage tournées vers la pénurie d’essence et la météo». Un bon point néanmoins, selon Catherine Nayl: les téléspectateurs «venus regarder la “spéciale” (du 3 février, ndlr) sont restés jusqu’au bout, pendant 20 minutes. C’est une belle récompense».
Frénésie des lives
C’est tout le contraire sur le Web, où les internautes cliquent de façon frénétique sur tout ce qui touche de près ou de loin aux mouvements dans le monde arabe. Et notamment sur les «lives», ces formats qui permettent de suivre, minute par minute, les derniers développements sur la révolte. De la déclaration du président égyptien Moubarak, estimant que «si (il) par(t), ce sera le chaos», aux images de ses partisans à dos de dromadaires, en passant par la démission du bureau exécutif, les pages des sites Web sont «rafraîchies» des milliers de fois et font ce que l’on appelle, dans le jargon, «du clic». C’est-à-dire du trafic. Et pas qu’un peu.
Sur lefigaro.fr, vendredi 4 février, l’article le plus lu du site s’intitule «Des milliers d’Egyptiens manifestent dans le pays» (son titre a été changé depuis, actualisation oblige). Se classent ensuite, au rang numéro 3 du top 5 des plus lus, «Laëtitia: Sarkozy veut sanctionner les magistrats» puis, en numéro 4, «Les rumeurs inquiètent les expatriés français en Egypte». Même tendance sur les sites concurrents: «cette semaine, il y a eu d’incroyables pics d’audience sur deux sujets, l’Egypte d’abord, et Laëtitia (la jeune fille retrouvée démembrée, ndlr) ensuite», me racontent Elodie Drouard, iconographe à 20minutes.fr, et Catherine Fournier, chef du service des informations générales du même site.
Point commun entre ces sujets? Les deux sont des histoires-feuilletons, qui comprennent des rebondissements quotidiens, et donnent l’occasion aux journalistes Web de produire plusieurs articles, via divers angles, au fur et à mesure que se déroule l’histoire – et l’Histoire. Les journalistes, pas plus que les lecteurs, ne connaissent la suite au moment où ils écrivent ce qu’ils savent, et pourtant, ces actualités fonctionnent comme des séries télévisées, avec un air de revenez-y, comme s’il était indiqué «à suivre» à la fin de chaque épisode. «Pour l’affaire Laëtitia, le prochain épisode aura lieu quand les policiers auront retrouvé son tronc, car si cette partie du corps peut être autopsiée, on saura alors si elle a été violée ou pas», décortique un connaisseur. Pour l’Egypte, c’est pareil. Le suspens dure concernant la position d’Hosni Moubarak: partira? Partira pas?
Le Web, international, et à la demande
Pourquoi, sur le Web, l’actualité égyptienne suscite l’intérêt alors que ce n’est visiblement pas le cas à la télé? Les publics sont-ils si différents selon le média? Les internautes seraient plus portés vers l’international, pas les téléspectateurs? «Les internautes qui suivent notre couverture en temps réel de l’Egypte en ont conscience: ils assistent, en direct, à un événement historique», estime Nabil Wakim, journaliste au Monde.fr.
Autre point d’explication: le format «live» qui, quel que soit le sujet, international ou pas, est presque toujours l’un des contenus les plus vus d’un site d’infos. D’abord parce qu’il constitue un appât pour les consommateurs d’infos, à qui l’on promet de faire vivre l’actualité comme s’ils y étaient, ensuite parce que ce type de format, très mobilisateur, bénéficie d’une visibilité importante en étant disposé tout en haut de la page d’accueil.
Enfin,et c’est la troisième piste: le journalisme en ligne est capable de répondre à des demandes, en traquant les requêtes les plus cherchées par les internautes sur les moteurs de recherche. Un baromètre devenu essentiel pour savoir où mettre le curseur entre trop et pas assez sur tel ou tel sujet.
Or la question demeure: quelle partie de cette audience sur les sites d’infos français vient d’Afrique? Lors des événements tunisiens, la Tunisie était le deuxième pays à fréquenter lemonde.fr, après La France. Pour l’Egypte, le scénario ne se répète pas, et c’est logique: l’accès à Internet a été coupé dans le pays, rendant toute connexion en ligne impossible. Néanmoins, sur lefigaro.fr, Thomas Doduik, directeur des opérations du site, constate une forte progression des visites issues des pays du Maghreb: x 2 pour celles venues d’Algérie, du Maroc et d’Egypte, et jusqu’à x 6 pour la Tunisie, au plus fort de la révolution de Jasmin.
De la télé dans le live sur le Web
«Nous avons même des internautes qui allument la télé pour regarder le JT, et commentent, sous le live du Monde.fr, ce qu’ils voient sur le petit écran», reprend Nabil Wakim. Et, surprise, ils chronomètrent, façon CSA en période électorale, la longueur des sujets télé consacrés à l’Egypte, en pestant – et en l’écrivant sur un site Web d’info – «quoi? C’est déjà fini sur TF1? Il n’est même pas 13h07».»
Regarder la télévision en réagissant en direct sur les réseaux sociaux, comme si l’on était en famille ou entre amis sur un canapé: le phénomène a déjà été observé lors d’émissions comme La Nouvelle Star ou même Paroles de Français. Cette fois, un cap a été franchi. Au lieu de rédiger des commentaires parfois potaches face à une émission de divertissement, une frange du public va plus loin et commente, sur Internet, jusqu’à la façon dont les télévisions s’emparent d’un sujet international.
Arrêter un live, mission difficile
Les sites d’infos ne s’en laissent pas compter. Et cravachent à qui mieux mieux, quand bien même l’actualité qui secoue l’Egypte, et avant, la Tunisie, s’avère chronophage. En effet, il faut au bas mot deux ou trois personnes pour animer un «live» sur un tel sujet pendant une journée entière, à la fois pour alimenter le flux de nouvelles informations, et surtout, pour les vérifier.
«Dimanche soir, je me suis demandé à quel moment fallait-il qu’on arrête de “liver” l’Egypte, avant de reprendre le lendemain matin, confie Nabil Wakim. Quand on a vu qu’il y avait 250.000 personnes connectées toute la journée, sur le direct, et encore 6.000 en soirée, on s’est dit qu’on allait continuer et rester au bureau une ou deux heures de plus.»
Alice Antheaume
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