«Comment voyez-vous le futur du journalisme?» C’est par cette question, posée par Jessica Chekroun, journaliste pour l’Atelier des médias, qu’a commencé ma journée au Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne), vendredi 22 octobre. Journée de débats, ateliers (1), et de «réseautage» organisée à la Maison des métallos, à Paris, par le syndicat professionnel des pure players, la première du genre depuis leur naissance, il y a un an, en octobre 2009. Ambiance sur place résumée en trois questions.
Crédit: Satellifax
1. Y a-t-il un esprit Web?
Contents, les organisateurs du Spiil, de voir les «450 inscrits» discuter comme s’ils étaient les membres d’une même famille. Ici, la majorité des présents sont des producteurs de contenus en ligne. Point de contingence du papier donc – les pure players étant des sites Web d’infos sans déclinaison imprimée, comme Slate.fr, Bakchich, Arrêts sur images, Médiapart, le Bondy Blog, etc.
«Je suis journaliste Web», apostrophe un participant dans la salle, n’oubliant pas d’accoler le mot Web à sa fonction. «L’esprit Web n’est pas si éloigné de l’esprit rock, pense Antonio Casilli, auteur de «Les Liaisons numériques» (éd. du Seuil) (MISE A JOUR LUNDI 14h30). Il a aussi ses valeurs et ses codes esthétiques». Des valeurs «libertaires et solidaires», détaille à ce sujet Owni, qui ont permis de se mettre d’accord sur des normes universelles, pour fonder par exemple les licences Creative Commons.
Des valeurs qui – pour les avoir évoquées dans un W.I.P. sur la «rédaction secrète du Web français» et un autre sur les usages des «forçats du Web» – se concrétisent, dans le monde des producteurs d’infos en ligne, par le partage de centaines de liens quotidiens, par l’entraide, l’intérêt pour l’expérimentation, et cette vie faite de chats, de réseaux sociaux, de photos taguées à tous les étages. Et d’interaction avec l’audience. «Puisque l’audience apporte de la valeur ajoutée aux sites d’informations, il faut réfléchir à des moyens de partager nos revenus avec elle, s’enthousiasme Benoît Raphaël, ancien rédacteur en chef du Post.fr, avant de se raviser: «le problème, c’est que l’on n’a pas beaucoup de revenus à partager.»
Quant aux codes esthétiques, s’ils existent, ils concernent moins la mise vestimentaire du producteur de contenu en ligne que ses outils de travail. Iphone, iPad, Android, ordinateurs portables, mais aussi plug in, navigateurs et applications mobiles.
2. Comment couvrir les retraites autrement qu’en faisant du «live»?
Dans les coulisses du Spiil, c’était, actualité oblige, l’une des préoccupations les plus pressantes des journalistes harassés par des semaines de couverture en temps réel des mouvements contre la réforme des retraites. Comment trouver, chaque jour, un angle différent sur ce sujet qui dure? Et mieux, un format différent?
Outre les «lives», très pratiqués par lemonde.fr et 20minutes.fr, rejoints par leparisien.fr et Rue89, il y a eu aussi des cartes interactives, pas toujours très complètes d’ailleurs, mais problème: comment faire pour ne pas lasser les internautes quand ce format revient chaque jour et comment «faire des retours sur ce qu’il s’est passé il y a 24h, voire 48h, qui n’est déjà plus dans l’actu», s’interroge Yann Guégan, gestionnaire de communautés sur Rue89, interviewé à ce sujet dans l’émission d’Arrêts sur images. D’autant que, ajoute-t-il, «c’est fatiguant, de tenir un “live” du matin au soir, lorsqu’on est une petite équipe». Pour le site Regards sur le numérique, tout se résume en une question: l’article est-il mort?
3. Quelle campagne en ligne en 2012?
Outre la question des modèles gratuit/payant, des aides à la presse en ligne – celles de l’Etat comme celles que pourront peut-être apporter un site comme jaimelinfo.com, qui proposera aux internautes de faire des dons pour subventionner le reportage de leur choix -, le sujet débattu au cours de la dernière séance plénière de la journée du Spiil a concerné la future campagne de 2012. A quoi celle-ci va-t-elle ressembler? Plus exactement, la prochaine élection présidentielle va-t-elle encore reposer sur l’image (télévisuelle, ndlr) et la personnalité des candidats, demande Dominique Cardon, sociologue et auteur de «La Démocratie Internet» (éd. du Seuil), ou mettre – enfin – le programme des candidats en débat via le Web?
La réponse du panel invité , vendredi, a été réservée: «Il y a trois ans, je travaillais dans un grand ministère du côté de Bercy», raconte Xavier Moisant, qui s’est occupé de la campagne en ligne de Jacques Chirac, en 2002. «Je me demandais pourquoi personne ne répondait à mes emails. J’ai posé la question, on m’a répondu: “pour avoir une réponse, faxe nous tes emails!”»
«C’est vrai que les hommes politiques français n’ont pas souvent un ordinateur sur leur bureau, confirme Benoît Thieulin, co-fondateur de La Netscouade, qui s’est occupé de la campagne de Ségolène Royal en 2007. Or c’est dur de faire une stratégie Web si l’on n’est pas praticien du Web». Xavier Moisant s’en souvient: la seule relation que Jacques Chirac entretenait, à l’époque, avec Internet consistait en des signets qui le menaient vers les résultats des compétitions de sumo. D’après Benoît Thieulin, «notre classe politique, dans sa formation intellectuelle et dans sa carrière, qui passe souvent par de grandes administrations centrales, n’est pas formée au Web. Développer une stratégie complexe ne peut venir que de la pratique même, sinon on se limite à calquer sur le Web des stratégies préexistantes» sans vraiment les penser pour le Net.
L’avantage est, qui que soient ses futurs compétiteurs, à Nicolas Sarkozy, estime Xavier Moisant. En dépit des 7 Français sur 10 qui s’estiment mécontents de l’action du chef de l’Etat, selon un sondage Ifop/JDD publié le 24 cotobre, il a une arme que les autres n’ont pas, à savoir une page Facebook qui compte plus de 334.000 personnes. Un vivier sur lequel s’appuyer pour 2012.
(1) J’intervenais pour ma part lors d’un atelier intitulé «tout ce que les journalistes Web doivent apprendre et que leurs collègues ignorent», animé par Philippe Couve, en compagnie de Soizic Bouju, Marc Mentré et Eric Mettout.
Alice Antheaume
lire le billetEntendu dans une rédaction Web:
«Ton titre sur les retraites, il n’est pas très Google friendly»
«Tu n’as qu’à y ajouter “Sarkozy”, “Domenech”, “météo” et “Facebook” et tu l’auras, ton titre Google friendly!»
Ce dialogue n’est pas fictif. Il désigne l’impact de la titraille, comme on dit dans le jargon, sur le référencement d’un contenu journalistique dans Google – et l’agacement que, parfois, le phénomène suscite chez certains rédacteurs pour qui l’art de trouver un bon titre se situait plus du côté du jeu de mot intellectuel que de l’indexation robotique de contenus via mots-clés. Ce phénomène, en bon anglais, s’appelle le SEO, «search engine optimization». Lequel ne concerne pas que les titres, mais aussi le contenu des articles, la façon dont ils sont écrits, et comment ils sont édités.
Crédit: Flickr/CC/BrunoDelzant
Si les mots «Sarkozy», «Facebook», «Domenech» et «météo» sont cités comme des appâts, c’est parce que ces termes font partie des recherches les plus fréquentes en France, sur Google, depuis le début de 2010. Et que, donc, les articles qui mentionnent ces mots ont plus de chances d’être remontés lorsqu’un internaute les cherche sur un moteur de recherche.
Comprendre, d’abord, et s’adapter, ensuite
Dans certaines rédactions est apparu petit à petit un nouveau métier: le spécialiste du référencement. Il n’est pas journaliste mais «sait parler aux moteurs» et peut faire en sorte que le site pour lequel il travaille soit bien – ou mieux – repéré par les Google, Yahoo! et Bing. Comprendre: que les articles «remontent» plus haut parmi les milliards de pages Web scannées chaque jour. Et si possible dans les premiers résultats de recherche.
«Je sais peut-être parler aux moteurs, mais je ne les commande pas», reprend Olivier Lecompte, responsable de l’architecture et du référencement d’un groupe de presse. Car la façon dont Google indexe les pages, c’est le secret le mieux gardé au monde. Même si Google a documenté dans un guide pour débutants les «meilleures pratiques» en la matière. «Si quelqu’un vous dit qu’il connaît le fonctionnement des algorithmes de Google, cette personne vous ment, annonce à ses étudiants Sandeep Junnarkar, professeur de journalisme interactif à l’Ecole de journalisme de CUNY, à New York. D’autant que ceux-ci changent sans cesse».
Reste à expérimenter, à comprendre, et à savoir s’adapter. Exemple avec un article dans lequel le titre fait mention de «l’Hexagone». «Cela ne va pas, car Google ne peut pas savoir si “l’Hexagone” désigne la France ou bien une forme géométrique», commente Olivier Lecompte, qui parle de Google comme d’une personne. «Google part du principe que chaque titre détermine ce qu’il y aura dans la page. Donc il faut que celui-ci soit signifiant sinon les rédacteurs se tirent une balle dans le pied.» Ce qui est le cas avec ce titre, «Scandale à l’école», mal pensé pour le SEO. «Quel scandale?, demande Olivier Lecompte. De quelle école? D’où? De quoi? Google ne sait pas, donc il ne saura pas quel article il y aura derrière.»
En avant les contenus!
Alors oui, le SEO change la façon d’écrire en ligne, mais sur certains champs seulement: le titre d’un contenu s’avère primordial pour le référencement et le thème de l’article doit être répété plusieurs fois dans la page. Par exemple, si l’article porte comme ici sur le SEO, ce terme doit figurer à plusieurs endroits du texte, tout comme le champ lexical qui y est associé – à moi, donc, de saupoudrer les mots référencement, indexation, mots-clés, contenu au fil du texte (et hop, c’est fait). En revanche, la chute de l’article, qui donne souvent du fil à retordre aux journalistes, n’importe guère.
Les photos ont intérêt à être bien taguées, avec des mots-clés adéquats, car «la recherche de photos sur les moteurs de recherche est au moins aussi importante que celle de textes», insiste Masha Rigin, du Daily Beast.
Quant aux liens hypertextes disposés dans l’article, ils doivent, en plus d’apporter une plus-value journalistique, être placés au bon endroit. «Mettre un lien sur “dit-elle” ou “lire la suite” ou “plus d’infos à venir” ne sert à rien, reprend la SEO du Daily Beast. Il faut que l’internaute comprenne, rien qu’en lisant la portion de mots sur laquelle porte le lien, sur quelle page il va aboutir s’il clique». Et Olivier Lecompte confirme: «si un rédacteur évoque un rapport sur la discrimination au travail, et qu’il met un lien sur le mot “rapport” sans englober les termes “sur la discrimination au travail”, c’est inefficace, car il y a des milliers de rapports sur la toile.»
Enfin, sans entrer trop dans les détails, les adresses URL doivent également être travaillées. Et pas que par les développeurs et les spécialistes du SEO. Dans certains outils de publication, les rédacteurs peuvent éditer, en plus du titre, des url. Au même titre que des légendes de photos ou des chapeaux. «Vos visiteurs peuvent être intimidés par une longue adresse URL dont le sens est crypté (par exemple une url contenant «content/view/959/130/», ndlr)», détaille Google dans son guide SEO. On préfèrera donc des URL avec des mots compréhensibles par tous, comme celle qui contient «societe/article/2010/10/16/liliane-bettencourt-va-porter-plainte-contre-sa-fille».
Prendre des gants
D’aucuns s’émeuvent de ce que l’écriture puisse avoir de l’impact sur le référencement. Pourtant, pour la plupart des sites d’information, le trafic se fait entre 50 à 70% en provenance des moteurs. «Par réflexe corporatiste, on a du mal à voir débouler (les référenceurs, ndlr) avec leur volonté de nous expliquer comment il faut écrire et de chambouler nos priorités éditoriales, ce qui est le cœur de notre métier, explique Christophe Carron, de Prisma, interviewé par le site Café Référencement. A l’expression «content is king, SEO is emperor», qui «sonne un peu comme une provocation, une déclaration de guerre», le journaliste préfère ajouter «content is king, SEO is emperor, reader is God».
«Ce sont aux journalistes de choisir, tranche Michael Shapiro, professeur de journalisme à l’école de la Columbia. Veulent-ils être lus par 10 personnes? Ou 5.000 personnes? Il ne suffit pas de mettre les papiers sur Facebook et sur Twitter. Pour mieux comprendre l’audience qui les lit, d’où elle vient, ce sur quoi elle clique, combien de temps elle reste sur une page, il existe des outils comme Google Analytics. Ils doivent s’en servir.»
Répondre aux questions des internautes
«Avant d’écrire, tous les journalistes devraient se demander ce que cherchent les internautes sur le Net, arguent nombre de rédacteurs en chef. Cela les aiderait à produire des sujets qui répondent aux questions de leurs lecteurs.» Ceci explique en partie le succès des titres commençant par «comment», «pourquoi»… Dans un précédent W.I.P., j’avais déjà tenté de répondre à cette question: et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent?
Jeremy Peters, du New York Times, ne veut pas que l’audience lui impose ses choix éditoriaux. Sur le site de France 24, du Washington Post, sur 20minutes.fr, sur Gawker, les données sur les visites et les clics des internautes sont affichées aux yeux de toute la rédaction. Pas au New York Times. «On ne laisse pas les chiffres nous dicter notre mission journalistique, répond Bill Keller, le rédacteur en chef. Nos lecteurs viennent pour lire nos points de vue, pas ceux de la foule. Nous ne sommes pas American Idol.»
Une position obsolète? Sans doute, car le SEO n’est pas contraire aux valeurs du journalisme. La meilleure enquête du monde ne sert à rien si personne ne la trouve. Et ne peut la lire. Inversement, peu importe que le SEO soit bon si le contenu ne l’est pas, dit en substance le Nieman Lab. Il est insupportable de faire une requête sur Google et de trouver, parmi les résultats, des pages qui ne répondent pas à la recherche.
Un scoop? Comment Google peut-il le savoir?
Dans la cohabitation entre contenus et SEO, il y a un point qui risque d’énerver encore longtemps les journalistes: publier une information exclusive et que celle-ci ne remonte pas dans Google News en premier. A priori, aucune raison que cela change. «Le journaliste est dégouté, mais Google ne réfléchit pas comme cela, dit encore Olivier Lecompte. Comment peut-il savoir qui a sorti l’information en premier? Il voit une suite de mots, il ne lit pas entre les lignes.»
La seule solution, c’est que les sites qui reprennent cette info citent correctement la source originelle, en faisant un lien vers elle. «Google va analyser la source des infos, et s’il voit que beaucoup de monde, à l’extérieur de ton site, parle de toi, il va considérer que tu es important et te faire remonter, reprend Olivier Lecompte. Mais Google ne va pas taper sur les doigts de ceux qui ont oublié de te citer comme source». Faire valoir ses infos, y compris face à la concurrence, cela reste à la charge des journalistes.
Prenez-vous en compte les techniques SEO pour écrire des contenus en ligne? Qu’avez-vous expérimenté? Partagez vos trouvailles dans les commentaires ci-dessous…
Alice Antheaume
Crédit: Sony Pictures Releasing France
A regarder The Social Network, qui sort en salles mercredi 13 octobre, le rêve est là, à portée de clic. Il se résume ainsi: “Depuis un simple ordinateur, la technologie te permet de créer quelque chose qui peut changer la société. Tu n’as pas besoin de secrétaire, ni d’immeuble remplis de bureaux, ni d’employés”, comme le résume cet article du New York Times, intitulé “La version filmique de Zuckerberg divise les générations“. C’est là le “génie” du fondateur de Facebook, s’enthousiasme la génération digitale, quand les plus âgés ne peuvent s’empêcher de le trouver “vraiment trop méchant”. Un film clivant, donc?
Entre ambition et honneur
Au-delà du débat sur la personnalité du plus jeune milliardaire de la planète, le film illustre une quasi guerre des religions, comme le note The New York Observer: celle qui voit s’affronter Zuckerberg, “juif à l’ambition impitoyable”, contre les jumeaux Winklevoss, purs WASP de l’Université d’Harvard, se décrivant eux-mêmes comme des “gentlemen” et prêts à tout pour faire respecter, disent-ils, la noblesse du “code de l’honneur”. Dans la vraie vie, comme dans le film, Tyler et Cameron Winklevoss ont porté plainte contre le fondateur de Facebook, qu’ils accusent d’avoir volé leur idée de réseau social, et d’avoir fait croire qu’il travaillait pour eux alors qu’il construisait à son propre site. En 2008, ils ont déjà obtenu en justice 20 millions de dollars de réparation et 45 millions de dollars en actions. Ils ont fait appel.
Et les femmes dans tout cela?
Dans le film, elles sont reléguées au rang des groupies, ou, pire, d’objets: on les voit via des photos mises en ligne sur Facebook, sur lesquelles leurs congénères masculins cliquent pour évaluer leur sex-appeal. Slate.com s’interroge: The Social Network est-il sexiste? La seule fille qui ait un rôle, c’est l’ex-chérie de Mark Zuckerberg, Erica Albright (incarnée dans le film par Rooney Mara), qui, sans le vouloir, est à l’origine de Facebook, projet monté par Zuckerberg par désespoir amoureux, si on lit le scénario entre les lignes. A ce titre, la scène d’ouverture s’avère édifiante: c’est une scène de rupture amoureuse articulée comme si le dialogue se faisait par chat sur Facebook.
Outre Mark Zuckerberg (joué par Jesse Eisenberg) et son acolyte Eduardo Saverin (Andrew Garfield), le héros du film, c’est Facebook (trombinoscope en français). Un réseau créé en 2004 qui a su développer “une addiction chronophage, décrypte Le Monde Magazine. En moyenne 23 heures par mois sont passées sur Facebook. Mais des temps d’utilisation de 40 à 60 heures mensuels n’ont rien d’inhabituel”. Pour parfaire le tableau, rappelons que Facebook détient plus de 500 millions de membres d’inscrits, et sa valeur est aujourd’hui estimée à 33 milliards de dollars (23,6 milliards d’euros). Reste que, même si l’on voit beaucoup de personnages du film “manger du code (html, ndlr)” pour construire les coulisses de Facebook, The Social Network n’est pas un documentaire sur le plus gros réseau social du monde qui décrirait par le menu l’histoire du poke ou les enjeux de la vie privée.
L’ode aux entrepreneurs
Oui, le vrai Zuckerberg a emmené sa vraie équipe voir une projection du film avec le fictif Zuckerberg. C’était “fun”, apparemment, rapporte Reuters. De fait, selon Pete Cashmore, le patron de Mashable qui en fait sa chronique sur CNN, le créateur de Facebook ne peut pas ne pas aimer ce film. Toute l’histoire sonne vraie pour les entrepreneurs des nouvelles technos: “les bonnes idées ne donnent rien sans un indéfectible investissement et des innovations permanentes”.
AA
lire le billetFaire des liens sur des contenus pertinents, c’est “essentiel au journalisme en ligne”. C’est la BBC qui le dit dans sa charte (The Guardian)
Aux Etats-Unis, 92% des bébés de moins de 2 ans ont déjà une présence sur le Net (Gawker)
Sur le point de créer un site Web? Voici la liste de ce qu’il ne faut pas oublier (OJR.org)
lire le billetAvec ses 3.700 employés dans le monde, Associated Press est à la fois une coopérative et l’une des plus grosses agences de presse de la planète (à titre de comparaison, AFP a 2.900 correspondants dans le monde). «Chaque jour, plus de la moitié de la population voit des informations signées AP», lit-on sur leur site Web.
Dans leurs bureaux de New York, le centre névralgique d’AP, le silence est notable. Surprenant pour une rédaction qui, sur le seul plateau new yorkais, voit se succéder 400 personnes jour et nuit. «Le jour de lélection présidentielle américaine, lorsque nous avons su qu’Obama était élu, il n’y a pas eu un bruit, sinon celui des doigts sur le clavier des journalistes qui écrivaient à toute vitesse des dépêches», me raconte Tom Kent, rédacteur en chef en charge de la déontologie.
Silence, on écrit
Pas un cri de joie ou soupir de mécontentement? «Peut-être qu’intérieurement, certains journalistes regrettaient ou se réjouissaient de la victoire d’Obama, reprend Tom Kent, mais ils ne l’ont pas exprimé ouvertement. Notre rédaction est neutre et objective, c’est la marque de fabrique d’AP.» Et ce, depuis 1846, date de création de l’agence.
Malgré le déluge de tweets et autres informations publiées sur le Web (en France, les infos AP sont accessibles sur Yahoo!), la tradition d’AP n’a pas bougé. Pas d’opinion personnelle, politique ou religieuse sur Twitter ou ailleurs. De même, interdiction pour un journaliste d’AP de faire un «breaking news» sur un réseau social avant que son agence ne la publie dans ses propres tuyaux.
Charte déontologique
Le travail de Tom Kent, c’est – entre autres – de gérer les questions éthiques à AP. «Je vérifie que les articles sont équilibrés, que les sources sont identifiées, et que les journalistes n’en écrivent pas davantage que ce qu’ils savent.» Pas de place à l’interprétation ni aux projections, donc. Des règles qu’AP a écrites dans une charte, disponible ici.
«Dans une dépêche de cette semaine, par exemple, on apprenait que, selon une étude, les Américains se marient plus tard. Le journaliste a interprété ce résultat comme étant peut-être une conséquence de la crise économique. Or si cela n’a pas été prouvé par une étude, on ne peut pas faire de conclusion hâtive.»
Comment faire pour vérifier la déontologie des centaines d’articles diffusés? «Nous avons une liste de mots-clés susceptibles de poser problème, liste que nous enrichissons de nouveaux termes en temps réel, m’explique Tom Kent. A chaque fois qu’un journaliste écrit un mot de cette liste dans une information, cela m’envoie un email d’alerte.» Dans cette liste se trouvent les mots «Dimitri Medvedev», parce qu’il est souvent mal orthographié, et… «Wikipédia». «Nous exigeons que nos correspondants n’utilisent pas l’encyclopédie en ligne comme source», reprend Tom Kent.
Sur le plateau, les rédacteurs ont devant eux quatre écrans. L’un pour Tweetdeck, le deuxième pour observer la concurrence, le troisième pour les mails et messageries instantanées en interne, et le quatrième pour publier, éditer et mettre à jour les dépêches de l’agence. Et cela va vite, très vite.
Crédit: AA
Le temps de dire ouf, et l’éditrice en charge du desk d’Amérique du Nord, Maria Sanminiatelli, a des dizaines de messages en attente qui clignotent dans sa boîte, en provenance des bureaux de Phoenix, de Louisiane, de Californie, de l’Indiana, lui annonçant quels sujets seraient suivis et comment. Faire une pause de deux minutes? Impensable. Non seulement des centaines d’informations arrivent, mais en plus plusieurs versions d’une même histoire (pour l’international, pour le national, pour le local).
Métronome horaire
Partout dans la rédaction trônent des écrans affichant l’heure aux quatre coins du globe. A 16h29 pile, Tom Kent interrompt notre discussion et file à la «réunion de 16h30». Des représentants des services business, économie, international, infographie et social média arrivent toutes affaires cessantes. «Londres? Washington?» 16h30, une partie des bureaux de la planète AP sont réunis via le téléphone «pieuvre». A l’écran, sont affichées les infographies prêtes à être publiées.
Les sujets sont passés au crible, les décisions pour mettre l’accent sur telle ou telle histoire se prennent quasi instantanément. «Nous n’avons pas de photo sur les inondations du Mexique. Les seules images dont nous disposons sont des vidéos tournées il y a une semaine!» Réponse du service international: «Un hélicoptère survole actuellement la zone, avec un de nos photographes à bord.» Tom Kent regarde la pendule, il est 16h39. «Il faut que cette réunion dure moins de 15 minutes», me confie-t-il. Le matin, celle de 8h45, idem. Seule la réunion de 10h30, la plus importante des trois, peut s’étendre pendant 30 minutes.
Quelle information mérite un «urgent» pour AP? «Avant, quand nous ne travaillions que pour les journaux imprimés, c’était simple. On se demandait “qu’est-ce qui pourrait faire la couverture des journaux demain?” Maintenant que nos informations sont publiées sur Yahoo!, sur Facebook, sur notre chaîne de vidéos YouTube, il faut tenir compte de l’audience. Les frasques de Lindsay Lohan intéressent le public, donc oui, on peut faire des urgents avec.»
A AP comme ailleurs, l’audience réagit aux choix éditoriaux. «Un lecteur mécontent nous a écrit un mail assez dur aujourd’hui. Il ne comprend pas pourquoi il reçoit des “pushs” sur son mobile à propos de, dit-il, “tout sauf ce qui le concerne, à savoir l’histoire de l’étudiant qui a ouvert le feu à l’Université au Texas et s’est tué“». Réponse du service incriminé: «Nous aurions dû envoyer un alerte sur cette info-là aussi». Fin du débat.
La transition
Le plus gros défi d’AP, estime Tom Kent, a été de passer aux informations multimédia (photos, sons, vidéos, infographies, etc). En interne, la transition ne s’est pas faite en douceur. Il y a d’abord eu ce discours du «board» d’AP en 2004, un discours dont les mots résonnent encore dans la tête des journalistes de l’agence.
«Notre avenir dépend du multimédia. Si on continue à ne faire que du texte, c’est simple, on ferme l’agence et on perd tous nos jobs.» Tout le monde a obéi à l’injonction, détaille Tom Kent. Bâtons et carottes ont complété le dispositif. Côté bâton, l’entretien individuel annuel dispose d’une case particulière: «est-ce que le collaborateur joue la collaboration avec les services multimédia? Oui/Non». Si la réponse est non, cela a un impact sur l’évaluation du salarié, et pénalise son augmentation salariale. Côté carotte, un système de récompenses a été mis en place. Chaque semaine, 500 dollars sont attribués à l’auteur ou aux auteurs de la meilleure information hebdomadaire. La «meilleure» information de la semaine n’est pas être une simple dépêche, il est préférable qu’elle ait été mise en scène de façon multimédia. A la fin de l’année, les comptes sont faits: le service qui a obtenu le plus de récompenses hebdomadaires gagne 2.000 dollars.
Une sorte de Google Analytics pour AP
Comme l’AFP, AP est tourmentée par le vol de ses contenus. Elle prépare donc la riposte avec un outil, baptisé «news registry», dont la sortie est prévue en décembre, qui permettra de traquer les contenus sur le Web, et d’avoir des données mises à jour en temps réel sur leur diffusion. Il s’agit de savoir quel site utilise quelles informations d’AP…
C’est donc une sorte de Google Analytics développé spécialement pour AP. L’objectif est double: 1. Mieux connaître les usages de l’audience et «nous améliorer en conséquence». 2. Obtenir des preuves que tel ou tel client doit payer son abonnement à AP car X contenus de l’agence sont diffusés sur sa plate-forme et lui apportent X trafic. «Nombreux sont nos partenaires qui disent qu’ils ne veulent plus nous payer puisque nos contenus sont indexés sur Yahoo!, en accès gratuit», assure l’un des journalistes. Une situation que connaît l’AFP, dont une partie des dépêches sont indexées par Google News. Et qui a aussi son outil, Attributor, pour repérer les contenus volés, comme l’expliquait Frédéric Filloux dans sa Monday Note. Oui, l’éthique avant tout.
Utilisez-vous AP en France? Faites-vous plus confiance aux contenus des agences que ceux des sites Web d’infos?
lire le billet