«J’ai toujours voulu être journaliste…»

Bonjour. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous voulez devenir journaliste?

– Je veux être journaliste parce que j’aime écrire. L’écriture a toujours été quelque chose de très important dans ma vie.

(variante 1: je veux être journaliste parce que je suis curieux/

variante 2: je veux être journaliste pour voyager à l’étranger)

Vous lisez la presse?

– Oui, je «fiche» (sur du papier Bristol, ndlr) Le Monde, tous les jours.

Et la presse magazine?

Courrier International, pour le regard sur l’international. Et XXI, pour les grands reportages.

Ecoutez-vous la radio?

– Oui, j’écoute la matinale de France Inter, mon premier geste du matin. J’aime bien le ton et les interviews politiques.

Regardez-vous la télévision?

– Non, sauf le JT de France 2 parfois. Ou Le Grand Journal que je regarde après sa diffusion sur Canal+ en VOD.

Et des médias étrangers?

– Non.

Quels sont vos sites d’informations favoris?

Lemonde.fr. Je vais aussi sur Rue89 pour ses quiz qui permettent de réviser l’actualité.

Qui ou quel est votre idéal journalistique?

– Florence Aubenas.

Que connaissez-vous d’elle?

– Elle a publié un livre, Le Quai de Ouistreham.

L’avez-vous lu?

– Euh, non. Mais j’ai lu des extraits dans la presse.

Ce dialogue est fictif, mais à un ou deux mots près, il incarne sur le fond comme dans la forme ce qui a été souvent répété lors des oraux d’admission entre le jury et des candidats qui veulent intégrer l’école de journalisme de Sciences Po, à la rentrée prochaine. Après 115 entretiens individuels de 45 minutes chacun, la récurrence incessante de ces références donne une curieuse impression d’uniformité. C’est vrai, la plupart de modèles évoqués ci-dessus incarnent une certaine idée du Graal journalistique. Mais leur citation quasi systématique me laisse perplexe: est-ce qu’un étudiant oserait confier qu’il suit les matchs de foot en «live» sur lequipe.fr? Qu’il prend des gratuits dans les transports en commun? Qu’il lit Voici de temps à autre? Qu’il s’informe par les réseaux sociaux? Et au fond, qu’il butine des titres sur Google News ou Yahoo! news? Est-ce que les candidats ont vraiment la consommation de médias qu’ils prétendent avoir ou est-ce qu’ils se conforment à ce qu’ils croient qu’un jury estampillé Sciences Po veut entendre?

Crédit: DR

Crédit: DR

Image ou vérité?

C’est là tout le paradoxe, voire le malentendu, de ces oraux: la confrontation entre des étudiants qui craignent de sortir des sentiers battus et une école de journalisme à la recherche des profils singuliers qui devraient faire de futurs bons journalistes. On lit ici et là que les jeunes journalistes qui sortent d’école possèdent tous le même profil, et que ce serait l’une des causes de la crise que traverse la profession.

Je remarque surtout que l’on a parfois du mal à trouver des candidats qui se démarquent. Or le but du jeu, pour une école, c’est de constituer un groupe de personnalités éclectiques avec, certes, un intérêt sans faille pour l’actualité mais aussi des goûts journalistiques aussi variés que possible – du moment qu’ils sont argumentés. Inutile d’asséner «j’aime Libération» ou «je déteste TF1» sans dire pourquoi. Cela paraît évident à ce niveau de sélection (BAC+3), et pourtant…

Bien sûr que Florence Aubenas peut incarner un «idéal journalistique». Pourtant, une telle unanimité pose question: qu’un étudiant cite plusieurs des articles de Florence Aubenas (dans Libération ou dans Le Nouvel Obs) et parle dans les grandes largeurs de son dernier livre, Le Quai de Ouistreham (éd. de l’Olivier), pourquoi pas… Mais lorsque l’étudiant n’a pas lu l’ouvrage – sauf les bonnes feuilles parues dans la presse, permettez-moi de douter de sa réelle motivation, sinon de sa vocation.

Curieux, mais encore

Quant à expliquer ses velléités à devenir journaliste par l’envie d’écrire/de voyager/la curiosité, c’est non seulement bigrement convenu mais aussi un peu inquiétant. Car cela traduit parfois une méconnaissance totale de la réalité du métier auquel les candidats se destinent. Vous pourrez me rétorquer que nous demandons beaucoup à ces futurs étudiants: avoir un très bon niveau académique, connaître l’actualité, avoir fait des stages dans des rédactions si possible, connaître un peu l’économie et l’état du secteur, etc. Mais ces informations (coût d’un reportage à l’étranger, nombre de plans sociaux mis en œuvre dans la presse écrite française, ou du nombre de journaux américains ayant mis la clé sous la porte depuis le début de la crise financière), disponibles un peu partout désormais, sont censées faire partie du bagage du futur recruté et la base de sa curiosité supposée.

En racontant à deux professeurs de l’école de journalisme les réponses de certains candidats (pas tous, heureusement!) lors des entretiens d’admission, l’un s’est inquiété de l’uniformisation des esprits: «Pauvres futurs consommateurs de médias que nous sommes s’ils veulent tous faire du France Inter mixé à du Le Monde!». Et le second a pensé: «S’ils parlent de consommation de médias comme d’un geste du matin, et de la pause télé le soir, c’est peut-être parce qu’ils n’ont pas conscience qu’ils consomment des infos en dehors des moments “consacrés”, à tout moment de la journée sur le Net, en se connectant sur Facebook ou en cliquant sur un lien sur Google.» Encore plus inquiétant?

Alice Antheaume

Professionnels, étudiants, simple curieux, à votre tour de donner votre point de vue…

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Le journalisme lol, mode d’emploi

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Vincent Glad, journaliste, qui écrit sur Slate.fr et sur bienbienbien.net.

Journaliste lol, c’est devenu un vrai métier? Pour répondre à cette question, il faut bien faire l’effort d’essayer de définir le concept, sur lequel personne ne s’est jamais penché dans un lignage supérieur à 140 caractères. Étant entendu que le lol représente le rire en général sur Internet, et plus particulièrement une certaine élite de l’humour sur Internet.

Il y a une première définition. Est journaliste lol celui qui est journaliste et qui fait du lol sur Twitter. C’est une spécificité toute française: les journalistes les plus connus sur le réseau sont des jeunes issus des rédactions Web qui balancent du lol 24h/24 avec parfois quelques inserts plus sérieux, notamment quand il y a du breaking news. C’est le modèle Alex Hervaud du nom de ce journaliste loleur d’ecrans.fr qui tweete toujours les mêmes blagues que quand il n’était pas encore journaliste et qu’il plafonnait à 30 followers. Aux Etats-Unis, les journalistes tweetent sérieusement. En France, un journaliste ne peut tweeter trop sérieusement, sous peine d’être vieux. La tyrannie des jeunes l’a emporté, le journalisme Twitter français est de fait un journalisme lol.

Mais le journalisme Twitter n’est pas la grandeur du journalisme lol. C’est la deuxième définition qui est la plus intéressante. Le journalisme lol consiste à maintenir un niveau de lol constant dans les articles. Expliquons-nous. Quand il traitera la crise grecque, le journaliste lol essaiera d’intéresser son lecteur en prenant un angle marrant mais signifiant, comme par exemple le fisc grec qui a découvert sur Google Earth qu’il y avait 16.976 piscines dans un quartier huppé d’Athènes pour seulement… 324 de déclarées. A contrario, le journaliste lol traitera avec un grand esprit de sérieux les sujets les plus bas-de-gamme, comme par exemple Zahia que j’avais couvert pour Slate sous l’angle de l’obus médiatique en ne laissant pas transparaître un sourire tout au long des 8.000 signes de l’article.

Un petit graphique pour essayer de mieux comprendre: le journalisme lol s’applique à rester sur la «fail», équilibre instable entre le journalisme bas-de-gamme et le journalisme sérieux. Plus un sujet est sérieux, moins l’angle choisi le sera. Inversement, plus le sujet est bas-de-gamme, plus il nécessite une orfèvrerie de l’angle. Les deux exemples cités plus haut – la crise grecque et Zahia – sont matérialisés par des étoiles.

Crédit: DR/Vincent Glad

Crédit: DR/Vincent Glad

(le graphique est moche, c’est pas pour faire “lol”, c’est juste que je ne sais pas me servir d’un illustrateur)

Les Américains y ont un peu réfléchi et ont inventé le concept de «meta-enabling», terme qui n’a pas franchement fait florès mais dont la définition est intéressante pour essayer de comprendre notre journalisme lol à la française. Dans une série de tweets restés mémorables, Andrew Golis, éditeur chez Yahoo! News et ancien éditeur adjoint de Talking Points Memo, lançait le concept:

Aux Etats-Unis, l’équation du journalisme lol est donc posée en termes économiques. Sur Internet, l’opération consistant à devoir cliquer pour lire un contenu tend nécessairement à favoriser les contenus bas-de-gamme. L’homme est ainsi fait qu’il cliquera toujours plutôt sur du sexe, du lol et du «fail» plutôt que sur de la politique ou de l’économie. Sachant que les contenus les plus sérieux sont en général peu lus, il n’est pas illogique de tenter de rendre plus intelligents les contenus a priori bas-de-gamme, ceux qui seront cliqués. Andrew Golis estime en outre que le «meta-enabling» permet de faire du clic tout en maintenant des tarifs publicitaires élevés puisque l’annonceur jugera que le contenu est néanmoins qualitatif.

Pour résumer le point de vue américain, le journaliste lol fait du racolage, mais il le fait bien, se plaçant ainsi sous le haut patronage de Zahia qui déclarait “je ne suis pas une prostituée, mais une escort-girl”. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que les journalistes de Gawker, référence du «meta-enabling», sont payés en partie au nombre de clics sur leurs articles.

Au-delà de ce point de vue cynique (qui est celui des rédacteurs en chef), le journaliste lol ne doit pas écrire pour faire des scores dans les statistiques mais plutôt pour flatter ses propres instincts de “digital native”. Le Keyboard Cat le fascine? Qu’il en fasse un article de 5.000 signes. Il a la vague impression que YouPorn est le TF1 du porn? Qu’il enquête dessus. Il trouve que le langage Skyblog a ses poètes? Qu’il les glorifie dans un long article. Il sent que la tecktonik est morte? Qu’il aille en reportage au Metropolis. La reconquête d’un lectorat jeune (objectif central de la presse actuellement) passe certainement par un élargissement du spectre des sujets dits “sérieux”. Les digital natives ont tous le même père, Internet. Ils devraient pouvoir se comprendre.

On peut esquisser une troisième définition. Le journalisme lol est un journalisme qui pourra parfois s’attacher davantage aux représentations qu’à la vérité. La proposition est évidemment choquante: la première ligne de la Déclaration de Munich des devoirs des journalistes stipule que la profession doit avant tout “respecter la vérité”. Pourtant, le journaliste peut aussi, dans certaines conditions spécifiques, considérer la vérité comme un sujet secondaire et constater que là n’est pas l’essentiel.

Internet est une machine à créer de la culture en permanence. Pour garder sa mission d’”historien du présent”, le journaliste Web doit parfois faire le récit en direct de la création d’une idole pop, d’une «mémisation» d’une personne ou d’un fait d’actualité, y compris si l’emballement d’Internet repose sur une vérité factuelle douteuse. Le meilleur exemple est celui du monstre de Montauk, une bête informe échouée sur une plage de Long Island en juillet 2008. Le Web s’était perdu en conjectures mais impossible de savoir s’il s’agissait d’un chien, d’un ragondin, d’un raton-laveur ou d’un «fake». Que peut faire le journaliste lol face à une telle histoire? Il doit considérer qu’en l’espèce, la vérité est annexe et peu intéressante journalistiquement, seule compte la chronique de la création d’une idole, l’ajout à la culture pop de cette incroyable photo d’une bête échouée.

La plupart des journalistes Web partagent cette vision de l’information sans même le savoir. On le voit dans la multiplication des articles titrés “[un fait d’actualité] enflamme le Web”. En voici quelques exemples: sur Zahia, sur la main de Thierry Henry ou sur le coup de boule de Zidane. Ces papiers ne s’attachent pas tant à la vérité qu’à sa représentation sur Internet, à l’énergie créative libérée par l’élément d’actualité.

Cette forme de journalisme comporte évidemment un risque. Il ne faut le pratiquer que quand la question de la vérité est secondaire, comme pour le monstre de Montauk ou pour la main de Thierry Henry (où la vérité est réglée d’emblée, oui, il a touché le ballon de la main). Mais dans le cas de Zahia, le journalisme lol a dérapé avec plusieurs articles qui décrivaient l’”emballement” du Web en postant des photos de son Facebook ou la vidéo de sa prestation chez NRJ12, alors que personne n’était certain qu’il s’agissait bien d’elle, et que d’évidentes questions de vie privée se posaient.

Cet intérêt qu’ont les journalistes Web pour les mèmes doit pouvoir aboutir à une nouvelle forme de journalisme culturel qui applique le canevas traditionnel de la critique culturelle à des contenus Internet. On devrait pouvoir critiquer une vidéo YouTube avec la même application qu’un film dans Les Inrocks. Il est maintenant évident qu’il existe une “culture Web” bien circonscrite (avec ses «chefs d’oeuvre» comme les lolcats), il devient donc possible de placer une oeuvre Internet dans une lignée culturelle et de disserter sur ses références.

Cet article a été publié sur Bienbienbien.net.

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Liens du jour #31

Le site du Times passe au payant et… se passe de Google (Etreintes digitales, blog du Figaro.fr)

L’Associated Press du XXIe siècle s’appelle Publish2 News Exchange, une plate-forme d’échange de contenus journalistiques (Publish2blog)

Nos vies gérées par les données (Internet Actu)

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Liens du jour #30

Comment Bill Keller, le rédacteur en chef du New York Times, compte faire payer des contenus en ligne dès janvier (Venture Beat)

Les 200 moments qui ont transformé le journalisme? A voir sur ce graphique (Poynter)

Coup de colère à Bloomberg: le rédacteur en chef juge les tweets de certains de ses journalistes trop “éditorialisants” et compromettants pour l’intégrité du titre (The Biz Blog, un blog de Forbes)

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Like ou pas?

Facebook a inondé le Web de ses outils «sociaux». Parmi ceux-ci, un petit rectangulaire de quelques pixels bleus est apparu sur la Toile, avec un pouce levé vers le ciel et cette mention, «j’aime». Ce bouton «like», une petite bombe numérique, va probablement modifier les pratiques des internautes en général, et des journalistes en particulier. Liste des premières impressions après trois semaines d’utilisation.

  • Au pays des Bisounours

Les sites Web sont désormais constellés de «j’aime». Une semaine après l’apparition de ces outils sociaux sur Facebook, 50.000 sites les avaient déjà intégré à leur système; aujourd’hui, on en compte plus de 100.000 selon les chiffres cités par Allfacebook.com. En outre, près d’un milliard de «j’aime» est enregistré chaque jour sur les serveurs de Facebook. En revanche, aucun bouton pour dire «je n’aime pas».

Pour tous les journalistes qui ont vu l’essor des commentaires – souvent acerbes – et votes assassins sous leurs articles, c’est déroutant. Comme si, désormais, tous les lecteurs ne pouvaient que vivre dans l’amour des contenus proposés. Et si, a contrario, ils n’aiment pas les articles? Ils ne peuvent cliquer nulle part pour le dire, sinon à laisser, comme jusqu’alors, un bon vieux commentaire sous l’article concerné. Facebook a bien prévu un bouton «dislike» sur les pages de son réseau social, mais il ne s’exporte pas.

  • Décalage

«Quand la police a découvert une bombe dans une voiture à Times Square, à New York, c’était très étrange de voir plein de gens “liker” les différents articles sur le sujet qui apparaissaient dans ma timeline», raconte Cécile Dehesdin, étudiante à l’école de journalisme de la Columbia, aux Etats-Unis, et auteure du Médialab de Cécile. De fait, les mots bombe, attentat, terrorisme, ne font pas partie du champ sémantique de «j’aime». Cette distorsion entre faits parfois graves et réactions est un problème pour nombre d’éditeurs, comme le souligne Jennifer Martin, directrice des relations publiques pour CNN Worldwide, pour qui il est très compliqué de voir des utilisateurs dire qu’ils «aiment» un article qui parle d’un fait tragique ou d’un sujet polémique. Ils ont alors préféré utiliser le bouton «recommander», qui tient plus du registre intellectuel, plutôt que le bouton «like», qui fait référence à du sentiment.

Conséquence ou pas? Pour l’instant, en France, rares sont les sites à avoir pour l’instant intégré le «like»à ses pages, sauf lepost.fr et ecrans.fr. Sur lefigaro.fr, on trouve en bas de chaque article un bouton «j’aime» mais il fait partie de la plate-forme communautaire du Figaro, il n’est pas relié à Facebook. (1)

Est-ce qu’un internaute clique sur «j’aime» pour dire qu’il aime le contenu ou qu’il aime l’article? C’est une question de journaliste plutôt que d’internaute, pense Marie-Amélie Putallaz, journaliste animatrice de communautés à lexpress.fr. Avant de se raviser: sur lepost.fr, plusieurs lecteurs se sont émus que l’on puisse cliquer sur«j’aime» sous un article parlant d’un viol collectif. «Le bouton “like” représentait dans ce cas une énorme source de confusion, m’explique Aude Baron, journaliste à lepost.fr. Qu’est-ce que cela voulait dire? J’aime le viol? Ou j’aime cet article? La formule peut mettre très mal à l’aise.»

  • Du participatif en toute facilité

Beaucoup estiment que le bouton «like» encourage la participation des internautes sur les sites Web d’infos. Car un clic pour «liker» prend une demi-seconde quand l’identification sur un site Web d’info pour commenter, puis la rédaction de ce commentaire nécessite beaucoup plus de temps. Et d’engagement, donc. A ce titre, le bouton «like» est ultra efficace. Et peut faire réagir des internautes qui, jusque là, n’interagissaient pas avec les contenus – ou n’étaient pas inscrits sur les sites d’infos. «On demande aux internautes de s’inscrire pour commenter, mais ils peuvent toujours le faire sous pseudo. Alors que pour dire “j’aime” via le bouton, ils donnent leur vrai nom, tels qu’ils se sont inscrits sur Facebook, reprend Aude Baron. Cela va casser le principe d’anonymat.» Même avis de Marie-Amélie Putallaz: «Tout le monde n’a pas forcément envie d’apparaître sur un site d’info avec son identité réelle. Par ailleurs, je ne suis pas sûre que ce seront les mêmes catégories d’internautes qui commenteront, voteront ou cliqueront sur “j’aime”.»

Néanmoins, soyons clair: si l’absence de commentaire est le degré 0 du participatif, et que le commentaire est le niveau 1, le «like» est le degré 0,5 de l’apport d’un internaute. Un apport quantitatif (tant de personnes ont vu et aimé cet article), mais nullement qualitatif (l’internaute n’apporte pas d’informations supplémentaires pour enrichir le contenu).

  • Chemin de lecture

Autre point non négligeable, relevé par Jonathan Dube (ABCnews.com), cité par Poynter: depuis l’intégration des outils sociaux de Facebook sur son site, il a vu une augmentation de 250% des citations des contenus d’ABCnews sur Facebook. En mars, juste avant que n’apparaisse les outils sociaux de Facebook, le réseau social aux 450 millions d’inscrits générait déjà du trafic sur les sites d’infos – en France, en moyenne, pour un site français d’actualité, Facebook générait près d’une visite sur 100 toutes sources confondues.

Et maintenant? «Nous préparons l’intégration du bouton “like” dans les pages de lexpress.fr, mais l’apport de trafic n’est pas notre intérêt premier, me confie Marie-Amélie Putallaz. Même si Facebook apporte du trafic, ce volume reste pour l’instant infiniment moindre qu’un article bien placé sur Google News, ou d’un mot-clé bien référencé sur Google. Pour Marie-Amélie Putallaz, l’intérêt, c’est le principe de recommandation. C’est-à-dire «le chemin qu’empruntent les internautes pour lire les articles. A terme, plutôt que de regarder les trois titres de la tête de “home page” d’un site d’info, je vais regarder les trois articles que mes amis ont lus.»

Le phénomène n’est pas nouveau: Facebook avait déjà commencé à s’immiscer dans notre façon de consommer de l’actu. Mais il  confirme la décrue des entrées par la page d’accueil au profit de chemins annexes, notamment via les réseaux sociaux. D’autant que les publicitaires le savent bien: les internautes cliquent d’autant plus facilement sur un lien qu’il est envoyé par un ami. «En voyant instantanément quels articles sont populaires auprès de leurs amis, les utilisateurs sont plus disposés à passer du temps sur ces contenus – et le temps passé sur des sites Web est très prisé par les annonceurs, bien plus que le nombre de pages vues» ou de visiteurs uniques, souligne le site Social Beat.

  • «Like» = LOL

Pour Philippe Berry, journaliste high-tech à 20minutes.fr, il n’est pas dit que le bouton «like» soit aussi percutant que l’on veut bien le dire. «Sur les sujets très technophiles, comme sur Techcrunch, les internautes interagissent davantage en retweetant les articles qu’en likant les articles sur Facebook». Même avis de sa collègue Charlotte Pudlowski, qui se demande «si ça ne va pas encourager les journalistes Web à faire encore plus de LOL, puisque ce sont le plus souvent ces articles-là (vidéos, buzz, petites phrases, ndlr) qui sont “likés”, plutôt que les analyses de géopolitique compliquées».

  • La fin du journalisme de lien?

Dernier point – et non le moindre. Et si le bouton «like» poussait les journalistes et éditeurs à écrire les articles différemment? C’est la question que pose CNN, sous le titre «Le cauchemar de Google: que les like remplacent les liens». Petit rappel: Google indexe les contenus en fonction du nombre de liens qui pointent vers ce contenu, et en fonction du nombre de liens que contient ce contenu. Un système sur lequel ont travaillé tous les sites Web d’infos pour être le mieux référencés possible dans le moteur de recherche. «Facebook parle des “like” comme de liens sociaux – mieux qu’un lien car c’est lié à un utilisateur spécifique, explique Pete Cashmore, le patron de Mashable. Si l’usage des boutons “like” décolle, c’est vraiment une très mauvaise nouvelle pour Google, puisque son algorithme utilise les liens entre les sites pour déterminer leur place dans son indexation». Pete Cashmore va plus loin: Google et les autres moteurs de recherche n’ayant pas accès à tous les «like», la société la mieux positionnée pour indexer le Web pourrait être… Facebook».

Conséquence pour les éditeurs de sites Web: si Facebook dicte les prochaines règles de référencement, plutôt que Google, tout sera à refaire, en terme de développement éditorial et de SEO.

(1) la fonction existait sur la partie magazine Slate.fr avant d’être désactivée pour des raisons techniques. Elle devrait revenir bientôt.

Le bouton «like» change-t-il votre façon d’interagir avec les contenus? Si oui, comment?

Alice Antheaume

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Liens du jour #29

C’est officiel: les téléphones servent de moins en moins à téléphoner, mais de plus en plus à agréger des données (New York Times)

Y a-t-il une vie après Facebook? (Bits)

Entre public et privé, la nouvelle guerre des médias sur le Net (AFP-Mediawatch)

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Liens du jour #28

Un journaliste n’est pas un homme politique… et vice-versa (The Nation/NPR)

Les journalistes doivent-ils penser comme des développeurs? Oui. Et non. (Currybet.net)

L’évolution de la vie privée sur Facebook depuis 2005 sur ce graphique (Accessoweb)

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Entre tirs et censure, des photos de guerre

Crédit: Michael Kamber

Crédit: Michael Kamber

«C’est très dur de faire une bonne photo d’une fusillade», dit Michael Kamber, photojournaliste pour le New York Times. «Sur place, on entend des tirs, on voit les gens courir dans tous les sens, mais c’est rare que cela donne quelque chose en image.» Le journaliste américain, 47 ans, était en master class ce jeudi à l’école de journalisme de Sciences Po. Son métier? Faire des photos en temps de guerre. Pakistan, Libéria, Nigeria, Soudan, Somalie, Darfour, Côte-d’Ivoire, et… Irak. «Le Moyen-Orient est l’une des zones les plus difficiles à couvrir», souligne-t-il. «Je ne le savais pas au départ, j’ai vite compris».

  • La mort

Michael Kamber «deale» avec la mort au quotidien. «Quand j’étais “embed” (embarqué, ndlr) dans l’armée américaine en Irak, je mangeais, dormais, vivais avec trois soldats, se souvient Michael Kamber. L’un est mort au combat, le deuxième s’est suicidé, le troisième a été blessé et rapatrié». Des photos de blessés, Michael Kamber en a fait des «centaines». La peur, il connaît. «Quand on n’a plus peur, on prend trop de risques.»

  • «Embed» ou pas?

«Quand je suis arrivé pour la première fois en Irak, en 2003, après l’invasion, j’ai d’abord cru que j’avais raté la guerre, que tout était terminé. Je pouvais travailler dans la rue, aller à droite et à gauche, sans signer aucun papier ni avoir besoin d’autorisation.» Six mois plus tard, les conditions de travail n’ont plus rien à voir: «soudain, il y a eu des gardes partout, des fusils à profusion». Puis, en 2007, impossible pour un journaliste d’aller dans les rues de Bagdad. «Quand on ne peut plus faire de reportage dans la rue, on ne peut plus couvrir correctement la guerre», dit le photojournaliste américain. Seule option désormais: être «embed» dans l’armée américaine. Ce qui veut dire rester cloîtré dans la zone verte, un quartier fortifié où se trouvent gouvernement provisoire irakien et ambassades. «C’est comme si j’étais moi-même prisonnier de la guerre, reprend Michael Kamber. Je ne sors que lorsque l’armée l’a décidé, dans un véhicule blindé».

Cela ne lui convient pas, mais c’est cela ou le New York Times ne peut publier aucun reportage envoyé d’Irak. «Je préfère partir sans les organisations. M’habiller en soldat américain quand je suis en reportage avec l’armée américaine, et me déguiser en Irakien quand je suis en reportage avec des Irakiens». Pour le photographe, les conditions de travail en Irak étaient inédites: «quand j’étais au Libéria, c’était l’horreur, mais j’avais libre accès à tout. Les habitants m’attrapaient dans la rue pour me montrer leurs blessures, pour me dire “montrez ça aux gens, il faut qu’ils voient à quel point le sang coule”».

  • Censure

«Si les photos de guerre ne faisaient pas la différence, il n’y aurait pas tant de monde pour m’empêcher de les publier». En Irak, les rares journalistes présents sur place ont la tâche rude. Car il y a des règles imposées aux journalistes «embed» – si ceux-ci ne les respectent pas, ils sont renvoyés et leur journal devient organe de presse non grata dans les zones de guerre. Parmi ces règles, l’interdiction de publier des photos de soldats blessés sans leur autorisation écrite. Problème: comment obtenir la signature quand le soldat en question est dans un état grave et/ou devenu sourd ou aveugle à cause d’une explosion? Pour les photos de soldats morts, c’est paradoxalement plus simple. Il suffit d’attendre que les familles soient au courant du décès de leur fils/mari/frère pour pouvoir publier la photo de celui-ci. Quant aux prisonniers de guerre, autrefois photographiés en masse, ils ne le sont plus, car le ministère de la Défense américain a estimé que ce n’était pas conforme aux droits de l’homme.

Autre règle: ne publier aucun document qui puisse servir d’information à l’ennemi. Une absurdité, selon Michael Kamber, car «toute photo contient des informations». Bref, pour contourner la censure, il faut ruser. La preuve avec ce diaporama.

  • Publication

Quelles photos de guerre publient les éditeurs américains? Là encore, c’est compliqué. Les journalistes de guerre aimeraient publier beaucoup plus de photos, pour montrer le sacrifice humain que font les soldats. Leurs éditeurs sont plus prudents. Contraints par les règles de l’«embed», la plupart veulent aussi éviter que la publication d’une photo «n’ajoute à la peine des proches des soldats blessés ou tués, et ne provoque une surenchère de violence pour leurs camarades restés au combat», racontent Michael Kamber et Tim Arango dans un article publié en juin 2008. Nombreuses sont les photos qui ne peuvent pas passer, comme les photos «trop sanglantes». Il est arrivé, précise Michael Kamber, que le New York Times choisisse néanmoins une photo d’Irak où l’on distingue une flaque de sang. Le site du journal américain l’avait alors publiée en noir et blanc, pour que la couleur du sang saute moins aux yeux des lecteurs.

Parfois, entre la volonté d’un éditeur d’un côté, et la réalité des événements sur place, il y a un gouffre. Michael Kamber se souvient du jour où Saddam Hussein a été capturé, le 13 décembre 2003. «Tous les éditeurs américains voulaient des photos montrant la liesse dans les rues de Bagdad. Sauf que les rues étaient vides. J’ai fini par trouver un Irakien qui tirait des coups de feu en l’air pour montrer sa joie.» C’est cette photo, «attendue par les éditeurs mais qui ne reflétait pas la vérité», qui a été publiée. Car il était impensable, pour un journal, de publier une photo d’une rue vide pour illustrer cet événement.

  • La distance journalistique

«En 2003, la presse américaine était l’agent de Bush, dit Michael Kamber. Ce n’est plus le cas, mais ce n’est pas simple de l’expliquer aux gens que l’on rencontre». Michael Kamber a de la distance, assure-t-il. «Ce n’est pas à moi de dire qui sont les bons et les méchants pendant la guerre, c’est l’Histoire qui le dira». Il a grimacé quand il a appris que ses photos de soldats irakiens avaient été imprimées par l’armée américaine pour servir de cible pendant les entraînements. Fataliste: «Je ne peux rien y faire».

Alice Antheaume

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El Comercio tague à tout va

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Jean-François Fogel, consultant et Professeur associé à Sciences Po, en charge de l’enseignement du numérique à l’école de journalisme.

Le site péruvien d’El Comercio propose depuis un semestre une formule dégagée de toute référence au quotidien imprimé. Une architecture de tags à l’état pur, sans artifices de présentation. Un succès à méditer.

Réussir un site d’information, c’est facile quand on a les idées claires. Un coup d’oeil sur celui du quotidien péruvien El Comercio suffit pour le vérifier. Le succès de sa nouvelle formule est stupéfiant. Il est passé de 2,8 millions de visiteurs uniques, l’été dernier, à 4,3 millions en mars 2010. Son plus plus proche concurrent le talonnait à guère plus de 100.000 visiteurs uniques; cet écart a été multiplié par onze! Et, plus significatif, la durée moyenne des visites a explosé, passant de 3mn 17s à 19mn 49s.

La semaine dernière à Mexico, les responsables du site, Pablo Mancini, son gérant, et Fabricio Torres, son rédacteur en chef, expliquaient leur recette devant les représentants des quotidiens leaders de onze pays d’Amérique Latine rassemblés dans le “Grupo de Diarios de América” (GDA), une association favorisant l’échange des contenus rédactionnels et des expériences. Les réunions du GDA sont des séances compactes mais, pour une fois, tout a failli traîner tant il y avait à décortiquer sur ce site qui ne rappelle en rien le journal imprimé qui lui a donné sa marque (El Comercio est une sorte de “Figaro” du Pérou, avec des cahiers multiples et une quadrichromie abondante proposés à un lectorat aisé).

DR

Crédit: DR

L’architecture de la page d’accueil procède d’une innovation sans réserve avec l’empilage de “solutions” superposées. Aucune logique journalistique, aucun souci de présentation et pas davantage de volonté de construire une hiérarchie journalistique dans cette page; il s’agit d’une boîte d’outils qui servent à empoigner l’information avec de haut en bas:

– un header sur fond jaune invitant à s’inscrire dans la communauté des internautes d’El Comercio, ou à entrer en relation avec le site par téléphone mobile ou RSS.

– une première barre de navigation traitant seulement des principaux thèmes choisis par la rédaction (les prochaines élections, la coupe du monde de football, la gastronomie, etc.).

– un bloc graphique de neuf images qui occupe tout un écran. Chaque image correspond à ce que la rédaction nomme un “canal”, en fait à une page de tag qui l’alimente. Une des neufs images est utilisée pour la publicité ou la promotion.

– une barre de navigation vert pâle consacrée uniquement au football (au Pérou, en Italie, en Espagne, etc.)

– une barre de navigation rouge permettant de naviguer parmi des tags groupés selon des catégories classiques (économie, technologie, spectacles, etc.) avec au total une formidable offre d’environ 230 tags.

– Et enfin, un flux de contenus rangés de la façon la plus simple du monde, dans l’ordre anté-chronologique, le dernier publié ou mis à jour venant en tête.

Le site d’El Comercio ne fait pas mine d’avoir des rubriques ou d’afficher des titres à la façon d’un média imprimé. Hormis les neuf images de son premier écran sur la page d’accueil et ses barres de navigation, il ne connaît que le tag et le flux. Pas de sujets “magazine”, pas de pseudo processus d’édition, seule la mécanique des tags est à l’ouvrage pour servir l’information et la ranger de façon dynamique. Les quelques thèmes sur lesquels la rédaction a décidé de s’investir se trouvent dans la barre de navigation la plus haute, ce sont donc des paris joués de façon durable. Il suffit de cliquer sur l’un des onglets de cette barre pour voir que toute la page d’accueil change avec le même déferlement automatisé de tags, de barres de navigation et de flux traitant d’un seul thème. Chaque page de tag se plie à la même logique: offre de flux puis offre de tags. La page de contenu propose de même un article au-dessus de listes de tags avec pour seule frontière l’empilement des commentaires.

Interrogé sur l’explication de la croissance de leur machine à taguer, les deux responsables répondent en citant les trois seules obligations de leur politique rédactionnelle: tout contenu doit inclure au moins un lien; tous les titres doivent être écrits en utilisant des mots-clés ; tout ce qui existe d’intéressant dans les autres médias péruviens doit être repris au moins dans un lien. Réseau, référencement, agrégation: c’est simple comme le web.

Le plus étonnant est que le site fonctionne sans moteur sémantique pour générer les tags. A chaque production d’un contenu, les journalistes doivent ajouter des tags qui appartiennent à trois catégories: évènement, thème, personnalité. “Je travaille avec eux pour éviter que la rédaction des tags ne soit trop dispersée, dit Fabricio Torres. Ecrire un tag est encore plus important qu’écrire un article car si on le fait mal, l’audience ne verra jamais ce qui a été produit.” Grâce à ce souci rédactionnel de bien étiqueter les contenus, il n’existe que 32.000 tags après six mois de fonctionnement, un petit chiffre quand on connaît la dynamique explosive de cette génération d’étiquettes.

Last but not least, le site propose aux internautes l’accès à tous les codes et toutes les applications qu’il a développés. A la question: à quoi ressemble un site d’information bâti comme si la presse n’avait jamais existé auparavant?, on peut répondre El Comercio.

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Qui es-tu, visiteur unique?

Crédit: Flickr/CC/Brennan Moore

Crédit: Flickr/CC/Brennan Moore

Le terme «visiteur unique» est un faux ami. Car le visiteur unique (VU) n’est pas vraiment unique. Cette unité de mesure de l’audience, graal des sites Web pour le marché publicitaire, désigne un «individu qui a cliqué sur le contenu d’un site au moins une fois pendant la période mesurée (généralement un mois, ndlr)», m’explique Berit Block, analyste européen pour l’institut Comscore, qui évalue le trafic des sites Web. Alors pourquoi s’appelle-t-il unique? «Parce plusieurs clics faits par une même personne n’augmente pas le nombre de visiteurs uniques».

Rien compris? Je reprends. Un visiteur unique sera compté une seule fois même s’il surfe deux fois sur le même site dans la journée, la semaine ou le mois. Mesurer le nombre de VU, c’est le travail que fournissent plusieurs instituts de mesure de l’audience en ligne, comme Médiamétrie/Nielsen Net Ratings, Comscore ou At Internet (anciennement Xiti), voire Google Analytics. Pour ce faire, soit ils projettent ce que fait leur panel d’internautes sur la population internaute globale (on parle alors de «user centric», de mesure centrée sur l’utilisateur) soit ils repèrent par des tags mis dans les pages des sites mesurés les mouvements de leur audience (on parle alors de «site centric», de mesure centrée sur le site, moins précise pour connaître l’utilisateur).

>> A ce stade de l’article, j’ai peut-être perdu du monde. Accrochez-vous, c’est maintenant que ça devient concret >>

Sur plus de 35 millions d’internautes en France que compte Médiamétrie, 22,7 millions d’internautes (2 sur 3) ont surfé, en mars 2010, sur un site d’info au moins — un site d’info peut être un agrégateur (Google actualités, Yahoo! actualités), le site d’un journal imprimé (lemonde.fr, liberation.fr, leparisien.fr, lefigaro.fr), un pure player (mediapart.fr, lepost.fr, slate.fr), ou la rubrique «actualités» d’un site de radio ou télé (europe1.fr, TF1 news, France 24).

Mais qui est le visiteur unique moyen des sites d’informations français? La question est simple, la réponse complexe, car selon les instituts de mesure d’audience, les chiffres ne sont pas les mêmes. A la fois sur le profil socio-démographique des internautes et sur leur comportement en ligne. La faute à des méthodologies et/OU des panels d’internautes différents (voir plus haut, pour les débats sur le sujet, voir ici). Mais avançons.

43 minutes par mois

«Le visiteur unique type d’un site d’informations, en France, a un peu plus de 55 ans, répond pourtant Berit Block, de Comscore. Aucun indicateur ne montre qu’il serait plutôt de sexe masculin ou de sexe féminin. La plupart des visiteurs uniques du Monde.fr ont entre 45 et 55 ans, voire plus de 55 ans. Mêmes catégories d’âge pour leparisien.fr et pour lefigaro.fr. Quant à Liberation.fr et Slate.fr, ils ont, eux, la majorité de leurs internautes dans la catégorie des 25-34 ans.»

Allons voir chez Médiamétrie maintenant. En moyenne, chaque visiteur ayant surfé sur un ou plusieurs site(s) d’actualité au mois de mars 2010 y a passé 43 minutes. Voilà pour l’ensemble. Si l’on rentre dans les catégories (pure players, sites de presse, etc.), cela donne le tableau ci-dessous.

Segments de la sous-catégorie Actualités

Audience (000)

Temps par personne

Sites de presse

17 210

00:31:41

Pure players / Web informations

6 814

00:08:59

Rubrique news des chaînes TV / Radio

8 450

00:09:58

Rubrique news des portails / Agrégateurs

15 984

00:18:05

TOTAL

22 720

00:43:07

Source: Médiamétrie mars 2010

Toujours selon Médiamétrie, les internautes de catégorie socioprofessionnelle supérieure «surconsomment» les pure players. «Les CSP+ représentent 37,1% de ces sites» alors qu’ils ne forment que 26,4% de la population internet globale. Mais sur l’information, cela ne veut pas dire grand chose: «Les jeunes de milieu défavorisé, personne ne sait où ils sont, dit un connaisseur. Ils semblent ne se connecter à aucun site d’info.

Boulimique et volatile

Autre enseignement: le VU français est gourmand — d’après Comscore, la population d’internautes a augmenté de 13% en France depuis un an, le nombre de VU sur les sites des titres de presse a augmenté plus vite, avec une moyenne de 30% d’augmentation — et, surtout, volage. Il y a un assez fort taux de duplication entre les VU des différents sites Web d’infos. Ils sont par exemple 2 millions par mois, selon les chiffres de Comscore, à aller à la fois sur lemonde.fr (6,9 millions de VU en mars) et sur lefigaro.fr (4,1 millions de VU). Côté Médiamétrie, on compte 5,9 millions d’internautes qui se sont rendus non seulement sur (au moins) un site de journal mais aussi sur (au moins) un pure player dans le même mois. «La plupart des VU consomme trois ou quatre sites d’informations par mois», reprend Julien Jacob, consultant.

Parmi les 17,2 millions de visiteurs de sites de journaux (une catégorie des sites d’infos) comptabilisés par Médiamétrie, seuls 20,6% d’entre eux ont uniquement visité ces sites de journaux, et ne sont allés ni sur les portails et agrégateurs (Google, Yahoo!…), ni sur les pure players, ni sur les rubriques «news» des chaînes TV/Radio, relève Estelle Duval, directrice du développement de Médiamétrie/Netratings.

Peu de visiteurs exclusifs

«La duplication des visiteurs sur les différents sites d’actualité est terrifiante et c’est aussi une formidable opportunité pour les sites Web d’infos de se refaire un style, une marque, un ton». Car ces statistiques ne servent pas qu’à appâter les annonceurs pour qu’ils achètent de la pub en fonction de la cible qu’ils visent. «En plus d’être une mesure pour le marché publicitaire, le VU est une mesure éditoriale, souligne Estelle Duval. Cela permet de mieux penser les rubriques d’un site, de savoir d’où vient le trafic, en accès direct sur la page d’accueil ou par moteur de recherche, par exemple, et qui sont les lecteurs».

Sans dire qu’il faille concevoir des contenus en fonction de ces chiffres, ceux-ci peuvent s’avérer très utiles pour piloter les sites d’infos. En regardant de près ces statistiques, «on découvre souvent le contraire de ce que l’on croyait savoir de son audience, s’amuse Julien Jacob. Il y a un vrai décalage entre le positionnement éditorial d’un média et sa perception par le public.» C’est bien ce qu’avaient expérimenté les fondateurs du Post.fr, au lancement du site en septembre 2007. Tout avait été alors conçu pour s’adresser à un public très jeune, celui que sa filiale lemonde.fr ne parvenait pas à toucher. Olivier Lendresse, responsable du développement d’alors, s’en souvient encore: «Quatre mois après, sont arrivées les premières études sur l’audience, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas du tout affaire au public que l’on croyait. L’audience n’était ni jeune ni homogène. Non, on avait une multitude d’audiences de niche». Un constat qui calme ceux qui croient avoir construit une signature éditoriale unique sur leur site Web. La cause de ce taux de duplication? Probablement l’uniformisation des contenus sur les divers sites d’infos.

Cherche visiteur engagé

Désormais, avoir un grand nombre de visiteurs uniques infidèles, impersonnels et zappeurs — souvent venus via une requête dans un moteur de recherche, n’est plus une fin en soi pour les sites d’information. Il s’agit désormais de transformer ce VU en visiteur régulier et impliqué, qui se connecte souvent et le plus longtemps possible: après le «bigger is better», valse à trois temps entre éditeurs, mesureurs et annonceurs, voici venu le temps du «small is beautiful».

Alice Antheaume

Quel type de visiteur unique de site d’infos êtes-vous? A vous de raconter vos pratiques dans les commentaires…

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