Twittergate coréen

“Moon Jae-in s’interroge sur la contribution de Park Geun-hye à la démocratie en Corée du Sud, mais qu’est-ce qu’il a fait pour la démocratie lui ? A part nommer ses gauchistes d’amis lorsqu’il était à la Maison Bleue (ndlr: Palais Présidentiel), et affirmer que le sympathisant de la Corée du Nord Lee Suk-ki était un militant pour la démocratie?”

Voici un exemple parmi d’autres, de tweet publié à quelques semaines de l’élection présidentielle par les supporters de Park Geun-hye, contre son principal adversaire Moon Jae-in. Rien d’étonnant qu’à l’approche de cette échéance cruciale, les militants forcent le trait et l’agressivité, surtout sur Twitter, où il s’agit de rester concis et percutant. Et qui sait? L’auteur de ce tweet se dit peut-être que son activisme sur les réseaux sociaux a modestement contribué à la victoire de son camp conservateur, vu que Park Geun-hye est aujourd’hui Présidente, après une victoire d’un million de voies d’écart environ contre Moon Jae-in, le candidat de centre-gauche.

Nous serions donc tentés de tirer un coup de chapeau au zèle de notre militant, et nous lui présentons toutes nos excuses par avance s’il s’avère qu’il l’est effectivement, mais aujourd’hui, rien ne permet de l’assurer. Parce qu’en fait de militant, il pourrait s’agir d’un agent, voire d’un logiciel de la NIS, c’est à dire des services secrets sud-coréens, agissant sous les ordres de sa hiérarchie dans le cadre d’une opération visant à déstabiliser l’opposition de centre-gauche.

 

Des millions de tweets orchestrés par les services secrets ?

Tout débute il y’a un an, lorsqu’à l’approche de l’élection présidentielle et alors que la campagne bat son plein, des membres de l’opposition ainsi que des représentants de la Commission chargée de superviser le bon déroulement des élections, se rendent au bureau d’une agente de la NIS pour l’interroger sur des soupçons de manoeuvres électorales frauduleuses. En vain, car la fonctionnaire se calfeutrera durant 43 heures dans son bureau, refusant de recevoir la délégation et répondre à leurs questions. Attitude quelque peu suspecte, mais à trois jours des élections, l’enquête de police conclura à l’absence d’éléments probants pouvant établir une quelconque interférence de la NIS dans le bon déroulement des élections, ce qui permettra au camp de Park de dénoncer le harcèlement par l’opposition d’une honnête fonctionnaire au service de la sécurité nationale.

L’affaire rebondit après les élections, lorsqu’un fonctionnaire de police révèle que sa hiérarchie lui aurait demandé de retenir certains éléments d’enquête afin de couvrir la NIS. L’enquête est alors réouverte et les premières conclusions en juin dernier révèlent que plus d’un millier de tweets auraient bien été envoyés par la NIS dans le cadre d’une campagne de dénigrement des candidats de l’opposition. Le chef de la NIS durant les faits Won Sei-hoon, ainsi que le chef de la Police de Séoul soupçonné d’avoir fait entrave à la première enquête, sont alors mis en examen.

Won nie les faits et soutient que les publications de la NIS dans les réseaux sociaux font partie des opérations normales de cyberguerre contre la Corée du Nord. Le parti au pouvoir tente également de minimiser les faits, leur impact sur l’issue des élections et surtout de faire valoir que si elle était avérée, cette opération serait circonscrite à la NIS seule, avec éventuellement quelques liens indirects au sein de l’administration précédente, mais sans rapport aucun avec le pouvoir actuel. Bien entendu, les opposants à Park n’y croient pas un seul instant et se mobilisent sur les réseaux sociaux et dans la rue par des rassemblements organisés tous les weekends, notamment sur la place de la mairie de Séoul, tandis que la quasi-totalité des médias, dont l’allégeance au camp conservateur est un secret de polichinelle, préfère se désintéresser de cette affaire.

Le problème, c’est que cette affaire continue à prendre de l’ampleur : en octobre dernier, l’enquête révèle qu’en réalité, il ne s’agissait pas d’un millier mais de plus de 55 000 tweets provenant de la NIS et visant à décrédibiliser les candidats de l’opposition, principalement Moon Jae-in et le centriste indépendant Ahn Cheol-su. A peine l’opinion publique avait-elle le temps de digérer l’inflation qu’elle apprenait la semaine dernière, qu’il s’agissait en réalité de plus de 1,2 millions de tweets reprenant quelques 20 000 messages distincts tournant en général autour du thème de la faiblesse, voire de la sympathie des candidats de l’opposition vis-à-vis de la Corée du Nord.

Et il semble peu probable que le compteur s’arrête là vu qu’une enquête parallèle est menée au sein d’un service distinct de la NIS, rattaché au ministère de la défense: la Cyberwarfare Command, unité créée en réponse aux attaques informatiques avérées de la Corée du Nord contre son frère ennemi. D’après un procès verbal d’un responsable de ce service obtenu par un député du parti de l’opposition et révélé lors d’une conférence de presse le 22 novembre dernier, on apprend que l’objectif assigné aux équipes de cet agent à partir de 2010, aurait été la publication en ligne de 20 millions de messages soutenant la politique étrangère du gouvernement sur des sujets nord-coréens tels que les attaques de l’île de Yeonpyong-do et du navire Cheonan ou encore le sommet du G20 tenu à Séoul en 2010. Entre défendre les positions du gouvernement sur ces sujets et critiquer l’opposition qui ne partage pas toujours ces mêmes positions, la frontière semble floue, et l’on se doute que parmi les 23 millions de messages qu’auront publiés les équipes de ce responsable de la Cyberwarfare Command, certains auront enfreint la règle d’impartialité à laquelle un organe d’Etat devrait être tenu.

 

La Corée une nouvelle fois pionnière des usages numériques

Si partout ailleurs il a fallu la campagne d’Obama en 2008 pour réaliser l’importance des médias sociaux sur la politique, la Corée du Sud en est bien consciente depuis la fin du siècle dernier. D’abord parce qu’elle a été pionnière dans le développement et l’usage des technologies numériques : dès 1999, alors que le terme web2.0 n’était pas encore inventé, la Corée avait déjà Cyworld, un réseau social en ligne qui en 2004, au moment où Facebook se lançait à peine, comptait 7 millions de membres en Corée. Aussi parce que dans un contexte où le pluralisme de la presse est quasi-inexistant avec les principaux médias tous pieds et poings liés aux Chaebols et au camp conservateur, la toile a très vite été perçue comme un eldorado pour médias et militants progressistes. En 2002, la victoire aux élections présidentielles de leur candidat Roh Moo-hyun face à celui de l’establishment et du big business est grandement due à la mobilisation des électeurs autour de médias tels que Ohmynews, premier site au monde de journalisme participatif, et à une campagne SMS auprès des jeunes le jour de l’élection, pour qu’ils aillent voter.

Avec l’enquête judiciaire en cours, la Corée défriche une nouvelle fois les problématiques nouvelles que pose le développement des technologies et usages numériques sur l’exercice de la démocratie. Car c’est sûrement la première fois que la justice d’un pays doit se pencher aussi sérieusement, à la demande des élus et sous le regard d’une opinion publique dont une partie croissante se demande si l’expression de la volonté populaire n’a pas été déformée, sur l’impact réel que peuvent avoir les médias sociaux sur le rendez-vous le plus important de la vie démocratique d’un pays : comment un gros millions au moins de messages publiés sur les réseaux sociaux peuvent-ils avoir influé sur une élection nationale d’un pays comptant 40 millions d’électeurs et qui s’est jouée à un million de voies d’écart ? Quel sera le degré de coopération d’une entreprise privée telle que Twitter, agissant en dehors de la compétence territoriale d’une justice coréenne qui doit obtenir l’identité de millions de ses comptes utilisateurs ? Comment évaluer le préjudice que les candidats ciblés par la NIS ont subi lors des élections présidentielles mais qu’ils subiront par la suite également, vu que ces messages défavorables restent accessibles en ligne, sans qu’il soit possible de tous les supprimer ?

 

L’indépendance de la justice en question

Encore faudrait-il, pour que toutes ces questions soient éclaircies par la justice, que celle-ci puisse exercer librement. Or il est permis d’en douter, tant l’Histoire de la Corée du Sud a montré que s’il est une corporation au moins aussi corrompue que sa classe politique, c’est sa magistrature.

Les procureurs jouissent en Corée d’un pouvoir nettement supérieur à celui de leurs homologues français. Sûrement parce que ceux-ci sont pour la plupart passés par la “law school” de l’université nationale de Séoul, qui se trouve également être l’antichambre des futurs dirigeants politiques sud-coréens : un peu comme si en France, l’ENA et l’Ecole Nationale de la magistrature ne faisaient qu’un. Et comme cette law school, avec la business school voisine de cette même université de Séoul, sont également l’une des voies royales vers les postes de direction des Chaebols coréens, les liens d’amitiés entre futurs hommes de loi, hommes de pouvoir, et hommes d’argent, se nouent dans les amphis ou lors des pots qui les suivent, pour se transformer en liens de connivence quelques années plus tard dans l’exercice des fonctions respectives à chacun.

Ajoutez à cela le fait qu’en Corée c’est le procureur qui assume le rôle du juge d’instruction français, menant directement les enquêtes, assisté de policiers qui agissent sous son autorité directe, et vous mesurerez mieux l’étendu du pouvoir dont il dispose, d’autant qu’au regard du niveau de corruption dans la vie politique et économique coréenne, les affaires à traiter ne manquent pas.

D’où un certain sentiment de toute puissance qui par exemple, a poussé il y’a un an un procureur à abuser sexuellement d’une femme soupçonnée de vol dans son bureau. Ou cet autre procureur à accepter vers la même période quelques 600 000 EUR de pot-de-vin, suite à quoi l’un de ses confrères publia un appel à une réforme complète de la magistrature, qu’il s’empressa de compléter par un SMS à l’un de ses amis lui assurant que tout cela n’était que du pipeau destiné à apaiser un peu l’opinion publique… sauf qu’il envoya le SMS en question par mégarde à un journaliste.

Bref, la justice sera-t-elle à la hauteur des enjeux que pose ce “Twitter-gate”? La majorité fait valoir que l’évolution des événements est la preuve-même que l’enquête judiciaire suit son cours de manière indépendante et sereine. Park Geun-hye elle-même semble vouloir adopter une attitude conciliante et lors de son premier discours devant l’Assemblée Nationale le 18 novembre dernier, elle s’engage à prendre toutes les mesures punitives adéquates une fois les décisions de justice connues et demande aux parlementaires de se concentrer sur les projets de loi concernant les enjeux économiques et sociaux auxquels les Coréens sont confrontés le temps que la Justice fasse son travail. Mais l’opposition ne lâche pas prise. Elle ne croit pas à l’indépendances des hommes en charge de l’enquête et demande la nomination d’un procureur spécial en charge de l’intégralité de cette affaire.

C’est vrai qu’il y’a matière à douter : fin octobre, Yun Seok-yeol, le procureur en charge de l’enquête sur la NIS est démis de ses fonctions au motif qu’il n’aurait pas notifié à sa hiérarchie  la perquisition du domicile de quatre agents de la NIS, puis de l’arrestation de trois d’entre-eux. Or cette procédure serait obligatoire dans le cadre de l’arrestation d’agents de la NIS. Lors d’une commission parlementaire, Yun affirme pourtant qu’il aurait informé son supérieur, le procureur en chef de Séoul Cho, de son intention de procéder à ces perquisitions, mais que ce dernier, confronté aux pressions du ministère de la Justice aurait tenté de l’en dissuader. Cho dément bien entendu, affirmant que Yun aurait fait preuve d’insubordination se traduisant par un vice de procédure.

Capture d’écran 2013-11-27 à 23.48.58

Tout ceci se déroule alors qu’un nouveau procureur général vient d’être nommé par Park Geun-hye, alors que ce poste était resté vacant depuis le 30 septembre, suite à la démission du prédécesseur Chae Dong-wook. Ce dernier avait été l’objet d’une rumeur révélée au grand public par le quotidien conservateur Chosun, selon laquelle il serait le père d’un fils issu d’une relation extra-conjugale. La rumeur reste à confirmer mais le sujet est suffisamment grave dans le contexte très puritain imposé par le confucianisme coréen pour qu’il accule Chae à la démission. Bien sûr certaines mauvaises langues interprètent ce scoop du Chosun comme l’orchestration de quelques représailles politiques ou règlements de compte suite au zèle qu’aurait manifesté Chae dans le cadre de l’enquête sur la NIS.

Son remplaçant Kim Jin-tae n’est pas un incompétent, loin de là : il est connu pour avoir mené à bien des enquêtes judiciaires difficiles et fortement médiatisées, portant notamment sur des hommes politiques de haut rang et de tous bords. Mais pour l’opposition, les liens de Kim Jin-tae avec le directeur de cabinet de la Présidente nuisent à la garantie de son indépendance. Les deux hommes s’étaient en effet connu au début des années 90, lorsque Kim était jeune procureur travaillant sous l’autorité de l’actuel directeur de cabinet qui était à l’époque Ministre de la Justice. Epoque où la Corée du Sud était dirigée par Roh Tae-woo, ancien militaire fraîchement converti aux vertus de la démocratie et qui quelques années auparavant, prenait allègrement part aux répressions des militants pour la démocratie, sous prétexte qu’ils étaient des sympathisants de la Corée du Nord. Comme quoi, si les technologies progressent, les vieilles rhétoriques ont la dent dure.

lire le billet

Park Geun-hye, Présidente maternelle

Park Geun-hye, surnommée la “reine des élections” pour en avoir remporté 5 d’affilée, n’aura pas failli à sa réputation. Elle est devenue hier la première femme élue Président de la République de Corée avec 51,6% des suffrages.

Pourtant ses obstacles étaient nombreux et de taille : première femme candidate sérieuse dans une société où la misogynie est ancrée dans les mentalités de tous mâles coréens, y compris dans celles des jeunes ; fille du Général Park Chung-hee, qui régna sur la Corée de 1961 à 1979, qui certes enclencha son décollage économique, mais réprima toute opposition à son régime dans le sang au point que la moitié de l’opinion publique coréenne s’en souvienne aujourd’hui comme d’un dictateur ; enfin, candidate d’un parti au pouvoir de centre droit, le Saenuri, plombé par des affaires de corruption et par une Administration sortante exsangue, battant record d’impopularité sur record d’impopularité.

La victoire de Park est d’abord la défaite de l’opposition, incapable de proposer une alternative crédible aux électeurs coréens. Jusqu’aux dernières semaines précédant les élections, celle-ci fut incapable de s’entendre pour départager Moon Jae-in, candidat du Parti Démocratique Unifié (PDU), principal parti d’opposition de centre gauche, de Ahn Cheol-su, candidat indépendant. Au bout de négociations infructueuses, ce dernier se retira in extremis pour ne pas précipiter une défaite certaine de l’opposition si elle se présentait divisée, mais le mal était déjà fait et malgré quelques timides manifestations de Ahn pour Moon, l’élan de l’opposition était brisé.

Une occasion d’autant plus manquée pour l’opposition que d’un point de vue des programmes, les différences entre les deux partis étaient minimes: même diagnostic sur l’augmentation des inégalités sociales, le déclin démographique, le chômage des jeunes ou la précarité des retraités, même promesse d’un Etat providence renforcé pour y remédier, même volonté de limiter la puissance des Chaebols, ces conglomérats coréens qui jouissent d’une situation d’oligopole sur le marché coréen, même incapacité à proposer une ligne de conduite claire vis-à-vis de la Corée du Nord, etc.

C’est ici qu’apparaît l’une des spécificités du jeu politique coréen. Car à l’exception de la menace de la Corée du Nord, qui paradoxalement ne fait pas partie des préoccupations majeures de l’électorat sud-coréen, la situation de la Corée du Sud est finalement assez comparable à celle de n’importe quel pays industrialisé: une perception de crise économique, l’augmentation des inégalités sociales auxquelles tentent de remédier deux grands partis de gouvernement ayant tour à tour déçu à l’épreuve du pouvoir au cours des 10 dernières années et dont les programmes politiques sont aujourd’hui sensiblement identiques.

Face à un tel cas de figure en France, la tentation d’une partie des électeurs les plus en difficulté serait d’envisager des solutions radicales, d’aller vers les extrêmes. Or cette tentation n’est pas envisageable en Corée: l’extrême gauche ne peut être qu’inexistante dans la mesure où elle est apparentée au frère ennemi du nord, tandis que les thèmes généralement privilégiés par l’extrême droite ne sont pas pertinents dans le contexte coréen: les immigrés ne peuvent pas être la cause principale des maux économiques et sociaux vu leur faible proportion dans la population.

Les élections en Corée se gagnent donc généralement au centre, en fonction de la force de séduction que les deux partis seront capables d’exercer auprès de la catégorie des électeurs sans appartenance politique claire, insensibles aux clivages régionaux très forts en Corée (la Province de Jeolla-do au sud ouest, fief du PDU, a voté à plus de 80% pour Moon, tandis qu’au Gyeongsangbuk-do au sud-est de la péninsule, fief du Saenuri, c’est Park qui l’emporte avec plus de 80% des suffrages), votant tantôt à droite, tantôt à gauche selon leurs préoccupations du moment.

Lors de ces élections cette catégorie des indécis fut elle-même l’objet d’un fort clivage autour de la figure de Park : un clivage de génération. Pour la génération des seniors, celle qui a connu la guerre, la misère et la faim, Park est la fille du père fondateur de la Corée moderne et prospère. Fille d’autant plus méritante et valeureuse qu’à 22ans, alors étudiante en échange à Grenoble, elle dut perdre sa mère, tuée par les balles d’un espion nord-coréen qui visait son mari lors d’une allocution publique ; suite à quoi Park assuma le rôle de Première Dame jusqu’à ce que son père fut à son tour assassiné par le chef de ses propres services secrets.

Pour les jeunes générations, la perception est inverse: Park est la fille d’un général dictateur brutal qui a sali ses mains du sang de patriotes qui ont combattu pour la démocratie en Corée. Moon a d’ailleurs lui-même été emprisonné par le régime de Park-père. Elire sa fille, qui n’a connu que les dorures du pouvoir et n’a aucune idée de la réalité du quotidien difficile du Coréen moyen, serait un anachronisme, une aberration historique, un danger pour la démocratie, voire pour certains une honte nationale.

A bien des égards, l’issue de ces élections dépendait de la capacité de chaque camp à mobiliser sa génération d’électeurs. Et à ce jeu là, Park s’est montrée bien plus adroite que Moon. Elle a d’abord su habilement jouer sur l’héritage de son père : en s’excusant tardivement sur les souffrances causées par le régime de son père mais en se réfugiant derrière l’argument de piété filiale, valeur centrale dans la société confucianiste coréenne, pour ne pas aller trop loin dans la critique, Park a réussi un numéro d’équilibriste consistant à rassurer les uns tout en confortant les autres.

Park a également été redoutable dans l’exploitation de son image de femme: d’abord plutôt silencieuse sur ce sujet afin de limiter les risques auprès d’un électorat généreusement misogyne, elle a finalement trouvé le bon angle pour transformer cette faiblesse potentielle en avantage certain: la figure de la mère coréenne, faite de dévotion, de courage, d’abnégation, et de sacrifice pour la réussite de son mari et son fils ainé. La mère coréenne n’est pas séduisante mais douce, elle n’est pas tentatrice mais apaisante, elle n’est pas dangereuse mais rassurante. Bref Park est mère plus que femme, la mère de tous les Coréens, entièrement dévouée à la Nation, ce qui tombe bien parce qu’elle est célibataire, sans enfant et qu’on ne lui connait aucun compagnon.

lire le billet

Présidentielles en Corée: la dernière ligne droite.

 

On connait maintenant les deux finalistes de la course à la présidentielle en Corée, dont les élections auront lieu dans moins d’un mois. Ils étaient trois jusqu’à présent: Park Geun-hye, candidate du parti de centre droit au pouvoir ; Moon Jae-in candidat du principal parti d’opposition de centre gauche, ancien avocat défenseur des droits de l’homme et ancien membre du cabinet du Président Roh Moo-hyun; enfin Ahn Cheol-su, entrepreneur multi-millionnaire, professeur et philanthrope, candidat indépendant entré en politique sur le tard et porté par un électorat assez hétéroclite mais plutôt jeune et lassé de la classe politique actuelle.

L’issue de cette course à la présidentielle semblait assez simple: si Ahn et Moon, les deux candidats de l’opposition, arrivaient à unifier leur candidature à partir d’une plateforme commune comprenant notamment la volonté de battre le camp conservateur, de lutter contre les inégalités sociales et d’adopter une approche plus conciliante vis-à-vis de la Corée du Nord, alors ce candidat unique aurait de sérieuses chances de l’emporter. Si par contre les deux s’évertuaient à maintenir leur candidature alors les électeurs voulant l’alternance se répartiraient dans des proportions trop similaires pour que l’un des deux ait une chance de l’emporter face au candidat unique de la droite car, rappelons-le, le président coréen est élu pour cinq ans lors d’un suffrage direct à un seul tour.

À quelques semaines des élections, on pourrait penser que le plus dur est fait pour l’opposition, dans la mesure où Ahn Cheol-su déclara vendredi dernier qu’il se retirait de la course à la présidentielle. La voie semble libre pour l’autre candidat de l’opposition, Moon Jae-in, qui devrait fédérer autour de lui tous les opposants au camp des conservateurs. Mais il n’en est absolument rien: on peut difficilement interpréter le retrait de Ahn comme un désistement en faveur de Moon mais plutôt la conséquence de l’impossibilité des deux camps d’arriver à un accord de gouvernement qui aurait permis de présenter une candidature unifiée.

Ca n’est pourtant pas faute d’avoir essayé: les dernières semaines ont été remplies de rencontres et pourparlers intenses émaillés de pressions diverses, fuites à la presse, volte-face, suspensions, tentatives avortées de consultation publique par voie de sondage, etc. La pression fut énorme autour des deux candidats pour arriver à un accord: jeudi dernier un cinquantenaire se suicidait même en laissant une note implorant Ahn et Moon de s’entendre. Mais à quelques jours du dépôt officiel des candidatures, les positions des deux camps n’étaient pas réconciliées: Moon et ses partisans mettant en valeur son expérience, et le soutien du principal parti d’opposition pour faire de lui le meilleur représentant du camp progressiste et le plus apte à gouverner, tandis que Ahn et les siens avançaient son indépendance, son charisme au delà des clivages politiques traditionnels pour justifier qu’il soit le meilleur des deux candidats pour battre la candidate conservatrice Park Geun-hye.

C’est suite à cette impossibilité d’arriver à un compromis, que Ahn en prit acte publiquement vendredi dernier et par conséquent, déclara son retrait de la course afin de préserver mathématiquement les chances d’une alternance politique.

Difficile de prédire si ce soutien par défaut suffira pour qu’un nombre suffisant des sympathisants de Ahn rejoignent le camp de Moon, d’autant que les soutiens du premier dépassaient les traditionnels clivages partisans: un certain nombre d’entre eux pourraient être tentés de rejoindre l’autre camp avec lequel leurs convictions politiques traditionnelles seraient le plus en phase. Les sondages donnent pour l’instant les deux candidats restants au coude à coude.

Difficile également d’interpréter les motivations réelles derrière cet apparent acte de sacrifice de Ahn pour le bien de l’alternance politique. Est-ce la fin de sa courte aventure politique, ou est-ce au contraire le retrait tactique d’un homme qui fait de plus en plus le choix d’une carrière politique ? Car il passe son tour cette fois-ci, mais il pourrait apparaître comme le recours de choix cinq ans plus tard, surtout si le gagnant de ces élections-ci déçoit.

lire le billet

Présidentielles coréennes: le billard à trois bandes

De g. à d.: Park Geun-hye, Moon Jae-in, Ahn Cheol-su

 

L’élection présidentielle en Corée, c’est un mélange des modes de scrutin français et américain. Comme aux Etats-Unis le Président est élu lors d’un scrutin à un seul tour, mais comme en France il est élu au suffrage direct. Comme aux Etats-Unis, le Président est issu de l’un des deux principaux partis de gouvernement, le New Frontier Party plutôt à droite et actuellement au pouvoir, ou le Democratic United Party plutôt à gauche, mais comme en France il arrive souvent qu’un troisième homme vienne jouer les trouble-fête dans le traditionnel duel bi-partisan.

En 1987, lors des premières élections démocratiques suite aux révoltes étudiantes contre trois décennies de dictature, le candidat du pouvoir en place, Roh Tae-woo, eut la chance d’avoir face à lui une opposition divisée entre les partisans de Kim Young-sam, et ceux de Kim Dae-jung. Roh remporta les élections avec 36% des voix, contre 27% pour Kim Young-sam et 26% pour Kim Dae-jung, alors que si les opposants s’étaient entendus, l’alternance aurait joué en leur faveur.

25 ans plus tard, les acteurs et les enjeux ont changé mais la configuration des élections de décembre prochain rappelle celle de 1987, avec trois candidats en présence dont on ne peut présager lequel sortira victorieux. Park Geun-hye est la candidate de la majorité sortante conservatrice. Elle apporte un vent de nouveauté car elle serait la première femme Présidente, mais elle rappelle aussi le passé autoritaire qu’a connu le pays, étant la fille de Park Chung-hee, sous le règne duquel la Corée connut son décollage économique mais également une répression sanglante de l’opposition.

En face, le parti d’opposition a élu son candidat en la personne de Moon Jae-in, avocat pour les droits de l’Homme entré en politique lors de la campagne présidentielle victorieuse de Roh Moo-hyun en 2002, dont il fut nommé directeur de Cabinet.  Moon est le profil classique de l’homme politique du parti d’opposition: lutte contre la dictature jusqu’à la fin des années 80, puis exercice du pouvoir avec son lot habituel d’espoirs et de déceptions suscités auprès d’un électorat de plus en plus mature face à la vie démocratique et donc lucide, voire résigné, quant aux effets de l’alternance politique.

C’est dans ce contexte qu’arrive Ahn Cheol-su. En plus d’être un entrepreneur high-tech à succès puis professeur à l’université et philanthrope, c’est parce que Ahn est nouveau venu en politique, en dehors des appareils de partis, qu’il plaît. Son discours, populiste pour les uns, novateur pour les autres, est axé sur la lutte contre les inégalités économiques et sociales qu’a provoqué le modèle de développement coréen. Son jugement est particulièrement sévère à l’encontre de l’archi-domination par les Chaebols, les conglomérats coréens, de l’économie coréenne: néfaste à l’innovation, à la libre concurrence, et à l’équité sociale selon lui.

Pour les deux opposants au parti au pouvoir que sont Moon et Ahn, la problématique est aussi simple que la solution difficile à trouver: si l’un ne se désiste pas en faveur de l’autre, alors le scénario de 1987 se reproduira. Les sondages le confirment qui créditent dans ce cas de figure d’une victoire de Park Geun-hye avec 40% des voix. Il faut donc trouver un accord pour unifier ces deux candidatures mais lequel? Si Ahn a longtemps nettement devancé Moon dans les sondages, ce dernier a rattrapé son retard, au point de faire jeu égal aujourd’hui. Les partisans de Moon avancent un autre argument en faveur du désistement de Ahn: celui-ci n’a pas de parti politique, sans l’appuis et les ressources duquel il serait impossible de mener une campagne victorieuse. Dès lors qu’il n’est pas envisageable pour le Democratic United Party de lâcher Moon, son candidat démocratiquement élu lors de primaires pour un candidat indépendant, il ne resterait plus qu’à Ahn de laisser le champ libre à Moon.

Evidemment, le raisonnement de Ahn est exactement inverse: c’est justement parce que Ahn est un candidat indépendant, libre de toutes contraintes liées aux querelles politiciennes, qu’il est en phase avec l’électorat coréen. D’ailleurs les sympathisants de Ahn transcendent les clivages politiques traditionnels pour rassembler une partie de l’électorat conservateur qui retournerait vite du côté de Park s’il advenait que Ahn intègre le parti d’opposition ou s’efface en faveur de Moon.

Pour Park, une configuration à trois est évidemment la plus confortable. Dans le cas d’une candidature unifiée de l’opposition, elle est donnée perdante quel que soit le candidat. Mais c’est une femme politique redoutable. Surtout, les écarts sont si serrés que rien n’est joué. C’est pourquoi elle s’efforce d’adopter une posture rassembleuse: en tapant aussi sur les Chaebols (le “Chaebol-bashing” est une tendance à la mode lors des campagnes électorales mais s’éteint rapidement par la suite), et en prenant ses distances par rapport à l’héritage autoritaire de son père.

 

lire le billet

Ahn Cheol-su for President ?

Ahn Cheol-su, c’est peut-être le prochain Président de la République de Corée et pourtant, à 5 mois des élections, il n’a ni expérience politique, ni équipe de campagne connue, ni programme politique bien défini. Il n’est d’ailleurs membre d’aucun parti politique et n’a pas clairement déclaré sa candidature à la fonction suprême.

Si en France un tel retard au démarrage serait un handicap insurmontable, tout va bien pour Ahn car nous sommes en Corée, pays où l’opinion publique possède une propension marquée à l’engouement collectif et une capacité incomparable à se mobiliser en un temps record pour une cause nationale. Il suffit parfois même d’une demi-journée pour qu’une mobilisation en masse change la tournure d’une élection présidentielle: lors des élections de 2002, tous les sondages donnaient le candidat du parti progressiste Roh Moo-hyun perdant. Le matin-même des élections celui-ci se trouvait sans surprise en mauvaise posture, notamment à cause d’un taux de participation trop faible des jeunes. Se mettait alors en place une campagne de bouche à oreille relayée par SMS sans précédent pour inciter les jeunes à aller voter. Une demi-journée plus tard, c’est Roh Moo-hyun qui remportait les élections au nez et à la barbe des conservateurs.

Tout est donc possible pour Ahn, d’autant que depuis cette semaine, la campagne de communication en vue de sa déclaration de candidature s’est accélérée. Samedi dernier paraissait l’ouvrage “Pensées d’Ahn Cheol-su” sous la forme d’un entretien permettant à ce dernier d’étayer son parcours et sa vision de la Corée. Signe de l’attente énorme de l’opinion publique, cet ouvrage a battu le record des ventes lors du premier jour de parution. On est encore loin d’un programme de campagne et le lecteur ne retiendra rien de très concret de cet ouvrage, si ce n’est que Ahn prône plus d’Etat providence, de justice sociale, de paix et la lutte contre les excès des Chaebols, ces conglomérats coréens qui dominent tous les aspects de la société coréenne. Mais ce recueil de généralités n’entame en rien l’espoir des soutiens, pour la plupart jeunes, de Ahn. Mardi soir, il était l’invité d’un talk show où il put se dévoiler davantage à l’opinion: son parcours, sa personnalité, et sa vision pour la Corée, sans toutefois confirmer sa candidature à l’élection présidentielle. Il se contenta d’affirmer qu’il prendrait sa décision bientôt en précisant qu’il convenait avant tout de dévoiler sa personnalité et expliquer ses convictions à ses supporters afin de connaître leur avis. Aucune information concrète n’est donc sorti de cette émission qui a néanmoins battu des records d’audience.

Si l’attente est aussi forte, c’est d’abord parce que le parcours d’Ahn Cheol-su est atypique. Né à Busan et 1962, Ahn décroche un doctorat en médecine à la prestigieuse Seoul National University, mais en parallèle, se passionne pour l’informatique et crée une start-up de logiciel antivirus Ahnlab. Très vite l’entreprise devient leader dans les logiciels de sécurité informatique, détenant 65% de part de marché en Corée, au détriment des leaders mondiaux du secteur.

Même si le fait d’avoir réussi dans les logiciels, domaine traditionnellement faible des Coréens comparé au hardware, lui confère une aura particulière, la popularité de Ahn ne s’explique pas par son parcours d’excellence et son succès en affaires. Certes ils sont retentissants, mais le développement économique fulgurant de la Corée a permis à beaucoup de s’enrichir. Par contre, rares sont ceux qui ont eu le comportement exemplaire de Ahn une fois leurs fortunes faites. En 2005, celui-ci quitte les commandes opérationnelles de Ahnlab et se consacre surtout à l’enseignement. Il est toujours aujourd’hui doyen de la faculté des sciences et technologies de la convergence de la Seoul National University.

Surtout, Ahn cède au début de cette année la moitié de sa participation de 37% dans Ahnlab à une fondation de bienfaisance dédiée à la lutte contre les inégalités sociales en Corée. Tel un Bill Gates coréen, Ahn fait ainsi don de la coquette somme de 155 millions d’euros, ce qui fait de lui l’un des plus généreux donateurs de la Corée, et ceci à partir d’un patrimoine qu’il s’est constitué à la sueur de son front et par son talent: un contraste flagrant face aux plus grosses fortunes de Corée, c’est à dire à peu d’exceptions près les familles propriétaires des Chaebols, qui elles sont assises sur un patrimoine obtenu par héritage souvent bien supérieur à celui de Ahn, et qui font parler d’elles plutôt pour leurs tentatives de fraudes fiscales ou d’abus de bien social que pour leurs actes de générosité.

Bien sûr tout ou presque reste à faire pour Ahn: se déclarer candidat, formuler un programme, former une équipe et surtout, ne pas décevoir les espoirs qu’il est arrivé à susciter. Mais voilà pourquoi parmi tous les candidats potentiels, Ahn est aujourd’hui le seul capable de barrer la route à la candidate conservatrice Park Geun-hye, qui elle est depuis longtemps en campagne. Parce que Ahn n’a pas besoin de promettre le changement pour susciter l’espoir, vu qu’il l’incarne. Même s’il n’a ni programme, ni équipe, ni expérience politique particulière, sa fraicheur, son talent passé à l’épreuve de son parcours académique et professionnel ainsi que son comportement d’une probité et d’un altruisme exemplaires parlent plus que n’importe quelle profession de foi enflammée de politicien aguerri.

lire le billet

Le nouveau Président français vu de Corée: le choc Hollande sur l’économie mondiale

Les élections présidentielles françaises ne sont pas passées inaperçues en Corée. Et si la majorité des Français serait bien incapable de nommer le Président sud-coréen (Lee Myung-bak), à l’inverse une majorité de Coréens connait au moins Sarkozy de nom, la plupart pouvant même citer l’un des faits marquants de sa présidence: son mariage avec Carla Bruni. A l’heure où son successeur entre à l’Elysée, voici un panorama de la couverture de l’élection présidentielle par la presse coréenne.

Le JoongAng Ilbo, quotidien conservateur, a bien du mal à cacher sa peine de voir “les socialistes pour la première fois au pouvoir depuis 17 ans“, oubliant au passage les 5 ans de gouvernement Jospin (mais il est vrai qu’en Corée, le Premier Ministre n’est qu’un directeur de cabinet du Président).  Le quotidien qui titre “Le choc Hollande sur l’économie mondiale” affirme que “le changement pour Hollande c’est renverser toutes les mesures mises en place par Sarkozy.” Si Hollande a remporté les élections, c’est parce que son discours aurait su séduire “tous ceux qui ont dû se serrer la ceinture suite à la crise” en promettant notamment la création de 60 000 postes dans l’Education Nationale et le retour de la retraite à 60 ans.

Mais le quotidien ajoute que Hollande n’a pas précisé comment il financerait ses mesures. “Tout juste a-t-il parlé d’imposer les très riches à 75% et les hauts revenus à 45% au lieu de 41%.” Le JoongAng Ilbo en est persuadé: “beaucoup craignent la logique des socialistes: augmentation des impôts -> augmentation des dépenses publiques -> remise à flot de l’économie -> croissance économique -> création d’emplois“. Et de conclure en citant un électeur d’un quartier huppé parisien: “Si Hollande passe, je m’exile.”

Le Chosun Ilbo, premier quotidien du pays et également conservateur, n’est pas non plus étouffé par la joie et titre également “Le choc Hollande sur l’économie mondiale”. Il offre un panorama plus complet de l’impact de l’élection de Hollande: une remise en cause des choix du couple Merkel Sarkozy au profit de la croissance et au détriment de la rigueur budgétaire, et le retrait prématuré des troupes françaises d’Afghanistan. Le quotidien rappelle également la situation médiocre dans laquelle Sarkozy laisse la France: “10% de chômeurs, le plus haut niveau depuis 13 ans, 1,6% de croissance économique et l’humiliation d’avoir perdu son triple A.”

Face à cette situation le quotidien rappelle les choix du nouveau Président de “taxer la finance, et supprimer les avantages fiscaux pour les très grandes entreprises.” Une politique contraire à celle de Sarkozy qui prônait “la valorisation du travail et le développement de l’activité par les réductions d’impôt.” En somme pour le quotidien, Hollande  met l’accent sur la lutte contre les inégalités de la société française, plutôt que sur l’efficacité économique, choix qui expose au risque de voir les capitaux fuir la France. le Chosun Ilbo cite en exemple l’entreprise de biotechnologie Eurofins Scientific qui aurait choisi de déménager son siège au Luxembourg, et les “riches Français qui affluent sur le marché immobilier anglais.

Mais il n’est pas sûr qu’Hollande puisse mettre en oeuvre sa politique car pour le quotidien l’écart du second tour est moins élevé que prévu et les élections législatives sont incertaines. Hollande devra donc ménager le centre pour qui la rigueur budgétaire est un enjeu primordial.

Le Donga Ilbo, troisième grand quotidien national et lui aussi conservateur, est sans surprise sur la même ligne que ses deux confrères, affirmant qu’avec la prise de pouvoir des socialistes pour la première fois depuis 17 ans en France (décidément!), conjuguée à l’issue des élections en Grèce, c’est la politique d’austérité qui monte à l’échafaud, “replongeant l’Europe dans la tourmente.” Le quotidien consacre également un article à Valérie Trierweiler, première Première Dame de France non mariée et working mom.

Il faut ouvrir les pages du quotidien de gauche Hankyoreh pour entendre un son de cloche différent. Pour le Hankyoreh, l’élection de Hollande ouvre la voie à une autre sortie de la crise par une politique de la croissance et de la prospérité, car pour le nouveau Président, “l’austérité ne doit pas être une fatalité.” L’Europe est-elle à un tournant? Pas si sûr pour le quotidien, et surtout trop tôt pour le dire car les élections déterminantes pour l’Europe auront lieu en septembre prochain en Allemagne, et l’avenir de l’Europe dépendra du score que réaliseront les sociaux-démocrates allemands et leurs alliés écologistes.

lire le billet

Elections “boombastic”

En cette période électorale, je ne résiste pas à l’envie de  partager ce moment fort de la campagne législative en Corée qui s’est achevée il y a une semaine.

Oui, il s’agit bien d’une manifestation politique dans le cadre d’élections de représentants du peuple et non un after de soirée après ingurgitation de substances psychotropes. Admirez le dévouement corps et âmes des équipes de ce candidat à Kwangju. Admirez également l’engouement populaire suscité par cette candidature et incarné par cette grand-mère qui passait par là et qui participe à ce mouvement de liesse synchronisé pour témoigner son soutien indéfectible envers un candidat qu’on aperçoit (0:52sec) perché sur une estrade mobile, saluant des automobilistes coincés dans les embouteillages. Si au final ce candidat n’a pas remporté la majorité des suffrages, il pourra se consoler en se disant qu’il a suscité l’adhésion des internautes, vu que cette vidéo a fait le tour de tous les sites de partage de vidéos coréens et étrangers.

Il ne faudrait pas réduire la qualité des débats politiques coréens à cette caricature. Il faut aussi replacer ces manifestations politiques rudimentaires dans le contexte d’un pays qui ne connait la démocratie que depuis 25 ans. Mais il faut aussi admettre qu’en général, la classe politique coréenne n’est pas ce qui honore le plus ce pays. Pas un mandat présidentiel ne passe sans qu’un haut responsable au pouvoir ne soit mis en cause dans une affaire de corruption. Le dernier en date concerne Park Hee-tae, rien de moins que le Président du Parlement, accusé d’avoir acheté les votes des députés de son propre parti en distribuant à chacun une enveloppe contenant environ 2000€ en liquide: quelle élégance! Park a démissionné en février dernier, et les électeurs apparemment blasée de ce genre d’affaires, ont quand même reconduit la majorité actuelle.

Dans les autres faits de gloire de la classe politique coréenne on retiendra également un fort clientélisme régional, une collusion malsaine avec les Chaebols, ces puissants conglomérats coréens qui font la pluie et le beau temps sur l’économie coréenne, et des débats parlementaires qui ont souvent une fâcheuse tendance à se transformer en bagarres de cours de récré.

lire le billet

Des élections en Corée aussi

A plusieurs égards les élections parlementaires qui viennent d’avoir lieu en Corée du Sud rappellent les élections présidentielles de 2007 en France. Dans les deux cas, la majorité se trouvait engluée dans les affaires et affaiblie par l’usure du pouvoir. Mais dans les deux cas, l’opposition a souffert de divisions et de manque de leadership. Et dans les deux cas, c’est une figure issue des rangs de la majorité qui a su incarner le changement.

En Corée il s’agit de Park Geun-hye, 60 ans et fille de Park Chung-hee, le Président de la Corée du Sud entre 1961 et son assassinat en 1979. L’héritage de Park père est aujourd’hui encore matière à débat, considéré comme un Pinochet asiatique par les progressistes, et vénéré comme le père fondateur de la Corée prospère et moderne par les conservateurs. Sa fille fut candidate malheureuse aux primaires de son parti pour les élections présidentielles de 2007 aux dépens du Président actuel Lee Myung-bak. En retrait depuis cette défaite, Park a su progressivement se démarquer du pouvoir actuel et se poser en recours possible aux yeux d’une opinion publique plus préoccupée par les difficultés économiques, notamment la baisse du pouvoir d’achat, la montée du chômage (notamment celui des jeunes), et la mainmise des grands conglomérats (Chaebols) sur l’économie aux dépens des PME, que de la menace nord-coréenne.

C’est la perte par la majorité de la mairie de Seoul qui offre une opportunité à Park de reprendre la main. Celle-ci prend la tête d’un parti désemparé et mal engagé dans une année 2012 cruciale qui prévoit successivement le renouvellement du Parlement (les élections de mercredi dernier) puis du Président coréen en décembre. La décision de Park de monter en première ligne semble risquée: les sondages prédisent une victoire de l’opposition lors des élections législatives, un échec dont Park devrait endosser la responsabilité, ruinant ses ambitions présidentielles. Mais Park n’est jamais aussi bonne qu’en campagne électorale: elle procède à une rénovation express de son parti qu’elle rebaptise “Saenuri” (nouvelle frontière), puis sillonne sans relâche le pays à la rencontre de la Corée d’en bas. Elle prend également soin de se distancer du bilan d’un Président du même bord, mais impopulaire et réputé proche des Chaebols, ces grands groupes omnipotents qui ont acquis leur position ultradominante grâce au modèle de développement économique mis en place par… le père de Park.

En face, le Parti Démocrate Unifié (PUD), qui représente le principal parti d’opposition est mal organisé. Certes il peut surfer sur le mécontentement de l’opinion envers le pouvoir actuel, mais il n’a pas de leader clair qui puisse incarner l’opposition face à Park et aucun candidat à la présidentielle ne se dégage ne manière incontestable aujourd’hui: Han Myung-sook, ancienne Première Ministre sous la précédente administration et chef du PUD n’a pas d’ambition présidentielle et serait de toutes les façons disqualifiée par cette défaite électorale, alors que le candidat pressenti, Moon Jae-in a lui certes gagné son siège de député à Busan, la deuxième ville du pays, mais n’a pas réussi à chambouler la donne dans ce bastion conservateur du sud-est de la péninsule.

Au final, le parti au pouvoir conserve sa majorité au Parlement, marquant une victoire personnelle pour Park. La course à la présidentielle semble donc mal engagée pour le camp progressiste, dont l’attention se tourne encore plus vers Ahn Cheol-soo, un businessman et philanthrope comparable toute proportion gardée à Bill Gate, puisque Ahn a crée l’un des principaux éditeurs de logiciels en Corée. Aujourd’hui professeur à l’université de Seoul et jouissant d’une énorme popularité notamment auprès des jeunes, on prête de plus en plus à Ahn des ambitions politiques qui pourraient converger avec celles du PUD. Encore faudrait-il que ces ambitions soient réelles, qu’elles trouvent un cadre d’arrangement avec les intérêts du PUD et que surtout, une telle alliance ne sape pas le principal atout de Ahn: son image de novateur, en dehors du cadre des partis politiques traditionnels.

lire le billet

Débats musclés

L’une des différences entre une démocratie bicentenaire comme la France et trentenaire comme la Corée, c’est le caractère plus ou moins apaisé du débat démocratique. En Corée, on peut dire que celui-ci est fougueux, y compris dans l’enceinte du Parlement. Alors qu’en France le moindre nom d’oiseau échangé entre élus fait parler les médias et que les manifestations physiques les plus démonstratives se limitent à un groupe parlementaire quittant solennellement l’enceinte du Parlement, le quotidien d’un élu coréen est autrement plus sportif. Et avoir un David Douillet dans son groupe parlementaire serait apprécié à sa juste valeur ici.

Dernier épisode : la ratification par le parlement coréen d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Pour la majorité il s’agit de consolider les liens avec un pays qui est à la fois l’un de ses plus gros partenaires commerciaux avec la Chine, et son protecteur militaire. Pour un pays dont l’économie est fortement tributaire de ses exportations et qui vit sous la menace constante de son frère ennemi nucléarisé, l’enjeu est de taille. Mais pour l’opposition, cet accord est encore au détriment des plus modestes, dont les PME et les paysans, soumis à une concurrence toujours plus rude pour faire profiter toujours les mêmes : les Chaebols tels que Hyundai Motors ou Samsung Electronics.

Résultat comme lors de nombreux désaccords politiques clivant : les débats parlementaires évoluent très vite en guérilla parlementaire, où tous les coups sont permis pour voter le projet de loi pour les uns, et le bloquer à tout prix pour les autres. Sit-ins, blocages de porte, mêlées dignes des plus fougueux matchs de rugby, jets de fruits et légumes : on pensait que toutes les techniques avaient été exploitées. C’est sans compter la capacité d’innovation sans limite des parlementaires dans ce domaine. Hier donc, lorsque la majorité a convoqué une session plénière éclair dans l’espoir de prendre de vitesse les élus de l’opposition, l’un d’eux a jugé astucieux de dégoupiller une bombe lacrymogène en plein milieu de la salle, semant la pagaille parmi les élus, avant d’être évacué manu militari.

lire le billet

Mister Gaffe

Si un jour les Guignols de l’Info veulent exporter leur concept en Asie, je préconise la Corée comme terre d’accueil, tellement le paysage politique regorge de profils idéaux pour émission satirique.

Prenez par exemple Ahn Sang-soo, chef du parti majoritaire. Sa spécialité est d’aligner gaffe sur gaffe, à chaque fois plus embarrassantes les unes que les autres. Les gens l’appellent souvent par son surnom “Haeng-bul Ahn Sang-soo”, soit “Ahn le porté disparu”. Parce que dans sa jeunesse, l’appelé Ahn a échappé au service militaire (qui durait à l’époque 3ans et qui n’est pas exactement un camp de vacances) au motif qu’il était introuvable. Un peu embarrassant pour un homme politique de premier rang d’un pays toujours officiellement en guerre contre son voisin. Surtout que son excuse parait plus que douteuse: il aurait fait une retraite dans un temple bouddhiste pour réviser ses examens, et sa mère qui aurait ouvert le courrier de convocation ne l’aurait pas prévenu parce que ne sachant pas lire…

Ces temps-ci, Ahn est en forme. Au lendemain du bombardement par les Nord-coréens de l’île de Yeonpyeong, Ahn prend son courage à deux mains et s’y rend avec militaires et équipe TV. Sans doute jugea-t-il que le public apprécierait sa bravoure et lui pardonnerait d’avoir séché ses devoirs militaires. Sur un site bombardé, on lui tend deux cylindres métalliques et un militaire lui indique que se sont deux restes d’obus. Ahn s’empresse alors de les exhiber fièrement devant la caméra. Manque de bol il s’agissait de deux thermos à café. Autant dire que le surnom de Ahn est en passe de devenir “Ahn le thermos”. Au moins sa notoriété, surtout auprès des plus jeunes est montée en flèche. Au point qu’à la sortie de l’Assemblée Nationale, un enfant l’aurait suivi en criant “C’est Monsieur Thermos!”

Ahn Sang-soo exhibant des obus... de thermos

A peine remis de cette histoire que Ahn enchaîne. A l’approche des fêtes de fin d’année, il aurait invité quelques femmes journalistes à un dîner informel “off the record”. Et c’est cette occasion qu’il choisit pour énoncer son avis sur les femmes et la chirurgie esthétique: à force de toutes y passer, elle finiraient par toutes se ressembler (pas faux cela dit). Et d’ailleurs, de plus en plus d’hommes, lorsqu’ils se rendent dans des bars à hôtesses, s’attacheraient à ne choisir que des “produits naturels”. Forcément, il n’avait pas le temps de dire ouf que cette confession “off” avait fuité. Ahn a dû se fendre d’excuses publiques aujourd’hui.

C’est en juillet que Ahn a pris la tête du parti au pouvoir. A se demander si ça n’est pas un agent double, jouant le jeu de l’opposition.

lire le billet