Présidentielles coréennes: le billard à trois bandes

De g. à d.: Park Geun-hye, Moon Jae-in, Ahn Cheol-su

 

L’élection présidentielle en Corée, c’est un mélange des modes de scrutin français et américain. Comme aux Etats-Unis le Président est élu lors d’un scrutin à un seul tour, mais comme en France il est élu au suffrage direct. Comme aux Etats-Unis, le Président est issu de l’un des deux principaux partis de gouvernement, le New Frontier Party plutôt à droite et actuellement au pouvoir, ou le Democratic United Party plutôt à gauche, mais comme en France il arrive souvent qu’un troisième homme vienne jouer les trouble-fête dans le traditionnel duel bi-partisan.

En 1987, lors des premières élections démocratiques suite aux révoltes étudiantes contre trois décennies de dictature, le candidat du pouvoir en place, Roh Tae-woo, eut la chance d’avoir face à lui une opposition divisée entre les partisans de Kim Young-sam, et ceux de Kim Dae-jung. Roh remporta les élections avec 36% des voix, contre 27% pour Kim Young-sam et 26% pour Kim Dae-jung, alors que si les opposants s’étaient entendus, l’alternance aurait joué en leur faveur.

25 ans plus tard, les acteurs et les enjeux ont changé mais la configuration des élections de décembre prochain rappelle celle de 1987, avec trois candidats en présence dont on ne peut présager lequel sortira victorieux. Park Geun-hye est la candidate de la majorité sortante conservatrice. Elle apporte un vent de nouveauté car elle serait la première femme Présidente, mais elle rappelle aussi le passé autoritaire qu’a connu le pays, étant la fille de Park Chung-hee, sous le règne duquel la Corée connut son décollage économique mais également une répression sanglante de l’opposition.

En face, le parti d’opposition a élu son candidat en la personne de Moon Jae-in, avocat pour les droits de l’Homme entré en politique lors de la campagne présidentielle victorieuse de Roh Moo-hyun en 2002, dont il fut nommé directeur de Cabinet.  Moon est le profil classique de l’homme politique du parti d’opposition: lutte contre la dictature jusqu’à la fin des années 80, puis exercice du pouvoir avec son lot habituel d’espoirs et de déceptions suscités auprès d’un électorat de plus en plus mature face à la vie démocratique et donc lucide, voire résigné, quant aux effets de l’alternance politique.

C’est dans ce contexte qu’arrive Ahn Cheol-su. En plus d’être un entrepreneur high-tech à succès puis professeur à l’université et philanthrope, c’est parce que Ahn est nouveau venu en politique, en dehors des appareils de partis, qu’il plaît. Son discours, populiste pour les uns, novateur pour les autres, est axé sur la lutte contre les inégalités économiques et sociales qu’a provoqué le modèle de développement coréen. Son jugement est particulièrement sévère à l’encontre de l’archi-domination par les Chaebols, les conglomérats coréens, de l’économie coréenne: néfaste à l’innovation, à la libre concurrence, et à l’équité sociale selon lui.

Pour les deux opposants au parti au pouvoir que sont Moon et Ahn, la problématique est aussi simple que la solution difficile à trouver: si l’un ne se désiste pas en faveur de l’autre, alors le scénario de 1987 se reproduira. Les sondages le confirment qui créditent dans ce cas de figure d’une victoire de Park Geun-hye avec 40% des voix. Il faut donc trouver un accord pour unifier ces deux candidatures mais lequel? Si Ahn a longtemps nettement devancé Moon dans les sondages, ce dernier a rattrapé son retard, au point de faire jeu égal aujourd’hui. Les partisans de Moon avancent un autre argument en faveur du désistement de Ahn: celui-ci n’a pas de parti politique, sans l’appuis et les ressources duquel il serait impossible de mener une campagne victorieuse. Dès lors qu’il n’est pas envisageable pour le Democratic United Party de lâcher Moon, son candidat démocratiquement élu lors de primaires pour un candidat indépendant, il ne resterait plus qu’à Ahn de laisser le champ libre à Moon.

Evidemment, le raisonnement de Ahn est exactement inverse: c’est justement parce que Ahn est un candidat indépendant, libre de toutes contraintes liées aux querelles politiciennes, qu’il est en phase avec l’électorat coréen. D’ailleurs les sympathisants de Ahn transcendent les clivages politiques traditionnels pour rassembler une partie de l’électorat conservateur qui retournerait vite du côté de Park s’il advenait que Ahn intègre le parti d’opposition ou s’efface en faveur de Moon.

Pour Park, une configuration à trois est évidemment la plus confortable. Dans le cas d’une candidature unifiée de l’opposition, elle est donnée perdante quel que soit le candidat. Mais c’est une femme politique redoutable. Surtout, les écarts sont si serrés que rien n’est joué. C’est pourquoi elle s’efforce d’adopter une posture rassembleuse: en tapant aussi sur les Chaebols (le “Chaebol-bashing” est une tendance à la mode lors des campagnes électorales mais s’éteint rapidement par la suite), et en prenant ses distances par rapport à l’héritage autoritaire de son père.

 

Les commentaires sont fermés !

« »