La cuisine française en Corée

Je me souviens de mon premier séjour en Corée du Sud au milieu des années 80: la seule nourriture occidentale la plus largement disponible était le Donkatsu, l’escalope de porc pannée à la japonaise. Pas follement occidental… On pouvait trouver également quelques restaurants de fast food pour lesquels il fallait généralement faire un long trajet pour s’y rendre… Voilà.

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Bien sûr la nourriture coréenne reste reine, mais la gastronomie internationale est représentée à Seoul, comme dans n’importe quelle autre capitale internationale. Une première vague est venue avec l’installation des steak houses ou family dining à l’américaine, comme prolongement plus qualitatif des fastfoods déjà présents. Le goût des Coréens pour la viande et leur fascination (à l’époque) pour tout ce qui est “Made in America” ont convaincu les acteurs locaux de la restauration qu’il existait un marché à fort potentiel si bien qu’aujourd’hui les artères de Seoul regorgent de restaurants américains où l’on mange un bon steak après s’être copieusement servis au salad bar.

Et la gastronomie venue d’Europe dans tout ça? L’Italie se porte très bien, bénéficiant de l’engouement des Coréens pour l’huile d’olive après qu’une série d’articles et reportages vantèrent ses bienfaits sur la santé et profitant également du goût des Coréens pour la pasta qui rappelle les nouilles de la cuisine coréenne. On peut ainsi manger d’excellents spaghetti alle vongole, vu l’abondance de palourdes et autres fruits de mer en Corée.

Pour la cuisine française, les choses sont un peu différentes. Bien sûr celle-ci bénéficie d’un prestige incomparable, comme l’illustre le nombre de Coréens qui partent tous les ans en France pour apprendre l’art culinaire au Cordon Bleu ou Le Nôtre. Mais pour les Coréens, cette cuisine est difficile, chère, inaccessible, et malheureusement médiocre pour la plupart des restaurants français présents à Seoul. Car la plupart des chefs locaux qui se lancent à l’aventure de la gastronomie française en Corée sont généralement confrontés à la difficulté majeure de trouver des ingrédients de qualité. Il leur reste donc pour justifier les prix élevés qu’ils proposent d’accueillir leurs clients dans un lieu qui en jette et d’y associer un service de haute volée.

L’intention est bonne mais au final le client se retrouve avec beaucoup de prétention et quelque chose sans grand intérêt dans leurs assiettes…

 

 

 

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Kimchi Chiggae

La cuisine coréenne, c’est la cuisine paysanne par excellence. N’y voyez surtout pas de connotation péjorative, car c’est comme ça que je conçois la cuisine plaisir: simple, accessible, faite de bons produits, de portions généreuses et de convivialité. Un plaisir comparable à celui que procurent ces plats canailles qu’on partage avec des amis dans un bistrot de quartier.

Au coeur de la gastronomie coréenne figure le Kimchi. Il serait trop long d’en faire une explication exhaustive mais retenons qu’il s’agit la plupart du temps de choux chinois saumurés assaisonnés de beaucoup de piments et d’ail, puis fermenté. Le Kimchi est le plat d’accompagnement de tout repas. Il serait aussi étrange d’en manquer lors d’un repas coréen, qu’il le serait de manquer de pain lors d’un repas français.

Comme tout plat fermenté, le Kimchi évolue avec le temps: au début on l’aime pour sa fraicheur et son croquant, un peu comme on apprécierait une salade, tandis qu’à un stade évolué de fermentation, on l’apprécie pour son acidité, un peu comme on apprécierait une bonne choucroute. Lorsqu’il vieillit d’avantage encore, le Kimchi est cuisiné dans du bouillon de porc en “Kimchi chiggae”, ou ragoût de Kimchi, qui pour moi représente l’essence de la cuisine coréenne. Et bien que ce plat figure au menu de nombreux restaurants coréens, il est malheureusement rare de pouvoir en goûter d’authentiquement bons, ce qui explique pourquoi lorsqu’on demande à un Coréen une bonne adresse pour manger un Kimchi Chiggae, la réponse soit souvent: “chez ma mère”.

Chez sa mère donc ou dans quelques rares endroits comme à la maison, qui ne figurent dans aucun guide touristique, mais dont l’adresse circule via le bouche à oreille entre Coréens avertis. Parmi ces bonnes adresses figure “la maison de Gwanghwamun (광화문집)”, située comme son nom l’indique à Gwanghwanum, dans une petite ruelle à côté du Sejong Center.

Surtout ne vous laissez pas dissuader par la devanture ressemblant plus à celui d’un atelier textile clandestin de China Town et tirez la porte en taule pour vous engouffrer dans ce temple de la gastronomie coréenne. Il vous faudra encore surmonter le décor spartiate et la promiscuité des lieux; il vous faudra également vous armer de patience avant qu’une place se libère pour vous y installer.

Ici point de serveur pour venir vous débarrasser, vous conduire à votre table et vous présenter le menu. En guise d’accueil et de menu, l’une des trois patronnes vous interpellera tout en continuant à s’affairer aux fourneaux pour vous demander si vous prendrez une portion de “Gaeran mari (계란말이)”, version coréenne de notre omelette, qui est la seule variante proposée par ce restaurant au menu unique: le Kimchi Chiggae, qui d’ailleurs mijote déjà sur votre table.

Pour 5000 wons (3 euros), le “Gaeran Mari” est vivement conseillé. Il vous aidera à réaliser que le concept d’omelette aux herbes baveuse n’est pas unique à la France, tout en préparant votre estomac à recevoir la suite épicée du programme que vous entendez mijoter depuis tout à l’heure.

 

Le Kimchi Chiggae connait des variantes en fonction des régions: au sud de la Corée, il est préféré austère et pur, c’est à dire avec peu d’autres ingrédients que le Kimchi: quelques morceaux de tofu frais, un peu de navets et poireaux coréens, pour donner un bouillon clair et subtil mettant en valeur les saveurs du Kimchi fermenté. A Séoul il est préparé avec une portion abondante de viande de porc afin de donner de la consistance au bouillon où se marient l’acidulé du Kimchi et l'”umami” de la viande. C’est ainsi qu’il est préparé à la Maison de Gwanghwamun.

 

Beaucoup de Coréens vous diront que pour connaître l’âme des Coréens, il faut apprécier sa nourriture. Faire l’expérience d’un bon Kimchi Chiggae, c’est effectivement pénétrer le caractère coréen: en savourant ce ragoût épicé et bouillonnant; en appréciant ce goût particulier fait de choux fermentés, d’épices et d’ail; en transpirant, soufflant et reniflant sans gêne aux côtés de convives qui en font de même, on a l’impression que c’est la Corée qui entre par tous ses ports le temps d’un repas qui aura coûté 12 000 wons, soit 8 euros.

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